« La Lithographie dans ses rapports avec la peinture » : différence entre les versions

Contenu supprimé Contenu ajouté
Nouvelle page : {{TextQuality|75%}}<div class="text"> {{journal|La lithographie dans ses rapports avec la peinture|Henri Delaborde|Revue des Deux Mondes T.46, 1863}} <center>Charlet, Vernet...
 
Zoé (discussion | contributions)
mAucun résumé des modifications
Ligne 16 :
Par quelle singulière défiance des entraînemens de l’esprit les successeurs de ces maîtres s’appliquent-ils si bien aujourd’hui à démentir les premiers exemples et à faire prévaloir sur le reste le travail de la main, de l’outil? D’où vient cette transformation de la lithographie, c’est-à-dire d’un art qui n’existe qu’à la condition d’effleurer les choses et d’en esquisser l’image, en une contrefaçon des moyens matériels exigeant le plus d’insistance dans l’étude et dans la pratique? Les artistes qui, les premiers dans notre pays, ont fait usage du crayon lithographique ont bien su se préserver de ces erreurs. Tout dans leurs œuvres a le caractère de la bonne foi, de l’aisance, de l’adresse naïve; rien ne trahit les stratagèmes de la pratique. Si modestes qu’en soient les termes, de pareils travaux méritent donc une estime sérieuse, surtout lorsqu’on les rapproche des travaux tout différens qui ont suivi, et qu’on met en regard de cette manière sans ambition et sans détours l’habileté recherchée ou les formules laborieuses qui compliquent aujourd’hui l’aspect et la signification des produits de la lithographie.
 
Il semble au surplus que l’opinion hésite de moins en moins à donner sur ce point raison au passé. Les lithographies publiées il y a trente ou quarante ans ont acquis déjà l’importance qu’on n’attache d’ordinaire qu’aux œuvres anciennes. On se les dispute dans les ventes avec une passion presque égale à celle qu’excitent les gravures les plus célèbres des vieux maîtres, et il n’est pas rare de voir telle humble feuille de papier sortie autrefois avec plusieurs centaines d’autres des presses de l’imprimeur atteindre un prix beaucoup plus élevé que le chiffre primitivement accepté par l’artiste pour la cession de la pierre originale <ref> (1) Pour ne citer que ces exemples, une épreuve des ''Deux Chevaux se battant dans une écurie'' par Géricault a été adjugée en 1861, à la vente de la collection Parguez, au prix de 560 francs, et une autre pièce du même maître, trois ''Soldats du train à cheval'', au prix de 235 francs. Plus récemment, à la vente de la collection formée par M. de Lacombe, telle vignette servant de tête de lettre à une romance et lithographiée par Horace Vernet, par Decamps ou par Delacroix, a été échangée contre une somme d’argent dont on aurait payé, il y a quelques années, l’acquisition d’un dessin unique.</ref>. En outre, des écrivains spéciaux recueillent et décrivent les pièces dont se compose l’œuvre complet de chaque maître lithographe. Ils en dressent le catalogue, en signalent les ''états'' successifs avec le soin qu’ont apporté Bartsch et les iconographes les mieux famés dans leurs recherches sur les anciens peintres-graveurs. Depuis le livre consacré par M. de La Combe à l’histoire du talent de Charlet jusqu’à celui où M. Giacomelli dénombre et apprécie avec une sagacité remarquable les travaux de Raffet, jusqu’aux très utiles ''catalogues'' publiés en diverses occasions par M. Burty, on pourrait citer plusieurs ouvrages attestant de nos jours des préoccupations et des efforts de zèle que, fort récemment encore, les monumens de l’art du burin avaient seuls le privilège de susciter.
 
Que conclure de tout ceci, que signifient ce mouvement du goût public et cette inclination générale à se détourner du présent pour regarder avec un surcroît d’attention en arrière? Est-ce donc que la lithographie a si bien fait son temps parmi nous qu’il ne reste plus désormais qu’à en honorer les reliques? Est-ce qu’après s’être implantée dans le domaine de l’art, elle y a porté ses fruits une fois pour toutes? est-ce enfin qu’en succombant sous les agressions du métier, sous les tristes progrès mécaniques dont la manie des ''fac-similé'' a été l’origine et la photographie le dernier mot, la lithographie ne laisse à la critique d’autre tâche qu’un résumé purement historique à faire ou une oraison funèbre à prononcer? Nous ne le pensons pas. Il nous semble plutôt que retracer quelque chose des faits qui se sont succédé jusqu’au moment où nous sommes, ce sera travailler en même temps à ranimer des désirs légitimes, à stimuler les progrès à venir.
 
 
 
<small>xxxxxxxxxx</small><br />
<small> (1) Pour ne citer que ces exemples, une épreuve des ''Deux Chevaux se battant dans une écurie'' par Géricault a été adjugée en 1861, à la vente de la collection Parguez, au prix de 560 francs, et une autre pièce du même maître, trois ''Soldats du train à cheval'', au prix de 235 francs. Plus récemment, à la vente de la collection formée par M. de Lacombe, telle vignette servant de tête de lettre à une romance et lithographiée par Horace Vernet, par Decamps ou par Delacroix, a été échangée contre une somme d’argent dont on aurait payé, il y a quelques années, l’acquisition d’un dessin unique.</small><br />
 
 
Ligne 40 ⟶ 37 :
Fallût-il d’ailleurs, dans l’examen des lithographies de Géricault, — j’entends celles qu’il fît après les deux ou trois années d’apprentissage, — n’envisager que les côtés extérieurs du travail et les mérites de l’exécution, l’attention,, en se concentrant sur ce point, trouverait là un champ vaste encore et de très précieux enseignemens. Où rencontrera-t-on notamment des leçons plus sûres, des exemples plus précis de l’art de dessiner les chevaux, d’en reproduire avec une savante véracité les types et les mouvemens variés, la beauté élégante ou robuste, la docilité ou les colères? L’excellence du talent de Géricault en ce genre est trop bien et trop universellement reconnue pour qu’il ne suffise pas d’y faire allusion en deux mots, et de rappeler, sauf à n’en citer que le titre, les célèbres ''Suites'' publiées à Londres et à Paris. Peut-être serait-il moins superflu de louer dans ces beaux ouvrages le discernement avec lequel les conditions particulières du procédé sont appréciées et mises en pratique. Les ''Suites de Chevaux'' en effet ne révèlent pas seulement chez celui qui les a faites l’étude et la connaissance profondes de ses modèles, une habileté rare à ennoblir le vrai, à le revêtir d’une majesté épique, sans pour cela le déguiser : elles attestent aussi, à un point de vue tout technique, les intentions les plus judicieuses, l’intelligence la plus exacte de la tâche qu’il s’agissait d’accomplir. Le crayon lithographique n’est, entre les doigts de Géricault, ni un rival malavisé du burin, ni un improvisateur prolixe, ni un interprète de la pensée pittoresque plus réservé que de raison; c’est un instrument ayant son office spécial, son champ d’action bien défini, mais qui, sans dépasser aucune limite, sans rien usurper sur autrui, n’en veut et n’en sait pas moins atteindre les confins du domaine où il s’exerce, et user de ses droits jusqu’au bout. La plupart des lithographies de Géricault ont en ce sens une valeur très considérable, parce que l’accent de la verve et les caractères spontanés d’un croquis y laissent néanmoins pressentir l’information scrupuleuse, la science, tous les élémens d’une imitation achevée. Parmi les œuvres de même espèce, appartenant à notre école, les premières lithographies de Charlet seraient les seules peut-être qu’on pût impunément rapprocher de celles-ci et comparer sans désavantage à ces modèles de sobriété et de puissance, d’abondance dans les inspirations et de juste mesure dans l’emploi du moyen.
 
Les premières lithographies de Charlet, avons-nous dit : est-ce donc qu’il faille tenir en estime médiocre les autres travaux du maître? Est-ce que l’admiration due aux énergiques images que traçait son crayon au début nous laissera pour cela indifférens ou insensibles à la véracité délicate, à la verve railleuse, à toutes ces qualités charmantes dont il a pendant tant d’années épuré de plus en plus l’expression et multiplié à l’infini les témoignages? Autant vaudrait, dans un ordre d’art tout différent, supprimer la moitié des œuvres de Moreau, de Saint-Aubin ou de tel autre fécond dessinateur du XVIIIe siècle, et parmi les pièces, si variées que nous a léguées chacun d’eux, n’avoir d’yeux que pour celles qui appartiennent à une certaine classe de sujets, à un genre de talent une fois déterminé. Comme il arrive d’ordinaire aux artistes éminens, Charlet a eu plusieurs manières. Sans renouveler absolument le fond et les principes de ses inspirations, il s’est appliqué du moins à en diversifier les résultats. Tout en demeurant jusqu’à la fin l’historien éloquent de notre armée, il en a retrace tour à tour les hauts faits et les mœurs familières dans un style et suivant des procédés d’exécution conformes soit aux caractères propres des scènes, soit aux exigences successives de son esprit en quête du mieux. Voilà ce qui explique, en en limitant d’ailleurs les conséquences, la distinction que nous avons voulu établir. On peut, dans le riche ensemble des lithographies qu’a signées Charlet, faire son choix, et un choix légitime; on peut préférer, — et nous préférons, quant à nous, — aux œuvres si spirituelles de la seconde époque les œuvres moins piquantes assurément, mais plus vigoureusement originales, qui attirèrent sur ce talent les premiers regards de la foule, et sur ce nom, bientôt populaire, les commencemens de la célébrité. Il serait très injuste toutefois que ces prédilections pour quelques morceaux d’élite aboutissent au dédain pour le reste, et ces sympathies pour le poète héroïque à des rigueurs envers l’auteur de tant de fines comédies. A quoi bon insister au surplus ? L’éloge de Charlet n’est plus à faire, surtout depuis qu’un juge deux fois autorisé en pareille matière s’est acquitté de cette tâche avec tout l’indépendance d’esprit qu’exige la critique et la haute compétence que donne une longue expérience personnelle de l’art et du succès <ref> (12) Voyez, dans la ''Revue'' du 1er janvier 1862, ''Charlet'', par M. Eugène Delacroix.</ref>. Nous n’avons, quant à nous, qu’à essayer de glaner le peu qui a été laissé, et, sans revenir sur une question générale désormais épuisée, à proposer quelques observations partielles, à recueillir quelques détails.
 
Lorsqu’en parcourant d’après l’ordre chronologique les onze cents lithographies de Charlet, le regard s’arrête aujourd’hui sur celles qui ouvrent la série, ne lui arrive-t-il pas, au premier aspect, d’être un peu déconcerté par l’extrême simplicité de l’exécution et en même temps trop bien prémuni contre l’effet pathétique des intentions et de la scène ? D’une part, le contraste entre cette apparente aridité dans le faire et les progrès matériels qui ont suivi nous porte peut-être à méconnaître ce que de pareils essais ont en eux-mêmes de hardiesse et d’autorité véritable ; de d’autre, une longue habitude, des souvenirs continuellement entretenus rendent ici au moins difficile la candeur et la vivacité des émotions. ''Le Drapeau défendu, l’Aumône, les Français après la victoire'', vingt autres compositions du même genre, si bien connues de notre enfance, et que depuis lors nous n’avons cessé de voir reproduites, par tous les procédés, dans toutes les dimensions, sous toutes, les formes, — de telles scènes, quelle qu’en soit au fond l’éloquence, ne laissent pas de nous toucher assez peu. Il en va de ces lithographies devenues classiques, commode certains tableaux dont la beauté nous échappe à force d’avoir été recommandée à nos yeux, comme de ces figures des ''Horaces'' ou des ''Sabines'', que nous n’entrevoyons plus qu’à travers nos souvenirs de collège et le ressentiment des fatigues qu’elles nous ont coûtées. Le talent de David est-il pour cela moins sain en soi, moins bien pourvu? et parce que chacun de nous s’est vu condamné autrefois à copier péniblement, à recopier d’année en année la tête du vieil ''Horace'' ou celle de ''Romulus'', s’ensuit-il que les peintures originales aient perdu quelque chose de leur dignité propre et de leur mérite? Parce que les premières lithographies de Charlet, pourrait-on dire aussi, ont servi de modèles aux fabricans de de-vans de cheminée et de papiers peints, faudra-t-il imputer au texte les vices ou les banalités de la traduction, ou, en face de ces modèles mêmes, n’apporter qu’une sorte de satiété systématique, des regards distraits d’avance et comme la volonté de ne pas voir? On relit, pour les goûter mieux et de plus près, des vers que l’on sait par cœur; on écoute avec une attention fertile en découvertes, telle composition musicale entendue cent fois déjà : le talent de Charlet a des ressources et une portée assez vastes pour qu’on puisse, en ce qui le concerne, tenter utilement une expérience analogue, et certes il mériterait d’y être soumis.
Ligne 46 ⟶ 43 :
Aussi bien, parmi ces pièces appartenant à la première manière du maître, tout n’offre pas les mêmes caractères de consécration, le même intérêt prévu, la même apparence surannée. Si, en raison des sujets choisis et des souvenirs patriotiques qu’i s’y rattachent, beaucoup d’entre elles ont acquis dès l’origine une immense popularité, nombre d’autres, et des plus belles, sont demeurées à peu près ignorées de la foule, parce que, au lieu de représenter quelque grand drame de notre histoire militaire, elles nous en montrent simplement les acteurs hors des rangs et au repos. Et cependant nulle part mieux qu’ici Charlet n’a prouvé la vigueur de son sentiment, la pénétrante justesse de son coup d’œil, la singulière habileté de sa main. Plus d’une fois, en célébrant l’intrépidité de nos soldats à l’heure de la lutte ou leur héroïque fierté dans les revers, il lui est arrivé de donner au panégyrique des dehors un peu trop véhémens une grandeur un peu théâtrale. Pour ne citer que cet exemple, dont le théâtre d’ailleurs n’a pas manqué de faire son profit, une des lithographies qui ont le plus profondément ému nos pères, la lithographie intitulée ''les Grenadiers de Waterloo'', nous apparaît aujourd’hui comme un ensemble de groupes répartis sur la scène au moment de la chute du rideau y comme une sorte de ''tableau final''. Là au contraire où Charlet se propose seulement de résumer dans un type, dans l’imitation sincère d’un mouvement ou d’une attitude, la physionomie générale et les mâles coutumes de notre armée, il trouve, pour traduire sa pensée, un style aussi éloigné de l’emphase que de la sécheresse. Veut-on des preuves, et des preuves irrécusables, qu’on examine ces deux figures dessinées en 1822 et représentant, dans d’assez grandes dimensions, l’une un ''Voltigeur'', l’autre un ''Carabinier'' de l’infanterie légère : Géricault n’aurait pas exprimé en des termes plus saisissans l’énergie de l’âme et la force physique; Horace Vernet n’aurait pas surpris avec plus de clairvoyance, ni rendu avec plus de finesse certaines habitudes héroï-comiques, certaines allures à la fois gauches et martiales de ces deux corps faits pour l’action, et qui s’en souviennent jusque dans le calme. En tout cas, ni Vernet, ni Géricault, ne se seraient trouvés en mesure d’établir une harmonie aussi complète entre des élémens qui semblent s’exclure, de mélanger aussi bien l’arrière-pensée spirituelle et l’intention grandiose, l’ampleur dans le sentiment de l’ensemble et l’extrême délicatesse dans l’exécution des détails. Vérité du geste, imitation achevée de la forme, expression sans équivoque d’habitudes naturelles ou acquises, tout se concilie ici et se retrouve dans les différentes parties de l’œuvre, comme dans la figure de ''Carabinier'' qui sert de pendant à celle-ci : figures réellement admirables l’une et l’autre, qu’il ne convient pas seulement de mettre au nombre des meilleurs ouvrages de Charlet, mais qu’il faut compter aussi parmi les spécimens les plus importans de la lithographie, parmi les témoignages les plus propres à nous renseigner sur cet art spécial et sur l’étendue des moyens pittoresques dont il lui appartient de disposer.
 
Les lithographies successivement publiées par Charlet à partir de l’époque où il eut commencé de modifier sa manière et d’ajouter de nouveaux titres à ceux qu’il avait conquis ou qu’il allait continuer d’acquérir comme dessinateur de sujets militaires, ces nombreuses scènes empruntées aux écoles d’enfans ou aux échoppes aux mœurs des barrières ou aux événemens de la vie, — toutes ces pièces si neuves dans les intentions et dans les formes achèveraient de prouver, s’il en était besoin, ce qu’il y a dans le talent de l’artiste de naturellement inspiré, de foncièrement original. Au point de vue de l’exécution proprement dite, elles attestent aussi une profonde expérience de l’art, et, — dût le mot paraître un peu solennel, — une science de plus en plus sûre. Seulement, au lieu de se révéler, comme dans les œuvres précédentes, sous des dehors avant tout énergiques, cette science choisira dorénavant pour se produire des moyens d’expression délicats, raffinés même parfois jusqu’à la subtilité. Je m’explique : en aucun cas assurément, on ne saurait accuser le crayon de Charlet de timidité ou d’afféterie. Il excelle au contraire à s’assimiler bravement le fait, à le définir, sans incertitude comme sans préjugé d’aucune sorte sur le sens que ce fait recèle; mais en insistant un peu trop sur la définition, en travaillant avec quelque excès de soin à en aiguiser les termes, il ne laisse pas d’afficher parfois la sagacité, ou tout au moins d’en compliquer les résultats d’une certaine apparence de recherche. Pourtant, à côté d’imperfections assez rares après tout, et résultant chez l’artiste du désir même du mieux <ref>(23) Charlet avait si bien ce désir du mieux et ces exigences envers lui-même, qu’il lui est arrivé souvent de biffer un travail complètement achevé et de le recommencer sur nouveaux frais, soit pour modifier seulement quelques détails de la composition, soit pour transformer celle-ci d’un bout à l’autre. D’autres fois la pierre était sacrifiée après avoir fourni deux ou trois épreuves; d’autres fois enfin, des épreuves tirées en grand nombre et déjà misés dans le commerce étaient, au bout de quelques jours, soustraites par l’artiste à la publicité, le tout au grand désappointement des éditeurs et au préjudice très réel des intérêts matériels de Charlet. De là l’extrême rareté de certaines pièces passionnément recherchées aujourd’hui, et les prix élevés qu’elles atteignent, lorsqu’elles viennent par hasard à figurer dans une vente publique. </ref>, que de témoignages ne faudrait-il pas relever où l’on ne rencontrera dans l’expression que de la justesse et de la franchise, dans le dessin qu’une exactitude sans abus, dans les formes du style qu’une délicatesse sans minutie ! Encore une fois, louer la verve et l’imagination de Charlet, ce serait s’imposer la plus inutile des tâches et perdre son temps à découvrir ce qui, depuis plus de quarante ans, frappe les yeux de tout le monde. Nous aurons assez fait si nous réussissons à relever d’autres mérites peut-être moins généralement reconnus, et à indiquer sur quelques points, si l’on veut secondaires, les innovations que ce talent a introduites dans notre école et les bons exemples qu’il a donnés.
Ainsi, parmi les qualités qui caractérisent la manière et les travaux de Charlet, ne faut-il pas apprécier particulièrement l’intelligence avec laquelle le paysage est traité dans ces ouvrages et l’habileté de l’artiste à se conformer, en pareil cas, aux exemples de la nature aussi bien qu’aux strictes conditions du procédé lithographique? Nulle prétention à l’extrême intensité du ton, à la complication des plans et des lignes, à toute cette opulence d’emprunt que la lithographie devait étaler plus tard, et dont elle fait montre surtout aujourd’hui; rien non plus de ce sentiment exigu, de cette avarice dans le faire qui réduisent presque à l’apparence de dessins au trait les paysages lithographies par Bourgeois, par Bacler d’Albe et par quelques autres contemporains de Charlet. Dans la plupart des œuvres de celui-ci le paysage, il est vrai, n’est qu’un complément plus ou moins orné, une, sorte de cadre pour les figures auxquelles il donne un surcroît de relief et dont il assure la prédominance; mais souvent aussi le paysage a dans la composition une importance principale, témoin, entre autres, cette pièce charmante intitulée ''le Voilà'', où quelques paysans, groupés au premier plan et hauts à peine d’un centimètre, suivent de leurs regards avides le passage d’autres personnages plus microscopiques encore et traversant, Napoléon en tête, une vaste plaine qui demain peut-être sera devenue un champ de bataille. Ailleurs ce sont des lisières de bois, le long desquelles se glisse quelque garde-chasse ou quelque rôdeur de mauvaise mine, des défilés dans les montagnes où serpente une troupe en marche, des campagnes à perte de vue où manœuvrent des corps d’armée. Tout cela, — terrains, arbres, rochers, — est indiqué avec une telle légèreté de crayon, avec une grâce si facile, qu’il semble qu’une imitation, plus littérale n’ajouterait rien ici à la vraisemblance des choses, et qu’elle ne ferait guère qu’en appesantir les formes, au détriment de l’unité. Sans doute, parmi les paysagistes de profession qui de nos jours travaillent avec tant de succès à transporter sur la toile la nature inanimée, plusieurs ont étudié plus obstinément leur modèle et en ont plus savamment reproduit les traits partiels. Ont-ils toujours réussi mieux que Charlet à en faire pressentir l’esprit, à en déterminer la physionomie générale ? Dans tous les cas, quel rival trouverait-on à opposer au maître parmi ceux qui se sont servis du crayon lithographique. Si remarquables en ce genre que soient certains travaux de Bonington; et de Decamps, ils diffèrent trop par le caractère des paysages de Charlet, pour ne pas laisser à ceux-ci leur valeur tout entière, sans compter d’ailleurs le mérite de la priorité.
Ligne 81 ⟶ 78 :
Les premiers travaux d’Achille Devéria marquent à peu près, dans l’histoire de la lithographie en France, la fin de la période d’initiation et de progrès. On a vu la lithographie, après quelques courts momens d’hésitation, entrer bientôt en pleine possession d’elle-même et de ses ressources, arriver à l’excellence dans tous les genres qu’il lui appartenait d’aborder, et préparer pour l’avenir une tradition et des exemples dont on pourra diversifier les formes, mais dont il serait au moins imprudent de répudier l’esprit. Reste à savoir dans quel sens cette tradition s’est modifiée, à quelles variations du goût ces enseignemens ont été soumis et comment ils sont peu à peu devenus stériles. L’âge d’or pour l’art qu’avaient pratiqué Charlet et Géricault n’est pas, il est vrai, si bien clos encore que quelque chose ne se continue dans la phase qui va suivre des faits ou des souvenirs de la première époque. De nouveaux talens pourront surgir, et parmi ceux-ci trois surtout d’une trempe assez forte pour résister aux envahissemens d’un vulgaire esprit d’industrie et pour en retarder les succès ; mais si Decamps, Raffet et Gavarni réussissent, chacun à sa manière, à maintenir la lithographie sur le terrain de l’art, combien d’autres la font progressivement dévier jusqu’au jour où, de déception en déception, de faux pas en faux pas, elle semble avoir renoncé même au désir de se relever de ses chutes et s’être installée pour ainsi dire dans la décadence ! C’est donc à la période dont nous avons essayé de résumer la physionomie générale et l’histoire que se rattachent les conquêtes principales, les progrès les plus importans de la lithographie. Jusqu’ici, ces progrès se sont accomplis avec ensemble, avec un succès à peu près égal, bien que dans des voies différentes. Il n’en sera plus ainsi désormais, et l’on peut dire, quelle que soit la valeur des talens qui apparaissent après les quinze ou vingt premières années, qu’il n’y a plus, à partir de ce moment, que des témoignages isolés, des artistes inégalement habiles, là où s’étaient produits d’abord des travaux simultanément inspirés et les efforts, heureux de, toute une école.
 
 
<small>xxxxxxxxxx</small><br />
<small> (1) Voyez, dans la ''Revue'' du 1er janvier 1862, ''Charlet'', par M. Eugène Delacroix.</small><br />
<small>(2) Charlet avait si bien ce désir du mieux et ces exigences envers lui-même, qu’il lui est arrivé souvent de biffer un travail complètement achevé et de le recommencer sur nouveaux frais, soit pour modifier seulement quelques détails de la composition, soit pour transformer celle-ci d’un bout à l’autre. D’autres fois la pierre était sacrifiée après avoir fourni deux ou trois épreuves; d’autres fois enfin, des épreuves tirées en grand nombre et déjà misés dans le commerce étaient, au bout de quelques jours, soustraites par l’artiste à la publicité, le tout au grand désappointement des éditeurs et au préjudice très réel des intérêts matériels de Charlet. De là l’extrême rareté de certaines pièces passionnément recherchées aujourd’hui, et les prix élevés qu’elles atteignent, lorsqu’elles viennent par hasard à figurer dans une vente publique. </small><br />
 
 
Ligne 91 ⟶ 84 :
A l’époque où le gouvernement de juillet succédait au gouvernement de la restauration, la révolution commencée depuis quelques années dans le domaine de l’art venait aussi de s’achever. Elle assurait au parti de l’opposition, au parti romantique sinon un pouvoir sans contrôle, au moins une autorité assez généralement reconnue pour qu’il pût maintenant prendre la direction des affaires et exercer sur la marche de l’école une influence décisive. On sait toutefois ce qui arriva. Ce parti si entreprenant naguère, hardi dans l’attaque parut, en face de la victoire, embarrassé de son nouveau rôle et comme décontenancé par le succès. A l’exception d’Eugène Delacroix, qui, une fois le terrain conquis, s’y installa et s’y comporta en maître, ceux qui avaient le plus activement coopéré à la défaite de l’ennemi hésitèrent si bien à profiter de leurs avantages qu’ils négligèrent même de se prémunir contre un retour agressif : aussi, le moment ne tarda-t-il pas à venir où ils durent à leur tour se défendre tant bien que mal et lâcher pied. Ce qui, à partir de 1830 à peu près, survit dans la peinture des doctrines et des entreprises récentes n’a donc, en dehors des tableaux de Delacroix, qu’une importance contestable, un éclat qui n’est déjà plus qu’un reflet des audaces trahissant au fond la lassitude. Il n’en va pas autrement de la lithographie au lendemain du jour où la révolution a eu gain de cause. Même inertie dans les talens et dans les œuvres, même défiance apparente succédant à des témoignages de confiance excessive, des tentatives intrépides jusqu’à la témérité.
 
En apparaissant à ce moment, Decamps arrivait avec autant d’à-propos pour ses propres succès, que pour l’honneur d’un art qui menaçait de dépérir là même où la sève avait été d’abord le plus abondante et la vie le plus active. Bien des talens en effet, applaudis par tous au début, s’étaient arrêtés en route, bien des vides s’étaient faits dans les rangs de ceux qui avaient le plus sûrement contribué aux premiers progrès de la lithographie. Géricault et Bonington étaient morts ; Horace Vernet, tout entier à ses travaux de peinture, ne devait plus reprendre le crayon que dans quelques rares occasions <ref> (14) A l’époque où il remplissait les, fonctions de directeur de l’Académie de France à Rome, Vernet lithographia un ''Guarda bovi'' à cheval qui figure dans un ''album'' publié à Paris en 1831, trois ou quatre vignettes ou portraits et une pièce, dont il ne fit tirer que quelques épreuves, représentant la ''Découverte de la sépulture de Raphaël dans le Panthéon''. Hormis ce petit nombre de croquis faits à Rome entre les années 1830 et 1835, Horace Vernet n’ajouta rien aux deux cent cinquante lithographies environ, qui composaient déjà son œuvre, et dont les dernières portent la date de 1828.</ref>. Seul entre les maîtres appartenant à l’époque primitive, Charlet allait continuer de travailler pendant quinze années encore, mais, nous l’avons dit, non sans modifier assez sensiblement sa manière, non sans la compliquer de quelque recherche dans le style, de quelque coquetterie dans l’exécution. Decamps au contraire, — c’est là son mérite principal; — entendait subordonner l’adresse de la pratique à l’énergie du sentiment, et, tout en interrogeant de fort près le procédé, en ne négligeant, quant au maniement de l’outil, aucun stratagème ni aucune recette, laisser aux choses rudes leur caractère de rudesse, aux formes imprévues leur aspect exceptionnel, bizarre même, s’il le faut, mais strictement vrai.
Que ce parti pris d’accentuer la physionomie distinctive de chaque objet se traduise parfois en exagérations voisines de la caricature, qu’il y ait au fond de ce respect pour la réalité une certaine insuffisance du goût. Une sorte d’impuissance à distinguer entre les exemples d’élite et les faits seulement curieux, — c’est ce qu’il faut bien reconnaître. Decamps avait peut-être le besoin de la fermeté dans l’expression plutôt qu’il n’en avait reçu le don naturel et l’instinct. De là, sous sa véracité même, sous l’originalité et les hardiesses de son style, quelque chose d’un peu pénible, de prémédité outre mesure, de systématiquement voulu; de là aussi, en haine de la banalité, ces excès pittoresques dont nous avons parlé, cette inclination à confondre avec les élémens du beau des apparences tout accidentelles ou de pures singularités ethnographiques. S’agit-il de représenter des personnages bibliques où des chasseurs, des Turcs et leurs coutumes farouches, ou des animaux parodiant les mœurs humaines, l’artiste apportera dans l’imitation de ces modèles si divers les mêmes efforts studieux, le même zèle, on dirait presque les mêmes émotions, — si bien que les résultats de cette application uniforme auront entre eux un certain air de parenté, et qu’on courra le risque parfois, en face de telles figures d’hommes, de se souvenir un peu trop des singes que l’on aura vus ailleurs. Le talent de Decamps manque essentiellement de laisser-aller et de souplesse. Chacune de ses œuvres, depuis les compositions les plus importantes jusqu’aux moindres croquis, est certainement caractéristique, en ce sens qu’elle laisse deviner à première vue la main qui l’a faite ; mais ce caractère tout personnel demeure indépendant du sujet traité. Au lieu de se modifier conformément à la variété des données, cette manière garde en toute occasion une fixité opiniâtre : elle s’immobilise, pour interpréter La Fontaine ou Cervantes, dans les procédés employés la veille pour traduire la Genèse ou pour nous initier aux mœurs modernes de l’Orient. Là est en général le défaut des toiles qu’a laissées Decamps, et, s’il fallait justifier notre opinion par un exemple, nous rappellerions l’espèce de déception qu’éprouvèrent même les fervens admirateurs du maître en voyant ses tableaux de toutes les époques placés côte à côte à l’exposition universelle de 1855. La monotonie de l’aspect semblait faire de cette série de scènes différentes une simple collection de redites : afin de restituer à chaque toile sa signification propre, on dut, au bout de quelques jours, disséminer ce qu’on avait d’abord réuni avec plus de respect pour un grand talent que de véritable prudence.
Ligne 97 ⟶ 90 :
Les lithographies de Decamps, pour être appréciées à leur valeur, auraient de même besoin de n’apparaître qu’à une certaine distance les unes des autres. Lorsqu’on en examine l’ensemble, lorsque le regard parcourt sans intervalle la suite des pièces composant le recueil, il est difficile de ne pas se lasser assez vite de cette méthode immuable, de cette vigueur dans l’exécution manifestée à tout propos et comme attrister par une volonté absolue ; mais si, au lieu d’embrasser d’un seul coup d’œil ces dessins ou ces croquis très peu dissemblables dans les formes malgré la diversité des thèmes choisis, on prend le temps de les étudier séparément, nul doute que les mérites de chaque série ou de chaque pièce ne produisent sur l’esprit un effet contraire à l’impression qu’auraient laissée le rapprochement et l’examen du tout. Je me trompe : parmi les suites sur différens sujets publiés par Decamps, il en est une qu’il ne suffirait pas d’isoler du reste, et qu’on voudrait, pour l’honneur du maître, pouvoir absolument retrancher. Tâchons au moins d’oublier ces tristes caricatures où le crayon d’un artiste mieux inspiré d’ordinaire n’a pas craint d’outrager la vieillesse d’un roi, d’insulter aux malheurs d’un proscrit : mauvaises œuvres à tous égards, d’où le talent est aussi formellement absent que le plus vulgaire sentiment de respect, de pitié même, et dont aucun juge, si indulgent qu’il soit, ne saurait excuser la brutalité pittoresque, encore moins absoudre l’esprit. En tenant pour non avenues les regrettables satires crayonnées par Decamps pendant les premiers mois qui suivirent la révolution de juillet, on ne ferait au surplus que s’associer à un désaveu dont il semble de son côté avoir senti la convenance, puisque, après s’être fourvoyé un moment dans cette voie indigne de l’art et de lui-même, il en sortit pour n’y plus renter.
 
On le voit, le talent de Decamps, qui devait, pendant tant d’années, s’obstiner dans la pratique de certains principes une fois adoptés, ce talent s’état d’abord méconnu lui-même, ou tout au moins il avait hésité sur l’emploi à faire de ses propres forces. Avant de demander aux violences de la caricature politique une popularité de mauvais aloi, il s’était essayé, assez timidement il est vrai, dans la représentation des scènes militaires <ref> (25) L’ouvrage d’Arnault, ''Vie politique et militaire de Napoléon'', contient deux grandes lithographies de la main de Decamps : la ''Bataille de Mondovi'' et la ''Bataille d’Aboukir''.</ref>, puis dans ce genre sentimental et doucereux que Duval-Lecamus et consorts n’avaient que trop mis à la mode. ''Le Petit Savoyard et le Singe, une Visite à l’Hôtel-Dieu, Pauvre Noir'' ! d’autres élégies du même ordre insérées dans un recueil périodique, ''l’Album'', n’annonçaient rien de plus que les ambitions d’un esprit en quête du succès, quel qu’il soit, et les tâtonnemens d’un crayon qui cherche à se donner confiance, tout en agissant à l’aventure. C’est seulement dans une série de lithographies publiées un peu plus tard et représentant, chacune sur une même feuille, des figures, des animaux ou des détails de paysage capricieusement rapprochés, c’est seulement dans ces macédoines qu’on dirait transcrites, comme autant de notes pittoresques, d’un cahier de croquis sur la pierre, que la manière de Decamps se définit pour la première fois et que l’originalité de ce style, devient manifeste. Je ne parle pas d’autres preuves récemment faites en dehors de la lithographie. A l’époque où il crayonnait ces pièces pour le recueil intitulé ''Croquis par divers artistes'', Decamps avait déjà exposé au salon ''l’Ane et les Chiens savans, une patrouille à Smyrne'', et le succès qui venait d’accueillir les œuvres du peintre avait dû enhardir le dessinateur. Celui-ci néanmoins réussirait-il, sans le secours des empâtemens et des retouches, à transporter sur le papier le mode d’exécution solide que sa main avait su pratiquer sur la toile ? La simplicité même du moyen ne paraissait-elle pas lui interdire ici jusqu’au souvenir des innovations tentées ailleurs avec le pinceau ? En changeant de procédés, Decamps a eu ce privilège de les ramener tous à une apparente unité et de soumettre à une même méthode, aux exigences d’une même volonté, les conditions les plus diverses et les moyens les plus rebelles. Ses aquarelles n’ont ni moins de relief ni moins de vigueur dans le coloris que ses tableaux : comme ses dessins, les lithographies qu’il a faites ne diffèrent guère de ses œuvres peintes que par leur aspect monochrome. Elles ont dans le modelé une consistance, une épaisseur en quelque sorte qui semble résulter de la pâte même plutôt que des travaux du crayon et qui étonne le regard au point de laisser soupçonner quelque fraude matériel là où il n’y a en réalité qu’un art et des combinaisons légitimes.
 
En traçant ses ''croquis'' sur différens sujets, Decamps avait prouvé que, dans la lithographie comme ailleurs, il n’entendait rien démentir, rien sacrifier de la manière et des doctrines que son nom avait commencé de personnifier. A cet égard toutefois, ses intentions n’allaient pas au-delà des caractères extérieurs du travail, et l’on ne pourrait, en effet, attribuer une significations plus sérieuse à ces petites scènes morcelées, à ces formes interrompues comme les inspirations qu’elles traduisent, ou diversifiées, au courant de la fantaisie, suivant l’espace qu’il s’agissait de remplir. Le moment était venu pour le jeune maître de grouper dans des ouvrages achevés, dans de véritables compositions, les éléments qu’il avait jusqu’alors recueillis un à un : il fallait que, tout en continuant un style et un faire particuliers, il les consacrât à l’expression d’idées complètes et, de faits vraisemblables. Quelques beaux dessins, représentant des scènes ou des paysages de l’Orient, de nombreux ''sujets de chasse'' et jusqu’à de simples vignettes pour des romances montrent qu’en cédant à ces préoccupations nouvelles, Decamps n’y perdit pour cela ni sa verve primitive ni l’indépendance de son sentiment. Le tout, au contraire, achève de mettre en relief les qualités que les essais précédens permettaient déjà de pressentir. Plus correctes dans les formes, mais d’une correction sans pédantisme, plus raisonnablement ingénieuses dans l’invention, ces lithographies l’emportent également sur les croquis que nous avons mentionnés par l’habileté avec laquelle le procédé lui-même est manié en vue du ton et de l’effet. Les deux collections de ''sujets de chasse'' surtout attestent à cet égard un progrès remarquable; elles caractérisent aussi nettement la manière de l’artiste qu’elles nous font comprendre jusqu’où vont, en matière de coloris, les droits du crayon et quelles réserves lui sont imposées.
Ligne 103 ⟶ 96 :
A ne l’envisager que comme lithographe coloriste, — s’il est permis d’employer ce mot à propos d’œuvres d’où la couleur proprement, dite, est absente, — Decamps mérite d’occuper une des premières places dans l’école à laquelle appartiennent Bonington et Delacroix. Moins délicat, il est vrai que le premier de ces deux maîtres, moins instinctivement inspiré que le second, il a de commun avec l’un et l’autre le goût des partis francs, des harmonies, ou des contrastes sans équivoque. Il sait vouloir jusqu’au bout ce qu’il veut dire tout ce qu’il pense, exprimer hardiment ce qu’il a senti. Que ce soit chez lui affaire d’âme ou de cerveau, qu’il y ait sous cette franchise même un fonds de calculs plus ou moins laborieux, dans ce besoin d’être soi plus d’efforts peut-être que d’entraînemens naturels, c’est ce que nous ne prétendons pas décider. Toujours est-il qu’innées ou acquises, de pareilles aptitudes suffisent pour honorer un artiste, et que, en face des résultats obtenus, on aurait mauvaise grâce à regarder de préférence aux origines et aux causes secrètes. Le talent de Decamps vit dans des témoignages assez sûr pour qu’on les consulte à l’exclusion du reste, dans des œuvres assez notables pour qu’on s’en tienne à ce qu’elles expriment. On pourrait faire montre de sagacité en s’aventurant au-delà : on se rendrait coupable d’injustice en récusant comme incomplètes les preuves que l’on a sous les yeux, ou en tenant un compte médiocre du surcroît d’honneur qu’elles ajoutent à l’histoire de notre art national.
 
Tandis que Decamps introduisait dans la pratique de la lithographie des réformes conseillées à la fois par son sentiment personnel et par le souvenir des récentes tentatives de l’école romantique, un artiste tout autrement inspiré, Raffet, ne travaillait encore qu’à continuer pieusement, à imiter presque sans modification les exemples et la manière de Charlet. Que quelques années s’écoulent, il est vrai, et cette docilité aura fait place à certaines velléités d’affranchissement, puis à des essais d’émancipation de moins en moins timides; enfin à l’indépendance absolue; vers1830 ? rien ne faisait soupçonner dans le talent de Raffet une transformation aussi prochaine, ou plutôt ce talent, s’ignorant lui-même, ne semblait ambitionner d’autre rôle, à côté des maîtres du genre, que le rôle modeste de suppléant; Volontairement ou non, il lui fallut se départir de sa réserve et s’élever de progrès en progrès au premier rang ; mais, à mesure que ces succès lui vinrent, à mesure que sa réputation grandit, il n’en usa pour redoubler d’attention à se surveiller et pour se comporter dans la situation qu’il s’était faite, comme s’il avait encore à la conquérir. Un homme qui a bien connu Raffet et qui a résumé dans quelques pages émues cette vie si probe et si simple, M. Auguste Bry, nous montre l’honnête artiste aussi étranger à tout sentiment de vanité lorsque son nom est devenu célèbre qu’à l’époque où il recevait les premières leçons de Charlet ou les encouragemens bien vifs, bien flatteurs pourtant, de son second maître, Gros. « Raffet, dit-il, possédait la plupart des dons qui font les nommes illustres, et, chose qui rendait les relations avec lui charmantes, lui seul avait l’air de ne pas s’en douter <ref> (36) ''Raffet, sa Vie et ses Œuvres'', par M. Auguste Bry, p. 112.</ref>. » On pourrait ajouter que cette candeur du caractère se retrouve dans tous les travaux du dessinateur, depuis les croquis frivoles jusqu’aux compositions héroïques, depuis les groupes de deux ou trois figures jusqu’aux scènes les plus compliquées. Certes, au point de vue de l’originalité et de la science, la différence est grande entre les œuvres publiées par Raffet à ses débuts et celles qu’il fit paraître dans la seconde moitié de sa carrière ; il y a loin sans doute du disciple et de l’imitateur de Charlet au maître à qui l’on doit le ''Voyage dans la Russie méridionale'', le ''Siège de Rome'' et tant d’autre lithographies traitées avec une habileté consommée. Toutefois, si inégaux qu’en soient les mérites, les ouvrages divers de Raffet se relient entre eux par une expression continue de sincérité, de bonne foi, et là même où l’imitation d’autrui est le moins équivoque, il y a dans cette soumission aux exemples jugés les meilleurs une défiance de soi si ingénie qu’on ne saurait l’accuser bien sévèrement, ni confondre de pareils actes de déférence avec les contrefaçons banales et les larcins.
 
Il ne serait pas tout à fait juste au surplus de ne voir que l’aveu de l’inexpérience ou une abnégation absolue dans les lithographies ou Raffet s’applique le plus soigneusement à reproduire la manière de Charlet. Quelque chose de personnel se fait jour sous ces dehors d’emprunt ; un souvenir assez franc parfois de la réalité vivifie ces formules apprises, ce mode d’expression de seconde main, et mêle au moins une promesse pour l’avenir aux témoignages de la docilité actuelle. Du reste, quant aux sujets choisis et aux procédés de la mise en scène, rien que de strictement renouvelé des exemples du maître. Un recueil intitulé, fort modestement d’ailleurs, ''Croquis pour l’amusement des enfans'' n’offre guère, à la grâce et à la finesse près, qu’une seconde édition des lithographies de Charlet sur les mêmes thèmes. D’autres ''albums'', composés de scènes exclusivement militaires, nous montrent sans variantes très sensibles ces ''grognards'' dont le crayon n’avait pas cessé depuis quinze ans de multiplier les types, ces ''conscrits'' dont il avait tant de fois, déjà raconté les premières émotions, guerrières ou les mésaventures, en un mot; tout ce qui avait été rappelé, décrit, retracé de la vie passée ou, présente de deux générations de soldats. C’est seulement à partir du moment où il remonte, pour le choix de ses sujets, au-delà de l’époque impériale que Baffet, sans affranchir encore très résolument sa manière, commence du moins à y faire la part plus large aux intentions personnelles et à l’invention.
Ligne 115 ⟶ 108 :
Nous ne voudrions pas médire de certains grands ouvrages conçus dans les intentions, généreuses, et, dont l’utilité, au point de vue scientifique, rachète, au moins en partie, l’insuffisance pittoresque; mais n’est-il pas permis de regretter que les artistes qui, dans la première moitié du siècle, se sont consacrés à de pareils travaux, aient subi en général l’empire d’anciennes habitudes et le joug de la tradition plus docilement encore que l’action directement exercée par leurs modelés ? Pendant combien d’années a-t-on cru qu’une contrefaçon de l’antique était la caution nécessaire et comme le passeport dans le domaine de l’art de toutes les nouveautés qu’il s’agissait d’y introduire ! Que de gens eussent pensé trahir leur devoir, s’ils n’eussent pieusement dessiné le masque du ''Jupiter'' sous le turban d’un pacha ou les formes de l’''Apollon du Belvédère'', sous la fustanelle d’un pallikare ! Les types que Raffet avait à retracer autorisaient, il est vrai, moins que d’autres, ces préoccupations de la beauté classique, et peut-être en face des Tatars et des Tsiganes était-il médiocrement méritoire d’oublier les exemples consacrés ailleurs par le ciseau grec ou romain. La difficulté consistait plutôt dans la mesure à garder entre une imitation superficielle et une copie trop scrupuleuse, entre l’expression incomplète du vrai et la transcription littérale de l’extrême réalité. Or c’est ce point intermédiaire que Raffet a su discerner avec une bien rare clairvoyance; c’est ce mode de traduction à égale distance de la servilité et de l’indépendance, c’est ce style familier sans bassesse, exact sans pauvreté, qui donnent au ''Voyage dans la Russie Méridionale'' une importance exceptionnelle et qui font de ce beau livre un spécimen considérable de la lithographie, aussi bien qu’un trésor de révélations curieuses et de sûres renseignemens.
 
Veut-on d’autres témoignages de l’art avec lequel Raffet trouvait les secrets du style dans la véracité même de son crayon, que l’on examine le dernier ouvragé et peut-être le plus émouvant qu’il ait produit, cette histoire du ''Siège de Rome'', interrompue par la mort du maître, mais dont plus de trente pièces, publiées à partir de 1850, nous ont raconté les phases successives et les principaux épisodes. Quelle vérité dans les types ! et bien souvent quelle éloquence dans l’expression, depuis la physionomie si fièrement calmé de ces soldats ''prêts à partir pour la ville éternelle'' ou de ces ''travailleurs allant à la tranchée'', jusqu’à la vaillante charité qui brille sur les traits de ces prêtres protégeant au péril de leur vie des prisonniers et des blessés! Quant aux lithographies représentant les travaux mêmes du siège ou les luttes engagées dans les bastions qui environnent la ville, qu’en dire, sinon qu’elles rivalisent avec ce que Vernet et Charlet ont laissé en ce genre de plus vraisemblable, de plus ingénieux, de plus animé? Peut-être, à ne tenir compte que des procédés et du faire, y a-t-il çà et là quelque excès d’insistance sur la définition des détails, quelque lourdeur dans cette pratique un peu trop bien informée, un peu trop convaincue pour ainsi dire : en revanche, comment ne pas admirer la grandeur facile de l’ordonnance, la certitude avec laquelle le sens général de chaque scène est saisi, le fait d’ensemble aperçu et exprimé ? C’est le privilège du talent de Raffet de faire sentir la présence de la victoire ou l’imminence d’un échec là même où les yeux ne voient d’abord que des bataillons en marche ou des corps d’armée qui se heurtent. Nul mieux que le dessinateur du ''Siège de Rome'' n’a réussi à donner à un mouvement collectif la signification d’une action individuelle, à une foule en armes l’unité morale et presque les apparences d’un être vivant de sa vie propre ; nul non plus n’a mieux honoré ni résumé avec plus de justesse les qualités que les soldats de notre temps apportent sur les champs de bataille dans les camps ou dans les fossés des tranchées, et l’on peut particulièrement appliquer à l’image de leurs efforts si patiens ou si hardis devant Rome ce que M. Giacomelli dit avec raison de « cette expression d’impétuosité ardente et disciplinée qui se retrouve dans la plupart des dessins que Raffet a consacrés à la gloire des armes de la France <ref> (47) ''Raffet, son OEuvre lithographique et ses Eaux-Fortes'', p. XII.</ref>. »
 
Depuis l’époque ou Vernet et Charlet avaient fait paraître leurs premières lithographies jusqu’au jour où Raffet était devenu un maître à son tour, la représentation par le crayon des scènes militaires avait donc suscité dans notre pays des talens et des succès non interrompus. En allait-il ainsi des scènes de mœurs proprement dites ? L’art qui réussissait si bien à décrire les mâles coutumes et les hauts faits de nos soldats trouvait-il en soi les mêmes ressources pour retracer les incidens de la vie civile, les joies ou les misères de la mansarde, l’oisiveté élégante ou les menus drames du salon ? En un mot, quelque artiste avait-il surgi qui, en traitant de sujet tout différens, méritât d’être considéré comme un rival des trois maîtres que nous venons de nommer ? Si les lithographies de Gavarni n’existaient pas, la réponse serait négative. On a vu que, même avant les années qui suivirent la révolution de juillet, plusieurs dessinateurs avaient essayé, — et souvent avec une certaine habileté, — de transporter sur la pierre quelque chose des occupations ou des habitudes de la société contemporaine. Leurs ouvrages toutefois se recommandaient par des intentions agréables plutôt que par une grande force d’observation; l’esprit, mais un esprit assez superficiel, enjolivait ces petites scènes où le crayon, de son côté, ne trouvait guère qu’un prétexte à des indications presque arbitraires, à des lazzis plus ou moins adroits. Il appartenait à Gavarni de pénétrer beaucoup plus avant dans l’étude et dans l’explication des faits, d’agrandir aussi bien le cercle des observations morales que le champ même de l’interprétation pittoresque; il lui était réservé de trouver les inspirations et le ton de la comédie là où ses devanciers n’avaient su rencontrer que les gentillesses du vaudeville, et l’on peut dire par exemple de la ''Vie de château'' d’Eugène Lami ou des ''Grisettes'' d’Henri Monnier que ces amusans recueils sont aux œuvres successivement produites par le dessinateur des ''Fourberies des Femmes'', des ''Masques et Visages'', et de tant d’autres séries de pièces pleines de pensée, ce que dans l’ordre littéraire les ''Proverbes'' de Théodore Leclercq sont aux œuvres de l’auteur de ''la Comédie humaine''.
Ligne 139 ⟶ 132 :
Sous d’autres formes, et sans avoir d’ailleurs la photographie pour complice, les prétendus ''principes de dessin'' qu’on inflige aux regards des commençans ne sont guère de nature à inspirer plus de confiance, à raviver de meilleures traditions. Quel progrès espère-t-on stimuler, quelle doctrine pense-t-on accréditer en proposant ces modèles mensongers où l’adresse de la main est seule en cause, où l’expression naïve des contours et du modelé est remplacée par l’entre-croisement symétrique des hachures, et l’instructive habileté de l’artiste par l’inutile savoir-faire du calligraphe? Faut-il enfin parler, même en passant, de l’indigne emploi que font de la lithographie certaines mains salariées dans l’ombre pour renouveler, au talent près, l’entreprise autrefois tentée par Pierre Arétin, Jules Romain et Marc-Antoine, pour enchérir même sur ces honteux exemples? Qu’il nous suffise d’indiquer de loin de pareils méfaits. Il n’est pas besoin sans doute de descendre jusque-là pour recueillir les preuves de l’abaissement de la lithographie. Cette décadence ne ressort que trop bien de l’examen des œuvres qu’on peut du moins interroger en face et des témoignages de divers genres que nous avons essayé de rappeler.
 
Les artistes qui, après avoir suscité ou confirmé les progrès de la lithographie en France, ont, sauf Gavarni, disparu de la scène, n’ont pas laissé de successeurs parmi nous. L’art lui-même, sans être tout à fait tombé en désuétude, n’a plus aujourd’hui qu’un semblant de vie, un rôle subalterne, soit qu’il se fasse l’auxiliaire de la photographie, soit qu’il approvisionne de ses produits directs les écoles d’enfans ou les magasins d’éventails, de cartonnages, d’autres objets ayant une destination plus humble encore. Un nouveau procédé, il est vrai, la chromo-lithographie <ref>(58) On appelle ainsi la lithographie coloriée sans le secours du pinceau et par le seul fait, des contacts successifs d’une épreuve avec plusieurs pierres préalablement teintées. </ref>, a pu dans quelques occasions restituer une certaine importance aux travaux du crayon, ou tout au moins en relever les caractères industriels par la dignité même des modèles. Des ouvrages recommandables ont été exécutés au moyen de ce procédé, et il n’est que juste de citer parmi les meilleurs spécimens chromo-lithographiques les fac-similé des miniatures qui ornent les célèbres ''Heures d’Anne de Bretagne'' ou d’autres manuscrits précieux, la reproduction par M. Kellerhoven des peintures sur la ''Légende de Sainte-Ursule'' à Cologne, et surtout la copie par le même artiste du tableau de Memling conservé à l’académie de Bruges, le ''Baptême de Jésus-Christ''. Il s’agit toutefois ici de tentatives et de découvertes ne se rattachant qu’indirectement au mouvement que nous cherchons à indiquer, d’une diversion plutôt que d’un progrès. Avec ses conditions et sa fonction toutes spéciales, la chromo-lithographie ne fait qu’apporter un surcroît de ressources à l’art d’interpréter les œuvres d’autrui. Elle ne pourrait que par exception nous transmettre les résultats immédiats de l’invention personnelle, et, dans ce cas-là même, la complication des moyens d’exécution donnerait au travail une physionomie à part, une signification indépendante du sens et des formes d’expression propres à la lithographie.
 
La régénération de celle-ci ne saurait donc être la conséquence des modifications, quelles qu’elles soient, des perfectionnemens introduits ou à introduire dans la pratique du nouveau procédé. Elle ne peut s’accomplir que par un mouvement de retour vers les doctrines originelles et les traditions de l’art lui-même, par une étude plus scrupuleuse des lois particulières qui le régissent, des exemples qui l’ont consacré. Les dessinateurs lithographes doivent-ils cependant imiter systématiquement la manière de tel ou tel de leurs prédécesseurs, et ne rien admettre dorénavant, ne rien chercher en dehors de ce qui a été fait avant eux? La diversité des talens qui se sont succédé depuis Vernet jusqu’à Gavarni prouve assez que, tout en respectant certains principes d’où la lithographie emprunte son caractère même et sa raison d’être, on peut suivre ses inspirations propres et donner carrière à son sentiment. Aussi souhaiterions-nous seulement que les artistes se souvinssent de ces exemples pour concilier à leur tour la liberté dans les intentions personnelles avec les justes exigences et les conditions nécessaires du moyen. Où, trouveraient-ils d’ailleurs, si ce n’est dans notre école, de sûrs enseignemens sur ce double devoir? Sans doute, depuis que la lithographie a été découverte, aucun pays de l’Europe n’a refusé, pour un objet ou pour un autre, d’en utiliser les procédés. Combien y en a-t-il toutefois qui revendiqueraient à juste titre une part d’influence considérable sur la marche de l’art? Quel est celui où des, artistes se sont produits, qu’on puisse, non pas opposer comme des rivaux aux maîtres français, mais seulement citer après ceux-ci pour l’originalité de la manière, pour la grâce ou la vigueur de, l’imagination? Quel nom étranger enfin, sauf le nom de Senefelder, est si étroitement lié à l’histoire de la lithographie qu’il soit impossible de le supprimer sans anéantir en même temps le souvenir! d’un fait significatif, d’un progrès?
Ligne 151 ⟶ 144 :
La lithographie est donc, à vrai dire, un art français, puisque c’est dans notre pays qu’elle a eu les plus brillantes origines, l’activité la plus féconde, les succès les plus variés. En France seulement, elle a été mieux qu’un moyen de reproduction pour des exemplaires fournis par les autres arts ou par la science, mieux aussi qu’un procédé au service des caprices chétifs et des vulgaires fantaisies. Grâce aux talens d’élite qui ont profité de ses ressources sans en forcer l’emploi ni la portée, elle a acquis de bonne heure et elle a gardé longtemps une importance d’autant plus sûre qu’elle se renfermait plus strictement dans son domaine. Tout cela désormais n’intéresserait-il que le passé? Ne saurions-nous, autrement que par le souvenir, ressaisir quelque chose des privilèges que nous avons possédés, des progrès qui se sont accomplis à une époque si près de nous et sur notre sol? Il semble impossible que notre école consente à se démentir elle-même et à s’abstenir de gaîté de cœur d’efforts conformes au fond à ses facultés naturelles, à son génie. Nous espérons qu’elle ne répudiera pas pour toujours un héritage qui lui appartient, des traditions qui l’obligent, des exemples qu’elle seule serait en mesure de renouveler : elle sait trop bien et par une trop longue expérience qu’à côté de la gloire qui récompense les hautes entreprises, une part d’honneur est réservée aussi à des travaux d’un caractère moins grave, à des œuvres n’ayant pour objet que l’amusement de l’imagination. Ce n’est pas sans doute dans la patrie de Callot, de Chardin, de Moreau, de cent autres ingénieux artistes dont les maîtres-lithographes de notre siècle ont fait revivre à leur manière le goût délicat et le fin bon sens, ce n’est pas dans le pays de l’art spirituel par excellence que l’on pourrait craindre sur ce point une disette de quelque durée, ou qu’il serait nécessaire de plaider une cause qui, de tout temps, a eu parmi nous tant de juges intéressés et tant de charmans talens pour défenseurs.
 
 
<small>xxxxxxxxxx</small><br />
<small> (1) A l’époque où il remplissait les, fonctions de directeur de l’Académie de France à Rome, Vernet lithographia un ''Guarda bovi'' à cheval qui figure dans un ''album'' publié à Paris en 1831, trois ou quatre vignettes ou portraits et une pièce, dont il ne fit tirer que quelques épreuves, représentant la ''Découverte de la sépulture de Raphaël dans le Panthéon''. Hormis ce petit nombre de croquis faits à Rome entre les années 1830 et 1835, Horace Vernet n’ajouta rien aux deux cent cinquante lithographies environ, qui composaient déjà son œuvre, et dont les dernières portent la date de 1828.</small><br />
<small> (2) L’ouvrage d’Arnault, ''Vie politique et militaire de Napoléon'', contient deux grandes lithographies de la main de Decamps : la ''Bataille de Mondovi'' et la ''Bataille d’Aboukir''.</small><br />
<small> (3) ''Raffet, sa Vie et ses Œuvres'', par M. Auguste Bry, p. 112.</small><br />
<small> (4) ''Raffet, son OEuvre lithographique et ses Eaux-Fortes'', p. XII.</small><br />
<small>(5) On appelle ainsi la lithographie coloriée sans le secours du pinceau et par le seul fait, des contacts successifs d’une épreuve avec plusieurs pierres préalablement teintées. </small><br />
 
 
HENRI DELABORDE.
 
<references/>