« L’Étoile du sud/XVIII » : différence entre les versions

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| [[Auteur:Jules Verne|Jules Verne]]
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Cette ascension fut longue et pénible. Toute la journée se passa à gravir des pentes abruptes, à tourner des roches ou des pics infranchissables, à recommencer par l’est ou par le sud une tentative infructueusement tentée par le nord ou par l’ouest.
 
AÀ la nuit, Cyprien n’était encore qu’à mi-côte, et il dut remettre au lendemain la suite de son ascension.
 
Reparti au point du jour, après s’être assuré, en regardant bien, que Lî n’était point revenu au campement, il arriva enfin vers onze heures du matin au sommet de la montagne.
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Une cruelle déception l’y attendait. Le ciel s’était couvert de nuages. D’épais brouillards flottaient sur les flancs inférieurs. Ce fut en vain que Cyprien essaya d’en percer le rideau pour sonder du regard les vallées voisines. Tout le pays disparaissait sous un amoncellement de vapeurs informes, qui ne laissaient rien distinguer au-dessous d’elles.
 
Cyprien s’obstina, attendit, espérant toujours qu’une éclaircie viendrait lui rendre les vastes horizons qu’il espérait embrasser : ce fut inutilement. AÀ mesure que la journée s’avançait, les nuages semblaient croître en épaisseur, et, comme la nuit venait, le temps tourna décidément à la pluie.
 
Le jeune ingénieur se trouva donc surpris par ce prosaïque météore, précisément au sommet d’un plateau dénudé, qui ne possédait pas un seul arbre, pas une roche susceptible de servir d’abri. Rien que le sol chauve et desséché, et tout autour, la nuit grandissante, accompagnée d’une petite pluie fine, qui, peu à peu, pénétrait tout, couverture, vêtements et perçait jusqu’à la peau.
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Cyprien aurait plus vivement senti ce nouveau coup de la mauvaise fortune, s’il eût été dans son état normal ; mais la lassitude extrême et l’accablement ne lui en laissèrent pas la force. En arrivant, il ne put que se jeter sur son havresac imperméable, qu’il retrouva heureusement, passer des vêtements secs, puis tomber, écrasé de fatigue, sous l’abri d’un baobab qui ombrageait le campement.
 
Alors commença pour lui une période bizarre de demi-sommeil, de fièvre, de délire, où toutes les notions se confondaient, où le temps, l’espace, les distances n’avaient plus de réalité. Faisait-il nuit ou jour, soleil ou pluie ? Était-il là depuis douze heures ou depuis soixante ? Vivait-il encore ou bien était-il mort ? Il n’en savait plus rien. Les rêves gracieux et les cauchemars effroyables se succédaient sans relâche sur le théâtre de son imagination. Paris, l’École des Mines, le foyer paternel, la ferme du Vandergaart-Kopje, miss Watkins, Annibal Pantalacci, Hilton, Friedel et des légions d’éléphants, Matakit et des vols d’oiseaux, répandus sur un ciel sans limites, tous les souvenirs, toutes les sensations, toutes les antipathies, toutes les tendresses, se heurtaient en son cerveau comme dans une bataille incohérente. AÀ ces créations de la fièvre venaient parfois s’ajouter des impressions extérieures. Ce qui fut surtout horrible, c’est qu’au milieu d’une tempête d’aboiements de chacals, de miaulements de chats-tigres, de ricanements d’hyènes, le malade inconscient poursuivit laborieusement le roman de son délire et crut entendre un coup de fusil qui fut suivi d’un grand silence. Puis, l’infernal concert reprit de plus belle pour se prolonger jusqu’au jour.
 
Sans doute, pendant ce mirage, Cyprien serait passé, sans en avoir le sentiment, de la fièvre au repos éternel, si l’événement le plus bizarre, le plus extravagant, en apparence, n’était venu se mettre aà la traverse du cours naturel des choses.
 
Le matin venu, il ne pleuvait plus, et le soleil était déjà assez élevé sur l’horizon. Cyprien venait d’ouvrir les yeux. Il regardait, mais sans curiosité, une autruche de grande taille, qui, après s’être approchée de lui, vint s’arrêter à deux ou trois pas.
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Une autruche qui parlait français, une autruche qui savait son nom, il y avait certainement là de quoi étonner une intelligence ordinaire et de sens rassis. Eh bien, Cyprien ne fut nullement choqué de ce phénomène invraisemblable et le trouva tout naturel. Il en avait vu bien d’autres, en rêve, pendant la nuit précédente ! Cela lui parut tout simplement la conséquence de son détraquement mental.
 
« Vous n’êtes pas polie, madame l’autruche ! répondit-il. De quel droit me tutoyez -vous ? »
 
Il parlait de ce ton sec, saccadé, particulier aux fiévreux, qui ne peut laisser aucun doute sur leur état, – ce dont l’autruche parut vivement émue.
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– Mais pourquoi ce singulier déguisement que tu portais ce matin ? demanda Cyprien ?
 
– C’était un costume d’autruche. Ainsi que je te l’ai dit, les Cafres emploient fréquemment cette ruse pour approcher ces échassiers, qui sont très défiants et fort difficiles à tirer sans cela !… Tu me répondras que j’ai mon excellent rifle !… C’est vrai, mais que veux -tu ? La fantaisie m’a pris de chasser à la mode cafre, et c’est ce qui m’a procuré l’avantage de te rencontrer fort à propos, n’est-ce pas ?
 
– Fort à propos, en vérité, Pharamond !… Je crois bien que, sans toi, je ne serais plus de ce monde ! » répondit Cyprien en serrant cordialement la main de son ami.