« Souvenir (Musset, 1841) » : différence entre les versions

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{{journal|Souvenir, poème|[[Auteur:Alfred de Musset|Alfred de Musset]]|[[Revue des Deux Mondes]] T.25, 1841}}
 
==__MATCH__:[[Page:Revue des Deux Mondes - Période initiale, 4e série, tome 25.djvu/574]]==
::J’espérais bien pleurer, mais je croyais souffrir,
::En osant te revoir, place à jamais sacrée,
::O la plus chère tombe et la plus ignorée
::Où dorme un souvenir!
 
<poem>
::Que redoutiez-vous donc de cette solitude,
J’espérais bien pleurer, mais je croyais souffrir,
::Et pourquoi, mes amis, me preniez-vous la main,
En osant te revoir, place à jamais sacrée,
::Alors qu’une si douce et si vieille habitude
O la plus chère tombe et la plus ignorée
::Me montrait ce chemin?
Où dorme un souvenir!
 
Que redoutiez-vous donc de cette solitude,
::Les voilà, ces coteaux, ces bruyères fleuries,
Et pourquoi, mes amis, me preniez-vous la main,
::Et ces pas argentins sur le sable muet,
Alors qu’une si douce et si vieille habitude
::Ces sentiers amoureux remplis de causeries,
Me montrait ce chemin?
::Où son bras m’enlaçait.
 
::Les voilà, ces sapinscoteaux, à laces sombrebruyères verdurefleuries,
Et ces pas argentins sur le sable muet,
::Cette gorge profonde aux nonchalans détours,
Ces sentiers amoureux remplis de causeries,
::Ces sauvages amis dont l’antique murmure
Où son bras m’enlaçait.
::A bercé mes beaux jours.
 
::Les voilà, ces buissonssapins à toutela masombre jeunesseverdure,
Cette gorge profonde aux nonchalans détours,
::Comme un essaim d’oiseaux, chante au bruit de mes pas!
Ces sauvages amis dont l’antique murmure
::Lieux charmans, beau désert qu’aimait tant ma maîtresse,
A bercé mes beaux jours.
::Ne m’attendiez-vous pas?
 
Les voilà, ces buissons où toute ma jeunesse,
::Ah! laissez-les couler, elles me sont bien chères,
Comme un essaim d’oiseaux, chante au bruit de mes pas!
::Ces larmes que soulève un cœur encor blessé!
Lieux charmans, beau désert qu’aimait tant ma maîtresse,
::Ne les essuyez pas, laissez sur mes paupières
Ne m’attendiez-vous pas?
::Ce voile du passé!
 
Ah! laissez-les couler, elles me sont bien chères,
::Je ne viens point jeter un regret inutile
Ces larmes que soulève un cœur encor blessé!
::Dans l’écho de ces bois témoins de mon bonheur.
Ne les essuyez pas, laissez sur mes paupières
::Fière est cette forêt dans sa beauté tranquille,
Ce voile du passé!
::Et fier aussi mon cœur.
 
Je ne viens point jeter un regret inutile
::Que celui-là se livre à des plaintes amères,
Dans l’écho de ces bois témoins de mon bonheur.
::Qui s’agenouille et prie au tombeau d’un ami.
Fière est cette forêt dans sa beauté tranquille,
::Tout respire en ces lieux; les fleurs des cimetières
Et fier aussi mon cœur.
::Ne poussent point ici.
 
Que celui-là se livre à des plaintes amères,
::Voyez! la lune monte à travers ces ombrages.
Qui s’agenouille et prie au tombeau d’un ami.
::Ton regard tremble encor, belle reine des nuits;
Tout respire en ces lieux; les fleurs des cimetières
::Mais du sombre horizon déjà tu te dégages,
Ne poussent point ici.
::Et tu t’épanouis.
 
Voyez! la lune monte à travers ces ombrages.
::Ainsi de cette terre, humide encor de pluie,
Ton regard tremble encor, belle reine des nuits;
::Sortent, sous tes rayons, tous les parfums du jour;
Mais du sombre horizon déjà tu te dégages,
::Aussi calme, aussi pur, de mon ame attendrie
Et tu t’épanouis.
::Sort mon ancien amour.
 
Ainsi de cette terre, humide encor de pluie,
::Que sont-ils devenus, les chagrins de ma vie?
Sortent, sous tes rayons, tous les parfums du jour;
::Tout ce qui m’a fait vieux est bien loin maintenant,
Aussi calme, aussi pur, de mon ame attendrie
::Et rien qu’en regardant cette vallée amie,
Sort mon ancien amour.
::Je redeviens enfant.
 
Que sont-ils devenus, les chagrins de ma vie?
::O puissance du temps! ô légères années!
Tout ce qui m’a fait vieux est bien loin maintenant,
::Vous emportez nos pleurs, nos cris et nos regrets;
Et rien qu’en regardant cette vallée amie,
::Mais la pitié vous prend, et sur nos fleurs fanées
Je redeviens enfant.
::Vous ne marchez jamais.
 
O puissance du temps! ô légères années!
::Tout mon cœur te bénit, bonté consolatrice!
Vous emportez nos pleurs, nos cris et nos regrets;
::Je n’aurais jamais cru que l’on pût tant souffrir
Mais la pitié vous prend, et sur nos fleurs fanées
::D’une telle blessure, et que sa cicatrice
Vous ne marchez jamais.
::Fût si douce à sentir.
 
Tout mon cœur te bénit, bonté consolatrice!
::Loin de moi les vains mots, les frivoles pensées,
Je n’aurais jamais cru que l’on pût tant souffrir
::Des vulgaires douleurs linceul accoutumé,
D’une telle blessure, et que sa cicatrice
::Que viennent étaler sur leurs amours passées
Fût si douce à sentir.
::Ceux qui n’ont point aimé!
 
Loin de moi les vains mots, les frivoles pensées,
::Dante, pourquoi dis-tu qu’il n’est pire misère
Des vulgaires douleurs linceul accoutumé,
::Qu’un souvenir heureux dans les jouis de douleur?
Que viennent étaler sur leurs amours passées
::Quel chagrin t’a dicté cette parole amère,
Ceux qui n’ont point aimé!
::Cette offense au malheur?
 
Dante, pourquoi dis-tu qu’il n’est pire misère
::En est-il donc moins vrai que la lumière existe,
Qu’un souvenir heureux dans les jouis de douleur?
::Et faut-il l’oublier, du moment qu’il fait nuit ?
Quel chagrin t’a dicté cette parole amère,
::Est-ce bien toi, grande ame immortellement triste,
Cette offense au malheur?
::Est-ce toi qui l’as dit?
 
En est-il donc moins vrai que la lumière existe,
::Non, par ce pur flambeau dont la splendeur m’éclaire,
Et faut-il l’oublier, du moment qu’il fait nuit ?
::Ce blasphème vanté ne vient pas de ton cœur.
Est-ce bien toi, grande ame immortellement triste,
::Un souvenir heureux est peut-être sur terre
Est-ce toi qui l’as dit?
::Plus vrai que le bonheur.
 
Non, par ce pur flambeau dont la splendeur m’éclaire,
::Eh quoi! l’infortuné qui trouve une étincelle
Ce blasphème vanté ne vient pas de ton cœur.
::Dans la cendre brûlante où dorment ses ennuis,
Un souvenir heureux est peut-être sur terre
::Qui saisit cette flamme, et qui fixe sur elle
Plus vrai que le bonheur.
::Ses regards éblouis;
 
Eh quoi! l’infortuné qui trouve une étincelle
::Dans ce passé perdu quand son ame se noie,
Dans la cendre brûlante où dorment ses ennuis,
::Sur ce miroir brisé lorsqu’il rêve en pleurant,
Qui saisit cette flamme, et qui fixe sur elle
::Tu lui dis qu’il se trompe, et que sa faible joie
Ses regards éblouis;
::N’est qu’un affreux tourment!
 
Dans ce passé perdu quand son ame se noie,
::Et c’est à ta Françoise, à ton ange de gloire,
Sur ce miroir brisé lorsqu’il rêve en pleurant,
::Que tu pouvais donner ces mots à prononcer,
Tu lui dis qu’il se trompe, et que sa faible joie
::Elle qui s’interrompt, pour conter son histoire,
N’est qu’un affreux tourment!
::D’un éternel baiser!
 
Et c’est à ta Françoise, à ton ange de gloire,
::Qu’est-ce donc, juste Dieu, que la pensée humaine,
Que tu pouvais donner ces mots à prononcer,
::Et qui pourra jamais aimer la vérité,
Elle qui s’interrompt, pour conter son histoire,
::S’il n’est joie ou douleur si juste et si certaine,
D’un éternel baiser!
::Dont quelqu’un n’ait douté?
 
Qu’est-ce donc, juste Dieu, que la pensée humaine,
::Comment vivez-vous donc, étranges créatures!
Et qui pourra jamais aimer la vérité,
::Vous riez, vous chantez, vous marchez à grands pas;
::LeS’il cieln’est etjoie saou beauté,douleur lesi mondejuste et sessi souillurescertaine,
Dont quelqu’un n’ait douté?
::Ne vous dérangent pas.
 
Comment vivez-vous donc, étranges créatures!
::Mais lorsque, par hasard, le destin vous ramène
Vous riez, vous chantez, vous marchez à grands pas;
::Vers quelque monument d’un amour oublié,
Le ciel et sa beauté, le monde et ses souillures
::Ce caillou vous arrête, et cela vous fait peine
::Qu’ilNe vous heurtedérangent le piépas.
 
Mais lorsque, par hasard, le destin vous ramène
::Et vous criez alors que la vie est un songe,
Vers quelque monument d’un amour oublié,
::Vous vous tordez les bras comme en vous réveillant,
Ce caillou vous arrête, et cela vous fait peine
::Et vous trouvez fâcheux qu’un si joyeux mensonge
Qu’il vous heurte le pié.
::Ne dure qu’un instant.
 
Et vous criez alors que la vie est un songe,
::Malheureux! cet instant où votre ame engourdie
Vous vous tordez les bras comme en vous réveillant,
::A secoué les fers qu’elle traîne ici-bas,
Et vous trouvez fâcheux qu’un si joyeux mensonge
::Ce fugitif instant fut toute votre vie;
::Ne ledure regrettezqu’un pas!instant.
 
Malheureux! cet instant où votre ame engourdie
::Regrettez la torpeur qui vous cloue à la terre,
A secoué les fers qu’elle traîne ici-bas,
::Vos agitations dans la fange et le sang,
Ce fugitif instant fut toute votre vie;
::Vos nuits sans espérance et vos jours sans lumière,
Ne le regrettez pas!
::C’est là qu’est le néant!
 
Regrettez la torpeur qui vous cloue à la terre,
::Mais que nous revient-il de vos froides doctrines?
Vos agitations dans la fange et le sang,
::Que demandent au ciel ces regrets inconstans
Vos nuits sans espérance et vos jours sans lumière,
::Que vous allez semant sur vos propres ruines
C’est là qu’est le néant!
::A chaque pas du Temps?
 
Mais que nous revient-il de vos froides doctrines?
::Oui, sans doute, tout meurt; ce monde est un grand rêve,
Que demandent au ciel ces regrets inconstans
::Et le peu de bonheur qui nous vient en chemin,
Que vous allez semant sur vos propres ruines
::Nous n’avons pas plus tôt ce roseau dans la main
A chaque pas du Temps?
::Que le vent nous l’enlève.
 
Oui, sans doute, tout meurt; ce monde est un grand rêve,
::Oui, les premiers baisers, oui, les premiers sermens
Et le peu de bonheur qui nous vient en chemin,
::Que deux êtres mortels échangèrent sur terre,
Nous n’avons pas plus tôt ce roseau dans la main
::Ce fut au pied d’un arbre effeuillé par les vents
Que le vent nous l’enlève.
::Sur un roc en poussière.
 
Oui, les premiers baisers, oui, les premiers sermens
::Ils prirent à témoin de leur joie éphémère
Que deux êtres mortels échangèrent sur terre,
::Un ciel toujours voilé qui change à tout moment,
Ce fut au pied d’un arbre effeuillé par les vents
::Et des astres sans nom que leur propre lumière
Sur un roc en poussière.
::Dévore incessamment.
 
Ils prirent à témoin de leur joie éphémère
::Tout mourait autour d’eux, l’oiseau dans le feuillage,
Un ciel toujours voilé qui change à tout moment,
::La fleur entre leurs mains, l’insecte sous leurs piés,
Et des astres sans nom que leur propre lumière
::La source desséchée où vacillait l’image
Dévore incessamment.
::De leurs traits oublis;
 
Tout mourait autour d’eux, l’oiseau dans le feuillage,
::Et sur tous ces débris joignant leurs mains d’argile,
La fleur entre leurs mains, l’insecte sous leurs piés,
::Étourdis des éclairs d’un instant de plaisir,
La source desséchée où vacillait l’image
::Ils croyaient échapper à cet Être immobile
De leurs traits oublis;
::Qui regarde mourir!
 
Et sur tous ces débris joignant leurs mains d’argile,
::- Insensés! Dit le sage - Heureux! dit le poète.
Étourdis des éclairs d’un instant de plaisir,
::Et quels tristes amours as-tu donc dans le cœur,
Ils croyaient échapper à cet Être immobile
::Si le bruit du torrent te trouble et t’inquiète,
Qui regarde mourir!
::Si le vent te fait peur?
 
- Insensés! Dit le sage - Heureux! dit le poète.
::J’ai vu sous le soleil tomber bien d’autres choses
Et quels tristes amours as-tu donc dans le cœur,
::Que les feuilles des bois et l’écume des eaux,
Si le bruit du torrent te trouble et t’inquiète,
::Bien d’autres s’en aller que le parfum des roses
::EtSi le chantvent deste oiseaux.fait peur?
 
J’ai vu sous le soleil tomber bien d’autres choses
::Mes yeux ont contemplé des objets plus funèbres
::Que Julietteles mortefeuilles audes fondbois deet sonl’écume tombeaudes eaux,
Bien d’autres s’en aller que le parfum des roses
::Plus amers que le toast à l’ange des ténèbres
Et le chant des oiseaux.
::Porté par Roméo.
 
Mes yeux ont contemplé des objets plus funèbres
::J’ai vu ma seule amie, à jamais la plus chère,
Que Juliette morte au fond de son tombeau,
::Devenue elle-même un sépulcre blanchi,
Plus amers que le toast à l’ange des ténèbres
::Une tombe vivante, où flottait la poussière
Porté par Roméo.
::De notre mort chéri,
 
J’ai vu ma seule amie, à jamais la plus chère,
::De notre pauvre amour, que dans la nuit profonde
Devenue elle-même un sépulcre blanchi,
::Nous avions sur nos cœurs si doucement bercé!
Une tombe vivante, où flottait la poussière
::C’était plus qu’une vie, hélas! c’était un monde
De notre mort chéri,
::Qui s’était effacé!
 
De notre pauvre amour, que dans la nuit profonde
::Oui, jeune et belle encor, plus belle, osait-on dire,
Nous avions sur nos cœurs si doucement bercé!
::Je l’ai vue, et ses yeux brillaient comme autrefois.
::SesC’était lèvresplus s’entr’ouvraientqu’une vie, ethélas! c’était un sourire,monde
Qui s’était effacé!
::Et c’était une voix;
 
::MaisOui, nonjeune pluset cettebelle voixencor, non plus cebelle, douxosait-on langagedire,
Je l’ai vue, et ses yeux brillaient comme autrefois.
::Ces regards adorés dans les miens confondus;
Ses lèvres s’entr’ouvraient, et c’était un sourire,
::Mon cœur encor plein d’elle errait sur son visage,
Et c’était une voix;
::Et ne la trouvait plus.
 
Mais non plus cette voix, non plus ce doux langage,
::Et pourtant, j’aurais pu marcher alors vers elle,
Ces regards adorés dans les miens confondus;
::Entourer de mes bras ce sein vide et glacé,
Mon cœur encor plein d’elle errait sur son visage,
::Et j’aurais pu crier: Qu’as-tu fait, infidèle,
Et ne la trouvait plus.
::Qu’as-tu fait du passé?
 
Et pourtant, j’aurais pu marcher alors vers elle,
::Mais non; il me semblait qu’une femme inconnue
Entourer de mes bras ce sein vide et glacé,
::Avait pris par hasard cette voix et ces yeux;
Et j’aurais pu crier: Qu’as-tu fait, infidèle,
::Et je laissai passer cette froide statue,
Qu’as-tu fait du passé?
::En regardant les cieux.
 
Mais non; il me semblait qu’une femme inconnue
::Eh bien! ce fut sans doute une horrible misère
Avait pris par hasard cette voix et ces yeux;
::Que ce riant adieu d’un être inanimé.
Et je laissai passer cette froide statue,
::Eh bien! qu’importe encor? O nature ! ô ma mère!
::En ai-jeregardant moinsles aimé?cieux.
 
Eh bien! ce fut sans doute une horrible misère
::La foudre maintenant peut tomber sur ma tête,
Que ce riant adieu d’un être inanimé.
::Jamais ce souvenir ne peut m’être arraché.
Eh bien! qu’importe encor? O nature ! ô ma mère!
::Comme le matelot brisé par la tempête,
En ai-je moins aimé?
::Je m’y tiens attaché.
 
La foudre maintenant peut tomber sur ma tête,
::Je ne veux rien savoir, ni si les champs fleurissent,
Jamais ce souvenir ne peut m’être arraché.
::Ni ce qu’il adviendra du simulacre humain,
Comme le matelot brisé par la tempête,
::Ni si ces vastes cieux éclaireront demain
Je m’y tiens attaché.
::Ce qu’ils ensevelissent.
 
Je ne veux rien savoir, ni si les champs fleurissent,
Ni ce qu’il adviendra du simulacre humain,
Ni si ces vastes cieux éclaireront demain
Ce qu’ils ensevelissent.
 
Je me dis seulement : à cette heure, en ce lieu,
Un jour, je fus aimé, j’aimais, elle était belle.
J’enfouis ce trésor dans mon ame immortelle,
Et je l’emporte à Dieu!
</poem>
 
::Je me dis seulement : à cette heure, en ce lieu,
::Un jour, je fus aimé, j’aimais, elle était belle.
::J’enfouis ce trésor dans mon ame immortelle,
::Et je l’emporte à Dieu!