« Poètes et romanciers modernes de la France/MM. Émile et Antoni Deschamps » : différence entre les versions

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{{journal|Poètes et romanciers modernes de la France. - MM. Émile et Antoni Deschamps (1I)<ref>''Poésies'' de MM. Emile et Antoni Deschamps, chez Delloye, place de la Bourse. </ref>|[[Auteur:Henri Blaze de Bury|Henri Blaze]]|[[Revue des Deux Mondes]] T.27, 1841}}
 
==__MATCH__:[[Page:Revue des Deux Mondes - Période initiale, 4e série, tome 27.djvu/549]]==
 
Nous sommes bien loin aujourd’hui de 1820, époque littéraire et poétique s’il en fut, où tant d’abeilles harmonieuses faisaient leur miel et sortaient par essaims de leur ruche pour venir se livrer au soleil de turbulentes escarmouches, aux applaudissemens d’une jeunesse pleine d’ardeur et d’illusions. Vingt ans se sont écoulés depuis l’apparition de la pléiade romantique ; vingt ans ! plus d’un siècle par le temps qui court ! Aussi la génération nouvelle ose à peine croire à tant de merveilles ; autant vaudrait presque lui parler de Castor et Pollux, frères jumeaux qui combattirent, eux aussi, sous les mêmes astres et sous le même bouclier. Et comment ne pas s‘étonner aujourd’hui, comment ne pas se sentir ravi d’aise au seul récit de cet âge d’or de la poésie, de ces temps fabuleux héroïques et mythologiques, où les dieux olympiens descendaient sur la terre tout armés pour le combat, où les libraires venaient s’offrir d’eux-mêmes, les libraires dont la race semble s’être perdue? Comment ne pas s’émouvoir à l’idée de cette période de gloire et d’émulation généreuse, de cette ère féerique où la poésie était partout, où la ballade, l’ode et le sonnet régnaient en souverains, et ne quittaient pas le salon d’une minute; où le piano laissait dire la cheminée, où pas une soirée, pas un bal, pas une matinée ne se donnait sans quelques milliers de vers, grands ou petits, dithyrambes, élégies, bouquets, rondeaux et virolais, que sais-je? Alors les virtuoses du jour ne s’appelaient ni Rubini, ni Duprez, ni Malibran, ni Grisi, mais Guiraud, Briffant et Soumet; alors un poète valait un pianiste, et l’astre de M. Liszt eût pâli devant l’étoile du chantre de Saül.
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Mozart, Tasse ou Corrège! Et quel est ce pâle adolescent au front prédestiné? l’auteur va nous l’apprendre dans une note : ''M. Anatole de G..., Jeune poète qui se fera connaître''. Qui se fera connaître, d’accord; mais n’eût-il pas été plus convenable d’attendre jusque-là? De toute manière, puisque c’est d’un poète qu’il s’agit, Tasse suffisait ; Mozart et Corrège figurent là comme comparses, l’un pour la cheville, l’autre pour la rime. Sérieusement, il serait temps d’en finir avec ces canonisations littéraires, auxquelles personne ne croit plus, et M. Emile Deschamps moins que personne. Qu’on s’écrive ces choses-là sur un album, qu’on se les dise entre amis, à la cheminée, rien de mieux; mais il faudrait bien ne pas les imprimer, même dans ses œuvres complètes.
 
Les traditions ou plutôt les imitations du ''Romancero'' passeront toujours à bon droit pour le plus beau titre poétique de M. Emile Deschamps. Nous ignorons jusqu’à quel point cela peut être exact et reproduit fidèlement l’original<ref>Ainsi, dès le début, nous trouvons cette strophe:<br />
Les traditions ou plutôt les imitations du ''Romancero'' passeront toujours à bon droit pour le plus beau titre poétique de M. Emile Deschamps. Nous ignorons jusqu’à quel point cela peut être exact et reproduit fidèlement l’original (2); après tout, quand le poète français aurait inventé quelque peu, où serait le grand mal? Si, comme le dit M. Emile Deschamps dans ses notes, quelques pièces lui appartiennent en propre, ces pièces se fondent tellement dans l’ensemble général, qu’on aurait peine à les distinguer. Ceci soit dit à la louange de cette muse flexible qui sait si bien se ployer à tous les genres qu’il lui plaît d’adopter pour un moment. Il règne dans cette imitation du ''Romancero'' une certaine allure castillane, un ton leste et il dégagé qui sied, bien qu’on ne retrouve pas toujours là cette époque barbare faite de lambeaux sublimes rassemblés au hasard et sans ordre (3), épopée sans nom d’auteur, que chacun allonge ou raccourcit selon qu’il lui convient, iliade qui n’a pas même son Homère à jeter en pâture aux savans pour qu’ils le contestent. N’admirez-vous pas comme une adorable réminiscence de la chaste Bethsabé des livres saints la peinture de la jeune Florinde se baignant sous les sycomores et jouant dans les eaux au milieu de ses compagnes, tandis que le roi Rodrigue la guette du haut de ses balcons, et couve de l’oeil sa nudité pudique ? Le viol de doña Florinde, les plaintes de la jeune fille à son père, le désespoir du vieux comte Julien, le châtiment du roi Rodrigue, sa fuite, son repentir et sa mort, tout cela est retracé de main de maître. Vous rencontrez à chaque détour, presque à chaque pas, de beaux vers, des strophes vaillantes et bien frappées, celle-ci par exemple :
::<small> Leurs pieds doux comme la soie </small><br />
::<small> Par l’eau vive sont mouillés ;</small><br />
::<small> Florinde prend avec joie </small><br />
::<small> Sa ceinture et la déploie, </small><br />
::<small> Et dit: Mesurons nos piés.</small><br />
<small> Dans l’espagnol, c’est leurs bras que les royales baigneuses mesurent :</small><br />
::<small> La cava a todas las dijo </small><br />
::Que se midiesen los ''brazos''.</ref>; après tout, quand le poète français aurait inventé quelque peu, où serait le grand mal? Si, comme le dit M. Emile Deschamps dans ses notes, quelques pièces lui appartiennent en propre, ces pièces se fondent tellement dans l’ensemble général, qu’on aurait peine à les distinguer. Ceci soit dit à la louange de cette muse flexible qui sait si bien se ployer à tous les genres qu’il lui plaît d’adopter pour un moment. Il règne dans cette imitation du ''Romancero'' une certaine allure castillane, un ton leste et il dégagé qui sied, bien qu’on ne retrouve pas toujours là cette époque barbare faite de lambeaux sublimes rassemblés au hasard et sans ordre<ref>Par exemple, M. Emile Deschamps voit des ''plians'' et des ''duchesses'' à la cour du roi Goth, absolument comme s’il était à Versailles en plein Louis XV:<br />
::<small> Viens, ou je vais mourir... je veux que les ''duchesses''</small><br />
::<small> Sur ''leurs plians dorés'' pâlissent à ma cour,</small><br />
::<small> Et détestent leur rang, leurs pages, leurs richesses,</small><br />
::<small> En voyant tes grands yeux, ta gloire et mon amour.</small><br />
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::Hier j’avais douze armées,
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<small>(1) ''Poésies'' de MM. Emile et Antoni Deschamps, chez Delloye, place de la Bourse. </small><br />
 
<small>(2) Ainsi, dès le début, nous trouvons cette strophe: </small><br />
 
::<small> Leurs pieds doux comme la soie </small><br />
::<small> Par l’eau vive sont mouillés ;</small><br />
::<small> Florinde prend avec joie </small><br />
::<small> Sa ceinture et la déploie, </small><br />
::<small> Et dit: Mesurons nos piés.</small><br />
<small> Dans l’espagnol, c’est leurs bras que les royales baigneuses mesurent :</small><br />
::<small> La cava a todas las dijo </small><br />
::<small> Que se midiesen los ''brazos''. </small><br />
<small> (3) Par exemple, M. Emile Deschamps voit des ''plians'' et des ''duchesses'' à la cour du roi Goth, absolument comme s’il était à Versailles en plein Louis XV:</small><br />
::<small> Viens, ou je vais mourir... je veux que les ''duchesses''</small><br />
::<small> Sur ''leurs plians dorés'' pâlissent à ma cour,</small><br />
::<small> Et détestent leur rang, leurs pages, leurs richesses,</small><br />
::<small> En voyant tes grands yeux, ta gloire et mon amour.</small><br />
<small> Autant vaudrait affubler le chef barbare d’une perruque à l’oiseau royal et mettre des mouches à Florinde. C’est là, du reste, le seul passage où le traducteur ait sensiblement travesti l’original. O la rime!</small><br />