« La Religion des Celtes » : différence entre les versions

Contenu supprimé Contenu ajouté
déplacé
Ligne 5 :
 
 
<pages index="Dottin - La religion des Celtes.djvu" from=4 to=2024 />
Ce dualisme n’a rien de particulier aux Celtes. On le trouve fréquemment ailleurs. Le groupement des divinités en triades a plutôt un caractère celtique. Nous avons parlé plus haut de l’autel de Reims, où un dieu cornu figure avec Apollon et Mercure ; on peut citer encore l’autel de Beaune et l’autel de Dennevy : dans chacun de ces autels figurent trois personnages dont un tricéphale. Le dieu tricéphale lui-même semble une représentation réduite de la triade. On a souvent fait remarquer que Teutatès, Esus et Taranis, les trois divinités sanguinaires citées par Lucain, pouvaient constituer une triade. Ce qui fait que l’on est tenté de regarder la triade comme une conception celtique, c’est que la triade est dans la littérature des Bretons du Pays de Galles un genre de composition qui a eu un grand succès et qui a été appliqué au droit, à la littérature, à l’histoire. Mais la plus ancienne triade galloise provient d’un manuscrit du XIIe siècle et chez les Irlandais la triade n’a point eu la fortune prodigieuse qu’elle eut chez les Gallois. Saurons-nous jamais si quelque lien relie la triade religieuse des Gallo-Romains au genre littéraire si en honneur chez les Bretons d’Outre-Manche ?
 
, qui portent l’épithète de goborchind « à tête de chèvre ».
 
Sur l’autel de Trèves est figuré un bûcheron abattant un arbre. Sur les branches de cet arbre sont perchées trois grues et on aperçoit dans le feuillage une tête de taureau. C’est évidemment une représentation abrégée du mythe représenté sur deux faces de l’autel de Paris. M. S. Reinach a comparé les deux autels et démontré que Tarvos Trigaranus et Esus appartenaient à la même scène. L’interprétation de cette scène présente de grandes difficultés. M. d Arbois de Jubainville a eu l’ingénieuse idée d’en chercher la survivance dans deux épisodes de la principale épopée du cycle d’Ulster, l’Enlèvement des vaches de Cualngé. Dans l’un de ces épisodes, Cûchulainn, le champion d’Ulster, abat des arbres pour retarder la marche de l’armée ennemie. Dans un autre épisode, la fée Morrigu, sous la forme d’un oiseau, conseille la fuite au taureau Donn. Il y aurait là la mise en action d’une ancienne tradition celtique dont l’écho serait venu jusqu’en Irlande. Le nom d’homme gaulois Donnotaurus qui semble bien signifier « taureau Donn » est encore une preuve de la communauté des légendes entre les Gaulois et les Irlandais. Mais la légende irlandaise ne saurait nous renseigner sur la signification primitive du mythe du bûcheron et du taureau aux trois grues.
 
L’autel de Sarrebourg étudié récemment par M. Salomon Reinach représente un personnage debout, tenant de la main gauche un maillet à longue hampe et de la main droite un vase. A sa droite est une femme de même grandeur, complètement drapée, tenant de la main gauche levée une longue hampe surmontée d’une espèce d’édicule et abaissant la main droite, qui tient une patère, vers un autel. Une inscription placée au-dessus du bas-relief nous apprend que le dieu s’appelle Sucellos et sa parèdre Nantosuelta. Si le second nom est assez obscur, quoiqu’on puisse rapprocher Nanto de l’Irlandais Nêt guerrier de l’épopée irlandaise, Sucellos est évidemment celtique ; le premier terme se retrouve dans les noms gaulois Su-carus, Su-essiones, et le sens du mot semble être « qui frappe bien » ou « qui a un bon marteau ». Le dieu au maillet est une divinité dont l’on a trouvé d’autres représentations qui le plus souvent ne diffèrent guère du Sucellos de Sarrebourg. La plus singulière représente un dieu barbu revêtu d’une peau de lion, s’appuyant de la main gauche sur une hampe et tenant de la main droite un vase ; derrière lui se dresse au-dessus de sa tête un énorme maillet dans lequel sont fichés cinq maillets plus petits rangés en demi-cercle. M. de Barthélemy pense que le dieu au maillet est le Dispater légendaire des Gaulois. Quant au dieu figuré avec une roue sur l’épaule ou à ses pieds, M. H. Gaidoz le regarde comme le dieu gaulois du Soleil ; mais les représentations qu’on en a conservées n’ont point d’inscriptions et il nous est impossible de savoir si cette divinité portait un nom celtique ou non. L’origine celtique ne peut pas non plus être démontrée pour les divinités tricéphales de Reims, de Dennevy, de Beaune et la singulière statuette d’Autun.
 
La déesse romaine Epona représentée souvent sous la formé d’une femme assise sur un cheval est sans doute une divinité d’origine celtique ; son nom s’explique par le breton ebeul poulain ; cf. le mot gaulois epo-redias « conducteurs de chevaux », que Pline l’Ancien [17] nous fait connaître.
 
Nous avons quelques représentations des divinités des eaux ; un fragment d’une statue de la déesse Sequana ; un buste d’une divinité appelée Dirona (par un d barré, spirante dentale souvent représentée par s de l’alphabet latin). Mais parmi toutes les nymphes des eaux auxquelles des ex-voto ont été offerts en Gaule : Acionna, Aventia, Carpunda, Clutonda, Divona, Ura, il en est peu dont les noms soient celtiques. Les fleuves divinisés Icaunis, Matrona, portent des noms qui peuvent être antérieurs à l’occupation de la Gaule par les Celtes, et qui en tout cas ne s’expliquent pas facilement par les langues celtiques.
 
Le Rhin dont Virdomarus se vantait d’être issu [18] a-til été dénommé par les Celtes, et le culte dont il était l’objet a-t-il été inauguré ou continué par les Celtes ? Nous ne pouvons répondre ci cette question.
 
Faut-il regarder comme celtiques les noms des divinités des montagnes : Vosegus dieu des Vosges, Arduinna déesse des Ardennes ?
 
Deux inscriptions témoignent du culte rendu à une ville divinisée : Bibracte, la métropole des Eduens. D’après M. H. d’Arbois de Jubainville, le nom de Lyon, Lugu-dunum, dont le second terme est le nom celtique bien connu dunos, en irlandais dun forteresse, avait pour premier terme le nom d’un dieu gaulois Lugus. On a trouvé dans deux inscriptions le nom de génies Lugoves, qui est le pluriel en celtique de Lugus. Dans l’épopée irlandaise, Lug, le bon ouvrier capable d’exécuter tout ouvrage qu’on lui confie, a gardé sans doute quelques traits de son ancêtre gaulois Lugus, sans qu’il soit possible de restituer avec quelque précision la physionomie de celui-ci.
 
Les divinités celtiques sont souvent, dans les dédicaces, groupées deux à deux, un dieu et une déesse. Nous avons déjà cité Sucellos et Nantosuelta. On trouve de plus dans les inscriptions gallo-romaines Mercure associé à Rosmerta, déesse dont le nom est certainement celtique, cf. Smertullos ; Borvo, le dieu de Bourbonne-les-bains, de Bourbon-Lancy et d’Aix-les-Bains, associé à Damona ; Apollon associé à Sirona, la nymphe des eaux ; Mars associé à Nemetona, dont le nom rappelle celui de Nemon, fée guerrière de l’épopée irlandaise.
 
Ce dualisme n’a rien de particulier aux Celtes. On le trouve fréquemment ailleurs. Le groupement des divinités en triades a plutôt un caractère celtique. Nous avons parlé plus haut de l’autel de Reims, où un dieu cornu figure avec Apollon et Mercure ; on peut citer encore l’autel de Beaune et l’autel de Dennevy : dans chacun de ces autels figurent trois personnages dont un tricéphale. Le dieu tricéphale lui-même semble une représentation réduite de la triade. On a souvent fait remarquer que Teutatès, Esus et Taranis, les trois divinités sanguinaires citées par Lucain, pouvaient constituer une triade. Ce qui fait que l’on est tenté de regarder la triade comme une conception celtique, c’est que la triade est dans la littérature des Bretons du Pays de Galles un genre de composition qui a eu un grand succès et qui a été appliqué au droit, à la littérature, à l’histoire. Mais la plus ancienne triade galloise provient d’un manuscrit du XIIe siècle et chez les Irlandais la triade n’a point eu la fortune prodigieuse qu’elle eut chez les Gallois. Saurons-nous jamais si quelque lien relie la triade religieuse des Gallo-Romains au genre littéraire si en honneur chez les Bretons d’Outre-Manche ?
 
Pour terminer ce qui a trait aux divinités celtiques et à leur représentation, il faut dire quelques mots de certains signes symboliques que l’on trouve sur divers monuments. On a depuis longtemps renoncé à voir dans les monuments mégalithiques l’œuvre d’un peuple celtique et les cupules creusées dans ces monuments et environnées d’un nombre plus ou moins grand de lignes circulaires ne sauraient appartenir à notre sujet. Mais il est possible que les Celtes aient anciennement attaché une idée religieuse au stwastika ou croix gammée ainsi appelée parce qu’elle est formée de quatre gammas grecs dont la barre horizontale est tournée dans le même sens ; ce signe est souvent associé à la roue ou rouelle formée d’un cercle et d’un nombre variable de rayons, que l’on trouve aussi employée seule. On trouve la croix gammée sur des médailles et des monnaies gauloises, quelquefois associée à une tête d’Apollon ; et aussi sur des cippes sans inscriptions de la région pyrénéenne, et des stèles irlandaises du VIIe siècle. On sait que la croix gammée se trouve sur les vêtements de plusieurs personnages représentés sur des peintures des catacombes, où elle semble bien n’avoir qu’une valeur ornementale. Quant aux rouelles, on les trouve figurées avec la croix gammée sur les cippes pyrénéens dont nous venons de parler ; dans de nombreuses enceintes gauloises, on a trouvé en abondance des rouelles en or, en argent, en bronze, en plomb qui servaient sans doute d’amulettes et étaient peut-être, comme l’a pensé M. H. Gaidoz [19] , un symbole du culte du Soleil. Rien ne nous prouve que les Celtes l’aient ainsi interprété.