« L’Étoile du sud/XIII » : différence entre les versions

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| [[Auteur:Jules Verne|Jules Verne]]
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Or, c’était dans ces conditions, – cela put être constaté, – que Matakit poursuivait sa route vers le nord, avec un équipage qui aurait mis sur les dents dix chevaux de relais.
 
Il ne restait donc qu’à se préparer à le suivre le plus rapidement possible. AÀ la vérité, le fugitif avait, avec une forte avance, l’avantage d’une vitesse bien supérieure à celle du mode de locomotion que ses adversaires allaient adopter. Mais enfin les forces d’une autruche ont des limites. Matakit serait bien obligé de s’arrêter, et peut-être de perdre du temps. Au pis aller, on le rattraperait au terme de son voyage.
 
Cyprien eut bientôt lieu de se féliciter d’avoir emmené Lî et Bardik, lorsque d’abord il s’agit pour lui de s’équiper en vue de l’expédition. Ce n’est pas une petite affaire, en pareil cas, de choisir avec discernement les objets qui pourront être vraiment utiles. Rien ne peut remplacer l’expérience du désert. Cyprien avait beau être de première force en calcul différentiel et intégral, il ne connaissait pas l’ABC de la vie du Veld, de la vie sur le « trek » ou « sur les traces de roues de wagon, » comme on dit là-bas. Or, non seulement ses compagnons ne semblaient pas disposés à l’aider de leurs conseils, mais ils avaient plutôt une tendance à l’induire en erreur.
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Devant une telle éventualité, il n’y avait pas à hésiter. Cyprien suspendit immédiatement sa négociation et alla aux renseignements. Tout le monde lui confirma ce que lui avait dit Bardik. C’était un fait si parfaitement notoire, dans le pays, qu’on n’en parlait même point.
 
Ainsi mis en garde contre son inexpérience, le jeune ingénieur devint plus prudent et s’assura les conseils d’un médecin vétérinaire de Potchefstrom.
 
Grâce âà l’intervention de ce spécialiste, il lui fut possible de se procurer, en quelques heures, la monture qu’il fallait pour ce genre de voyage. C’était un vieux cheval gris, qui n’avait que la peau et les os et ne possédait même en propre qu’une fraction de queue. Mais il n’y avait qu’aqu’à le voir pour s’assurer que celui-là, du moins, avait été « salé, » et, quoiqu’il eût le trot un peu dur, il valait évidemment beaucoup mieux que sa mine. Templar, – c’était son nom, – jouissait dans le pays d’une véritable réputation, comme cheval de fatigue, et, lorsqu’il l’eut vu, Bardik, qui avait bien quelque droit à être consulté, se déclara pleinement satisfait.
 
Quant à lui, il devait être spécialement préposé à la direction du wagon et des attelages de bœufs, fonction dans laquelle son camarade Lî devait lui venir en aide.
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Il n’y avait donc pas à s’inquiéter de les monter, ni l’un ni l’autre, ce que Cyprien n’aurait jamais pu faire, étant donné le prix qu’il fallut débourser pour l’acquisition de son propre cheval.
 
La question des armes n’était pas moins délicate. Cyprien avait bien choisi ses fusils, un excellent rifle du système Martini-Henry, et une carabine Remington, qui ne brillaient guère par l’élégance, mais qui portaient juste et se rechargeaient rapidement. Mais ce qu’il n’aurait jamais pensé aà faire, si le Chinois ne lui en eût donné l’idée, c’était à s’approvisionner d’un certain nombre de cartouches à balle explosible. Il aurait cru aussi emporter des munitions bien suffisantes en prenant cinq ou six cents charges de poudre et de plomb, et fut très surpris d’apprendre que quatre mille coups par fusil étaient un minimum commandé par la prudence dans ce pays de fauves et d’indigènes non moins redoutables.
 
Cyprien dut aussi se munir de deux revolvers à balle explosible, et compléta son armement par l’achat d’un superbe couteau de chasse, qui figurait depuis cinq ans à la vitrine de l’armurier de Potchefstrom, sans que personne se fût avisé de le choisir.
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C’est encore Lî qui insista pour que cette acquisition fût faite, assurant que rien ne serait plus utile que ce couteau. D’ailleurs, le soin qu’il prit désormais d’entretenir personnellement le fil et le poli de cette lame courte et large, assez semblable au sabre-baïonnette de l’infanterie française, montrait sa confiance dans les armes blanches, confiance qu’il partageait avec tous les hommes de sa race.
 
Au surplus, la fameuse caisse rouge accompagnait toujours le prudent Chinois. Il y logea, à côté d’une foule de boitesboîtes et d’ingrédients mystérieux, soixante mètres environ de cette corde souple et mince, mais fortement tressée, que les matelots appellent de la « ligne. » Et, comme on lui demandait ce qu’il en prétendait faire :
 
« Ne faut-il pas étendre le linge au désert comme ailleurs ? » répondit-il évasivement.
 
En douze heures, tous les achats étaient terminés. Des draps imperméables, des couvertures de laine, des ustensiles de ménage, d’abondantes provisions de bouche en boîtes soudées, dedes jougs, des chaînes, des courroies de rechange, constituaient à l’arrière du wagon le fonds du magasin général. L’avant, rempli de paille, devait servir de lit et d’abri pour Cyprien et ses compagnons de voyage.
 
James Hilton s’était fort bien acquitté de son mandat et semblait avoir très convenablement choisi tout ce qui pouvait être nécessaire à l’association. Il était assez vain de son expérience de colon. Aussi, pour faire montre de sa supériorité plutôt que par esprit de camaraderie, se serait-il volontiers laissé aller à renseigner ses compagnons sur les usages du Veld.
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Mais Annibal Pantalacci ne manquait guère alors d’intervenir et de lui couper la parole.
 
« Quel besoin avez-vous de faire part de vos connaissances au Frenchman ? lui disait-il à mi-voix. Tenez-vous donc beaucoup à lui voir gagner le prix de la course ? AÀ votre place, je garderais pour moi ce que je sais et n’en soufflerais mot ! »
 
Et James Hilton de répondre, en regardant le Napolitain avec une admiration sincère :
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Enfin le Bush-Veld ou pays des broussailles, et, par excellence, la région des chasses, se développe en vastes plaines jusqu’aux bords du Limpopo, vers le nord, de manière à se prolonger jusqu’au pays des Cafres Betchouanas, vers l’ouest.
 
Partis de Potchefstrom, qui est située dans le Banken-Veld, les voyageurs avaient d’abord à parcourir en diagonale la plus grande partie de cette région, avant d’avoir atteint le Bush-Veld, et de la, plus au nord, les rives du Limpopo.
 
Cette première partie du Transvaal fut naturellement la plus aisée à franchir. On était encore dans un pays à demi civilisé. Les plus gros accidents se réduisaient à une roue embourbée ou à un bœuf malade. Les canards sauvages, les perdrix, les chevreuils, abondaient sur la route et fournissaient tous les jours les éléments du déjeuner ou du dîner. La nuit se passait habituellement dans quelque ferme, dont les habitants, isolés du reste du monde pendant les trois quarts de l’année, accueillaient avec une joie sincère les hôtes qui leur arrivaient.
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Leurs maisons sont très simplement bâties en terre et couvertes d’un épais chaume. Quand la pluie a fait brèche dans les murs, – ce qui arrive assez fréquemment, – le remède est sous la main. Toute la famille se met à pétrir de la glaise, dont elle prépare un grand tas ; puis, filles et garçons, la prenant à poignées, font pleuvoir sur la brèche un bombardement qui l’a bientôt obstruée.
 
AÀ l’intérieur de ces habitations, on trouve à peine quelques meubles, des escabeaux de bois, des tables grossières, des lits pour les grandes personnes ; les enfants se contentent de coucher sur des peaux de mouton.
 
Et pourtant, l’art a sa place dans ces existences primitives. Presque tous les Boërs sont musiciens, jouent du violon ou de la flûte. Ils raffolent de la danse, et ne connaissent ni les obstacles, ni les fatigues, lorsqu’il s’agit de se réunir, – parfois de vingt lieues à la ronde pour se livrer à leur passe-temps favori.
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Les quatre poursuivants ne se regardaient pas moins comme certains de l’atteindre. Le fugitif finirait bien par s’arrêter. Sa capture n’était donc qu’une question de temps.
 
Aussi, Cyprien et ses trois compagnons en prenaient il-ils à l’aise. Ils commençaient peu à peu à se livrer à leurs plaisirs favoris. Le jeune ingénieur recueillait des échantillons de roches. Friedel herborisait et prétendait reconnaître, rien qu’à leurs caractères extérieurs, les propriétés des plantes qu’il collectionnait. Annibal Pantalacci persécutait Bardik ou Lî, et se faisait pardonner ses mauvais tours en confectionnant aux haltes des plats de macaroni délicieux. James Hilton se chargeait d’approvisionner la caravane de gibier ; il ne passait guère une demi journée, sans abattre une douzaine de perdrix, des cailles à foison, parfois un sanglier ou une antilope.
 
Étapes par étapes, on arriva ainsi au Bush-Veld. Bientôt les fermes devinrent plus rares et finirent par disparaître. On était aux confins extrêmes de la civilisation.
 
AÀ partir de ce point, il fallut camper tous les soirs, allumer de grands feux, autour desquels hommes et bêtes s’établissaient pour dormir, non sans qu’il fût fait bonne garde aux environs.
 
Le paysage avait pris un aspect de plus en plus sauvage. Des plaines de sable jaunâtre, des fourrés de buissons épineux, de loin en loin un ruisseau bordé de marécages, venaient de succéder aux vertes vallées du Banken-Veld. Parfois aussi, il fallait faire un détour pour éviter une véritable forêt de ''thorn'' ''trees'', ou arbres à épines. Ce sont des arbustes, hauts de trois à cinq mètres, portant un grand nombre de branches à peu près horizontales et toutes armées d’épines de deux à quatre pouces de longeurlongueur, dures et acérées comme des poignards.
 
Cette zone extérieure du Bush-Veld, qui prend plus généralement le nom de Lion-Veld, – ou Veld des lions, – ne semblait guère justifier cette appellation redoutable, car, après trois jours de voyage, on n’avait encore ni vu ni signalé aucun de ces fauves.
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– La belle affaire ! lui répondit Friedel. Nous ne voyons autre chose depuis deux ou trois jours ! »
 
En effet, rien n’est plus fréquent, dans le Bush― Bush-Veld, que ces gros tas de terre jaune, soulevés par d’innombrables fourmis, et qui, seuls coupent de loin en loin, avec quelques buissons ou un groupe de maigres mimosas, la monotonie des plaines.
 
James Hilton eut un rire silencieux.
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« Le Frenchman aurait eu une belle peur, et nous aurions eu de quoi rire ! »
 
Le Napolitain se trompait. Cyprien n’était pas un homme à avoir une belle peur, comme il disait. AÀ deux cents pas du but qui lui était indiqué, il reconnut à quel redoutable nid de fourmis il avait affaire. C’étaient un énorme lion, une lionne et trois lionceaux, accroupis en rond sur le sol, comme des chats, et qui dormaient paisiblement au soleil.
 
Au bruit des sabots de Templar, le lion ouvrit les yeux, souleva sa tête énorme et bâilla, en montrant, entre deux rangées de dents formidables, un gouffre dans lequel un enfant de dix ans aurait pu disparaître tout entier. Puis, il regarda le cavalier, qui s’était arrêté à vingt pas de lui.
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Le lendemain, au petit jour, quand on se leva pour le départ, Friedel était en proie à une fièvre ardente et se trouva dans l’impossibilité de monter à cheval. Il demanda, néanmoins, qu’on se remît en route, affirmant qu’il serait fort bien sur la paille au fond du chariot, on fit comme il le voulait.
 
AÀ midi, il délirait.
 
AÀ trois heures, il était mort.
 
Sa maladie avait été une fièvre pernicieuse du caractère le plus foudroyant.