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:''A M. Villemain, secrétaire perpétuel de l’Académie.''
 
* [[Lettres sur l’Islande/01|I - Reykiavik]]
 
===I - Reykiavik===
T. 7 1836
* [[Lettres sur l’Islande/02|II - Le Geyser et l’Hécla]]
 
===II - Le Geyser et l’Hécla===
T. 7 1836
* [[Lettres sur l’Islande/03|III - Instruction publique]]
 
* [[Lettres sur l’Islande/04|IV – Les sagas]]
===III - Instruction publique===
* [[Lettres sur l’Islande/05|V – Langue et littérature]]
 
* [[Lettres sur l’Islande/06|VI.- Découverte de l’Islande]]
 
* [[Lettres sur l’Islande/07|VII - Mythologie]]
A mon départ de Paris pour l'Islande, vous me recommandiez d'observer l'état actuel de la littérature et de l'instruction dans le pays que j'allais visiter, afin de comparer dans ses rapports intellectuels l'époque moderne à l'époque ancienne, l'Islandais laborieux de nos jours à l'islandais nomade des sagas. J'ai commencé cette étude avec un vif sentiment de curiosité, et je l'ai poursuivie avec un nouvel attrait lorsque j'ai vu qu'en me livrant à cette exploration, je ne m'aventurais pas sur une terre ingrate. Plus tard j'essaierai de vous tracer le tableau de la littérature moderne islandaise ; aujourd'hui, permettez-moi de vous parler de l'instruction du peuple et des écoles.
T. 9 1837
 
A voir cette pauvre population d'Islande, ces paysans condamnés à une vie de labeur et de privation, et ces pêcheurs exposés sans cesse aux orages de leur mer du Nord, on ne s'attendrait pas à découvrir parmi eux le goût de la lecture et de l'étude, et cependant, il n'en est pas un qui ne se plaise à porter dans sa chétive cabane quelques livres. Dans presque tous les ''boer'' que nous avons visités, dans la demeure du pâtre comme dans celle du fermier, nous avons toujours trouvé une bible et des sagas. La bible et les sagas, c'est leur dot de mariage, c'est le legs de leurs pères, c'est le trésor de famille qui a succédé à la cotte d'armes de ''Vikingr'', à la hache des ''Berserkir''. Dans les longues soirées d'hiver, quand la tempête gronde autour de l'humble boer, quand la neige couvre tous les chemins et interrompt toutes les communications, la famille du paysan se réunit dans une même salle. Les femmes préparent les vêtemens de laine, les hommes façonnent leurs instrumens de pêche ou d'agriculture, et, à la lueur d'un pâle flambeau, le maître de la maison prend un livre et lit à haute voix. Ainsi tous apprennent à connaître leur histoire, les actions de valeur de leurs ancêtres, et les faits d'armes qui ont illustré le lieu qu'ils habitent, et les lieux qu'ils parcourent. Neuf siècles sont passés, et les noms de ceux qui ont peuplé ces montagnes d'Islande sont encore populaires parmi leurs descendans, et les exploits de ces soldats aventureux qui s'en allaient sur leur barque fragile braver la guerre et les orages font encore palpiter le coeur pacifique de ces habitans du boer qui ne pensent plus qu'à élever leurs moutons, ou à jeter leurs filets le long de la côte.
 
Quand le paysan a lu tous les livres qu'il possède, il fait un échange avec ses voisins. Le dimanche il emporte à l'église sa bibliothèque. Il prête ses sagas à ceux qui ne les connaissent pas encore, et les autres paysans lui prêtent les leurs. Il est tel livre aussi qu'il relit régulièrement chaque hiver; il en est d'autres qu'il copie en entier. Nous avons vu dans plusieurs habitations de gros volumes in-folio écrits avec le plus grand soin. C'étaient les traditions que le paysan avait, lui-même copiées, faute de pouvoir les acheter. La société de Copenhague a rendu un grand service à toutes ces réunions de famille en publiant à un prix modéré une nouvelle collection de sagas (1). Aussi les paysans islandais ont-ils souscrit avec empressement à cette collection.
 
Si de la demeure du fermier nous passons à celle du prêtre ou du sysselmand, le cercle de connaissances s'agrandit, et l'étonnement redouble. Que de fois je me suis arrêté avec un sentiment de vénération dans un de ces presbytères isolés au milieu des champs de lave ! J'entrais dans une chambre humide, malsaine, dépouillée de meubles; mais sur les coffres en bois, sur les fenêtres, sur une planche clouée contre la muraille, j'apercevais les meilleurs livres de science et de littérature, et un homme couvert d'une mauvaise redingote s'avançait vers moi, prêt à me répondre en quatre ou cinq langues, prêt à me parler des grands poètes modernes et des classiques anciens (2). Dans ces habitations solitaires, le pauvre prêtre n'aperçoit devant lui que l'église et le cimetière, l'église où il a été baptisé, le cimetière où il a déjà marqué sa tombe à côté de celle de son père. Pas un être n'est là pour répondre à ses pensées, pour l'encourager dans ses efforts. Tout ce que nous appelons gloire, fortune, moyens d'émulation, tout cela est perdu pour lui; et cependant, il travaille, il s'instruit, il se fait à lui-même son monde poétique. Les muses, pour nous séduire, n'ont pas toujours besoin de venir à nous, la tête couverte de lauriers, et l'étude, que nous devrions déifier comme les muses, attire à elle, par un charme infini, plus d'un homme simple et dénué d'ambition, qui n'attend rien de son travail, que le bonheur même de travailler.
 
Tous les Islandais savent lire et écrire. Ils n'ont cependant point d'école élémentaire publique (3), et il ne peut en être autrement dans un pays où les habitations sont toutes disséminées à travers champs, et éloignées l'une de l'autre; mais chaque boer est une école, et chaque mère de famille se fait elle-même l'institutrice de ses enfans. Le soir, elle les rassemble autour d'elle, et leur donne ses leçons. Les enfans orphelins, ou appartenant à des parens incapables de s'occuper de leur éducation, sont placés, aux frais de la caisse des pauvres, dans une autre famille. C'est le prêtre qui surveille ces diverses écoles, c'est lui qui interroge les élèves, qui approuve ou condamne, et distribue aux pauvres femmes de pêcheurs les livres élémentaires dont elles ont besoin. Le grand jour d'épreuve est celui où les enfans se présentent à la confirmation. Pas un d'eux ne peut être admis s'il ne sait lire et écrire, et ce serait, pour une mère de famille islandaise, un vrai malheur de voir un de ses fils échouer dans cet examen religieux.
 
Deux autres causes contribuent encore à entretenir parmi les Islandais le goût de l'étude; ce sont leurs longues nuits d'hiver et leur isolement. Pendant près de la moitié de l'année, ils vivent seuls, renfermés dans leur boer, dépourvus de toute société et de tout moyen de distraction. Que feraient-ils alors, s'ils n'aimaient le travail? Les uns lisent, les autres s'occupent d'ouvrages d'orfèvrerie ou de ciselure. L'été leur ramène la vie de voyage; l'hiver leur impose la vie de solitude et de recueillement. Puis, l'Islande est maintenant dotée de plusieurs établissemens dont on aime à reconnaître l'heureuse influence. Il y a une imprimerie à Vidoë, une bibliothèque publique et une société littéraire à Reykiavik, une école latine à Besesstad.
 
L'imprimerie fut introduite en Islande en 1530, et établie à Hoolum. Ce fut l'évêque Gudbrandr qui fit ce présent à son pays. En 1685, l'évêque Thorlakr obtint qu'elle fût transférée à Skalholt, mais elle n'y resta que jusqu'en 1704. Un autre évêque de Hoolum la racheta pour cinq cents impériaux (4), et la transporta de nouveau dans sa métropole. Il est sorti de cette imprimerie plusieurs ouvrages remarquables, et entre autres deux belles bibles in-folio, devenues fort rares. Aujourd'hui elle appartient au gouvernement, qui l'afferme au propriétaire de l'ancien cloître de Vidoë pour deux cents écus par an. On y imprime des livres d'éducation et des livres de prières, quelques recueils de poésie, et les sagas versifiées que les étudians islandais publient sous le titre de ''Rimur''. L'imprimeur emploie trois ou quatre ouvriers, et des commissionnaires distribuent ses livres dans toutes les parties de l'Islande.
 
La bibliothèque de Reykiavik fut fondée en 1821, par les soins de M. Rafn, professeur à Copenhague. Elle appartient à toute l'Islande, car toute l'Islande a contribué à la former, à l'enrichir. Le gouvernement danois ouvrit une souscription, et les particuliers donnèrent des livres et de l'argent. Chaque année encore, le paysan, le prêtre, le marchand, apportent leur tribut volontaire à cette bibliothèque, et chaque année le gouvernement lui envoie les meilleurs livres imprimés à Copenhague. Aujourd'hui elle compte près de 8000 volumes, composés de classiques anciens et d'ouvrages étrangers. Le but des fondateurs est de la rendre aussi populaire que possible, et surtout d'y former une collection complète de tous les ouvrages ayant rapport à l'Islande. Le lieu qu'elle occupe n'est pas disposé de manière à ce qu'on puisse y venir lire, mais chaque semaine elle est ouverte à jour fixe, et l'on prête des livres aux habitans des districts les plus éloignés pour plusieurs mois, et quelquefois pour un an. Ainsi quand l'Islandais des montagnes du nord vient à Reykiavik, la bibliothèque populaire s'ouvre pour lui, il y dépose son offrande, et il y prend les livres qu'il veut étudier. Si cette coutume présente un résultat fâcheux, celui de priver pendant un assez long espace de temps la bibliothèque de plusieurs ouvrages essentiels, elle offre aussi l'avantage immense de faire circuler dans les familles une foule de bons livres qu'elles ne pourraient se procurer, de répandre comme une source abondante la vie intellectuelle dans toutes les artères de cette lointaine population.
 
La société littéraire d'Islande date de 1816. Elle se divise en deux branches : celle de Copenhague et celle de Reykiavik. Son but est de propager en Islande le goût de la littérature, et de faire imprimer dans la langue du pays les livres les plus utiles. Le nombre de ses membres n'est point limité, et en même temps qu'elle cherche à s'attacher par un lien de confraternité littéraire les savans étrangers, elle enveloppe dans son vaste réseau toute l'Islande intellectuelle. A part 600 fr. qu'elle reçoit chaque année du gouvernement danois, cette société n'a pas d'autre ressource que la cotisation, à laquelle se soumettent ses membres, et avec ce revenu précaire, et le produit de ses publications, elle a fait paraître plusieurs ouvrages populaires (5), et contribué à la confection d'une carte générale d'Islande.
 
Outre ces livres excellens d'histoire, de géographie, que la société répand dans chaque district, elle publie encore tous les mois un journal. C'est une simple feuille in-18, qui a pour titre ''Courrier du Midi'' (SUNNAR POSTURIUN), une feuille créée exprès pour le peuple, écrite pour le peuple. Il n'y a là ni discussions politiques, ni querelles littéraires. Le paysan d'Islande, tout occupé de sa ferme, de sa pèche, est encore étranger à ces graves débats qui agitent si fort nos salons. Seulement le ''Courrier du Midi'' lui dit de temps à autre ce qui se passe en Europe, s'il y a une révolution, une guerre, un désastre, et cela lui suffit. Le plus souvent, on l'entretient de lui-même, on lui donne des conseils d’hygiène, d'agriculture, d'économie domestique. Puis un rédacteur lui annonce les découvertes les plus utiles ; un autre lui communique ses observations astronomiques, et de temps en temps, un troisième chante sur le mètre des anciens scaldes le bonheur et les vertus de l'Islande moderne. Le paysan est enchanté de voir tant de science et de sagesse réunies dans une si petite feuille, et chaque mois il l'attend avec impatience; aussi le ''Courrier du Midi'' compte-t-il, sur une population de 50,000 habitans, 1,100 abonnés (6).
 
Il y avait autrefois, comme je l'ai dit dans une précédente lettre (7), deux écoles latines en Islande. Toutes deux furent d'abord réunies à Reykiavik, et en 1806, l'école de Reykiavik fut transportée à Besesstad. Ce qu'on nomme Besesstad n'est autre chose qu'une église et une ferme. Il y a là 40 élèves. Il ne peut y en avoir plus, faute de place. Encore couchent-ils deux à deux, ou plutôt quatre à quatre dans une espèce d'armoire à double compartiment qui chaque soir se ferme hermétiquement sur eux, et dont l'aspect seul fait frémir. Si l'on a pris à tâche de leur donner de bons maîtres et de leur enseigner beaucoup de choses en peu de temps, on s'est très peu occupé de leur bien-être matériel. Leur existence est livrée à un économe qui, pour un prix déterminé (8), se charge de les nourrir et de leur donner des souliers pendant huit mois de l'année (9). Celui qui exerce maintenant cette espèce de monopole est, il est vrai, un homme dont la probité présente de grandes garanties; mais il a depuis longtemps le désir d'abdiquer ses fonctions, et quand il sera remplacé, à quelle triste spéculation les élèves ne seront-ils pas exposés !
 
L'école s'ouvre au 1er octobre et se ferme au 1er juin. Les élèves ont huit heures de leçon par jour. Ils étudient l'hébreu, le grec, le latin, le danois, l'histoire, la géographie, l'arithmétique, et dès leur entrée à l'école, la théologie, car Besesstad est, avant tout, une école ecclésiastique, une espèce de séminaire; et de cette contraction forcée de divers genres d'étude résulte un grand inconvénient. Ceux qui deviennent prêtres, en sortant de là, sont loin d'avoir acquis les connaissances qui leur seraient nécessaires. Ceux qui suivent une autre carrière ont passé de longues heures à recueillir des notions de théologie qui leur sont complètement inutiles. Tous les hommes éclairés d'Islande désireraient qu'il y eût au moins deux écoles distinctes. L'argent manque pour les établir.
 
Il y a à Besesstad quatre professeurs. Le premier qui enseigne la théologie et qui représente l'école dans toutes les occasions importantes, reçoit par an 400 species (2400 fr.). Les autres n'ont que 1800 fr. Tous quatre sont des hommes vraiment remarquables, et tels qu'on serait heureux d'en rencontrer dans beaucoup d'institutions plus renommées que l'humble école de Besesstad. L'un d'eux est très versé dans la connaissance de la langue hébraïque et de l'histoire ecclésiastique. Un autre s'est distingué par ses travaux de géographie M. Egilssen a pris part à toutes les grandes publications d'ouvrages islandais qui se sont faites dans les dernières années à Copenhague, et prépare en ce moment une nouvelle édition de l'Edda de Snorro Sturleson, avec une traduction latine. Le vénérable docteur Schieving, le professeur de littérature latine, est un de ces hommes savans et modestes que l'on n'apprend pas à connaître sans émotion, et que l'on ne peut oublier une fois qu'on les a connus. Il y a vingt ans que M. Schieving travaille à un dictionnaire islandais-latin (10). Il a tour à tour compulsé les anciens livres de droit, et les anciens livres d'histoire, les chants des scaldes et les sagas. Quand les livres imprimés lui ont manqué, il est entré en correspondance avec les étudians de Copenhague, afin de faire compulser les manuscrits islandais qui se trouvent à la bibliothèque. Il a classé chaque mot dans ses différentes acceptions; chaque acception est justifiée par une citation, et chaque citation accompagnée d'une note indiquant le livre, la page où elle a été prise, le sens qu'elle doit avoir. J'ai vu dans la demeure de M. Schieving à Besesstad l'immense quantité de matériaux qu'il a amassés, pour faire son dictionnaire, et je lui ai demandé s'il ne pensait pas à le publier bientôt. « Hélas! non, m'a-t-il dit, plus j'avance, plus je vois ce qui me manque pour arriver au but que je voulais atteindre. Quand j'ai entrepris cette longue tâche, je croyais avoir fini au bout de dix ans. Maintenant, je ne m'impose plus aucune limite. Je travaillerai tant que je vivrai. » Et, sans cesse, il revient sur ce qu'il a déjà fait, et sans cesse il recommence ses recherches, heureux d'accroître sa nomenclature, heureux de trouver un nouveau mot et une nouvelle acception, heureux des devoirs qu'il remplit, et des heures de loisir qui lui permettent de reprendre ses études favorites. La science n'a pas eu souvent un disciple aussi dévoué, soumis à un travail aussi exempt d'ambition.
 
Le temps des études à Besesstad dure de cinq à six ans. Les élèves ne sortent de là qu'après avoir subi un examen. Les uns peuvent devenir immédiatement prêtres, mais ceux qui se destinent à la médecine ou à la jurisprudence sont obligés d'aller étudier à l'université de Copenhague (11). Il y a, en Islande, un médecin général nommé par le gouvernement, et cinq autres médecins placés dans les différens districts. Le médecin général est M. Thorsteinson, qui a fait long -temps pour M. Arago des,observations météorologiques. C'est un homme aussi distingué par la noblesse de son caractère que par la variété de ses connaissances. Il reçoit 1,800 francs par an; à charge de traiter gratuitement les malades pauvres. Les autres médecins reçoivent 900 francs, et doivent également prêter les secours à tous ceux qui le réclament.
 
Les jeunes Islandais qui entrent à l'université de Copenhague jouissent de plusieurs priviléges. Ils habitent une maison fondée par Christian VI; et s'ils subissent d'une manière satisfaisante leur premier examen, on leur donne tous les mois une gratification de 30 à 140 francs (12). Aussi le nombre des élèves augmente continuellement. Chaque année, l'université renvoie dans leur patrie quelques-uns de ses disciples; et, chaque année, une nouvelle colonie retourne à ''l'alma mater'', et s'instruit à ses leçons. C'est à ceux qui ont étudié à Copenhague que l'on réserve les fonctions de magistrat, les places de sysselmand, et les meilleurs presbytères. Tous reviennent comme ceux qu'on appelait autrefois les ''clercs de Paris'', avec le parfum de la science et les fleurs du voyage. Tous répandent dans leur pays de nouvelles idées. Ils ont échangé la casaque de vadmal contre l'habit européen, et les coutumes, encore grossières du boer contre les habitudes plus élégantes des grandes villes. Peu à peu leur exemple gagne ceux qui les entourent, et la civilisation s'insinue au cœur de la vieille Islande par le côté littéraire, par le côté poétique. Le christianisme a détruit les pratiques sauvages des farouches enfans d'Odin, et la civilisation achève d'éclairer leurs descendans et d'adoucir l'âpreté de leurs moeurs.
 
 
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<small> (1) ''Fornmanna soegur''. Copenhague, 1830. Il en a déjà paru 11 vol. in-8°. M. Rafn a aussi publié un recueil important sous le titre de ''Fornaldas soegur'', 3 vol. in-8°. </small><br />
<small>(2) C'est dans un de ces malheureux presbytères que Thorlakson traduisit en vers fidèles et élégans ''l'Essai sur l'homme'' de Pope, et ''le Paradis perdu'' de Milton. Dans un autre, nous avons trouvé un jeune prêtre qui avait vendu son mince patrimoine pour voyager, et qui, en s'imposant de longues privations, était parvenu à visiter successivement l'Allemagne, la France, l'Angleterre, l'Italie et la Grèce. Il connaissait toute notre littérature moderne, et nous citait avec bonheur les noms des écrivains dont il avait étudié les oeuvres et des professeurs dont il avait suivi les cours.. Il lisait la ''Revue des Deux Mondes'', et nous témoigna à plusieurs reprises le désir d'y faire insérer des articles sur la littérature islandaise. </small><br />
<small> (3) Je ne parle pas de l'école de Reykiavik, qui n'est fréquentée que par les enfans de la ville.</small><br />
<small> (4) Monnaie ancienne du pays.</small><br />
<small> (5) Je citerai, entre autres, la ''Sturlunga saga'', 4 vol. in-4°; les ''Annales d'Islande'', 3 vol. in-4°; les poésies de Groendal, 0lafssen, etc.</small><br />
<small>(6) 0n pourrait citer beaucoup d'autres exemples de cet amour des Islandais pour la lecture. Les sagas rimées de Vidoë sont toujours imprimées en très grand nombre, et la douzième édition du recueil de sermons de Vidalin s'est vendue, il n'y a pas long-temps, trois mille exemplaires. </small><br />
<small>(7) Voir la ''Revue des Deux Mondes'' du 15 septembre. </small><br />
<small>(8) 40 species (environ 240 francs) pour chacun. Le gouvernement danois paie pour vingt élèves. </small><br />
<small>(9) Il faut remarquer que le soulier islandais n'est autre chose qu'un carré de peau de phoque ou de peau de mouton reployé en deux, et soutenu sur le pied avec des courroies. Une jolie paire de souliers coûte 50 centimes. </small><br />
<small>(10) Le meilleur dictionnaire islandais que nous ayons est celui de Biorn, publié par Rink, 2 vol. in-4°. Copenhague, 1814. Il est encore très fautif et très incomplet. J'aurai occasion d'y revenir. </small><br />
<small>(11) Il y avait autrefois en Islande un usage assez curieux. Les élèves, en se présentant à l'université de Copenhague, devaient avoir un certificat du recteur de l'école latine de Hoolum ou de Skalholt, attestant leur capacité. Si, par suite de leur premier examen, ils n'étaient pas reçus, on mettait le recteur à l'amende. </small><br />
<small> (12) En 1759, Frédéric V ordonna que chaque année deux élèves de Hoolum et de Skalholt viendraient, aux frais de l'état, finir leur éducation dans une université de Danemark. Cette ordonnance n'est plus en vigueur.</small><br />
 
 
===IV – Les sagas===
 
 
Le mot saga vient de ''segia'' (dire), (1) il signifie récit, tradition, non pas la tradition écrite, mais verbale, ce qui se dit, ce qui se raconte; la causerie de la veillée, l'entretien d'un ami. Ainsi s'est faite d'abord la saga, ainsi s'est faite toute tradition nationale, sans effort et sans prétention littéraire. Le soir, au coin du feu, sous le chaume du laboureur, ou sous la tente du soldat, le vieillard répétait ce qu'il avait entendu dire à son père, et les jeunes gens recueillaient ses paroles avec attention pour les transmettre ensuite à leurs enfans; et le récit, simple et austère, passait de bouche en bouche aussi fidèlement que s'il eût été écrit par un moine patient sur un palimpseste, ou imprimé comme un livre classique par un Elzevir. Puis chaque génération en faisait une nouvelle édition, sans en rien perdre et sans y rien changer. Et vraiment, quand j'y songe, je ne sais ce qui mérite le plus de respect, d'une de ces oeuvres enthousiastes, écloses toutes bouillantes dans la pensée d'un homme de génie, ou d'une de ces oeuvres candides, issues du sein du peuple, et grandies avec le peuple, oeuvres de famille, oeuvres saintes, que la poésie couronne de ses fleurs les plus belles, et à qui les siècles donnent l'autorité de l'histoire.
 
Tous les peuples ont eu leur cycle particulier, leurs traditions nationales enfantées par une grande époque, et se groupant autour d'un grand nom. Ici est le ''romancero'', là le ''koempe-viser'', ailleurs la légende, la ballade, la chronique du religieux et l'épopée du trouvère; mais j'ose croire que, dans aucun pays, on ne trouverait une série d'histoires populaires, comparable aux sagas islandaises. Nulle part le génie conteur de la foule ne s'est montré aussi fécond; nulle part l'histoire, la poésie, n'ont été, comme ici, l'oeuvre des masses, l'œuvre de tous, et nulle part elles n'ont eu un aussi grand caractère de fixité et une vogue aussi prolongée. Aujourd'hui, le bourgeois de Lisieux aurait de la peine à comprendre le roman de Rou; l'étudiant anglais ne se trouve pas de prime-abord familiarisé avec le style et l'orthographe de Chaucer; et, pour les rendre accessibles à la foule, les savans allemands traduisent en langage moderne l'épopée des Niebelungen et le Parcival de Wolfram d'Eschenbach. Aujourd'hui, le plus pauvre paysan islandais lit, sans le secours d'aucun interprète, les livres de ses pères, et les transmet à ses enfans, qui les relisent avec le même charme. Un jour, à Reykiavik, la fille d'un pêcheur, qui avait coutume de venir, chaque semaine, nous apporter des oiseaux de mer et du poisson, entra dans ma chambre, et me trouva occupé à étudier la saga de Nial. « Ali ! je connais ce livre, me dit-elle, je l'ai lu plusieurs fois quand j'étais enfant. » Et, à l'instant, elle m'en indiqua les plus beaux passages. Je voudrais bien savoir où nous trouverions, en France, une fille de pêcheur connaissant la chronique de Saint-Denis.
 
On ne comprendrait pas l'importance des sagas, si on les regardait comme des oeuvres purement locales, restreintes entre la côte orientale et la côte occidentale de l'île, et ne racontant que les traditions des vallées de Breidabolstad ou de l'Hécla. Les sagas embrassent dans leur large cercle le Nord entier, langue et coutumes, histoire et religion. « Que saurions-nous, dit Rask, sur le développement intellectuel, l'organisation, l'état du Nord dans les temps anciens, sans le secours des sagas et des livres de lois? Partout où ces livres ne nous prêtent pas leur lumière, nous marchons dans les ténèbres. Et c'est ainsi que l'histoire de la réunion des diverses principautés du Danemarck sous le règne de Gorm, et beaucoup d'autres graves évènemens sont entourés, pour nous, d'une éternelle obscurité. Que saurions-nous sur la vie d'Odin, sur ses leçons et ses oeuvres, si nous n'avions l'Edda et les chants des Scaldes (2) ?»
 
Ce fut une colonie de Norwégiens qui peupla l'Islande : elle émigra avec ses moeurs, ses lois, ses croyances, et les transplanta sur le sol qu'elle allait occuper. Ingolfr, avant de partir, emportait, comme un autre Énée, ses dieux pénates sur son navire; et les guerriers qui le suivirent gardèrent leur lance de pirate, et leur bouclier revêtu d'images symboliques. Ces hommes, qui fuyaient le despotisme de Harald aux beaux cheveux, appartenaient aux familles nobles de la Norwége; ils joignaient l'orgueil aristocratique à leur orgueil de soldats. De peur qu'on ne l'oubliât, ils se faisaient raconter et ils racontaient eux-mêmes leur généalogie, leurs aventures, et les aventures de leurs proches et de leurs amis. Ainsi l'esprit scandinave revivait dans cet essaim fugitif, qui, pour garder son indépendance, n'avait pas craint de franchir une mer encore peu connue, et d'aborder sur une plage aride, dans une contrée sauvage. L'Islande s'assimila complètement à la Suède et au Danemarck. Ce furent les mêmes combats, les mêmes fêtes, les mêmes réunions de famille, le même caractère hardi et aventureux. Chaque année, les Islandais s'en allaient errer sur les côtes de la Norwége ou le long de la mer Baltique. Ils retournaient dans leur mère-patrie pour recueillir un héritage, visiter des parens, et, quelquefois venger une injure faite à leurs pères. Ils s'arrêtaient à Drontheim, à Copenhague, à Upsal, ravivaient,leurs souvenirs, et s'en revenaient avec de nouveaux récits. C'étaient des chroniqueurs intrépides, qui, au lieu de fouiller dans les bibliothèques, interrogeaient la mémoire des hommes, et, du bout de leur glaive, burinaient sur le roc des montagnes le nom qui les avait frappés, et le fait historique dont ils avaient été témoins. C'étaient, comme les Arabes nomades du désert, des hommes d'action et des poètes combattant des jours entiers à toute outrance, et se délassant du combat par le récit de leurs périls et de leurs exploits.
 
Souvent aussi le marchand norwégien débarquait en Islande, apportant avec lui les productions de la terre étrangère, et prenant en échange la laine et le poisson. Il arrivait ordinairement en automne, et ne partait qu'au printemps. On l'accueillait dans le boer islandais, et il devenait l'hôte, l'ami de la famille. L'hiver, à la veillée, il racontait ses aventures, ses voyages, quels lieux il avait parcourus, quelle tempête il avait essuyée, et la vie des rois de Norwége, et les batailles les plus célèbres (3). Puis il y avait des conteurs de sagas islandais qui voyageaient de contrée en contrée, s'arrêtant dans les salles du jarl (4), dans la tente des hommes de guerre, pour recueillir de nouvelles traditions, et redire celles qu'ils savaient. Ils n'étaient pas, à beaucoup près, aussi honorés que les scaldes, et ne jouissaient pas des mêmes priviléges. Cependant ils étaient toujours reçus avec empressement. La cour du jarl se rassemblait autour d'eux pour les entendre, et le jarl leur donnait l'anneau d'or ou le glaive ciselé. Plusieurs d'entre eux avaient amassé, dans leurs voyages, une quantité prodigieuse de faits et de chroniques. Torfaeus rapporte qu'un de ces historiens ambulans, nommé Thorstein, vint trouver le roi Harald de Norwége, et lui raconta une tradition qui dura trois jours. « Où as-tu donc appris cette histoire? demanda le roi. -Dans mon pays, répondit Thorstein; je vais chaque année à l'Althing, et je recueille les récits de notre célèbre Haldor. »
 
Quand ces conteurs de sagas avaient long-temps voyagé, ils tournaient les regards vers leur pauvre terre d'Islande, et ne pensaient plus qu'à revenir, avec leur savoir et leur expérience, se reposer sur le seuil paternel. Ni l'aspect d'une contrée plus riante, ni les liaisons formées en d'autres lieux, ni les offres des jarl, ne pouvaient leur faire oublier le rivage d'où ils étaient partis et l'humble enclos de gazon où s'élevait la fumée de leur toit. Tout ce peuple d'Islande, retiré dans ses champs de lave, et vivant, la plupart du temps, ignoré dans sa solitude, avait soif de nouvelles. Il se pressait autour des voyageurs, et écoutait avec ravissement le récit de leurs excursions lointaines. C'était, pour ces hommes naïfs et avides d'émotions, un heureux moment que celui où ils pouvaient ainsi se grouper autour d'un des leurs, le questionner et le suivre par la pensée dans les pays qu'il venait de parcourir. C'était là leur poème, c'était l'Odyssée de ces enfans d'une autre Ithaque.
 
Les Islandais avaient une telle passion pour ces contes de voyageurs, que, lorsqu'un bâtiment abordait dans leur île, ,ils allaient en toute hâte s'enquérir du pays qu'il avait quitté et des dernières nouvelles de Norwége et de Danemarck. L'un d'eux, qui était renommé pour sa richesse et son influence, obligeait tous les étrangers à aller d'abord lui raconter ce qu'ils savaient, et se mettait sérieusement en colère contre ceux qui refusaient de venir lui apporter leur bulletin de voyage. Un jour, le peuple était réuni à l'Althing : une affaire grave venait d'être mise en discussion. Deux partis opposés plaidaient l'un contre l'autre avec violence, et rien ne faisait espérer qu'ils dussent trouver bientôt un moyen de conciliation, quand tout à coup, au milieu de leur effervescence, on annonce que l'évêque Magnussen arrive de Norwége; et à l'instant voilà ce peuple islandais, qui, pareil au peuple athénien, oublie l'affaire qui l'occupait, et court demander à l'évêque le récit de son voyage.
 
Ainsi les traditions de la Suède, du Danemarck et de la Norwége, venaient chaque année se fixer en Islande; ainsi la saga attirait à elle les chants du poète, les souvenirs du voyageur; ainsi le nom des jarl, des princes étrangers, revivait dans la demeure du paysan; et cette pauvre île d'Islande, si obscure et si faible, amassait dans son sein tous les trésors de science auxquels nous devions un jour puiser. Les peuples du Nord se modifiaient par leur contact avec les autres peuples, et l'Islande conservait son caractère primitif. Le christianisme brisait avec sa croix de fer l'idole scandinave, l'autel d'Odin, et l'Islande gardait encore le dépôt de traditions qui lui avait été confié; Saemund chantait Balder et Freya auprès de la chapelle chrétienne, et les vieilles moeurs et le vieux paganisme du Nord se reflétaient dans les sagas.
 
C'est donc à ces sagas qu'il faut avoir recours pour connaître l'histoire primitive de ces tribus de pirates, qui, au moyen-âge, envahirent l'Europe entière; l'histoire des Angles (5) et des Normands, l'histoire des compagnons de Rurik, qui s'en alla, au IXe siècle, fonder un royaume en Russie, et de Robert Guiscard, qui asservit à son pouvoir la moitié de l'Italie. Ce sont là les documens essentiels dont les antiquaires suédois et danois se sont servis, et quiconque voudra écrire sur l'histoire ancienne du Nord sans étudier les sagas court grand risque de ne faire qu'une oeuvre fautive et incomplète.
 
Il existe un grand nombre de sagas. Torfœus en compte cent quatre-vingt-sept; Muller en a analysé cent cinquante-six. On les a classées tantôt par ordre alphabétique, tantôt d'après les diverses époques où l'on présumait qu'elles avaient été écrites, tantôt d'après la position géographique des lieux qu'elles signalent. La plupart ont tout-à-fait le caractère héroïque, et, sous ce rapport, peuvent être mises à côté des ballades anglaises, des chants de guerre suédois et danois, du Heldenbuch et du poème anglo-saxon de Beowulf. Les personnages qui y figurent ne sont, il est vrai, ni des chevaliers galans, comme ceux de Boiardo et de l'Arioste, ni des pourfendeurs d'hommes, comme les douze pairs de France, ni des êtres entourés de mysticisme et de féerie, comme les frères d'armes de la Table-Ronde. On n'entend parler dans ces sagas ni de tournois, ni d'écharpes brodées; on n'y voit point de balcon de marbre et point de châtelaine pleurant dans sa tourelle. Les hommes, quand ils sont ensemble, ne s'occupent guère d'amour, et les femmes ne songent pas à leur donner une devise. Ce sont de rudes peintures et de rudes caractères. L'Islandais quitte sa demeure au commencement du printemps. Il s'embarque sur un frêle bateau, avec tous ceux qui veulent le suivre, et s'élance sur les flots au hasard. S'il trouve le long de sa route un bâtiment étranger, il le harponne comme une baleine et l'attire à lui; le combat s'engage, les dards acérés pleuvent de part et d'autre, le glaive brille, chefs et soldats se prennent corps à corps, et les boucliers de fer se brisent, et le sang inonde le navire. Le plus fort emporte les dépouilles de son adversaire, et célèbre son triomphe avec des chants enthousiastes et des libations bachiques. Si deux guerriers se rencontrent et s'attaquent sans pouvoir se vaincre, après avoir combattu tout le jour, ils jettent bas les armes, se tendent la main, et se jurent fidélité. Puis ils passent sur le même navire et s'en vont chercher ensemble des aventures. S'ils arrivent sur la côte, ils amarrent leur bateau à une pointe de rocher, descendent à terre, pillent, brûlent, massacrent, et s'en reviennent joyeusement avec tout ce qu'ils ont amassé. Ce sont des pirates, mais des pirates plus avides de combats que de pillage, plus fiers des blessures qu'ils ont faites que des trésors qu'ils ont conquis. Dans tous leurs chants, ils célèbrent la guerre, ils idéalisent le courage et la force physique. La saga les représente avec huit mains (6), comme les dieux de l'Inde, et frappant à la fois huit coups d'épée. Ils sont si grands et si robustes, qu'un cheval ne saurait les porter, et ils ont presque tous un bouclier magique fabriqué par les nains, et une épée qui coupe ''l'acier comme de la toile'' (7). Quand ils ont mené pendant de longues années cette vie d'aventures, ils rentrent chez eux, et gouvernent paisiblement leur ferme. Leur souvenir reste, leurs exploits retentissent de toutes parts, et l'islandais qui vient à l'Althing dit à ses voisins : « Montrez-moi donc cet homme dont le nom est si célèbre dans les sagas (8). » Après eux, leurs fils aspirent aux mêmes périls et ambitionnent la même gloire. Dès qu'ils sont parvenus à se procurer un bateau et quelques hommes, ils s'élancent loin du rivage, et malheur à qui tenterait d'arrêter ces faucons d'Islande dans leur vol! malheur à qui leur disputerait la domination du glaive et la royauté de la mer! Ils aiment le combat, le cliquetis du glaive, l'odeur du sang. L'éducation qu'ils ont reçue leur a appris à se laisser tuer plutôt que de fuir devant un ennemi, et la religion scandinave leur rend la mort belle. Après une longue lutte, Asmundr est parvenu à dompter Egil. Il le jette par terre, et le tient d'une main robuste sous son genou.- Je ne puis te tuer, dit-il, car je n'ai pas mon épée; veux-tu me promettre de m'attendre; et j'irai la chercher. - Je te le promets, dit Egil. Asmundr court chercher son épée, et retrouve son adversaire étendu par terre, et attendant paisiblement la mort (9). Quand ils sont tombés glorieusement sur le champ de bataille, on les enterre avec leurs armes, et ils vont rejoindre Odin dans le Valhalla. Quelquefois même ils revivent, comme le Cid, dans leur tombeau. Un soir un paysan passait auprès de la grotte où était enseveli Gunnar; il entendit un bruit confus et aperçut des étincelles de lumière entre les rochers qui recouvraient le corps du héros. Il s'en alla chercher les fils de Gunnar, et le soir ils revinrent tous ensemble. La lune projetait une lueur pâle sur la vallée, mais quatre flambeaux brillaient dans la tombe, et le vieux guerrier, couché sur son armure, chantait son chant de mort (10).
 
Souvent les Islandais n'entreprenaient un de leurs longs voyages que pour se mesurer avec un guerrier célèbre, souvent aussi pour se venger d'une injure. La vengeance était pour eux une chose tellement sacrée, qu'ils croyaient que le ciel lui-même pouvait au besoin l'illustrer par un miracle. Un pauvre aveugle de naissance, Amundr, s'en vient à l'Althing demander à Litingr satisfaction de la mort de son père. Litingr la lui refuse. - Si je n'étais pas aveugle, s'écrie Amundr, je saurais bien me venger. Il rentre dans sa tente, et tout à coup ses yeux s'ouvrent à la lumière. - Que Dieu soit loué! dit-il, je vois ce qu'il veut de moi; et il saisit une hache, se précipite sur son ennemi et le tue. Un instant après ses yeux se ferment de nouveau, et il reste aveugle (11).
 
Les femmes ont le même caractère hardi et opiniâtre. Souvent ce sont elles qui encouragent leurs frères au combat; et si l'appui des hommes leur manque, elles saisissent le glaive pendu à la muraille et cachent leur vêtement de femme sous la cuirasse, et leurs longs cheveux sous le casque d'acier. La ''Hervarar saga'' raconte l'histoire d'une jeune fille qui, pour venger son père, s'en alla, comme un des héros du Koempeviser, frapper à la porte de son tombeau, et lui demander sa redoutable épée. Puis, quand son père s'est levé dans le cercueil, et lui a donné l'arme qu'il gardait à ses côtés, elle brave courageusement ses ennemis, combat et rentre chez elle victorieuse. Une autre histoire, non moins singulière, est celle de Thornbioerg. C'est la fille d'un roi de Suède qui repousse les habitudes paisibles de son sexe, se revêt d'une armure, monte à cheval et s'élance dans les combats. Son père lui confie le gouvernement d'une province, elle quitte son nom de jeune fille pour prendre un nom d'homme, et, comme une autre Marie-Thérèse ses sujets la saluent du nom de roi. Plusieurs guerriers illustres, plusieurs princes, viennent la demander en mariage, et comme la Brunhilde des Niebelungen, elle lutte contre eux, les dompte, et les fait tuer ou mutiler. Il s'en trouve un enfin qui, après une guerre violente, parvient à se rendre maître d'elle. Alors elle retourne auprès de son père, et déposant devant lui son casque et ses armes : « Je vous rends, dit-elle, le pouvoir que vous m'aviez confié; je renonce à la gloire que je voulais acquérir, et je redeviens femme. »
 
A travers ces tableaux d'une vie aventureuse, ces scènes sanglantes, on trouve cependant de temps à autre quelques idées tendres et gracieuses, quelques pages empreintes dune douce mélancolie. Telles sont celles qui racontent la mort de Hialmar. Il tombe sur le champ de bataille comme un héros, sans regretter la vie, sans exhaler un soupir; mais tirant un anneau de son doigt, il le donne à Oddr, à celui qui l'a accompagné fidèlement dans tous ses voyages, et le prie de le porter à sa bien-aimée. Oddr part aussitôt pour remplir sa mission, entre dans la salle où est Jngeborg et lui remet l'anneau de son fiancé. La malheureuse jeune fille le regarde, ne prononce pas un mot, et tombe morte.
 
Une chose curieuse à observer encore dans les sagas, c'est le caractère superstitieux dont elles sont empreintes. Les Islandais croient aux pressentimens, aux apparitions, aux rêves. Ils rencontrent souvent des fées et des trolles. Ils ont grande confiance dans l'adresse des nains, et redoutent la force des géans (12). Il y a dans cette croyance un souvenir de leur cosmogonie. Ils se rappelaient que leur terre avait été formée avec les membres d'un géant, et que, dès le jour de la création, les nains habitaient dans le flanc des montagnes. Ils croient aussi aux prédictions et à la magie. Dans la Foereyinga saga , Thrandr, pour reconnaître les meurtriers de Sigmund et de ses deux compagnons, allume un grand feu et fait apparaître successivement les cadavres des trois victimes. Dans une autre saga, une femme change en ours l'homme qui n'a pas voulu répondre à son amour; des nains fabriquent un arc merveilleux, et une fée donne à Oddr une armure avec laquelle il est à l'abri du fer, du feu, de l'eau.
 
Du reste, les moeurs décrites dans ces vieilles traditions ne présentent qu'un tableau grossier et quelquefois hideux. Souvent la maison du pirate islandais est souillée par l'adultère et par l'inceste. L'étranger qui y est reçu et qui y reste quelques mois séduit la fille de son hôte, et le père ne montre ni colère ni surprise. Les hommes de guerre passent à boire tout le temps qu'ils ne passent pas à combattre; ils se portent des défis avec la large corne pleine de bière ou d'hydromel, et chantent leurs exploits jusqu'à ce que l'ivresse les endorme. Les lois du Thing permettent le meurtre et l'incendie moyennant une certaine amende. Les princes entretiennent à leur cour des hommes qui portent le nom de ''berserkir'', et dont ils se servent pour vider leurs querelles et assouvir leurs vengeances. Ces berserkir sont de vrais bravi audacieux et terribles, aussi habiles à manier le poignard qu'à lancer le javelot, et se jouant de la vie des autres et de leur propre vie. Le guerrier islandais, fier de son indépendance, n'a pour ces seïdes de prince que de la haine et du mépris; partout où il les rencontre, il les attaque et les poursuit à toute outrance. Une saga raconte que, dans un de ces combats des berserkir contre les Islandais, la terre, ébranlée par leurs coups d'épée, tremblait comme si elle eût été suspendue à un fil.
 
Quelques sagas, telles que le ''Kristni, l’Eyrbyggia'', la ''Hungurvaka'', la ''Nial'', la Sturlunga saga'', peuvent être regardées comme des documens authentiques. La Sturlunga saga est une histoire toute nationale, l'histoire de cette fière aristocratie qui étendit son sceptre sur l’île entière, l'histoire de ces trois puissantes familles des Sturles que l'ambition divisa, qui désolèrent le pays par leurs longues guerres, et anéantirent eux-mêmes leur pouvoir. C'est une tradition véritable, racontée sans prétention, dépeignant bien le pays, les personnages, l'époque, et représentant d'un côté le règne de l'oligarchie islandaise, de l'autre la fin de la république, la réunion de l'Islande à la Norwége. La Nial saga est la plus curieuse de toutes, sous le rapport des moeurs, des caractères, des évènemens qui y sont racontés, et de la législation.
 
Quelques autres sagas sont des récits tout poétiques, assez vrais encore, et colorés avec art, revêtus d'images riantes, entremêlés de détails romanesques. Je citerai par exemple la ''Kormak, l'Egil'', la ''Gunnlaugi'' et la ''Frithiofs saga'', qui a fourni à Tegner (13) le sujet d'un charmant poème.
 
Enfin, il est d'autres sagas qui joignent à un caractère évident d'authenticité des noms controuvés et des faits imaginaires ou exagérés. Elles furent écrites par quelques hommes qui aspiraient à composer une oeuvre à effet plutôt qu'une oeuvre vraiment louable et digne de foi. Et cependant ne les blâmons pas trop : les pauvres conteurs de sagas n'avaient souvent pour toute récompense que l'émotion produite par leur récit et le sourire approbateur de ceux qui les écoutaient. Pour ébranler leur auditoire, ils ne citaient que les faits les plus dramatiques, et ajoutaient à la gloire du héros et au résultat sanglant des combats. Pauvre naïve ambition! Ces historiens voyageurs, assis à la table du jarl, quand toute une famille réunie autour d'eux les suivait avec attention, quand un vieux guerrier applaudissait à leurs paroles, ils se croyaient peut-être de grands hommes; et pas un antiquaire n'a pu encore nous révéler leur nom.
 
Vers le XVe siècle, il se fit en Islande une espèce de révolution littéraire. "Les écrivains abandonnèrent l'idée nationale qui les avait guidés jusque-là et se mirent à traduire les romans de chevalerie étrangers. On transporta dans le boer, on récita à la veillée les aventures de Charlemagne et celles des chevaliers de la Table-Ronde, la chronique merveilleuse de Fortunatus et celle de l'empereur Octavien. L'auditoire islandais accueillit avec empressement ces nouveaux contes, et ceux qui s'étaient émus au récit des grandes batailles de Gunnar ou des souffrances d'Ingeborg, écoutèrent avec la même émotion l'histoire du valeureux Roland et celle de la belle Yseult. Il résulta de cette branche de littérature exotique une nouvelle espèce de sagas, une suite de contes singuliers, où quelques noms de héros islandais, quelques faits réels, disparurent dans un amas de noms étrangers et de faits imaginaires. Ici le héros s'appelle Marsebille, Azius ou Estroval : il est tendre et galant; il ne se bat plus avec la hache sur mer, comme dans le temps ancien; il joûte contre les chevaliers. Les évènemens se passent encore en Islande; mais souvent aussi l'auteur transporte ses personnages dans l'Inde, dans la Tartarie et dans toutes ces contrées fabuleuses où s'égara l'imagination féconde des romanciers du moyen-âge. Ces oeuvres d'imitation n'ont, comme on peut le croire, aucune valeur historique, mais elles font époque dans la littérature islandaise, et sous ce rapport méritent au moins d'être notées. Revenons aux vraies sagas.
 
Le style de ces vieilles traditions est simple, dénué d'ornemens, souvent fort uniforme, mais ferme et abondant. L'auteur ignore l'art de séduire son auditoire par des préliminaires attrayans et des tours de phrases ingénieux ; il dit ce qu'il sait, et comme il le sait ; il commence ses histoires comme nous commençons nos contes : Il y avait, etc. Puis le voilà parti, et il va, sans changer d'allure, de bataille en bataille et d'évènement en évènement. Souvent il se croit obligé de retracer toute la généalogie de ses héros, et il la mène aussi loin que possible. Souvent encore il fait marcher de front l'histoire de cinq à six personnages différens; et quand il en a assez de l'un d'eux, il dit tout simplement : ''celui-ci est désormais hors de la saga''; et dès ce moment le lecteur n'en entend plus parler. Il aime la forme du dialogue, et il l'emploie avec habileté, quoiqu'il ne s'applique pas à la rendre aussi vive, aussi dramatique qu'elle pourrait l'être. Du reste, il a un admirable sang-froid et une merveilleuse modestie d'historien. Il raconte sans s'émouvoir et sans se permettre une digression. Les actions héroïques s'enchaînent l'une à l'autre; les faits les plus étranges se succèdent, et il continue tranquillement son récit. Il parle des apparitions de fées, des nains qui fabriquent des armures, des géans plus hauts que les montagnes, comme il parle des voyages les plus ordinaires et des réunions annuelles de l'Althing. C'est le récit de famille dans toute sa candeur, l'histoire dans toute sa nudité. Cependant il dépeint avec un soin minutieux les personnages qu'il met en scène. On les reconnaîtrait à leur regard, à leur démarche; il trouve parfois sans les chercher de magnifiques comparaisons et des images grandioses; le calme avec lequel il raconte ses scènes de tragédie leur donne un caractère plus solennel, et la simplicité de ses paroles fait ressortir davantage encore les actions d'éclat dont il rappelle le souvenir. Ce sont de belles pages d'histoire encadrées dans un conte d'enfant. Ce sont de grands tableaux qui se détachent majestueusement sur un fond sans relief, dans une large salle à demi éclairée.
 
Müller fait remonter jusqu'au XIIe siècle les premières sagas. D'autres datent du XIIIe, beaucoup du XIVe, et quelques-unes du XVIIe siècle. Les plus anciennes renferment des chants de scaldes qui s'étaient perpétués par la tradition dès le IXe siècle. Snorro Sturleson s'est lui-même servi de ces chants. L'Ynglinga saga a été faite d'après un poème en trente strophes, composé par Thiodolfr pour le roi Harald. On retrouve des traces évidentes des scaldes dans la ''Knytlinga, d'Orkneyinga, la Kormaks saga'', et quelquefois ces fragmens, empruntés aux poètes primitifs de l'Islande, servent à déterminer une date ou un fait. Autrefois on peignait les sagas sur les murailles des maisons, on les brodait sur les tapisseries, on les gravait sur le bois et sur l'acier. Les Islandais portaient, comme les Grecs sur leur armure, le souvenir de leur gloire nationale et de leurs héros. Le jarl Hakon donna à Einar un bouclier sur lequel étaient tracés des passages de sagas, et entre les différentes lignes écrites il y avait des lames d'or et des pierres précieuses (14). Olaf le saint conduisit un jour le scalde Thorfin dans une chambre richement décorée, et lui dit de chanter les diverses scènes représentées sur la tapisserie. Thorfin jeta les yeux autour de lui, et reconnut l'histoire de Sigurd. Il improvisa sur le héros une strophe qui nous a été conservée. Une autre tradition rapporte que, vers la fin du Xe siècle, un riche Islandais, nommé Paa, fit peindre plusieurs sagas sur les murailles de sa salle à manger. Les Islandais avaient anciennement pour les ouvrages de patience la même aptitude qui les distingue encore aujourd'hui. Ils se plaisaient à orner leurs meubles de sculptures. Ils gravaient sur le pommeau de leur glaive, sur le cimier de leur casque, sur la proue de leur bateau, l'image d'un de leurs guerriers, le nom d'une de leurs grandes batailles. Ainsi, leur histoire se représentait à eux à tout instant et sous toutes les formes. Ils la perpétuaient par le burin et par la parole. Mais tandis qu'ils s'attachaient à conserver leurs souvenirs nationaux, les autres peuples du Nord oubliaient qu'une même origine devait leur faire aimer les mêmes monumens, et les sagas, recueillies en Islande avec tant de soin, demeurèrent long-temps ignorées ou méconnues dans les autres états de la vieille Scandinavie. L'école savante des XVIe et XVIIe siècles, que l'on pourrait appeler l'école grecque et latine, tenait plus à quelques lignes de Démosthènes, à une page de Cicéron, qu'à des volumes entiers écrits en langue moderne.
 
Le premier qui, révéla toute l'importance des anciens monumens littéraires du Nord, c'est Ole Worm, l'auteur du livre sur les runes; puis vint Torfesen (15) avec son histoire de Danemarck et de Norwége, et Bartholin, et Suhm, et dans les derniers temps Geyer, l'historien de la Suède. Mais il est un homme qui s'est acquis des droits éternels à la reconnaissance des Islandais par le zèle avec lequel il a réveillé leurs souvenirs historiques, et propagé leurs poésies et leurs sagas. Cet homme est Magnussen, Islandais de naissance, aimant l'Islande pour elle-même, pour sa science et ses monumens. Après avoir occupé une chaire de professeur à Copenhague, il revint dans son pays, et passa dix ans à recueillir tous les manuscrits inédits disséminés chez les prêtres et les paysans. A sa mort, il fit don de sa bibliothèque à l'université, et lui légua en même temps une somme considérable pour aider à la publication de ses manuscrits, et payer l'entretien de deux étudians islandais qui se consacreraient à l'étude des antiquités du Nord. En 1772, une commission royale fut organisée pour procéder au dépouillement et à la publication des manuscrits de Magnussen, et c'est de là que nous viennent ces belles éditions de sagas avec la traduction latine. Depuis cette époque, la Société des antiquaires du Nord, composée en grande partie de savans danois, a rendu d'immenses services aux lettres par ses travaux sur l'ancienne littérature. Nous citerons, entre autres, ceux de Nyerup, de Grundtvig, de Rafn, de Finn Magnussen, les travaux philologiques de Rask, et ceux de l'évêque Müller qui a publié sur les sagas un livre excellent (16), auquel il faudra avoir recours chaque fois qu'on voudra étudier cette longue série de traditions islandaises.
 
Dans un des prochains numéros de la ''Revue'', nous donnerons l'analyse de deux sagas, celle de Nial, et celle de Gunnlaugi, l'une appartenant au cycle historique, l'autre au cycle romanesque.
 
 
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<small> (1) Ce mot se retrouve dans toutes les langues germaniques : allemand, ''sagen''; danois, ''sige''; suédois, ''saga''; hollandais, ''zeggen''; anglo-saxon, ''soeggan'' et ''seegan''; anglais, ''say''. Les Allemands emploient le mot ''sage'' dans le même sens que les Islandais. Les frères Grimm l'ont illustré par leurs ''Deutsche sagen''.</small><br />
<small> (2) Veiledning til det islandske Sprog, p. x.</small><br />
<small>(3) On sait qu'il existe encore plusieurs analogies frappantes entre les anciennes coutumes du Nord et certaines coutumes de Normandie. Dans cette province, conquise par Rollon, c'était aussi l'usage autrefois de payer par un chant ou un récit l'hospitalité qu'on recevait. </small><br />
<small> Usaiges est en Normandie</small><br />
<small > Que qui hébergié est, qu'il die </small><br />
<small> Fable ou chanson lie a son hoste.</small><br />
<small> (Li dits du soucretain.)</small><br />
<small> (4) Chef de tribu, petit prince. Anglo-saxon, ''eorl''; anglais, ''earl''.</small><br />
<small> (5) La chronique de Danemarck, dit Saxo le grammairien, commence avec l'histoire des fils de Humble, Dan et Angel. C'est de cet Angel que vient le nom du peuple anglais. (Histoire de Danemarck, ch. I.)</small><br />
<small> Les Angles faisaient partie de la confédération saxonne; ils habitaient le district d'Angle (aujourd'hui duché de Sleswick). Hengist et Horsa, qui abordèrent en Angleterre vers l'an 449, étaient des Jutes, mais la plus grande partie des hommes de guerre qui les suivaient étaient des Angles. De là vint le nom ''d'Engla-land'', d'où l'on a fait par contraction ''England'' (Angleterre) (''Turner, History of the Anglo-Saxons''.)</small><br />
<small> (6) Hervarar saga. </small><br />
<small> (7) Hervarar saga.</small><br />
<small>(8) Gisle Sursen saga. </small><br />
<small>(9) Sagan af Eigli innhenda ok Asmundi. </small><br />
<small> (10) Nial saga.</small><br />
<small> (11) Nial sain.</small><br />
<small> (12) « Il y avait autrefois, selon l'opinion du peuple, dit Saxo le grammairien, trois espèces de ''trolles'', qui, au moyen de la magie, produisaient toutes sortes de choses étranges. Les premiers étaient une sorte de monstres difformes que, dans l'antiquité, on appelait géans, et qui étaient beaucoup plus grands et plus forts que le peuple de nos jours. Les autres étaient bien au-dessous des géans pour la vigueur et la force; mais ils les surpassaient de beaucoup pour l'intelligence. Ils connaissaient les secrets de la nature, et pourraient prophétiser l'avenir. Après de longs combats, ces maîtres-sorçiers finirent par vaincre les géans, et non-seulement ils étendirent leur domination sur tout le pays, mais ils devinrent dieux. Les troisièmes étaient un mélange des deux premières races, mais ils ne pouvaient se comparer ni aux géans pour la puissance physique, ni aux seconds pour la science magique. » (''Histoire de Danemarck'', liv. I.)</small><br />
<small>(13) Tegner, évêque de Wexico en Suède, né dans la province de Wermland en 1782, auteur de plusieurs poèmes qui tous ont eu un grand succès. - Voyez la ''Revue des Deux Monde''s, tome 1er, seconde série. </small><br />
<small> (14) ''Hon van srkifadr forn-sœgum. Enn allt milli skriptann voru lagdar ifir speingur af gulli ok settr steinum. Egils saga'', p. 698.</small><br />
<small> (15) Tous ces écrivains sont plus connus sous leur nom latinisé: Olaus Vormius, Torfœus, etc. Il en est de même de Magnussen, que l'on nomme presque toujours Arnas Magnœus.</small><br />
<small>(16) ''Saga bibliothek med Anmerkninger og indledende afhandlinger, vol. in-8°, Copenhague. </small><br />
 
===V – Langue et littérature===
 
Les écrivains du nord, qui ont cherché à remonter aussi haut que possible dans les traditions primitives de leur pays, divisent en deux grandes familles la race gotho-caucasienne dont ils font provenir tant de peuples. La première se répand dans la Perse, la Chaldée, l'Inde, l'Egypte, et s'avance jusqu'au Thibet. Elle adore le soleil, elle se baigne dans le Gange, elle bâtit les pyramides. C'est la fille aînée de Sem, celle à qui sont échus en partage les rives fécondes du Nil et les jardins poétiques de Sacountala. Nous recourons à elle comme à notre soeur aînée. Son sphynx a des oracles que nous voudrions connaître. Ses védas renferment des trésors de sagesse que nous ne nous lassons pas de fouiller, et quand, à travers les siècles, son langage mystérieux nous arrive, ou par une inscription symbolique, ou par le chant du poète, notre esprit devient attentif, comme si elle allait nous révéler tous les secrets du passé et toutes les lois de l'avenir.
 
La seconde famille s'avance sur le littoral de la mer Noire, le long de la mer Caspienne. Elle touche d'un côté à la Sibérie, de l'autre au Ponte Euxin, et c'est là que les Scandinaves plaçaient leur Asgaard, la demeure de leurs dieux. Comme un fleuve qui déborde, elle s'étend au nord et au midi, et de trois côtés différens inonde toute l'Europe. La race gothique peuple les forêts de la Scandinavie; elle occupe le Danemark, la Suède, la Norwége, et lui donne une même religion et une même langue. La seconde race s'en va, avec des armures de fer, là où l'Elbe, aujourd'hui, murmure tristement dans ces plaines de Dresde traversées par tant de batailles; là où le Rhin bondit au pied du Drachenfels, et de sa vague azurée caresse la blanche tourelle et les coteaux de Rudesheim, chantés par les Minnesoenger. Elle est ardente et énergique, jalouse de son indépendance, fière de sa force et de son courage. Ses jours de fête sont des batailles, et ses premiers poètes sont des soldats. Elle envahit successivement la Saxe, la Souabe, l'Helvétie, et une partie de la Gaule. Laissez-la venir. Bientôt elle sera aux portes de Rome et fera reculer les conquérans du monde devant elle.
 
Mais par les montagnes de la Thrace, par la Macédoine et l'Illyrie, par les champs phrygiens, par les plaines d'oliviers de la Grèce, voici venir la troisième race. Celle-ci est jeune et riante; elle se couronne de fleurs et se crée des mythes d'amour. Avec sa fraîche et charmante imagination, elle s'en va semant sur ses pas la fable ingénieuse, faisant de sa religion un poème, et de ce poème un chant de joie. Cette montagne, qui s'élève devant elle, c'est l'Olympe, cette autre le Parnasse, et cette mer qui soupire sur le rivage est celle qui a enfanté la déesse de la beauté. Tout ce qui lui vient des autres peuples s'épure et s'embellit en passant par ses lèvres poétiques ou par ses mains d'artiste. C'était un édifice informe, c'est maintenant le temple de Diane; c'était une grossière statue d'Isis, c'est la Vénus de Praxitèle; c'était le récit mystérieux de quelque prêtre égyptien, c'est devenu un chant d'Homère, une scène de Sophocle, une ode d'Anacréon.
 
Et maintenant, à prendre l'une après l'autre ces trois races, qui croirait qu'elles ont eu un même berceau, qu'elles proviennent de la même souche ? Ni leurs moeurs, ni leur caractère, ni leur histoire ne se ressemblent; mais il existe entre elles un lien continu que le temps a rendu peu à peu moins apparent, sans qu'il se soit jamais brisé. Il y a encore, entre le Nord et l'Orient, un signe de parenté qui s'est maintenu à travers les siècles et les révolutions; ce signe, c'est la langue, la langue islandaise, la vieille langue scandinave, dont il est facile de reconnaître l'identité avec les dialectes germaniques et les dialectes grecs. Ainsi, en remontant par l'anglais et le hollandais, par le danois et le suédois, jusqu'à l'anglo-saxon, au vieil allemand, à l'islandais, et de là jusqu'au mésogothique, on arriverait à démontrer très bien de quelle racine tous ces rameaux sont sortis et comment ils ont divergé. On pourrait faire la carte géographique de toutes ces langues, les suivre comme autant de fleuves dans leurs sinuosités, dans leurs conquêtes, et, à l'aide de ces études philologiques, constater la migration des peuples, mieux qu'on n'a jamais pu le faire par d'autres rapprochemens. « Car, comme le dit Rask, les lois, les moeurs, la religion changent; la langue reste, et, pour apprendre à connaître l'origine d'un peuple, pour pénétrer dans un passé obscur où la tradition certaine nous manque, où l'histoire est souvent interrompue, il n'est pas de guide plus sûr que les langues (1).»
 
Il n'y avait autrefois, dans la Scandinavie, qu'une seule langue, et elle s'étendait même à quelques parties de l'Angleterre. Plusieurs livres authentiques en font foi (2). On l'appelait : langue danoise (''dœnsh tungu''), car alors le Danemark était le plus célèbre et le plus puissant des trois royaumes. Plus tard, quand il commença à perdre son influence, ou quand il s'écarta du dialecte primitif, la langue danoise s'appela langue du nord (''norroena'' (3) '' tungu'' ou ''norrœnt mal''), et enfin, au XIIe siècle, langue islandaise, car le danois, le suédois, avaient pris une autre direction, et la langue-mère, la vraie langue, se trouvait retranchée en Islande. Elle avait été transplantée dans cette nouvelle terre par une colonie de familles nobles qui la parlaient avec une sorte d'élégance, et qui craignaient de l'altérer. C'est ainsi qu'elle rejeta tout alliage étranger, toute locution nouvelle. C'était en Norwége la langue de tout le monde, ce fut en Islande une langue choisie et épurée. Qu'on se figure maintenant, sous le règne du petit-fils de Charlemagne, les premières familles de la Gaule, les premiers soldats qui prêtèrent, en langue romane, le serment que nous connaissons, jetés tout à coup sur une île ignorée au milieu de l'Océan, échappant à toute influence extérieure, et conservant avec un soin religieux les souvenirs traditionnels que leur ont transmis leurs pères, et la langue qu'ils ont appris à balbutier. Pendant ce temps, tout change dans le pays qu'ils ont quitté, notre histoire se renouvelle, notre langue se transforme. Celle de Corneille remplace celle de Villon, celle de Balzac ne ressemble pas à celle de Rousseau. Un jour nous abordons sur cette île habitée par des hommes issus de la même race que nous, et ils nous parlent une langue que nous n'entendons plus, et ils lisent des livres que nous ne pouvons comprendre. C'est la langue primitive de nos pères, ce sont les livres écrits il y a neuf siècles. Or, voilà précisément le phénomène philologique qui est arrivé en Islande, à l'égard du Danemark, avec cette différence que la langue romane, autant que nous pouvons en juger d'après le serment de Strasbourg, n'était encore qu'un idiome grossier et informe, tandis que la langue islandaise, à l'époque où elle traversa les mers avec la colonie norvégienne, est énergique, souple, et richement développée. En l'étudiant aujourd'hui, avec les idées de philologie progressive que le temps nous a enseignées, on est étonné de ses combinaisons grammaticales, de son allure franche et hardie, de son habileté à rendre les nuances les plus délicates de la pensée, et de son accentuation à la fois douce et sonore. Elle n'a ni les syllabes dures des langues germaniques, ni le sifflement perpétuel de l'anglais. Sa construction est simple, assez semblable à la nôtre, et cependant plus libre. Elle a, comme l'allemand, une admirable aptitude à créer de nouveaux mots; elle a, comme le grec, les trois genres, comme le danois ''l'article déterminé'' qui se place à la fin des substantifs, comme le latin la déclinaison des noms propres. Et, cependant, elle est restée telle qu'elle était. Seulement on vous dira que, sur les côtes de l’île, dans les ports fréquentés par les bâtimens étrangers, le peuple a modifié légèrement sa prononciation et mêlé quelques expressions danoises à l'élément islandais; mais, dans l'intérieur du pays, elle s'est conservée pure et intacte, on la parle comme on la parlait au temps d'Ingolfr, le premier colon, et, dans toute l'étendue de l'île, il n'est pas un paysan illettré, pas un pâtre ignorant, qui ne comprenne parfaitement les livres islandais les plus anciens. L'étude de cette langue est d'une haute importance, non-seulement pour les oeuvres qu'elle renferme, mais par le large espace qu'elle nous ouvre au nord. Elle jette un rayon lumineux sur toute la philologie scandinave, elle touche au méso-gothique, elle nous rapproche de l'Asie. J'ai constaté par des recherches faciles à faire son identité étroite avec le danois et le suédois, sa parenté avec l'allemand, le hollandais, l'anglo-saxon et l'anglais. D'autres ont établi, par des recherches vraiment savantes, ses rapports avec le grec et les langues slaves (4).
 
Les plus anciens monumens littéraires de l'Islande sont les runes. Peu de questions ont occupé autant que celle-ci la science des antiquaires, et jusqu'à présent elle est restée indécise. Ni Worm, ni Grimm, ni Magnussen , ni Rask, n'ont pu lui donner une solution complète. On ignore l'époque positive à laquelle les runes furent introduites en Europe et celle à laquelle elles cessèrent d'être en usage. On n'a pas encore déterminé leur valeur précise dans les temps anciens, ni leur filiation, ni le rapport exact du caractère runique au caractère écrit que nous employons de nos jours. Plusieurs philologues ne sont pas même d'accord sur l'interprétation à donner aux runes. Palgrave rapporte dans son ''Histoire des Anglo-Saxons'', une inscription à laquelle trois hommes distingués ont attribué un sens totalement opposé. Champollion et Seyffarth n'ont pas eu plus de contestations sur les hyéroglyphes égyptiens, que les écrivains d'Allemagne et de Danemark n'en ont eu sur les hyéroglyphes du nord. Dans cet état d'incertitude, quelle que puisse être notre opinion, nous nous garderons bien de rien conclure, et nous chercherons seulement à rapporter aussi exactement que possible ce que l'on sait sur les runes.
 
Le mot rune en islandais signifie ''parole'', mais surtout parole mystérieuse. Il se retrouve dans la langue méso-gothique, kymrique, anglo-saxonne, et toujours avec la même signification. Les Finnois l'emploient pour désigner leurs chants populaires, leurs vieilles ballades (5), et les sagas islandaises lui donnent souvent aussi le même sens.
 
Selon des traditions anciennes, les runes furent apportées dans le nord par Odin. Ce lut lui qui apprit au peuple à s'en servir, et qui lui révéla leur puissance magique. Avec les runes, il pouvait, dit l'Edda (6), guérir les maladies, apaiser les orages, arrêter une flèche dans son vol. Avec les runes il brisait les chaînes des prisonniers, il réveillait les morts, il étouffait un incendie. Il savait comment il fallait les employer pour gagner l'amour d'une femme, et il connaissait des secrets mystérieux qu'il ne voulait révéler qu'à sa soeur ou à sa bien-aimée.
 
Dans une autre partie de l'Edda, Sigurd prie une valkyrie de lui enseigner la sagesse, et elle lui apprend différentes espèces de runes; les runes victorieuses pour résister à ses ennemis, pour triompher dans les combats; les runes de mer pour n'avoir rien à redouter des orages; les runes de forêt pour connaître les plantes médicales, et traiter efficacement toutes les plaies.
 
On gravait les runes sur la proue du navire, sur le pommeau du glaive, sur les cornes à boire, quelquefois sur des baguettes en bois que l'on portait en guise d'amulette (7), et le peuple croyait à la vertu de ces caractères mystérieux. Un jour on présenta à Égil une coupe empoisonnée, il s'ouvrit une veine, en fit jaillir du sang, écrivit avec ce sang des paroles runiques sur la coupe, et à l'instant elle se rompit en deux (8). Un autre jour, on le conduisit auprès d'une jeune malade pour laquelle on avait inutilement employé tous les remèdes; il la fit lever, chercha dans son lit, et à la place où elle était couchée, trouva une baguette couverte de caractères runiques. Il prit cette baguette, la jeta au feu, et en replaça une autre, avec d'autres lettres, sous l'oreiller de la malade. A peine s'était-elle mise dans son lit, qu'il lui sembla qu'elle sortait d'un long sommeil. Elle se sentait encore très faible, mais elle était guérie.
 
Quelquefois la rune n'était autre chose qu'une lettre hyéroglyphique. On la gravait avec la pointe d'un couteau sur le bras, ou sur la poitrine. Un ''N'' signifiait ''naud'' (nécessité); un ''J, js'' ( glace ); un ''F, Freya'' (déesse de l'amour); un ''Th, Thor'' (dieu de la force). C'étaient là les runes puissantes, les runes mystiques, enseignées par les dieux, adoptées par la foule et perpétuées par la tradition.
 
Mais il y avait à côté de ces hyéroglyphes revêtus d'un tel prestige, un alphabet runique fort simple, servant aux inscriptions de batailles, aux épitaphes, et les paysans de la Norwége, de la Finlande, les employaient à se faire des calendriers. De là est venu tout le merveilleux des croyances populaires. Cet alphabet se composait de quinze à seize caractères (9). Il n'y avait qu'un seul caractère pour les consonnes dont l'accentuation se ressemble, pour le ''g'' et le ''k'', pour le ''d'' et le ''t'', pour le ''b'' et le ''p'', pour le ''u'', le ''v'', le ''y'' (10). Évidemment c'étaient là des caractères d'écriture venus de l'Asie, et descendant peut-être en droite ligne des Phéniciens. Mais le peuple, qui ne les comprenait pas, leur attribua une influence mystérieuse. Il lui fallait un moyen quelconque de tromper son ignorance, d'amuser sa crédulité. Il prit ces hyéroglyphes et se tatoua comme les sauvages de l'Inde, et se fit des amulettes comme les fakirs. Les prêtres, qui avaient sans doute intérêt à le laisser dans son erreur, ne cherchèrent point à l'éclairer. Ils se servirent de l'alphabet runique selon leurs lois secrètes, et abandonnèrent la foule à ses superstitions.
 
Quand le christianisme pénétra dans le nord, les missionnaires poursuivirent de tout leur zèle l'usage des runes qu'ils regardaient comme un teste de paganisme. Mais ils ne purent ni l'anéantir d'un seul coup, ni faire disparaître les anciens monumens. Les runes se propagèrent parmi certaines populations, jusqu'au XIVe siècle (11). C'est là encore une des richesses scientifiques du nord. En prenant les runes sous le point de vue fabuleux, elles présentent un côté pittoresque des superstitions scandinaves; en les prenant sous le point de vue réel, elles nous aident à remonter à l'origine de l'écriture. Un jeune Islandais que la mort a malheureusement enlevé trop tôt à de belles et savantes études, M. Bryniolsen, auteur d'une dissertation latine qui parut, il y a quelques années, avec éclat à Copenhague, après avoir comparé l'alphabet runique du nord à l'alphabet grec, étrusque, slave, phénicien, persan, arménien, égyptien, indien, n'hésite pas à croire que cet alphabet provient, comme la langue scandinave, de la race gotho-caucasienne, et que c'est là l'origine même de l'écriture (12).
 
De cet essai grossier d'intelligence, l'Islande arrive promptement à une manifestation plus libre et plus complète de la pensée. Elle passe des caractères informes, mal composés, à l'alphabet européen; de l'inscription tumulaire à la littérature. Cette littérature ne ressemble pas à celle des autres peuples, et il suffit d'observer l'état du pays, pour comprendre qu'il ne pouvait en être autrement. Il n'y a là, ni villes, ni centre de réunion. Toutes les habitations sont éloignées l'une de l'autre. Le prêtre est seul, le paysan seul. Si deux familles se rencontrent, c'est par hasard; si elles se réunissent, ce n'est que pour un instant. Les moyens de communications sont rares et difficiles. Le messager payé par le gouverneur s'en va deux fois par an, du midi au nord de l'île, et met trois mois à faire son voyage. A part cette excursion officielle, la famille islandaise n'a que la grande foire d'été pour savoir ce qui arrive dans le pays et au-delà. Adieu donc le bruit quotidien des journaux; adieu l'éclat de la tribune; adieu la voix encourageante du salon. L'homme qui s'occupe d'études passe solitairement sa vie, au milieu de son enclos; s'il lui vient une noble et généreuse inspiration, pas une parole sympathique ne l'encourage; s'il lui vient une heure de doute, pas une main amie n'est là pour le relever. C'est chose triste à voir et douce en même temps. C'est une preuve encore que le travail de l'intelligence est bien au-dessus de tous ces ressorts factices dont nous voudrions le faire dépendre, que l'homme peut vivre avec bonheur dans un cercle suivi d'études, et se passer de ce murmure d'approbation que nous nous sommes habitués à envier.
 
Par suite de cet isolement des individus, la littérature islandaise présente un caractère singulier que l'on retrouverait difficilement ailleurs. Elle a échappé à l'imitation, mais elle a échappé aussi à l'entraînement des masses. Ailleurs, le siècle jette au peuple une grande pensée, l'homme de génie imprime à son époque un large mouvement; ici le siècle n'a qu'une action lente et uniforme; l'homme de génie est à peine entendu. En France, Voltaire donne à toute une génération la parole railleuse, le rire sceptique; en Allemagne, Goethe change la marche de la littérature; en Angleterre, Byron fait retentir dans tous les coeurs la plainte amère de Manfred, la longue élégie de Child-Harold. En Islande, la voix du poète passe comme l'écho de rocher en rocher, de maison en maison. Elle résonne mais elle n'ébranle pas. Ailleurs, la littérature porte une admirable empreinte d'inspiration hardie et de spontanéité. Ici, c'est le fruit de la patience et du travail. En mettant de côté les chants des Scaldes, les deux Edda, les Sagas, trois beaux chapitres poétiques qui méritent bien d'être traités à part, leurs plus beaux livres sont des livres d'érudition : livres de droit, annales, traités de mathématiques, et commentaires de théologie. La Nialssaga indique toute la subtilité d'esprit, toutes les habitudes juridiques des Islandais, et leurs expéditions maritimes le long des côtes d'Angleterre et de Norwège nous prouvent qu'ils devaient avoir de très bonne heure des connaissances réelles en astronomie. Mais chaque oeuvre écrite s'est faite chez eux laborieusement dans un grand repos, et avec une longue suite de veillées d'hiver. Quelques-unes de ces oeuvres ont été livrées au public, mais il en est qui resteront long-temps encore enfouies dans l'obscur boer qui les a vues naître.
 
A travers ces travaux de patience, de temps à autre la poésie a fait entendre sa voix harmonieuse, et réveillé par un de ses chants le prêtre courbé sur ses livres d'étude, et le pêcheur assis dans son bateau. Il n'est, comme on le sait, si pauvre pays où les muses ne puissent faire mûrir leur riche moisson. Elles ont bien jeté de charmantes fleurs sur les glaces du Groenland (13), et quand on traverse l'Islande, on est heureux de les voir apparaître au milieu de ces montagnes désertes, où l'isolement est si profond, le long de ces dunes rocailleuses où le bruit de la mer est si triste.
 
L'Islande se peuple au IXe siècle. Au Xe elle a des écoles. Haller en fonde une à Haukadalr, dans une petite vallée près du Geyser. Soemund de qui nous vient l'Edda, en fonde une autre dans sa solitude de poète, Isléifr établit celle de Skalholt , et Ogmundr, celle de Hoolum. La première date de 999, la seconde de 1080; les deux autres de 1057 et 1107. On apprenait dans ces écoles, la lecture, l'écriture, le chant d'église, un peu de latin et de théologie. Mais il y avait alors en Islande des hommes riches, et quand leurs fils avaient recueilli, dans le pays même, les premières notions de la science, ils s'en allaient en Allemagne, en France, en Italie, continuer leurs études. Au bout de quelques années, on les voyait revenir comme des moissonneurs, avec la gerbe littéraire qu'ils avaient glanée le long de leur route. Ils savaient, comme des clercs de Bologne ou de Paris, leur ''quadrivium'', et ils s'étaient fortifiés par leur contact avec les hommes les plus célèbres de chaque pays. Toutes ces excursions à travers les villes étrangères, leur ouvraient un nouvel espace dans le domaine de la pensée, et cependant ils restaient fidèles à leur pauvre contrée, et n'appliquaient qu'à des oeuvres nationales l'intelligence qu'ils avaient acquise.
 
C'est là le beau temps, c'est là l'âge d'or de la littérature islandaise. C'est du XIe au XIIIe siècle que cette littérature a produit les oeuvres qui, aujourd'hui, nous étonnent et nous charment le plus. L'Islande alors est jeune, et forte, pleine de sève et d'audace, et fière de son indépendance. Elle se retrempe dans les souvenirs héroïques de ses pères, elle s'instruit par les voyages. La religion scandinave lui garde encore ses fictions poétiques, et le christianisme l'éclaire de son flambeau.
 
Les colons de Norwége, en abordant sur les côtes d'Islande, n'ont trouvé, il est vrai, qu'une contrée aride et rebelle à toute culture, mais ils n'ont pas encore vu le sol bouleversé comme il le fut depuis par les tremblemens de terre et les éruptions de volcan. Ils n'ont pas été décimés par la famine et l'épidémie. Ils occupent, au bord de la mer, de larges espaces de verdure, et des savans assurent que, sur ce sol aride où nous ne voyons plus que des masses de lave, il y avait autrefois des forêts. Ainsi, ils vivent avec confiance, acceptant avec courage les rigueurs de leur climat, et demandant aux flots qui les entourent ce que la terre leur refuse. Tandis que les uns s'en vont jeter leurs filets le long des baies, ou explorer les rives étrangères, les autres continuent paisiblement leurs études, et la littérature se forme et s'élargit. Déjà la jurisprudence, l'histoire naturelle, les mathématiques, trouvent des organes. La poésie inspire les scaldes, et Soemund chante la sagesse d'Odin et la cosmogonie. Les plus belles sagas se répandent dans l'intérieur des familles. Snorri-Sturleson (14) écrit sa Chronologie des rois de Norwége, et Arae fixe, par des faits positifs et des dates certaines, l'histoire primitive de son pays. C'était un pauvre prêtre à qui ses connaissances firent donner le surnom de ''frodr'' (savant). Il avait écrit plusieurs grands ouvrages qui ont été perdus. Il ne nous reste de lui que ses esquisses historiques, ses ''Schedœ'', et le livre des origines islandaises, le ''Landnama bok''.
 
Il s'est fait aussi à cette époque deux ouvrages qui ne peuvent être classés ni dans l'histoire, ni dans la poésie, et qui méritent d'être notés à part. Le premier est le calendrier ecclésiastique, connu sous le nom de ''Rymbegla'', le second est le ''Kongs-skugg-Sio'' (Miroir du Roi).
 
Le ''Rymbegla'' fut écrit entre le XIIe et le XIIIe siècle. C'est un livre composé de paragraphes détachés sur les fêtes, sur la division du temps, sur le cours du soleil, sur l'âge du monde, tout cela jeté pêle-mêle comme des notes d'érudit, comme les fragmens de lecture qu'amassait Jean Paul. A côté d'un chapitre sur les évêques de l'Islande, voici venir l'histoire des empereurs romains, et puis celle des rois d'Israël, et celle d'Hector et de Sémiramis. L'auteur a fait un étonnant mélange de connaissances réelles et d'idées fabuleuses. Par exemple, il croit sans hésiter à l'existence des cyclopes, des dragons, des basiliques et des syrènes comme il croit à celle d'Isleifr, premier prélat de Skalholt. Il raconte avec la plus charmante crédulité qu'il y a bien sûr des pays où les hommes n'ont pas de tête et portent le nez et les yeux dans la poitrine. D'autres ont une tête de chien et aboient quand ils veulent parler. D'autres viennent au monde sans bouche, et ne vivent que du parfum des fleurs et de l'arome des plantes. Il y a quatre grands fleuves qui découlent du paradis : le Gange, le Nil, le Tigre et l'Euphrate, et les voyageurs ont trouvé en Grèce un fleuve qui teint en blanc les moutons qui viennent s'y abreuver, et un autre qui les teint en noir. On a découvert aussi en Phrygie, un lac où les pierres croissent comme des arbres, et beaucoup d'autres choses merveilleuses qu'on ne croirait pas, dit le naïf conteur, si elles n'étaient attestées par les philosophes.
 
Tout ce livre est ainsi fait de morceaux disjoints; c'est en certaines parties un récit fort monotone, et dans d'autres une mosaïque curieuse de préjugés populaires, de croyances superstitieuses. Sous ce rapport, il mérite d'être lu par tous ceux qui veulent se faire une idée complète des connaissances cosmographiques du moyen-âge. Du reste, il est devenu rare, et ce n'est pas sans peine que j'ai pu en acquérir un exemplaire (15).
 
Le ''Miroir du Roi'' ressemble beaucoup par sa forme au ''castoiement d'un père à son fils'', et à tous les livres du même genre. Il renferme deux grandes dissertations sur le commerce, sur la cour. Il devait y en avoir deux autres sur les prêtres et les laboureurs. L'auteur aurait ainsi embrassé les quatre classes de la société. On ignore s'il a accompli son oeuvre. Dans tous les cas, les deux premières parties seulement nous ont été conservées. Ce livre fut écrit par le ministre d'un roi de Norwége pour l'instruction d'un prince, et je ne sache pas d'ouvrage qui puisse donner une idée plus étendue et plus nette de l'état du nord au moyen-âge. Ce ministre est un homme fin et habile, homme du monde, homme de cour, façonné à tous les usages de son époque; fort instruit en beaucoup de choses, et, du reste, crédule comme les hommes de son temps. Si vous voyiez comme il apprend à son élève le moyen d'être ''marchand'', comme il lui recommande d'agir avec prudence, de ne pas se lier trop vite avec ceux qui viennent à lui, de ne pas placer dans la même entreprise tout ce qu'il possède, de peur de perdre tout à la fois; comme il lui indique bien le secret de vendre à propos, et la nécessité de ménager ses ressources. On croirait entendre un vieux marchand de province confiant, d'une main tremblante, la gestion de ses affaires à son fils, et lui déroulant patiemment toutes les ruses de son métier.
 
Quand il passe de la maison de commerce à la cour, il se fait encore plus timide et plus cauteleux. Le vieux ministre a vécu au milieu des grands, dans la demeure des princes, il sait avec quelle réserve il faut approcher ceux qui tiennent en main le pouvoir. Il parle de ce ''terrain glissant des châteaux'' comme eût pu le faire un courtisan de Louis XIV, mais pas un courtisan n'aurait représenté l'autorité royale sous un aspect, aussi imposant. Que de précautions il faut prendre pour pénétrer dans la demeure du roi, et comme il faut être adroit, patient et maître de soi-même dès qu'on aspire à vivre auprès de lui ! Le roi n'est pas toujours de bonne humeur, il faut consulter son regard et l'expression de son visage avant que de lui adresser une demande. S'il est assis à table, on aura soin de se tenir humblement à quelque distance de lui; s'il parle, on se gardera bien de détourner la tête, de se montrer distrait, ou inattentif; s’il fait un geste, il faut pouvoir, le premier, interpréter ce geste et agir; s'il donne un ordre et qu'on ne le comprenne pas, on ne sera pas si hardi que de l'obliger à répéter ce qu'il vient de dire une seconde fois, on répondra qu'il a été entendu et qu'il va être obéi; s'il appelle un courtisan, le courtisan se jettera à genoux devant lui, et ne se relèvera que quand le roi le lui aura commandé.
 
Après cela viennent d'autres conseils sur la manière de se vêtir, sur les armes qu'on doit porter, et sur l'équitation. Car ce précepteur du prince est un homme universel, et il apprenait à son élève tout ce qu'on savait vraisemblablement en Norwége au XIIe siècle. Quand il lui a ainsi enseigné le respect qu'on doit aux rois, il lui enseigne, par des exemples tirés de la Bible, par l'histoire de David, de Joseph, de Mardochée, la conduite que les rois doivent avoir. Puis, en lui parlant des pays qu'il peut parcourir, il lui dit ce qu'il sait sur chaque pays, et alors nous retombons dans toutes les traditions étranges du Rymbegla et des autres géographies du moyen-âge. Il sait qu'il y a des phoques au Groenland, mais c'est pour lui un animal merveilleux, qui a la tête, les yeux, les épaules comme un homme, et personne n'a vu le reste de son corps (16). Il dépeint assez exactement l'aurore boréale, mais il est dans un grand embarras pour expliquer d'où elle provient. Cependant, dit-il, comme le Groenland se trouve à l'extrémité du globe, il est probable que cette lumière vient du cercle de feu qui entoure la terre, ou des étincelles qui jaillissent des rayons du soleil quand il se couche, ou peut-être du reflet des glaces qui couvrent toute cette partie du monde.
 
L'Irlande est surtout pour lui un vrai pays de prodiges. Il y a là un lac qui change la moitié d'une branche d'arbre en fer, l'autre en pierre. Il y a des sources qui teignent les cheveux. Il y a une île où l'air a une telle force vitale que personne ne peut y tomber malade. Quand un homme a atteint l'âge qu'il présume que Dieu lui destinait, on l'emmène dans un autre pays, pour qu'il puisse mourir, car jamais dans cette île il ne pourrait mourir de maladie. Dans une autre île, quand les habitans meurent, on ne les enterre pas. On les porte près de l'église, et ils se promènent là tranquillement et causent avec les passans.
 
L'Islande est aussi une terre assez curieuse. On y trouve des baleines dont les naturalistes de nos jours ne soupçonnent guère l'existence, et il y avait autrefois une source qui devait singulièrement plaire aux Islandais. Cette source avait le goût de la bière. Mais si, par un esprit de convoitise trop grand, le buveur voulait aller bâtir sa cabane dans ce lieu privilégié, l'eau merveilleuse fuyait d'un autre côté; et s'il voulait y remplir ses flacons pour les emporter, elle redevenait à l'instant comme l'eau ordinaire.. Il fallait en user sobrement, et alors il n'y avait pas dans la demeure du jarl, dans le palais du roi, de boisson comparable à celle-là.
 
Le Miroir du Roi fut écrit vers le milieu du XIle siècle. Environ un siècle après, la littérature islandaise commençait à décliner. En 1264, la colonie d'émigrés se rejoint à la mère-patrie, l'Islande se réunit à la Norwége. Ses nouveaux rois lui conservent, il est vrai, ses lois, ses coutumes, mais ils lui imposent des gouverneurs qui ne ménagent ni sa dignité ni ses intérêts. De violentes contestations s'élèvent souvent entre les principaux habitans du pays et les envoyés de Norwége. Les évêques défendent leurs concitoyens, le peuple se plaint de la violation de ses droits, mais les préfets n'en continuent pas moins leurs injustices et leurs exactions. L'Islande, devenue province tributaire d'un autre royaume, semble avoir perdu l'énergie qui la distinguait quand elle était indépendante. Et puis le volcan plus cruel que tous les gouverneurs, plus terrible que tous les despotes, le volcan est là qui gronde et déchire la crête des montagnes, et vomit de toutes parts ses tourbillons de cendre et sa lave brûlante. Au volcan succèdent quelquefois des tremblemens de terre qui ébranlent l'île entière, et au XIVe siècle arrive la peste noire. Cette effroyable épidémie, qui avait fait le tour de l'Europe, enleva à l'Islande les deux tiers de ses habitans. A peine la pauvre île commençait-elle à se reposer de ses calamités, qu'une troupe farouche de corsaires anglais aborde sur la côte, pénètre dans l'intérieur du pays, brûle, pille tout ce qu'elle rencontre; et soixante ans après, une nouvelle épidémie décima encore la population.
 
Après tant de fléaux, on ne peut guère s'attendre à voir le peuple occupé d'études. Aussi tout tombe dans l'oubli, travaux, histoire, science, littérature. Quelques Islandais apprennent encore dans les écoles à lire et à écrire, mais ceux qui se distinguent dans ces premiers élémens d'instruction sont proclamés savans, et ceux qui veulent arriver au plus haut faite de la science, lisent les bulles des papes et les immunités de l'église. Pendant l'espace de trois siècles, on ne trouverait pas dans tout le pays, un seul homme comparable aux écrivains du XIIe siècle. L'Islande ne produit que de pâles lambeaux d'annales et des prières rimées. Quelques habitans apprennent l'anglais et l'allemand par suite de leurs relations avec les marchands d'Angleterre et de Hambourg. Mais on voit à Skalholtet à Hoolum, des évêques qui ne savent même pas le latin. Au XIVe siècle, un moine nommé Eystèin se rendit célèbre par la publication d'un poème intitulé ''le Lys''. Mais ce poème n'est qu'une froide paraphrase des premiers chapitres de la Genèse et de l'histoire de la passion de J.-C. Un autre Islandais, Bioern, se fit une certaine réputation par ses voyages. Il avait visité le Groenland, l'Allemagne, la France, l'Italie, l'Espagne et la Terre-Sainte. On croit qu'il avait écrit plusieurs livres sur ces différens pays, mais il ne nous en est resté aucun.
 
La réformation vint réveiller les esprits de leur torpeur. Le mouvement d'intelligence qui s'opérait alors en Allemagne et en Danemark atteignit aussi l'Islande. On fonda une imprimerie, on réforma les écoles. Quelques bons livres, furent publiés; quelques hommes instruits et zélés répandirent autour d'eux le goût des lettres. A cette époque de régénération, l'Islande ne produisit, il est vrai, aucune oeuvre éclatante, mais elle se sentait ravivée par l'étude. Plusieurs Islandais érudits se mirent à écrire. Les uns suivaient les controverses religieuses dont toute l'Europe était alors occupée. D'autres cherchaient à recueillir les nouvelles notions scientifiques publiées par la France et l'Allemagne et les transmettaient à leurs pays. On vit paraître alors des dissertations intéressantes sur l'histoire naturelle d'Islande, plusieurs traités de médecine et de physique qui n'étaient point en arrière de ceux qui s'imprimaient alors dans les autres parties de l'Europe, et surtout beaucoup d'annales historiques. Ces annales sont froides, dépourvues de mouvement et de toute idée philosophique. Ce n'est pas là de l'histoire comme nous l'entendons aujourd'hui. Mais les faits sont racontés d'une manière précise, étagés avec soin par ordre chronologique; et si ces livres sont monotones à lire, ils sont au moins intéressans à consulter, car ils ont été faits avec conscience. Les plus estimés sont ceux d'Arngrim Johnsen (17), quoique ce ne soient que des précis historiques bien pâles, et quelquefois entachés d'une singulière crédulité. On peut lire aussi avec confiance les Annales de Bioern, qui embrassent l'histoire d'Islande de 1400 jusqu'à 1645. Il travailla à cet ouvrage toute sa vie, et la plupart des faits qu'il raconte se passaient de son temps. Presque toutes ces annales ont rapport à l'histoire de l’île. Cependant on s'occupait aussi des contrées étrangères, et l'on traduisit de l'allemand diverses chroniques. Mais la plus belle époque historique de l'Islande est le XVIIIe siècle. Alors apparaissent successivement Torfesen, Magnussen, Finnsen, trois hommes dont les Islandais parlent avec vénération.
 
Le nom de Torfesen est européen. C'était un homme d'un rare savoir et d'une critique sévère, qui, en se dévouant à l'étude des antiquités du nord, rendit de grands services à son pays. La chronique de Norwége et l'introduction mise en tête de sa Chronologie des rois de Danemark (18), devront être étudiés par tous ceux qui veulent avoir une connaissance exacte de l'ancienne Scandinavie.
 
Arne Magnussen est celui à qui l'Islande doit d'avoir vu sortir de l'oubli où ils étaient plongés ses monumens littéraires. Il dévoua sa vie entière à cette oeuvre de science, qui était aussi pour lui une oeuvre de patriotisme, et il y consacra sa fortune.
 
Le nom de Finnsen est peut-être moins connu du monde savant. Mais il sera chéri et respecté de tous ceux qui ont eu recours à son excellente histoire ecclésiastique (19).
 
Pendant que la science historique se relevait ainsi de son affaissement passé, la philologie faisait aussi quelques progrès. Au XVIIe siècle, Olafssen compose son lexique runique, Plus tard, J. Magnussen, le frère de celui dont nous venons de parler, écrit une grammaire islandaise. Vidalin publie une fort belle dissertation sur l'ancienne langue scandinave, et plusieurs érudits joignent aux sagas qui se publient à Copenhague des vocabulaires détaillés et des notes très recommandables. On n'avait pas encore d'histoire littéraire nationale. Finnsen la traite avec savoir et habileté dans son histoire ecclésiastique, et Einarsen publie sa ''Sciagraphia''. Ce n'est qu'une esquisse de la littérature islandaise, un catalogue raisonné, une table chronologique. Mais l'esquisse est complète. Tous les noms s'y trouvent, toutes les notes bibliographiques, toutes les dates; et si ce livre laisse beaucoup à désirer sous le rapport des développemens, il n'en est pas moins précieux comme indication.
 
A la même époque, la poésie revient aussi visiter l'Islande, et s'essaye à reprendre sur la vieille lyre des scaldes des accords oubliés. Mais elle n'a pas encore retrouvé sa hardiesse d'invention d'autrefois, et au lieu de créer, elle copie. Des soixante-dix-huit poètes cités par Einarsen, la plupart n'ont fait que rimer des anciennes sagas. D'autres traduisent en vers des chapitres de la Bible. Tous chantent obscurément sous l'humble toit qui les abrite. Un seul s'est acquis quelque célébrité. C'est Halgrim Petersson, l'auteur d'un recueil de psaumes que l'on trouve aujourd'hui dans toutes les familles d'Islande. Mais vers la fin du siècle dernier, cette poésie timide et défiante s'enhardit et parle un langage plus élevé. Un sysselmand de Reykiavik écrit plusieurs poèmes remarquables, et une comédie qui n'a pas encore été imprimée, mais qui est fort vantée de tous ceux qui la connaissent. Un pauvre prêtre traduit, dans sa solitude, Pope, Milton, Klopstock. Un homme déjà renommé pour sa science de naturaliste, Eggert Olafssen, l'auteur d'un voyage intéressant en Islande composa un recueil de vers que tout le monde lirait avec charme. Sa poésie est tendre et rêveuse. Elle a tout à la fois le caractère de l'idylle et de l'élégie, et elle est simple et vraie. C'est un homme des champs qui s'est plu à célébrer son enclos de verdure, ses montagnes d'Islande, ses lacs limpides. C'est un père de famille qui a redit d'une voix émue et touchante ses joies d'intérieur et ses rêves d'amour; Il avait un frère qui était poète aussi et qui a laissé quelques chansons. Mais celui-ci est gai et frivole; il chante à tout propos, et sa chanson a la forme riante et coquette. Il amuse, mais son frère intéresse.
 
La société littéraire de Reykiavik a publié les oeuvres de ces deux poètes, et celles de Groendal; il serait à souhaiter qu'elle pût continuer ses collections.
 
Il n'y a point de poésie populaire en Islande, dans le sens que nous attachons à ce mot, et il ne peut pas y en avoir dans un pays où les habitans vivent isolés l'un de l'autre, où l'on ne voit pas, comme en Allemagne, de ces grandes réunions d'étudians, d'ouvriers qui se communiquent par le chant, la ballade de Schiller, ou les strophes patriotiques d'Uhland. D'ailleurs, les Islandais ont le caractère sérieux et triste. Ils ne chantent pas, mais ils lisent. Il n'y a point parmi eux de gondoliers de Venise, et point de Bursche. Mais le livre qu'ils aiment passe de maison en maison. On le lit à la veillée, on en parle en travaillant. Voilà sa popularité, et Béranger pourrait être leur poète populaire, sans qu'ils eussent jamais chanté un seul de ses vers.
 
Il est surtout un homme dont ils chérissent le nom, dont ils recherchent les oeuvres avec empressement. Cet homme est M. Thorarensen, qui remplit aujourd'hui les fonctions de préfet dans le Nordland. C'est un vrai poète par la pensée, par la forme, un poète qui aime son pays et qui le chante avec enthousiasme. Je ne l'ai pas vu, mais j'ai été en correspondance avec lui, et ses lettres m'ont frappé par leur candeur et leur modestie. Ses poésies sont encore disséminées dans différens recueils, mais tous les Irlandais les possèdent. J'ai choisi, pour essayer de les faire connaître, deux de ses pièces les plus goûtées en Islande. Qu'on me permette de les joindre à cet article. J'avouerai franchement que cette traduction ne rend pas l'expression nette et brillante de l'original; mais l'auteur, qui parle et écrit facilement notre langue, m'a du moins envoyé un certificat en bonne forme constatant que je n'avais pas fait de contresens.
 
La première de ces pièces est un chant patriotique composé par M. Thorarensen lorsqu'il étudiait à l'université de Copenhague. La seconde est une élégie de mort.
 
<poem>
Ma vieille et noble Islande, ô ma douce patrie,
Reine des monts glacés, tes fils te chériront,
Tant que la mer ceindra la grève et la prairie,
Tant que l'amour vivra dans une ame attendrie,
Tant qu'au soleil de mai nos champs reverdiront.
 
Du sein de Copenhague où pèse le nuage
Nous tournons nos regards vers le toit paternel.
Ne pourrons-nous bientôt revoir ton beau rivage?
Ici nous ne trouvons qu'un froid et faux langage,
Ou le bruit importun, ou le rire cruel.
 
L'aspect de ce pays sans montagnes nous lasse.
Souvent cet air épais, ce ciel lourd nous fait mal.
Même niveau partout, et partout où je passe
Je cherche vainement ce large et grand espace
Qu'on découvre aux sommets de notre sol natal.
 
Mieux vaut s'en retourner, mieux vaut revoir encore
La contrée où le vent est plus froid, mais plus pur;
Les champs couverts de neige éclairés par l'aurore,
Et les flots de cristal que le soleil colore,
Et les Ioekull brillans avec leur ciel d'azur.
 
Ma vieille et noble Islande, ô ma douce patrie,
Que le ciel te protège et te garde la paix!
Pour toi chacun de nous s'émeut, espère et prie.
Puisse le sort sourire à ta rive chérie,
Puisse un bonheur constant t'animer à jamais!
 
 
SIGRUN.
 
Un jour je te disais : Si tu meurs la première,
Reviens me visiter. Mas tu ne croyais pas
Que je pusse arracher ton corps à la poussière,
Baiser tes yeux éteints, t'enlacer dans mes bras.
 
Je ne t'aimerais pas, ma douce fiancée,
Si mon amour devait s'arrêter au tombeau;
De ton front virginal la fraîcheur est passée,
Mais je revois toujours ton visage si beau.
 
L'air vital est éteint sur ta bouche riante,
Mais un souffle éternel est venu t'animer.
Et tu resteras jeune à jamais et charmante,
Comme aux jours où le monde apprenait à t'aimer.
 
Ne me délaisse point dans ce lieu monotone.
Je suis seul ici bas, songe à moi dans les cieux.
Lorsque dans nos rochers gémit le vent d’automne,
Oh ! reviens : montre-toi quelque soir à mes yeux.
 
Si la lune apparaît à travers le nuage,
Et si ta main me cherche et m'effleure en passant,
Je me réveillerai pour voir ta chaste image,
Pour entendre ta voix avec son doux accent.
 
Puis pose sur mon sein, pose ta tête blonde,
Et dans tes bras de neige, ô mon ange, prends-moi,
Enlève les liens qui m'attachent au monde,
Je voudrais être libre et partir avec toi.
 
Et traversant alors l'aurore boréale,
Loin des lieux où toujours je n'ai fait que gémir,
Sur ces nuages d'or teints de pourpre et d'opale
Nous irions tous les deux chanter, rêver, dormir.
</poem>
 
La poésie de M. Thorarensen ne ressemble guère à celle des anciens scaldes. Ce n'est plus l'âpre langage de ces hommes, qui, d'une main tenaient la harpe et de l'autre l'épée. C'est la voix d'une ame rêveuse et aimante qui a souvent caressé maint prestige et pleuré mainte déception. A voir ces vers islandais revêtus d'une teinte méridionale, on dirait que le génie poétique d'une autre contrée est allé s'asseoir auprès de l'homme du nord, et que l'hiver, dans le silence des nuits, celui de qui nous viennent ces stances mélancoliques a plus d'une fois prêté l'oreille aux chants d'amours de Lamartine, aux élégies rêvées près du golfe de Baya.
 
 
<small>xxxxxxxxxx</small><br />
<small> (1) Undersoegelse om det gamle nordiske sprog.</small><br />
<small> (2) Tunga kom med theim hingat er ver kollum norroena ok gekk su tunga um Saxland, Danmoerk, ok Svithiod, Noreg, ok um nokkurn hlute Einglands. - Ces hommes (les Ases) apportèrent avec eux la langue que nous appelons langue du nord, et elle se répandit en Saxe, en Danemark, en Suède, en Norwége, et dans quelques parties de l'Angleterre. Fornmanna soegur, tom.II, pag.412. Le même passage se trouve dans Rymbegla, troisième partie, ch. I.</small><br />
<small> (3) Ce mot signifiait à la fois langue du nord et langue norwégienne, mais on l'employait plus souvent dans la première acception.</small><br />
<small> (4) Je citerai, entre autres, le livre de Rask : ''Undersoegelse om det garnle islandske sprog'', l'un des meilleurs ouvrages philologiques qui aient paru dans les temps modernes.</small><br />
<small> (5) On a publié dernièrement en Allemagne un recueil de ballades finnoises avec le titre de ''Finnische Runen''.</small><br />
<small>(6) Runa-Thattr. </small><br />
<small> (7) Les Groenlandais ont encore de pareils amulettes, et croient qu'en employant de certaines manières quelques caractères de l'alphabet, ils peuvent faire mourir Torgarnsuk, leur esprit le plus puissant. V. Egede. ''Det gamle Groenlands nye Perlustration.</small><br />
<small>(8) Egilssaga, pag. 212. </small><br />
<small> (9) L'alphabet irlandais, qui se rapproche de l'alphabet islandais et anglo-saxon, n'a encore que dix-sept caractères. L'alphabet sténographique n'en a que seize. </small><br />
<small> (10) Les Danois prononcent encore, l'''y'' comme l'''u''.</small><br />
<small> (11) ''Det danske, norske og svenske sprogs historie of Petersen'', tom. I.</small><br />
<small> (12) Periculum runologicum, 1 vol, in -8°. Copenhague, 1823,</small><br />
<small>(13) Herder, dans ses ''Volkslieder, a traduit plusieurs chants groenlandais, et M. Kier en a publié un recueil dans la langue originale : ''Illerkorsutit. Aarhaus, 1833. </small><br />
<small> (14) Nous parlerons plus en détail de Snorri, cet écrivain classique de l’Islande, dans un prochain article sur les deux Eddas.</small><br />
<small> (15) ''Rymbegla, sive rudimentum computi ecclesiastici'', 1 vol. in-4°. Copenhague, 1780.</small><br />
<small> (16) Cette description du phoque a été reproduite dans un ouvrage français : ''Relation du Groenland''. Paris, 1647. L'autour cite le Miroir du Roi comme une autorité.</small><br />
<small> (17) ''Crymogoea, sive rerum islandicarum, libri tres. </small><br />
<small> Specimen Islandioe historicum'',</small><br />
<small>(18) ''Series Dynastorum et regum Danioe'', 1 vol, in-8°, 1702. On lui doit aussi : ''Historia rerum norvegicorum'', 4 vol. in-folio. 1711. ''Gronlandia antiqua'', etc., etc. </small><br />
<small>(19) ''Historia ecclesiastica Islandioe, 4 vol. in-4°. Copenhague, 1772. </small><br />
 
 
===VI.- Découverte de l’Islande===
 
 
Les Scandinaves étaient, comme on sait, d'intrépides navigateurs. Ils n'avaient ni le sextant, ni l'astrolabe, ni la boussole; ils n'avaient pas appris à mesurer la hauteur du soleil pour connaître leur latitude, ni à pointer une carte pour déterminer leurs distances. Mais ils se jetaient dans leur bateau, la rame à la main, et s'en allaient, comme des oiseaux de mer, chercher la côte lointaine. Souvent la vague orageuse leur servit de guide, et la tempête les conduisit au lieu où ils voulaient aborder. Cependant, au VIIIe siècle, Beda (1) avait signalé de nouveau cette île de Thulé, dont le nom se trouve dans l'histoire de Pline, dans les vers de Virgile (2). Cent ans plus tard, le moine Dicuil la dépeignait non plus d'après de vagues conjectures, mais d'après des notions positives. Des Irlandais y avaient abordé, des moines y avaient séjourné depuis le mois de février jusqu'au mois d'août, et l'on retrouva leurs vestiges. L'Islande était connue d'un autre peuple de marins; et les Norvégiens, qui avaient déjà exploré tant de rivages, ne la connaissaient pas encore. Le hasard, qui les avait conduits sur des côtes étrangères, fut encore cette fois leur pilote. L'orage les jeta sur cette terre de volcans et d'orages.
 
Un pirate, nommé Nadodd, s'en allait de Norwége aux îles Feroe (3). Un coup de vent le fit dévier de sa route et l'emporta au nord. Il se croyait perdu au milieu de l'Océan; il aperçut la côte. Lui et ses compagnons amarrent le navire, prennent leurs armes, descendent à terre, et les voilà marchant à travers les champs de lave; ils promènent leurs regards autour d'eux, et n'aperçoivent aucune trace humaine. Ils prêtent l'oreille et n'entendent aucun bruit. Ils montent sur une colline élevée, et ne voient ni fumée ni habitation. L'Islande attendait sa colonie d'émigrés, et elle était déserte. Nadodd y resta jusqu'en automne. Alors le ciel se couvrit de nuages, la neige tomba sur les montagnes, et, en partant, il nomma la terre qu'il venait de découvrir : ''Terre de Neige'' (Snoeland) (4).
 
Ceci se passait en 861. Trois ans après, un Suédois, appelé Gardas, entreprit un voyage aux Hébrides pour y recueillir un héritage : il fut surpris comme Nadodd par une tempête, et jeté sur les rives d'Islande. Il demeura, pendant l'hiver, à Husavik, et, à son retour, loua beaucoup le pays qu'il avait vu (5).
 
Il n'en fallait pas tant pour séduire l'esprit aventureux des hommes du Nord. Il suffisait de dire qu'on avait découvert une nouvelle contrée. Qu'elle fût riche ou pauvre, n'importe, ils voulaient la voir. En 864, dans une maison norvégienne, le sang du sacrifice coulait sur l'autel des dieux scandinaves, et un pirate, enthousiasmé par tout ce qu'on racontait de l'Islande, se préparait à aller visiter cette terre lointaine. C'était Floki. Il avait voulu se rendre les divinités propices par des prières publiques, et il consacrait à Odin trois corbeaux, qui devaient, à défaut de boussole, le guider dans son excursion. Peut-être avait-t-il entendu conter l'histoire de Noé dans son arche; peut-être était-ce alors un moyen employé par plusieurs navigateurs. Quand il eut doublé les îles Feroe, Floki lâcha le premier de ses corbeaux, qui, ne se souciant pas sans doute d'entreprendre un voyage de découverte, s'en retourna tranquillement au lieu d'où il était parti. Peu après, il lâcha le second, qui s'élança dans les airs, tournoya au-dessus du navire, et revint lâchement se poser sur sa cage, effrayé de cette immensité d'eau. Enfin Floki lâcha le troisième; et celui-ci, comme pour venger l'honneur de sa race, s'en alla hardiment vers le nord; le vaisseau le suivit et aborda à Reykianes. Nadodd avait vu en automne les montagnes couvertes de neige, Floki les trouva au printemps couvertes de glace, et donna au pays le nom qui lui est resté ''Terre de glace'' (Island) (6). Il revint, l'été suivant en Norwège, et dépeignit, comme il les avait vus, ces champs arides, ces volcans enflammés, ces montagnes sauvages de l'Islande. Mais un de ses compagnons raconta au peuple crédule que c'était un pays charmant, où le sol était sans cesse couvert de fruits, où le beurre découlait des rochers.
 
Dans ce temps-là, Harald aux beaux cheveux régnait en Norwège : il avait succédé à son père à l'âge de dix ans (7). Son royaume n'était d'abord qu'une de ces étroites principautés, comme il y en avait en un grand nombre en Suède et en Danemarck. Mais il avait l'ame ambitieuse, et il était, dit la saga, grand, fort, courageux et habile (8). Dans son audace et sa jeunesse, quand il eut mesuré son domaine de prince, il se sentit à l'étroit, et rêva guerres et conquêtes : une femme acheva de lui donner l'impulsion. Cette femme était Gyda, fille du roi Eirik. Harald l’avait envoyé demander en mariage; mais la fière Gyda répondit qu'elle ne se sentait aucunement tentée d'épouser un si petit roi (9), et que s'il voulait être aimé d'elle, il fallait qu'il lui donnât à partager, non pas sa pauvre couronne de prince, mais la couronne de Norwège.
 
Quand les ambassadeurs de Harald vinrent lui rendre compte de leur mission, il applaudit aux paroles de la jeune fille, et jura de ne pas couper sa chevelure, de ne pas la peigner avant que d'avoir soumis toute la contrée à son pouvoir. Ainsi entraîné par ses désirs ambitieux et ses rêves d'amour, il déclara la guerre à ses voisins, les subjugua l'un après l'autre, et envahit leur principauté. Bientôt son armée devint si nombreuse, son nom si redoutable, que pas un de ses anciens rivaux n'osa lui résister. Il étendit son bras de fer sur toute la Norwège; et celle qui peu d'années auparavant semblait prendre en pitié sa destinée obscure, vint lui tendre la main sur le champ de bataille, et le salua roi. Mais il avait conquis ses peuples par la force, et, sur sa route, il n'avait semé que la haine et le mécontentement. Des hommes qui avaient été ses égaux, gémissaient de le nommer leur souverain; des familles puissantes s'indignaient de se courber devant lui : elles cédaient à sa volonté, mais en cherchant autour d'elles le moyen de recouvrer leur indépendance. Alors Floki explorait l'Islande; et l’île lointaine, l'île déserte, leur apparut comme un dernier refuge. Le pays était pauvre, disait-on, mais il n'avait point de maître; et l'aristocratie norwégienne, froissée dans ses intérêts, humiliée dans son orgueil, s'en alla chercher les landes arides dont on lui avait parlé, heureuse de reprendre sa liberté, heureuse de mettre entre elle et son despote l'immense espace des mers.
 
Les deux premiers colons d'Islande, Ingolfr et Leifr, surnommé plus tard Hiorleifr, avaient encore un autre motif de s'expatrier. Ils s'étaient attiré, par un double meurtre, la haine d'une famille nombreuse, et ils fuyaient autant pour éviter sa vengeance que pour échapper à la domination de Harald. Leur première émigration date de 870 (10). Mais ce n'était, en quelque sorte, qu'un voyage d'essai, une reconnaissance de pays. Ils abordent en Irlande et y passent l'hiver. Au printemps, Hiorleifr s'en va guerroyer en Islande, Ingolfr retourne en Norwège. Un an après ils se rejoignent, et cette fois se disposent à partir pour long-temps. Ingolfr offre un sacrifice aux dieux, et consulte les oracles scandinaves qui lui indiquent la route d'Islande. Hiorleifr, qui peut-être avait reçu, dans son dernier voyage, quelques notions du christianisme, refusa de sacrifier, et accepta pour oracle la parole de son ami. Ils s'embarquent emportant avec eux tout ce qu'ils possédaient, et parmi ses richesses de corsaire, Ingolfr avait placé ses dieux pénates. A quelque distance de la côte, ils se séparent. Hiorleifr s'en va à l'est. Ingolfr, avec son esprit superstitieux, jette à la mer ses idoles, promettant d'aborder là où elles aborderont. Mais le vent l'entraîna d'un autre côté, et il débarqua à l'ouest de la côte, dans un endroit qui a conservé son nom et qui s'appelle encore aujourd'hui : ''Ingolfs hœfdi'' (promontoire d'Ingolfr). En arrivant, Hiorleifr s'était bâti une demeure, et avait essayé de labourer la terre; mais il fut assassiné par des esclaves irlandais qu'il avait amenés avec lui. En apprenant cette nouvelle, son compagnon d'armes s'écria avec sa foi de païen : « C'est un grand malheur pour un homme comme celui-là de mourir de la main d'un esclave; mais tel est le sort de ceux qui ne veulent pas sacrifier aux dieux (11). » Après cette oraison funèbre, il poursuivit les meurtriers, les atteignit aux îles Westmann, et les massacra. De là vient le nom des îles Westmann. Cependant il s'était mis à la recherche de ses dieux pénates, et, après de longues perquisitions, il les découvrit auprès de Reikiavik. Il éleva sa demeure sur le rivage où la mer les avait jetés, et, de pirate qu'il était, il devint laboureur et pêcheur. Peu à peu d'autres familles norwégiennes le suivirent, et s'en allèrent habiter diverses parties de l'île. Au bout de soixante ans, l'Islande était presque entièrement occupée, et le nombre des émigrés devint si grand, que le roi Harald, craignant de voir son pays se dépeupler, imposa une amende de cinq onces d'argent sur tous ceux qui voulaient partir.
 
Ces émigrés étaient, pour la plupart, des hommes de famille noble, qui exerçaient dans leur pays un certain droit de souveraineté. Ils emmenaient avec eux tous ceux qu'ils avaient eus autrefois sous leur domination, ils fuyaient le despotisme de leur roi, et redevenaient libres en posant le pied sur le navire; mais leurs esclaves restaient esclaves. Lorsqu'ils débarquaient sur la côte d'Islande, le chef de la tribu prenait un tison enflammé et parcourait le pays. Toute la terre qu'il enlaçait dans ce cercle de feu lui appartenait, et il la distribuait comme une terre de conquête à ses vassaux. Puis une fois le partage fait, il se retranchait avec ses serfs dans un domaine, et vivait comme un seigneur suzerain. S'il voulait tenter une excursion maritime, ses vassaux étaient obligés de répondre à son appel; s'il avait une guerre, ses vassaux devaient le soutenir. C'était la féodalité norwégienne, moins le roi qui la gênait; c'était l'aristocratie des hauts barons de France appliquée à une race de pirates, à un peuple de pécheurs. Quelques-uns d'entre eux bâtissaient un temple, et prenaient le titre de ''Godi''. Ils étaient tout à la fois magistrats et pontifes. On les appelait comme juges dans les causes difficiles. On prêtait serment sur l'anneau qu'ils portaient à leur doigt, et chaque famille leur payait un tribut religieux.
 
Tous ces chefs de tribu vivaient à l'écart, maîtres dans leur domaine, jaloux de leur pouvoir, et indépendans l'un de l'autre. Mais souvent ils se regardaient d'un oeil d'envie. Dans leur humeur belliqueuse, la moindre contestation provoquait une guerre, la plus légère étincelle amenait un incendie. Ils avaient rapporté de leur terre natale l'amour des combats. Ils s'asseyaient à table appuyés sur leur hache d'armes, et dormaient sur leur glaive. Au premier cri d'alarme, on les voyait monter à cheval, et ils s'en allaient piller et brûler la demeure de leurs voisins. Quand la discorde s'était ainsi jetée entre eux, c'étaient, de part et d'autre, des provocations continuelles et des représailles sans fin. Il n'y avait point de loi pour les punir, point de pouvoir pour les maîtriser, et l'Islande dévastée leur demandait en vain merci. Ces guerres désastreuses firent sentir la nécessité d'une organisation générale qui donnât une sorte d'unité à tant d'élémens disparates, et mît un frein à l'ambition de tant de familles rivales l'une de l'autre.
 
Un Islandais, Ulfliot, partit pour la Norwège avec la mission d'étudier les lois en usage et de les rapporter dans son pays. Il suivit pendant trois ans les leçons de Thorleif, surnommé le Sage, et s'en revint avec un code qui, en 928, fut adopté à I'Althing, non sans quelque contestation. C'est le code connu sous le nom de Gragas (12). L'Islande fut divisée en quatre parties, d'après les quatre points cardinaux, et subdivisée en douze districts. Chaque district avait son tribunal, ses réunions particulières; mais la nation tenait toutes les années une diète solennelle à Thingvalla. L'assemblée était présidée par les douze représentans des districts, et au-dessus d'eux s'élevait le chef judiciaire élu par le peuple et proclamé ''homme de la loi''. C'était bien l'homme de la loi, car, à une époque où elle n'était pas encore écrite, il devait la savoir littéralement ''par coeur'', et la répéter chaque année aux diverses tribus. Pendant deux cents ans, ce code primitif se perpétua ainsi par le souvenir et par la parole. Mais les Islandais, qui le gardaient si fidèlement dans leurs traditions, ne se faisaient pas scrupule de le transgresser chaque fois qu'il condamnait leurs projets de vengeance. Souvent la voix conciliatrice des juges fut méconnue, et la sentence du ''logmadr'' étouffée par des cris de guerre et des vociférations haineuses. Les chefs de cohorte s'en allaient à leur diète le glaive à la main, comme les Hongrois; quand la discussion légale ne leur donnait pas gain de cause, ils avaient recours à la force, et le roc sacré, le ''logberg'', du haut duquel le législateur rendait ses oracles, devenait le théâtre sanglant de leurs combats.
 
Telle fut l'Islande pendant près de quatre siècles, et le christianisme lui-même, avec ses pieux symboles et ses paroles miséricordieuses, ne put adoucir qu'après de longues résistances les passions violentes de cette race de corsaires. Déjà le Danemarck, la Suède, la Norwège, avaient abjuré le culte de leurs anciens dieux, et l'Islande le conservait encore. Plus d'une fois l'Évangile lui avait été annoncé, et elle ne l'avait pas entendu. Les holocaustes de sang plaisaient trop à l'imagination de ces hommes de guerre pour qu'ils consentissent si vite à y renoncer, et le dieu Thor, avec son marteau, emblème de la force, était bien le dieu qu'ils devaient adorer. Le premier qui essaya de les arracher à leur idolâtrie était un Irlandais envoyé par saint Patrice. Il fit quelques prédications, et bâtit une église dédiée à saint Colomban. Après lui vint une femme de la même nation, qui introduisit la vie chrétienne au milieu du paganisme scandinave, et fit poser des croix au-dessus de plusieurs montagnes. Les Islandais respectèrent ces croix, quelques-uns firent de saint Colomban un héros, et lui donnèrent une place honorable dans le Valhalla, mais voilà tout ce que produisit le zèle des missionnaires irlandais. Bientôt pourtant une voix plus hardie et plus opiniâtre se fit entendre : c'était celle d'un Islandais, celle de Thorvaldr le voyageur (13). Il avait été baptisé par l'évêque Frédéric de Saxe, et il amena l'évêque avec lui pour prêcher le christianisme dans son pays. Mais il avait long-temps guerroyé sur les côtes étrangères, et il se souvenait trop de son ancien métier de soldat. La parole était pour lui un moyen d'action trop faible et trop lent; il eut voulu convertir l'Islande par le fer et par le sang. Ses sermons ressemblaient à des cris de colère, et si on lui faisait une injure, il sentait bouillonner tout son sang de pirate. Un jour, deux poètes islandais avaient improvisé contre lui une épigramme, il désespéra de leur salut, et les tua comme deux mécréans. Une autre fois, il apprit qu'un de ses ennemis se trouvait non loin de lui : c'était aussi un païen intraitable qui n'avait pas voulu prêter l'oreille à ses prédications. Il le tua pour en avoir plus tôt fini. Le digne évêque n'eut pas le courage de suivre plus long-temps un tel compagnon; il retourna dans son église de Saxe et mourut saintement. Quant à Thorvaldr, après avoir porté son rude prosélytisme à travers toute l'Islande, il sentit renaître en lui le goût des voyages lointains. Il s'en alla en Grèce, en Syrie, à Constantinople et à Jérusalem; puis; il s'arrêta en Russie, et fonda un couvent où il mourut.
 
Après lui vint Thangbrandr, envoyé par le roi Olaf Tryggvason. C'était un homme de la même trempe que Thorvaldr. D'une main il tenait la croix évangélique, mais de l'autre il tenait le glaive. Il ne reculait ni devant un meurtre ni devant une bataille, et il savait également discuter avec les pontifes païens et lutter avec les berserkirs. Malgré tant de zèle et tant de courage, il ne put vaincre l'obstination des Islandais, et s'en retourna en Norwège. Mais le roi Olaf renvoya deux autres missionnaires. Ceux-ci tâchèrent d'agir sur l'esprit du peuple par les cérémonies, religieuses, et ils réussirent. Les prêtres catholiques parurent à l'assemblée du Thing avec leurs blancs surplis et leurs longues chasubles; l'encensoir balancé par une main d'enfant exhala ses parfums, et la cloche répandit dans les airs ses sons plaintifs et harmonieux. C'est une belle page à ajouter à ces admirables pages que M. de Châteaubriand a écrites sur la cloche dans son ''Génie du christianisme''. La foule s'émut à l'aspect de cette solennité religieuse, et plusieurs hommes qui étaient restés inébranlables à la colère de Thorvaldr et aux sermons de Thangbrandr s'inclinèrent, par un mouvement involontaire, devant le prêtre qui s'avançait ainsi précédé de la croix. Puis, les leçons évangéliques, répétées tant de fois, s'étaient pourtant insinuées dans quelques esprits; puis, le roi Olaf, qui était puissant, menaçait l'Islande de toute sa colère, si elle refusait d'entendre la parole des nouveaux missionnaires, et enfin une voix s'éleva pour proposer l'adoption du christianisme. Mais, à ces mots, les vieux Scandinaves sentirent se ranimer toute leur ferveur païenne, et l'assemblée se divisa en deux partis, l'un tout disposé à accueillir la nouvelle loi, l'autre bien résolu à défendre l'ancien culte. Dans cet état de crise, on allait, comme de coutume, résoudre la question par un combat, on allait s'entretuer pour savoir qui l'on devait adorer, du Christ ou d'Odin. Un Islandais, plus sage que les autres, demanda si l'on ne pourrait pas suspendre encore les hostilités, et faire trancher la difficulté par des arbitres. Sa proposition fut écoutée, et chaque parti nomma ses juges. Mais les missionnaires catholiques gagnèrent pour trois marcs d'argent Thorgeir, le plus influent et le plus intraitable païen. Le lendemain, Thorgeir s'avança au milieu de la foule, et après avoir cherché à démontrer combien ces divisions de parti portaient de préjudice à la république, il s'écria : «Vous tous qui m'écoutez, accepterez-vous la religion que je vais proposer? » Les païens, qui le regardaient comme le plus intrépide défenseur de leur croyance, répondirent qu'ils l'accepteraient, et les chrétiens, qui étaient dans le secret de la transaction faite avec lui, répondirent de même. Alors Thorgeir proclama la religion chrétienne, et, malgré les cris d'étonnement et les plaintes de ses anciens partisans, elle fut adoptée.
 
De cette époque date pour l'Islande une nouvelle ère de science et de poésie. Elle eut des écoles, des prêtres instruits, des voyageurs célèbres, mais elle n'eut pas le repos. Ni la loi politique ni la loi religieuse ne pouvaient dompter l'ambition de ses principales familles. Au commencement du XIe siècle, une nouvelle guerre s'allume entre elles, plus longue, plus terrible, plus acharnée que jamais. On vit alors des chefs de parti s'en aller au Thing avec une troupe de treize cents hommes. Ils traversaient le pays comme un fléau, tantôt longeant les côtes avec leurs navires, tantôt s'avançant au milieu des habitations à main armée, et se frayant, leur route par le meurtre et l'incendie. Quand ils se rencontraient, ce n'était plus comme autrefois des escarmouches d'un moment; c'étaient des batailles sanglantes qui duraient tout un jour, et souvent recommençaient le lendemain. Quelquefois ils se trompaient l'un l'autre par une paix simulée, et à peine avaient-ils quitté l'Althing qu'on entendait déjà retentir le cri de guerre. S'ils venaient à succomber, les hostilités recommençaient sous une nouvelle bannière, avec un nouveau chef. Dans leur testament de mort, ils léguaient pour héritage à leurs fils une bataille inachevée, une vengeance incomplète, et leurs fils n'étaient que trop fidèles à remplir ce mandat. Tous les principaux habitans du pays périrent dans ces batailles. Toute la puissante famille des Sturles s'entredétruisit elle-même. Snorri Sturleson, le plus grand écrivain de l'Islande, fut massacré à Reykholt par l'ordre du roi Hakon, et victime de la haine de ses ennemis. Quand ses grands hommes furent morts, la république islandaise mourut elle-même. Elle perdit en un jour son nom de république et son indépendance dont elle était si fière. Depuis long-temps les rois de Norwège avaient essayé de la soumettre à leur pouvoir. Il leur semblait que cette terre, peuplée par la Norwège, devait leur appartenir; mais l'Islande avait maintenu avec orgueil sa liberté. Les longues guerres oligarchiques anéantirent toute sa résolution. Elle était faible et épuisée, et elle courba la tête sous le joug qui l'attendait. En 1262, les trois grands districts du nord, du sud et de l'ouest se soumirent à la Norwège, en 1264 le district de l'est suivit leur exemple.
 
Dès ce moment, l'histoire politique d'Islande a cessé d'être. L'Islande n'est plus qu'une province norwégienne qui accepte les ordonnances qu'on lui impose, qui, en 1387, se réunit au Danemarck, et qui attend chaque année du roi qui la gouverne son tarif de commerce et son règlement d'impôts. Mais il est une autre histoire de l'Islande à faire, c'est celle de tous les fléaux qui l'ont traversée sans relâche, de tous les volcans qui ont déchiré ses entrailles, de toutes les maladies qui ont décimé sa population. Celle-là est triste, et on la lit avec douleur dans ses montagnes inhabitées, au milieu de ses champs de lave. Voici ses éphémérides de quelques siècles. Où en trouverait-on de semblables?
 
:1300. Éruption de volcan.
:1306. Les glaces du Groenland entourent l'île, et tout périt par le froid.
:1308. Tremblement de terre.
:1311. Éruption de volcan.
:1339. Tremblement de terre.- Éruption de volcan.
:1341. Éruption de volcan.
:1346. Éruption de volcan.
:1350. Éruption de volcan.
:1357. Éruption de volcan.
:1360. Éruption de volcan.
:1362. Éruption de volcan.
:1390. Éruption de volcan.
:1402. La peste noire qui enlève les deux tiers des habitans.
:1419. Invasion des corsaires anglais qui pillent et ravagent le pays.
:1425. Nouvelle invasion non moins cruelle que la première.
:1490. Épidémie.
:1582. Éruption de volcan.
:1583. Éruption de volcan.
:1616. Invasion des corsaires algériens.
:1695. Glaces flottantes.
:1707. Épidémie qui enlève le quart de la population.
:1716. Éruption de volcan.
:1717. Éruption de volcan.
:1720. Éruption de volcan.
:1753. Famine.
:1755. Éruption de volcan.
:1766. Éruption de volcan.
:1783. Éruption de volcan. - Épidémie. - Famine.
 
 
Ajoutez à cela l'indifférence du gouvernement, qui entendit d'une oreille distraite les plaintes de l'Islande, et n'y répondit pas. Ajoutez le monopole du commerce, le monopole infâme qui, pendant deux siècles, enleva à ce malheureux pays tout ce que les volcans, les pirates, les rigueurs du climat et les tremblemens de terre ne lui avaient pas enlevé. Ajoutez les querelles des gouverneurs avec les évêques, les divisions intestines, et vous aurez une idée de tout ce que cette terre d'Islande a eu à souffrir, et vous aimerez peut-être ce peuple ferme et patient qui a supporté tant de désastres et n'a point déserté son pays.
 
Depuis la fin du siècle dernier, les volcans dorment dans le flanc des montagnes, le monopole du commerce a été aboli, et le gouvernement danois a compris qu'il y allait de son intérêt de protéger et de soutenir l'Islande; mais rien ne permet d'espérer que le pays redevienne jamais aussi puissant qu'il l'a été. Il y a eu autrefois des familles riches en Islande, et maintenant il n'y en a plus. Il y a eu 100,000 habitans, et maintenant la population ne s'élève pas à plus de 50,000. L'île est pourtant plus grande que le Danemarck et le Holstein, et presque aussi grande que la Prusse En Russie, on compte 80 habitans par mille carré, en Norwège 105, en Suède 219, en Islande 34.
 
 
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<small>(1) Beda mourut en 735. Son livre: ''De natura rerum et ratione temporum'', fut imprimé à Cologne en 1537. </small><br />
<small>(2) Il n'est guère vraisemblable que cette Thulé, mentionnée par les auteurs anciens, soit l'Islande; mais comme les écrivains du nord ont souvent invoqué ce témoignage, nous ne pouvions le passer sous silence. </small><br />
<small>(3) Je me sers ici d'une expression consacrée par l'usage, tout en protestant contre un de ces abus de langage qui se représentent fréquemment parmi nous. Le mot ''oe'', placé à la fin de Fer, signifie ''île''. Ainsi, en disant les îles Ferœ, nous faisons le plus complet pléonasme qu'il soit possible d'imaginer. Il en est de même de Jersey et Guernesey: la particule ''ey'' est islandaise et signifie aussi île. </small><br />
<small> (4) Landnama bok.</small><br />
<small>(5) Landnama bok. </small><br />
<small> (6) Landnama bok.</small><br />
<small>(7) ''Saga d'Olaf Tryggvason'', tom. I. </small><br />
<small>(8) Ibid. </small><br />
<small>(9) Le texte islandais est plus expressif. « Hun svarar at hun vill eigi spilla meydomi sinum til thess at eiga thann konung er eigi hefir meira enn nokkur fylki til Forrada. » (''Saga d'Olaf Tryggvason'', tom. I.) </small><br />
<small>(10) Landnama bok, </small><br />
<small> (11) Landnama bok.</small><br />
<small>(12) On en a publié à Copenhague une belle édition en 2 vol. in-4°, avec la traduction latine, et il existe sur ce recueil un très bon commentaire de Schlegel. </small><br />
<small> <(13) Le mot ''vidfoerla'' signifie plus que voyageur. Il serait mieux rendu par le mot latin ''peregrinator''./small><br />
 
 
===VII - Mythologie===
 
T. 9, 1837
 
XAVIER MARMIER
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