« L’Instruction primaire et les Enfans des classes pauvres en Angleterre/01 » : différence entre les versions

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: ''Education of pauper children. — Resolutions and heads of report'', proposed by M. Senior, 1 vol. 1862.
 
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Rien de plus défectueux que le plan des études et la matière des examens en vigueur. Voici, par exemple, ce qui se passe pour les jeunes filles qui aspirent au brevet de maîtresse. — C’est à l’âge de treize à quatorze ans qu’elles se présentent le plus habituellement; presque toutes sont d’une humble condition. L’apprentissage dure cinq années, au bout desquelles on leur délivre, s’il y a lieu, un brevet de capacité. A la fin de chaque année, un inspecteur procède à un examen; si cet examen est heureux et si la jeune fille franchit l’épreuve avec succès, elle reçoit comme indemnité ou encouragement de 10 à 20 livres (250 à 500 francs), c’est-à-dire une somme comme jamais elle n’en a vu, et qui représente dans certains cas les salaires du chef de sa famille pendant l’année entière. Pour que rien ne la détourne de ses études, elle est dispensée de tout service domestique. Dans la maison paternelle, quand elle y paraît, on la traite comme une petite déesse, autant au-dessus de ses frères et sœurs que le paysan irlandais qui est sorti de sa chaumière pour entrer dans un séminaire. A dix-huit ans, elle concourt pour le grade d’écolière de la reine; si elle l’obtient, elle devient pensionnaire du collège, y est nourrie, logée, blanchie, et touche en outre, pour ses dépenses personnelles, une petite somme qui est mesurée sur les résultats des examens. Ce stage se prolonge pendant une, deux ou trois nouvelles années, au bout desquelles la jeune aspirante obtient l’un des onze certificats, dans un ordre croissant de mérites, qui lui confèrent le droit d’enseigner et l’attachent à une école avec la jouissance d’une maison et un traitement, qui est au minimum de 20 livres par an et peut s’élever jusqu’à 60 livres. C’est là, pour le gros de ces tribus, une terre promise; beaucoup restent en chemin et ne la voient pas; les plus favorisées n’y arrivent qu’au prix de sept années d’efforts et d’une contention d’esprit continuelle. Leur carrière en dépend; qu’un seul jour la mémoire les trahisse, que dans ce travail du cerveau la santé s’altère au point de troubler la marche des études, qu’il y ait seulement une période de défaillance, et le fruit de ce stage pénible sera compromis ou détruit. L’échec dans ce cas est une véritable ruine; non-seulement les parens en sont pour leurs sacrifices, mais la jeune fille est en face d’une vocation manquée et des écueils d’un déclassement. Si elle n’en sait pas assez pour être maîtresse, elle en sait trop pour redevenir ouvrière ; elle a malheureusement appris à rougir du métier des siens sans acquérir la faculté d’en prendre un meilleur. Elle est dès lors livrée à tous les embarras et à tous les pièges des situations équivoques.
 
Pour se former une idée des difficultés de la tâche, il faut avoir sous les yeux le programme des examens. Partout, il est vrai, les documens de ce genre renchérissent sur le luxe des matières ; on dirait qu’ils ont été faits plutôt pour prouver la science de ceux qui jugent que le mérite de celles ou de ceux qui sont jugés. Plus d’une fois, en parcourant les questions que l’on pose à nos bacheliers, je me suis demandé comment un si grand nombre d’entre eux parvient à y satisfaire autrement que par une certaine grâce d’état. On ne déroge pas en Angleterre à ce formidable appareil <ref> (1) Voici, entre autres notions, ce que l’on demande à des jeunes filles de quatorze à dix-huit ans. Je n’indiquerai ici que les traits principaux dans l’ordre suivi par le programme: <br /> «''Écriture sainte''. — Quels événemens se rattachent aux endroits suivans : Hobah, Beerlahai-Roi, Mizpeh, Peniel, Séchem, Luz? Dites clairement quelles leçons pratiques et quelles vérités spirituelles ressortent de l’un ne ces événemens. — Peignez le caractère de Jacob et transcrivez les bénédictions qu’il prononça sur Juda et sur Joseph... — Donnez un récit exact des circonstances de l’entrée de Notre-Seigneur à Jérusalem et de son crucifiement, et transcrivez au moins six versets de son dernier discours... — Donnez une exacte et complète analyse d’une ou plusieurs des parties suivantes des saintes Écritures, et transcrivez au moins six versets consécutifs d’une des épitres dans Lesquelles on les trouve : «''Aux Galatiens'', c. II, commençant par ces mots : Il y a quatorze ans, etc. » — Je m’arrête ici, quoique le questionnaire renferme des parties non moins curieuses sur le sacrifice, la résurrection et le jugement dernier, sur la justification et le péché originel, la personne du Christ et les bonnes œuvres. </ref>. L’érudition des postulantes est mise à de rudes épreuves. On exige qu’elles sachent à quoi s’en tenir sur les articles de foi d’Athanase en ce qui touche l’incarnation, sur les martyres de saint Ignace et de saint Polycarpe, sur le premier et le quatrième concile, enfin sur les docteurs auxquels on doit la préparation des trente-neuf articles et la révision du livre de prières sous les règnes d’Edouard VI et d’Elisabeth. Des théologiens ne seraient pas pressés plus vivement ni sur de plus graves matières. En histoire et en géographie, le programme n’est pas moins exigeant : le règne d’Alfred, la conquête normande et ses suites, Cromwell et les Stuarts, les rois et les reines sont la part de l’histoire, à laquelle s’ajoute la liste des principaux noms engagés dans l’indépendance américaine. La part de la géographie est tellement large qu’après une vue générale du globe, de ses fleuves, de ses chaînes, de ses divisions naturelles ou politiques, on en vient à des problèmes qui partagent les savans : les causes des marées, l’influence qu’exercent sur le climat la distance de la mer, les vents régnans et la nature du sol; enfin, ce qui est plus délicat encore, la désignation de celle des colonies anglaises qui est la plus profitable au commerce de la métropole avec des preuves à l’appui. Comment supposer que de semblables questions puissent aboutir à autre chose qu’à des réponses purement machinales? Des filles de quinze ans, si ouverte que soit leur intelligence, ne sauraient voir plus clair dans ces broussailles de l’érudition que les casuistes et les lettrés, qui, depuis un temps immémorial, se disputent sur les textes et sur les gloses. Quand on aura fait répéter à ces écolières l’épître aux Galatiens ou aux Philippiens sans qu’elles bronchent d’une syllabe, quand elles auront raconté ce qui se rattache à Séchem, à Shalem, à Beerlahai-Roi, comme le veut la table des examens, qu’y aura-t-il à en conclure, si ce n’est que la mémoire est bonne et la leçon bien apprise? Point de tâtonnement sur la lettre; seulement le sens et l’esprit échappent. Il y a là un vice d’origine qui, introduit dans renseignement, ne l’abandonne plus. Une leçon machinalement apprise est toujours une leçon machinalement enseignée. Beaucoup d’inspecteurs s’en plaignent en termes assez vifs. Rarement une explication vient éclairer le sujet; tout se réduit au formulaire. L’un de ces inspecteurs visitait une école : à peine y était-il entré que l’instituteur, pour faire valoir ses élèves, leur posa une question. « Quel passage dans les Écritures commande le devoir envers les parens? » Sur ces mots, trente mains se lèvent; tous veulent répondre. L’inspecteur désigne l’un des enfans, qui, d’un air animé, débite ces paroles : l’''Exode'', vingtième chapitre, douzième verset; honore ton père et ta mère afin que tes jours se prolongent sur la terre que le Seigneur te donnera. » Les trente autres élèves en eussent dit autant; mais parmi eux il n’en était aucun qui sentît en quoi et comment le texte sacré pouvait les toucher, et à qui il vînt à la pensée que cette terre promise pouvait s’appeler le Middlesex ou le Surrey, comme aussi que les parens à honorer, avec la longévité pour récompense, pussent être leurs propres parens. En vain l’inspecteur essaya-t-il de suggérer cette impression ; il ne fut pas compris de l’instituteur lui-même. L’usage de ces commentaires familiers n’est pas établi, et ce serait s’exposer au blâme que de manquer aux usages. C’est ce qui arriva à M. Langton, qui tenait une des meilleures écoles des faubourgs de Londres. Il avait compris les vices de cet enseignement dogmatique qui exerce la mémoire plus que le jugement et meuble la tête des enfans de mots plutôt que d’idées. Sa méthode était tout opposée. Il choisissait des sujets appropriés à l’âge et à l’intelligence de ses élèves, et au lieu de les renfermer dans des phrases convenues, il leur laissait la liberté de discourir. Un jour, devant le comité d’examen, il voulut donner un exemple public de sa méthode, et commençait à interroger les enfans de sa classe sur la tempérance, la frugalité, l’honnêteté, en leur indiquant seulement d’appuyer leurs propres idées sur quelques textes, comme, les proverbes de Salomon, lorsqu’il fut brusquement interrompu par un membre du comité, qui ramena l’interrogatoire dans des voies plus conformes à la tradition scolaire. « Quelles sont les prophéties de l’Ancien Testament qui se sont accomplies dans le Nouveau? » demanda-t-il à l’élève, et ainsi du reste. Tel fut le seul, compliment que M. Langton recueillit de ses hardiesses.
 
Ni les préjugés, ni les routines ne manquent donc aux écoles anglaises, et le comité du conseil privé n’a pas su mieux s’en défendre que les comités paroissiaux. Pour relever son plan d’études, il a renchéri sur les obscurités et les insignifiances dont fourmillent tous les plans d’études connus; il a fait ce qu’on fait partout, de la pédagogie en excès. Il n’en pouvait être autrement : sous peine d’échec, il fallait au début se conformer aux modèles existans ; mais, au milieu de ces embarras et de ces erreurs de conduite, on n’en voit pas moins une puissance qui se constitue : elle a son siège dans le gouvernement, son corps d’inspecteurs, ses écoles normales, ses programmes, elle a surtout sa caisse, devant laquelle plus d’un établissement rebelle a déjà plié le genou. Contestée dans son titre, entravée dans ses actes, cette puissance nouvelle se fait humble afin de mieux arriver à ses fins, et use de ménagemens vis-à-vis de ceux qu’elle veut suppléer. Elle n’en marche pas moins, malgré les résistances, vers la conquête d’un beau domaine. Ce qu’il y a, en fait d’écoles, de vigoureux, de bien organisé, lui échappera sans doute ; ce qui ne saurait lui échapper, c’est ce lot ingrat que forment, en tout pays et sous tous les régimes, les classes dénuées de ressources, et qui, sans un énergique effort, ne sortiraient jamais de l’abjection où elles croupissent. Voilà une clientèle acquise au gouvernement et qui lui sera peu disputée. L’éducation s’y complique de moyens de police que le zèle particulier ne saurait avoir à sa disposition. Il faut suivre, dans ce domaine de la misère et de l’ignorance, le mouvement de l’instruction élémentaire et rendre sensibles les difficultés de la tâche, en montrant ce que sont les hommes sur lesquels on s*est proposé d’agir.
 
 
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<small> (1) Voici, entre autres notions, ce que l’on demande à des jeunes filles de quatorze à dix-huit ans. Je n’indiquerai ici que les traits principaux dans l’ordre suivi par le programme :</small><br />
<small> «''Écriture sainte''. — Quels événemens se rattachent aux endroits suivans : Hobah, Beerlahai-Roi, Mizpeh, Peniel, Séchem, Luz? Dites clairement quelles leçons pratiques et quelles vérités spirituelles ressortent de l’un ne ces événemens. — Peignez le caractère de Jacob et transcrivez les bénédictions qu’il prononça sur Juda et sur Joseph... — Donnez un récit exact des circonstances de l’entrée de Notre-Seigneur à Jérusalem et de son crucifiement, et transcrivez au moins six versets de son dernier discours... — Donnez une exacte et complète analyse d’une ou plusieurs des parties suivantes des saintes Écritures, et transcrivez au moins six versets consécutifs d’une des épitres dans Lesquelles on les trouve : «''Aux Galatiens'', c. II, commençant par ces mots : Il y a quatorze ans, etc. » — Je m’arrête ici, quoique le questionnaire renferme des parties non moins curieuses sur le sacrifice, la résurrection et le jugement dernier, sur la justification et le péché originel, la personne du Christ et les bonnes œuvres. </small><br />
 
 
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Il faut d’ailleurs ne pas séparer les actes de l’esprit qui les a inspirés. Ce qu’un gouvernement distribue au nom et pour le compte de la communauté n’a qu’une signification numérique; ce qui vient de l’individu a une intention marquée ; près de la main qui donne, il y a un cœur qui s’émeut et un œil qui veille. Le bienfait oblige des deux parts; c’est un champ qui est ouvert à l’exercice de quelques vertus, et qu’il serait imprudent de restreindre. On a, il est vrai, imaginé des systèmes où l’état remplit seul la scène avec quelques comparses pour le seconder, où seul il agit et soulage, choisit entre les attributions, et ne délaisse que celles qui ne sont point à sa convenance. Ces systèmes sont de nature à blesser la raison et la dignité publiques. Le bon sens dit qu’il convient de maintenir dans le domaine privé toutes les fonctions et tous les actes qui peuvent y demeurer utilement. C’est ce qu’ont pensé les Anglais et ce qui les rend circonspects en matière d’usurpations. Ils se défient des entraînemens, ils craignent d’ouvrir la porte à des chimères dont ils se sont longtemps préservés, l’instruction gratuite par exemple, ou bien l’instruction obligatoire. Les documens que je viens de résumer n’autorisent nullement des vues aussi aventureuses : non pas qu’on n’y cite par exception des écoles gratuites pour les enfans des pauvres, des écoles obligatoires pour les enfans des manufactures, aucune forme n’est repoussée; mais il y a loin de là à un plan général d’éducation où les familles seraient à la fois exonérées et dessaisies. L’enquête se tait sur ces débauches de l’imagination, et n’en fait pas autrement justice que par ce silence.
 
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