« La Princesse de Clèves, édition Lepetit, 1820 » : différence entre les versions

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==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/13]]==
MADAME DE LA
FAYETTE
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La présence de la reine autorisait la sienne. Cette princesse était belle, quoiqu'elle eût
passé la première jeunesse ; elle aimait la grandeur, la magnificence et les plaisirs. Le
roi l'avait épousée lorsqu'il était encore duc d'Orléans, et qu'il avait pour aîné le
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/14]]==
duc d'Orléans, et qu'il avait pour aîné le
dauphin, qui mourut à Tournon, prince que sa naissance et ses grandes qualités
destinaient à remplir dignement la place du roi François premier, son père.
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personne parfaite pour l'esprit et pour le corps : elle avait été élevée à la cour de
France, elle en avait pris toute la politesse, et elle était née avec tant de dispositions
pour toutes les belles choses, que, malgré sa grande jeunesse, elle les aimait et s'y
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/15]]==
s'y
connaissait mieux que personne. La reine, sa belle-mère, et Madame, sœur du roi,
aimaient aussi les vers, la comédie et la musique. Le goût que le roi François premier
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science profonde, dont il se servait pour se rendre considérable en défendant la
religion catholique qui commençait d'être attaquée. Le chevalier de Guise, que l'on
appela depuis le grand prieur, était un prince aimé de tout le monde, bien fait, plein
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/16]]==
aimé de tout le monde, bien fait, plein
d'esprit, plein d'adresse, et d'une valeur célèbre par toute l'Europe. Le prince de Condé,
dans un petit corps peu favorisé de la nature, avait une âme grande et hautaine, et un
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extraordinaire dans tous ses exercices, une manière de s'habiller qui était toujours
suivie de tout le monde, sans pouvoir être imitée, et enfin, un air dans toute sa
personne,
personne, qui faisait qu'on ne pouvait regarder que lui dans tous les lieux où il
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/17]]==
qui faisait qu'on ne pouvait regarder que lui dans tous les lieux où il
paraissait. Il n'y avait aucune dame dans la cour, dont la gloire n'eût été flattée de le
voir attaché à elle ; peu de celles à qui il s'était attaché se pouvaient vanter de lui avoir
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gouvernait avec un empire si absolu, que l'on peut dire qu'elle était maîtresse de sa
personne et de l'État.
Le roi avait toujours aimé le connétable, et sitôt qu'il avait commencé à régner, il l'avait
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/18]]==
qu'il avait commencé à régner, il l'avait
rappelé de l'exil où le roi François premier l'avait envoyé. La cour était partagée entre
messieurs de Guise et le connétable, qui était soutenu des princes du sang. L'un et
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son alliance, par le mariage de mademoiselle de La Marck, sa petite fille, avec
monsieur d'Anville, son second fils, qui succéda depuis à sa charge sous le règne de
Charles IX. Le connétable ne crut pas trouver d'obstacles dans l'esprit de monsieur
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/19]]==
ne crut pas trouver d'obstacles dans l'esprit de monsieur
d'Anville pour un mariage, comme il en avait trouvé dans l'esprit de monsieur de
Montmorency ; mais, quoique les raisons lui en fussent cachées, les difficultés n'en
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Quint avait vu finir sa bonne fortune devant la ville de Metz, qu'il avait assiégée
inutilement avec toutes les forces de l'Empire et de l'Espagne. Néanmoins, comme le
malheur de Saint-Quentin avait diminué l'espérance de nos conquêtes, et que, depuis,
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/20]]==
avait diminué l'espérance de nos conquêtes, et que, depuis,
la fortune avait semblé se partager entre les deux rois, ils se trouvèrent insensiblement
disposés à la paix.
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prince, et avec tant d'empressement, que, quand monsieur de Randan fut revenu, et
qu'il rendit compte au roi de son voyage, il lui dit qu'il n'y avait rien que monsieur de
Nemours ne pût prétendre auprès de cette princesse, et qu'il ne doutait point qu'elle ne
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/21]]==
point qu'elle ne
fût capable de l'épouser. Le roi en parla à ce prince dès le soir même ; il lui fit conter
par monsieur de Randan toutes ses conversations avec Élisabeth, et lui conseilla de
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Il parut alors une beauté à la cour, qui attira les yeux de tout le monde, et l'on doit croire
que c'était une beauté parfaite, puisqu'elle donna de l'admiration dans un lieu où l'on
était si accoutumé à voir de belles personnes. Elle était de la même maison que le
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/22]]==
le
vidame de Chartres, et une des plus grandes héritières de France. Son père était mort
jeune, et l'avait laissée sous la conduite de madame de Chartres, sa femme, dont le
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aimée.
Cette héritière était alors un des grands partis qu'il y eût en France ; et quoiqu'elle fût
dans une extrême jeunesse, l'on avait déjà proposé plusieurs mariages. Madame de
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/23]]==
Madame de
Chartres, qui était extrêmement glorieuse, ne trouvait presque rien digne de sa fille ; la
voyant dans sa seizième année, elle voulut la mener à la cour. Lorsqu'elle arriva, le
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c'était une fille ; mais ne lui voyant point de mère, et l'Italien qui ne la connaissait point
l'appelant madame, il ne savait que penser, et il la regardait toujours avec étonnement.
Il s'aperçut
Il s'aperçut que ses regards l'embarrassaient, contre l'ordinaire des jeunes personnes
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/24]]==
que ses regards l'embarrassaient, contre l'ordinaire des jeunes personnes
qui voient toujours avec plaisir l'effet de leur beauté ; il lui parut même qu'il était cause
qu'elle avait de l'impatience de s'en aller, et en effet elle sortit assez promptement.
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Monsieur de Clèves y vint à son ordinaire ; il était si rempli de l'esprit et de la beauté de
mademoiselle de Chartres, qu'il ne pouvait parler d'autre chose. Il conta tout haut son
aventure, et ne pouvait se lasser de donner des louanges à cette personne qu'il avait
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/25]]==
donner des louanges à cette personne qu'il avait
vue, qu'il ne connaissait point. Madame lui dit qu'il n'y avait point de personne comme
celle qu'il dépeignait, et que s'il y en avait quelqu'une, elle serait connue de tout le
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Monsieur de Clèves sentit de la joie de voir que cette personne qu'il avait trouvée si
aimable était d'une qualité proportionnée à sa beauté ; il s'approcha d'elle, et il la
supplia de se souvenir qu'il avait été le premier à l'admirer, et que, sans la connaître, il
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/26]]==
l'admirer, et que, sans la connaître, il
avait eu pour elle tous les sentiments de respect et d'estime qui lui étaient dus.
Le chevalier de Guise et lui, qui étaient amis, sortirent ensemble de chez Madame. Ils
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souhaitait ardemment de l'épouser ; mais il craignait que l'orgueil de madame de
Chartres ne fût blessé de donner sa fille à un homme qui n'était pas l'aîné de sa
maison. Cependant
maison. Cependant cette maison était si grande, et le comte d'Eu, qui en était l'aîné,
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/27]]==
cette maison était si grande, et le comte d'Eu, qui en était l'aîné,
venait d'épouser une personne si proche de la maison royale, que c'était plutôt la
timidité que donne l'amour, que de véritables raisons, qui causaient les craintes de
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et où il y avait tant d'exemples si dangereux. L'ambition et la galanterie étaient l'âme de
cette cour, et occupaient également les hommes et les femmes. Il y avait tant d'intérêts
et tant de cabales différentes, et les dames y avaient tant de part, que l'amour était
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/28]]==
et les dames y avaient tant de part, que l'amour était
toujours mêlé aux affaires, et les affaires à l'amour. Personne n'était tranquille, ni
indifférent ; on songeait à s'élever, à plaire, à servir ou à nuire ; on ne connaissait ni
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Toutes ces différentes cabales avaient de l'émulation et de l'envie les unes contre les
autres : les dames qui les composaient avaient aussi de la jalousie entre elles, ou pour
la faveur, ou pour les amants ; les intérêts de grandeur et d'élévation se trouvaient
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/29]]==
grandeur et d'élévation se trouvaient
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souvent joints à ces autres intérêts moins importants, mais qui n'étaient pas moins
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depuis. Il eût plutôt consenti à voir son frère entrer dans tout autre alliance que dans
celle de ce vidame ; et il déclara si publiquement combien il en était éloigné, que
madame
madame de Chartres en fut sensiblement offensée. Elle prit de grands soins de faire
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/30]]==
de Chartres en fut sensiblement offensée. Elle prit de grands soins de faire
voir que le cardinal de Lorraine n'avait rien à craindre, et qu'elle ne songeait pas à ce
mariage. Le vidame prit la même conduite, et sentit, encore plus que madame de
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vidame qui était dans une grande considération, et qu'en effet sa fille était un parti
considérable, elle agit avec tant d'adresse et tant de succès, que monsieur de
Montpensier
Montpensier parut souhaiter ce mariage, et il semblait qu'il ne s'y pouvait trouver de
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/31]]==
parut souhaiter ce mariage, et il semblait qu'il ne s'y pouvait trouver de
difficultés.
Le vidame, qui savait l'attachement de monsieur d'Anville pour la reine dauphine, crut
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seigneurs à la cour, et la faveur de la maison de Montmorency l'avait particulièrement
attaché à monsieur d'Anville. Il était bien fait de sa personne, adroit à toutes sortes
d'exercices ; il chantait agréablement, il faisait des vers, et avait un esprit galant et
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/32]]==
avait un esprit galant et
passionné qui plut si fort à monsieur d'Anville, qu'il le fit confident de l'amour qu'il avait
pour la reine dauphine. Cette confidence l'approchait de cette princesse, et ce fut en la
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haïssent qu'à cause de la reine ma mère, qui leur a donné autrefois de l'inquiétude et
de la jalousie. Le roi en avait été amoureux avant qu'il le fût de madame de
Valentinois ; et
Valentinois ; et dans les premières années de son mariage, qu'il n'avait point encore
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/33]]==
dans les premières années de son mariage, qu'il n'avait point encore
d'enfants, quoiqu'il aimât cette duchesse, il parut quasi résolu de se démarier pour
épouser la reine ma mère. Madame de Valentinois qui craignait une femme qu'il avait
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lui ressembler aussi par sa malheureuse destinée, et, quelque bonheur qui semble se
préparer pour moi, je ne saurais croire que j'en jouisse.
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Mademoiselle de Chartres dit à la reine que ces tristes pressentiments étaient si mal
fondés, qu'elle ne les conserverait pas longtemps, et qu'elle ne devait point douter que
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aux assemblées ; il était difficile d'avoir une conversation particulière. Il en trouva
pourtant les moyens, et il lui parla de son dessein et de sa passion avec tout le respect
imaginable ; il la pressa de lui faire connaître quels étaient les sentiments qu'elle avait
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/35]]==
pressa de lui faire connaître quels étaient les sentiments qu'elle avait
pour lui, et il lui dit que ceux qu'il avait pour elle étaient d'une nature qui le rendrait
éternellement malheureux, si elle n'obéissait que par devoir aux volontés de madame
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mariage fut su de tout le monde.
Monsieur de Clèves se trouvait heureux, sans être néanmoins entièrement content. Il
voyait avec beaucoup de peine que les sentiments de mademoiselle de Chartres ne
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peine que les sentiments de mademoiselle de Chartres ne
passaient pas ceux de l'estime et de la reconnaissance, et il ne pouvait se flatter qu'elle
en cachât de plus obligeants, puisque l'état où ils étaient lui permettait de les faire
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non pas un mouvement de votre cœur, et je n'en tire que l'avantage que j'en dois tirer.
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Mademoiselle de Chartres ne savait que répondre, et ces distinctions étaient au-
dessus de ses connaissances. Monsieur de Clèves ne voyait que trop combien elle
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Clèves ne l'avait pas touchée, non plus que les autres. Cela fut cause qu'elle prit de
grands soins de l'attacher à son mari, et de lui faire comprendre ce qu'elle devait à
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/38]]==
l'inclination qu'il avait eue pour elle, avant que de la connaître, et à la passion qu'il lui
avait témoignée en la préférant à tous les autres partis, dans un temps où personne
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voyaient chez elle et chez le duc de Nevers, son beau-frère, dont la maison était
ouverte à tout le monde ; mais elle avait un air qui inspirait un si grand respect, et qui
paraissait si éloigné de la galanterie, que le maréchal de Saint-André, quoique
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/39]]==
André, quoique
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audacieux et soutenu de la faveur du roi, était touché de sa beauté, sans oser le lui
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dessein qui l'y conduisait, et il se hâta lui-même de venir à la cour pour assister au
mariage de monsieur de Lorraine.
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/40]]==
Il arriva la veille des fiançailles ; et dès le même soir qu'il fut arrivé, il alla rendre compte
au roi de l'état de son dessein, et recevoir ses ordres et ses conseils pour ce qu'il lui
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aussi de voir madame de Clèves pour la première fois, sans avoir un grand
étonnement.
Monsieur de Nemours fut tellement surpris de sa beauté, que, lorsqu'il fut proche d'elle,
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/41]]==
fut tellement surpris de sa beauté, que, lorsqu'il fut proche d'elle,
et qu'elle lui fit la révérence, il ne put s'empêcher de donner des marques de son
admiration. Quand ils commencèrent à danser, il s'éleva dans la salle un murmure de
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admirer que madame de Clèves.
Le chevalier de Guise, qui l'adorait toujours, était à ses pieds, et ce qui se venait de
passer lui avait
passer lui avait donné une douleur sensible. Il prit comme un présage, que la fortune
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/42]]==
donné une douleur sensible. Il prit comme un présage, que la fortune
destinait monsieur de Nemours à être amoureux de madame de Clèves ; et soit qu'en
effet il eût paru quelque trouble sur son visage, ou que la jalousie fit voir au chevalier
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de temps, une grande impression dans son cœur.
Il est vrai aussi que, comme monsieur de Nemours sentait pour elle une inclination
violente, qui lui donnait cette douceur et cet enjouement qu'inspirent les premiers désirs
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/43]]==
désirs
de plaire, il était encore plus aimable qu'il n'avait accoutumé de l'être ; de sorte que, se
voyant souvent, et se voyant l'un et l'autre ce qu'il y avait de plus parfait à la cour, il
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aimé le roi avec une fidélité exacte, qu'elle l'eût aimé par rapport à sa seule personne,
sans intérêt de grandeur, ni de fortune, et sans se servir de son pouvoir que pour des
choses honnêtes ou agréables au roi même, il faut avouer qu'on aurait eu de la peine à
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/44]]==
qu'on aurait eu de la peine à
s'empêcher de louer ce prince du grand attachement qu'il a pour elle. Si je ne craignais,
continua madame de Chartres, que vous disiez de moi ce que l'on dit de toutes les
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-- Si vous jugez sur les apparences en ce lieu-ci, répondit madame de Chartres, vous
serez souvent trompée : ce qui paraît n'est presque jamais la vérité.
"Mais pour revenir à madame de Valentinois, vous savez qu'elle s'appelle Diane de
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/45]]==
qu'elle s'appelle Diane de
Poitiers ; sa maison est très illustre, elle vient des anciens ducs d'Aquitaine, son aïeule
était fille naturelle de Louis XI, et enfin il n'y a rien que de grand dans sa naissance.
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de Valentinois n'épousa monsieur de Brézé, grand sénéchal de Normandie, dans le
même temps que le roi devint amoureux de madame d'Étampes. Jamais il n'y a eu une
si grande haine que l'a été celle de ces deux femmes. La duchesse de Valentinois ne
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/46]]==
de Valentinois ne
pouvait pardonner à madame d'Étampes de lui avoir ôté le titre de maîtresse du roi.
Madame d'Étampes avait une jalousie violente contre madame de Valentinois, parce
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marques. Son fils ne craignit ni sa colère, ni sa haine, et rien ne put l'obliger à diminuer
son attachement, ni à le cacher ; il fallut que le roi s'accoutumât à le souffrir. Aussi cette
opposition à ses volontés l'éloigna encore de lui, et l'attacha davantage au duc
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/47]]==
de lui, et l'attacha davantage au duc
d'Orléans, son troisième fils. C'était un prince bien fait, beau, plein de feu et d'ambition,
d'une jeunesse fougueuse, qui avait besoin d'être modéré, mais qui eût fait aussi un
Ligne 720 ⟶ 785 :
intrigues ne se bornèrent pas seulement à des démêlés de femmes.
"L'Empereur, qui avait conservé de l'amitié pour le duc d'Orléans, avait offert plusieurs
fois de lui remettre le duché de Milan. Dans les propositions qui se firent depuis pour la
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/48]]==
depuis pour la
paix, il faisait espérer de lui donner les dix-sept provinces, et de lui faire épouser sa
fille. Monsieur le dauphin ne souhaitait ni la paix, ni ce mariage. Il se servit de monsieur
Ligne 740 ⟶ 807 :
une des plus belles femmes de la cour, et en était aimé. Je ne vous la nommerai pas,
parce qu'elle a vécu depuis avec tant de sagesse et qu'elle a même caché avec tant de
soin la passion qu'elle avait pour ce prince, qu'elle a mérité que l'on conserve sa
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/49]]==
sa
réputation. Le hasard fit qu'elle reçut la nouvelle de la mort de son mari, le même jour
qu'elle apprit celle de monsieur d'Orléans ; de sorte qu'elle eut ce prétexte pour cacher
Ligne 760 ⟶ 829 :
du comte de Brissac, dont le roi avait déjà eu beaucoup de jalousie ; néanmoins elle fit
si bien, que le comte de Taix fut disgracié ; on lui ôta sa charge ; et, ce qui est presque
incroyable, elle la fit donner au comte de Brissac, et l'a fait ensuite maréchal de France.
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/50]]==
ensuite maréchal de France.
La jalousie du roi augmenta néanmoins d'une telle sorte, qu'il ne put souffrir que ce
maréchal demeurât à la cour ; mais la jalousie, qui est aigre et violente en tous les
Ligne 781 ⟶ 852 :
vous ai plus appris de choses, que vous n'aviez envie d'en savoir.
-- Je suis très éloignée, Madame, de faire cette plainte, répondit madame de Clèves ; et
sans la peur de vous importuner, je vous demanderais encore plusieurs circonstances
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/51]]==
je vous demanderais encore plusieurs circonstances
que j'ignore.
La passion de monsieur de Nemours pour madame de Clèves fut d'abord si violente,
Ligne 801 ⟶ 874 :
peine à s'en apercevoir elle-même, si l'inclination qu'elle avait pour lui ne lui eût donné
une attention particulière pour ses actions, qui ne lui permît pas d'en douter.
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/52]]==
Elle ne se trouva pas la même disposition à dire à sa mère ce qu'elle pensait des
sentiments de ce prince, qu'elle avait eue à lui parler de ses autres amants ; sans avoir
Ligne 821 ⟶ 895 :
dauphine s'en alla chez elle ; elle y trouva madame de Clèves et quelques autres
dames qui étaient le plus dans sa familiarité.
Comme il était déjà assez tard, et qu'elle n'était point habillée, elle n'alla pas chez la
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/53]]==
point habillée, elle n'alla pas chez la
reine ; elle fit dire qu'on ne la voyait point, et fit apporter ses pierreries afin d'en choisir
pour le bal du maréchal de Saint-André, et pour en donner à madame de Clèves, à qui
Ligne 841 ⟶ 917 :
qu'elles en sont entièrement occupées ; que ce soin de se parer est pour tout le
monde, aussi bien que pour celui qu'elles aiment ; que lorsqu'elles sont au bal, elles
veulent plaire à tous ceux qui les regardent ; que, quand elles sont contentes de leur
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/54]]==
leur
beauté, elles en ont une joie dont leur amant ne fait pas la plus grande partie. Il dit
aussi que, quand on n'est point aimé, on souffre encore davantage de voir sa
Ligne 864 ⟶ 942 :
une chose agréable pour l'amant, que sa maîtresse le voie le maître d'un lieu où est
toute la cour, et qu'elle le voie se bien acquitter d'en faire les honneurs.
-- Monsieur
-- Monsieur de Nemours avait raison, dit la reine dauphine en souriant, d'approuver que
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/55]]==
de Nemours avait raison, dit la reine dauphine en souriant, d'approuver que
sa maîtresse allât au bal. Il y avait alors un si grand nombre de femmes à qui il donnait
cette qualité, que si elles n'y fussent point venues, il y aurait eu peu de monde.
Ligne 882 ⟶ 962 :
qu'elle fît la malade pour avoir un prétexte de n'y pas aller, parce que les raisons qui
l'en empêchaient ne seraient pas approuvées, et qu'il fallait même empêcher qu'on ne
les soupçonnât. Madame de Clèves consentit volontiers à passer quelques jours chez
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/56]]==
jours chez
elle, pour ne point aller dans un lieu où monsieur de Nemours ne devait pas être ; et il
partit sans avoir le plaisir de savoir qu'elle n'irait pas.
Ligne 903 ⟶ 985 :
prit la parole avec un air qui semblait être appuyé sur la vérité.
-- Je vous assure, Madame, dit-elle à madame la dauphine, que Votre Majesté fait plus
d'honneur à ma fille qu'elle n'en mérite. Elle était véritablement malade ; mais je crois
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/57]]==
véritablement malade ; mais je crois
que si je ne l'en eusse empêchée, elle n'eût pas laissé de vous suivre et de se montrer
aussi changée qu'elle était, pour avoir le plaisir de voir tout ce qu'il y a eu
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sentiments pour le prince, de peur de se rendre suspecte sur les choses qu'elle avait
envie de lui dire. Elle se mit un jour à parler de lui ; elle lui en dit du bien, et y mêla
beaucoup de louanges empoisonnées sur la sagesse qu'il avait d'être incapable de
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/58]]==
qu'il avait d'être incapable de
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devenir amoureux, et sur ce qu'il ne se faisait qu'un plaisir, et non pas un attachement
Ligne 944 ⟶ 1 030 :
ceux que monsieur de Clèves lui avait tant demandés ; elle trouva combien il était
honteux de les avoir pour un autre que pour un mari qui les méritait. Elle se sentit
blessée et
blessée et embarrassée de la crainte que monsieur de Nemours ne la voulût faire servir
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/59]]==
embarrassée de la crainte que monsieur de Nemours ne la voulût faire servir
de prétexte à madame la dauphine, et cette pensée la détermina à conter à madame
de Chartres ce qu'elle ne lui avait point encore dit.
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dauphine, de lui voir chercher des raisons et s'étonner d'une chose dont apparemment
elle savait mieux la vérité que personne. Elle ne put s'empêcher de lui en témoigner
quelque chose ; et comme les autres dames s'éloignèrent, elle s'approcha d'elle, et lui
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/60]]==
s'éloignèrent, elle s'approcha d'elle, et lui
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dit tout bas :
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Chartres, et pour empêcher sa femme de s'abandonner à la tristesse, mais pour avoir
aussi le plaisir de la voir ; sa passion n'était point diminuée.
Monsieur de Nemours, qui avait toujours eu beaucoup d'amitié pour lui, n'avait pas
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/61]]==
amitié pour lui, n'avait pas
cessé de lui en témoigner depuis son retour de Bruxelles. Pendant la maladie de
madame de Chartres, ce prince trouva le moyen de voir plusieurs fois madame de
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-- Il faut nous quitter, ma fille, lui dit-elle, en lui tendant la main ; le péril où je vous
laisse, et le besoin que vous avez de moi, augmentent le déplaisir que j'ai de vous
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/62]]==
quitter. Vous avez de l'inclination pour monsieur de Nemours ; je ne vous demande
point de me l'avouer : je ne suis plus en état de me servir de votre sincérité pour vous
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les siennes, et madame de Chartres se sentant touchée elle-même :
-- Adieu, ma fille, lui dit-elle, finissons une conversation qui nous attendrit trop l'une et
l'autre, et souvenez-vous, si vous pouvez, de tout ce que je viens de vous dire.
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/63]]==
si vous pouvez, de tout ce que je viens de vous dire.
Elle se tourna de l'autre côté en achevant ces paroles, et commanda à sa fille d'appeler
ses femmes, sans vouloir l'écouter, ni parler davantage. Madame de Clèves sortit de la
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de tendresse qu'elle n'avait encore fait ; elle ne voulait point qu'il la quittât, et il lui
semblait qu'à force de s'attacher à lui, il la défendrait contre monsieur de Nemours.
Ce prince vint voir monsieur de Clèves à la campagne. Il fit ce qu'il put pour rendre
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/64]]==
fit ce qu'il put pour rendre
aussi une visite à madame de Clèves ; mais elle ne le voulut point recevoir, et, sentant
bien qu'elle ne pouvait s'empêcher de le trouver aimable, elle avait fait une forte
Ligne 1 068 ⟶ 1 165 :
n'y avait point de femme à la cour que vous estimassiez davantage.
-- Il est vrai, répondit-il, mais les femmes sont incompréhensibles, et, quand je les vois
toutes, je me trouve si heureux de vous avoir, que je ne saurais assez admirer mon
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/65]]==
avoir, que je ne saurais assez admirer mon
bonheur.
-- Vous m'estimez plus que je ne vaux, répliqua madame de Clèves en soupirant, et il
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chez elle qu'il en était devenu amoureux.
"Un soir qu'il devait y avoir une comédie au Louvre, et que l'on n'attendait plus que le
roi et madame de Valentinois pour commencer, l'on vint dire qu'elle s'était trouvée mal,
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/66]]==
 
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/67]]==
dire qu'elle s'était trouvée mal,
et que le roi ne viendrait pas. On jugea aisément que le mal de cette duchesse était
quelque démêlé avec le roi. Nous savions les jalousies qu'il avait eues du maréchal de
Brissac, pendant qu'il avait été à la cour ; mais il était retourné en Piémont depuis
quelques jours, et nous ne pouvions imaginer le sujet de cette brouillerie.
"Comme j'en parlais avec Sancerre, monsieur d'Anville arriva dans la salle, et me dit
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/68]]==
arriva dans la salle, et me dit
tout bas que le roi était dans une affliction et dans une colère qui faisaient pitié ; qu'en
un raccommodement qui s'était fait entre lui et madame de Valentinois, il y avait
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confier, et dont je lui défendais d'en parler.
"Le lendemain matin, j'allai d'assez bonne heure chez ma belle-sœur ; je trouvai
madame de Tournon au chevet de son lit. Elle n'aimait pas madame de Valentinois, et
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/69]]==
et
elle savait bien que ma belle-sœur n'avait pas sujet de s'en louer. Sancerre avait été
chez elle au sortir de la comédie. Il lui avait appris la brouillerie du roi avec cette
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appris la brouillerie du roi et de madame de Valentinois.
"Je m'en allai à l'heure même trouver Sancerre, je lui fis des reproches, et je lui dis que
je savais sa passion pour madame de Tournon, sans lui dire comment je l'avais
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/70]]==
je l'avais
découverte. Il fut contraint de me l'avouer. Je lui contai ensuite ce qui me l'avait
apprise, et il m'apprit aussi le détail de leur aventure ; il me dit que, quoiqu'il fût cadet
Ligne 1 157 ⟶ 1 266 :
souhaitait plutôt par intérêt que par une véritable passion. Il lui en parla toutefois, et elle
lui parut résolue à l'épouser ; elle commença même à quitter cette retraite où elle vivait,
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/71]]==
et à se remettre dans le monde. Elle venait chez ma belle-sœur à des heures où une
partie de la cour s'y trouvait. Sancerre n'y venait que rarement ; mais ceux qui y étaient
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reconnaissance.
"Je vous donne, lui dis-je, le conseil que je prendrais pour moi-même ; car la sincérité
me touche d'une telle sorte, que je crois que si ma maîtresse, et même ma femme,
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/72]]==
femme,
m'avouait que quelqu'un lui plût, j'en serais affligé sans en être aigri. Je quitterais le
personnage d'amant ou de mari, pour la conseiller et pour la plaindre."
Ligne 1 197 ⟶ 1 309 :
que je m'en étais imaginé.
"Je n'ai jamais vu une douleur si profonde et si tendre ; dès le moment qu'il me vit, il
m'embrassa, fondant en larmes : Je ne la verrai plus, me dit-il, je ne la verrai plus, elle
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/73]]==
ne la verrai plus, elle
est morte ! je n'en étais pas digne, mais je la suivrai bientôt.
"Après cela il se tut ; et puis, de temps en temps redisant toujours : Elle est morte, et je
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pire que sa mort.
"Je crus que la douleur le troublait entièrement, et je ne pouvais m'imaginer qu'il y eût
quelque chose de pire que la mort d'une maîtresse que l'on aime, et dont on est aimé.
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/74]]==
dont on est aimé.
Je lui dis que tant que son affliction avait eu des bornes, je l'avais approuvée, et que j'y
étais entré ; mais que je ne le plaindrais plus s'il s'abandonnait au désespoir, et s'il
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qu'il avait été assis, il avait commencé à pleurer et qu'il lui avait dit qu'il lui demandait
pardon de lui avoir caché ce qu'il lui allait apprendre ; qu'il le priait d'avoir pitié de lui ;
qu'il
qu'il venait lui ouvrir son cœur, et qu'il voyait l'homme du monde le plus affligé de la
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/75]]==
venait lui ouvrir son cœur, et qu'il voyait l'homme du monde le plus affligé de la
mort de madame de Tournon.
"Ce nom, me dit Sancerre, m'a tellement surpris, que, quoique mon premier
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dire ; j'ai passé ensuite à vouloir m'éclaircir, je l'ai questionné, je lui ai fait paraître des
doutes ; enfin j'ai tant fait pour m'assurer de mon malheur, qu'il m'a demandé si je
connaissais l'écriture de madame de Tournon. Il a mis sur mon lit quatre de ses lettres
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/76]]==
sur mon lit quatre de ses lettres
et son portrait ; mon frère est entré dans ce moment. Estouteville avait le visage si plein
de larmes, qu'il a été contraint de sortir pour ne se pas laisser voir ; il m'a dit qu'il
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consoler. Aujourd'hui, tous mes sentiments sont injustes. Je paye à une passion feinte
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==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/77]]==
qu'elle a eue pour moi le même tribut de douleur que je croyais devoir à une passion
véritable. Je ne puis ni haïr, ni aimer sa mémoire ; je ne puis me consoler ni m'affliger.
Ligne 1 299 ⟶ 1 420 :
nuit à tâcher de le rendre capable de raison. Ce matin je l'ai encore trouvé plus affligé ;
son frère est demeuré auprès de lui, et je suis revenu auprès de vous."
--
-- L'on ne peut être plus surprise que je le suis, dit alors madame de Clèves, et je
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/78]]==
L'on ne peut être plus surprise que je le suis, dit alors madame de Clèves, et je
croyais madame de Tournon incapable d'amour et de tromperie.
-- L'adresse et la dissimulation, reprit monsieur de Clèves, ne peuvent aller plus loin
Ligne 1 319 ⟶ 1 442 :
à ses sentiments, qui lui faisait croire qu'ils étaient entièrement effacés.
Dès le même soir qu'elle fut arrivée, madame la dauphine la vint voir, et après lui avoir
témoigné la part
témoigné la part qu'elle avait prise à son affliction, elle lui dit que, pour la détourner de
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/79]]==
qu'elle avait prise à son affliction, elle lui dit que, pour la détourner de
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ces tristes pensées, elle voulait l'instruire de tout ce qui s'était passé à la cour en son
Ligne 1 340 ⟶ 1 465 :
en Angleterre comme un prétendu mari de la reine, sans être assuré du succès. "Il me
semble aussi, ajouta-t-il, que je prendrais mal mon temps, de faire ce voyage
présentement que le roi d'Espagne fait de si grandes instances pour épouser cette
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/80]]==
d'Espagne fait de si grandes instances pour épouser cette
reine. Ce ne serait peut-être pas un rival bien redoutable dans une galanterie ; mais je
pense que dans un mariage Votre Majesté ne me conseillerait pas de lui disputer
Ligne 1 360 ⟶ 1 487 :
quelques jours, qu'il est mort à Padoue, où il était relégué. Je vois bien, ajouta-t-il, en
quittant monsieur de Nemours, qu'il faudrait faire votre mariage comme on ferait celui
de monsieur le dauphin, et envoyer épouser la reine d'Angleterre par des
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/81]]==
envoyer épouser la reine d'Angleterre par des
ambassadeurs.
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Ligne 1 382 ⟶ 1 511 :
réflexion.
-- Monsieur d'Anville, ajouta-t-elle, qui, comme je vous viens de dire, m'a appris tout ce
détail, m'en croit mieux instruite que lui ; et il a une si grande opinion de mes charmes,
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/82]]==
que lui ; et il a une si grande opinion de mes charmes,
qu'il est persuadé que je suis la seule personne qui puisse faire de si grands
changements en monsieur de Nemours.
Ligne 1 405 ⟶ 1 536 :
Je crois qu'elle sera inconsolable ; ce n'est pas une chose qui puisse plaire d'épouser
un homme de l'âge et de l'humeur du roi d'Espagne, surtout à elle qui a toute la joie que
donne la première jeunesse jointe à la beauté, et qui s'attendait d'épouser un jeune
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/83]]==
jointe à la beauté, et qui s'attendait d'épouser un jeune
prince pour qui elle a de l'inclination sans l'avoir vu. Je ne sais si le roi en elle trouvera
toute l'obéissance qu'il désire ; il m'a chargée de la voir parce qu'il sait qu'elle m'aime,
Ligne 1 425 ⟶ 1 558 :
acheva de lui donner une rougeur qui ne diminuait pas sa beauté. Il s'assit vis-à-vis
d'elle, avec cette crainte et cette timidité que donnent les véritables passions. Il
demeura quelque temps sans pouvoir parler. Madame de Clèves n'était pas moins
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/84]]==
temps sans pouvoir parler. Madame de Clèves n'était pas moins
interdite, de sorte qu'ils gardèrent assez longtemps le silence. Enfin monsieur de
Nemours prit la parole, et lui fit des compliments sur son affliction ; madame de Clèves,
Ligne 1 448 ⟶ 1 583 :
voulût acheter au prix de ne les voir jamais. Les femmes jugent d'ordinaire de la
passion qu'on a pour elles, continua-t-il, par le soin qu'on prend de leur plaire et de les
chercher ; mais ce n'est pas une chose difficile pour peu qu'elles soient aimables ; ce
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/85]]==
pas une chose difficile pour peu qu'elles soient aimables ; ce
qui est difficile, c'est de ne s'abandonner pas au plaisir de les suivre ; c'est de les
éviter, par la peur de laisser paraître au public, et quasi à elles-mêmes, les sentiments
Ligne 1 467 ⟶ 1 604 :
monsieur de Clèves n'eût fini la conversation et sa visite.
Ce prince venait conter à sa femme des nouvelles de Sancerre ; mais elle n'avait pas
une grande curiosité pour la suite de cette aventure. Elle était si occupée de ce qui se
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/86]]==
de ce qui se
venait de passer, qu'à peine pouvait-elle cacher la distraction de son esprit. Quand elle
fut en liberté de rêver, elle connut bien qu'elle s'était trompée, lorsqu'elle avait cru
Ligne 1 489 ⟶ 1 628 :
Page 38
Monsieur de Clèves fut malade à peu près dans le même temps. Madame de Clèves
ne sortit point de sa chambre pendant son mal ; mais quand il se porta mieux, qu'il vit
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/87]]==
pendant son mal ; mais quand il se porta mieux, qu'il vit
du monde, et entre autres monsieur de Nemours qui, sur le prétexte d'être encore
faible, y passait la plus grande partie du jour, elle trouva qu'elle n'y pouvait plus
Ligne 1 510 ⟶ 1 651 :
Monsieur de Clèves, qui avait naturellement beaucoup de douceur et de complaisance
pour sa femme, n'en eut pas en cette occasion, et il lui dit qu'il ne voulait pas
absolument qu'elle changeât de conduite. Elle fut prête de lui dire que le bruit était dans
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/88]]==
de lui dire que le bruit était dans
le monde, que monsieur de Nemours était amoureux d'elle ; mais elle n'eut pas la force
de le nommer. Elle sentit aussi de la honte de se vouloir servir d'une fausse raison, et
Ligne 1 531 ⟶ 1 674 :
qui ne me convenait pas, s'il m'eût connu. Il me prédit que je serais tué en duel. Il dit
ensuite à monsieur de Guise qu'il serait tué par derrière et à d'Escars qu'il aurait la tête
cassée d'un coup de pied de cheval. Monsieur de Guise s'offensa quasi de cette
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/89]]==
Guise s'offensa quasi de cette
prédiction, comme si on l'eût accusé de devoir fuir. D'Escars ne fut guère satisfait de
trouver qu'il devait finir par un accident si malheureux. Enfin nous sortîmes tous très
Ligne 1 553 ⟶ 1 698 :
-- Je lui disais, Madame, répondit-il, que l'on m'a prédit que je serais élevé à une si
haute fortune, que je n'oserais même y prétendre.
-- Si l'on ne vous a fait que cette prédiction, repartit madame la dauphine en souriant, et
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/90]]==
fait que cette prédiction, repartit madame la dauphine en souriant, et
pensant à l'affaire d'Angleterre, je ne vous conseille pas de décrier l'astrologie, et vous
pourriez trouver des raisons pour la soutenir.
Ligne 1 574 ⟶ 1 721 :
homme de la cour qui eût démêlé cette vérité ; son intérêt l'avait rendu plus clairvoyant
que les autres ; la connaissance qu'ils avaient de leurs sentiments leur donnait une
aigreur qui paraissait en toutes choses, sans éclater néanmoins par aucun démêlé ;
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/91]]==
néanmoins par aucun démêlé ;
mais ils étaient opposés en tout. Ils étaient toujours de différent parti dans les courses
de bague, dans les combats, à la barrière et dans tous les divertissements où le roi
Ligne 1 595 ⟶ 1 744 :
autres beautés anglaises.
-- Il me semble aussi, reprit madame de Clèves, que l'on dit qu'elle était née en France.
-- Ceux qui l'ont cru se sont trompés, répondit madame la dauphine, et je vais vous
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/92]]==
cru se sont trompés, répondit madame la dauphine, et je vais vous
conter son histoire en peu de mots.
"Elle était d'une bonne maison d'Angleterre. Henri VIII avait été amoureux de sa sœur
Ligne 1 615 ⟶ 1 766 :
que son mariage avec la tante de l'Empereur était nul, et lui proposa d'épouser la
duchesse d'Alençon, dont le mari venait de mourir. Anne de Boulen, qui avait de
l'ambition, regarda ce divorce comme un chemin qui la pouvait conduire au trône. Elle
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/93]]==
qui la pouvait conduire au trône. Elle
commença à donner au roi d'Angleterre des impressions de la religion de Luther, et
engagea le feu roi à favoriser à Rome le divorce de Henri, sur l'espérance du mariage
Ligne 1 635 ⟶ 1 788 :
années, Henry l'épousa sans attendre la dissolution de son premier mariage, qu'il
demandait à Rome depuis longtemps. Le pape prononça les fulminations contre lui
avec pré
avec précipitation et Henri en fut tellement irrité, qu'il se déclara chef de la religion, et
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/94]]==
cipitation et Henri en fut tellement irrité, qu'il se déclara chef de la religion, et
entraîna toute l'Angleterre dans le malheureux changement où vous la voyez.
"Anne de Boulen ne jouit pas longtemps de sa grandeur ; car lorsqu'elle la croyait plus
Ligne 1 656 ⟶ 1 811 :
Toutes les dames, qui étaient présentes au récit de madame la dauphine, la
remercièrent de les avoir si bien instruites de la cour d'Angleterre, et entre autres
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/95]]==
madame de Clèves, qui ne put s'empêcher de lui faire encore plusieurs questions sur la
reine Élisabeth.
Ligne 1 675 ⟶ 1 831 :
de le dérober à un mari qu'il croyait tendrement aimé ; et il pensa que, parmi tant de
personnes qui étaient dans ce même lieu, il ne serait pas soupçonné plutôt qu'un autre.
Madame la dauphine était assise sur le lit, et parlait bas à madame de Clèves, qui était
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/96]]==
bas à madame de Clèves, qui était
debout devant elle. Madame de Clèves aperçut, par un des rideaux qui n'était qu'à
demi fermé, monsieur de Nemours, le dos contre la table, qui était au pied du lit, et elle
Ligne 1 696 ⟶ 1 854 :
Et il se retira après ces paroles, et n'attendit point sa réponse.
Madame la dauphine sortit pour s'aller promener, suivie de toutes les dames, et
monsieur de Nemours alla se renfermer chez lui, ne pouvant soutenir en public la joie
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/97]]==
joie
d'avoir un portrait de madame de Clèves. Il sentait tout ce que la passion peut faire
sentir de plus agréable ; il aimait la plus aimable personne de la cour, il s'en faisait
Ligne 1 716 ⟶ 1 876 :
de sûreté pour elle qu'en s'éloignant. Mais comme elle n'était pas maîtresse de
s'éloigner, elle se trouvait dans une grande extrémité et prête à tomber dans ce qui lui
paraissait le plus grand des malheurs, qui était de laisser voir à monsieur de Nemours
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/98]]==
Nemours
l'inclination qu'elle avait pour lui. Elle se souvenait de tout ce que madame de Chartres
lui avait dit en mourant, et des conseils qu'elle lui avait donnés de prendre toutes sortes
Ligne 1 737 ⟶ 1 899 :
Tous les princes et les jeunes seigneurs entrèrent avec joie dans le dessein du roi, et
surtout le duc de Ferrare, monsieur de Guise, et monsieur de Nemours, qui
surpassaient tous les autres dans ces sortes d'exercices. Le roi les choisit pour être
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/99]]==
ces sortes d'exercices. Le roi les choisit pour être
avec lui les quatre tenants du tournoi.
L'on fit publier par tout le royaume, qu'en la ville de Paris le pas était ouvert au
Ligne 1 757 ⟶ 1 921 :
pendre au perron trois jours avant le commencement du tournoi ; qu'autrement, ils n'y
seraient point reçus sans le congé des tenants.
On fit faire une grande lice proche de la Bastille, qui venait du château des Tournelles,
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/100]]==
qui venait du château des Tournelles,
qui traversait la rue Saint-Antoine, et qui allait se rendre aux écuries royales. Il y avait
des deux côtés des échafauds et des amphithéâtres, avec des loges couvertes, qui
Ligne 1 778 ⟶ 1 944 :
fit donner à tous ceux qui l'avaient suivi. Le roi et monsieur de Nemours se trouvèrent
sur les plus fougueux ; ces chevaux se voulurent jeter l'un à l'autre. Monsieur de
Nemours, par la crainte de blesser le roi, recula brusquement, et porta son cheval
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/101]]==
roi, recula brusquement, et porta son cheval
contre un pilier du manège, avec tant de violence, que la secousse le fit chanceler. On
courut à lui, et on le crut considérablement blessé. Madame de Clèves le crut encore
Ligne 1 798 ⟶ 1 966 :
-- Je suis plus à plaindre que monsieur de Nemours. Madame, lui dit-il ; pardonnez-moi
si je sors de ce profond respect que j'ai toujours eu pour vous, et si je vous fais paraître
la vive douleur
la vive douleur que je sens de ce que je viens de voir : c'est la première fois que j'ai été
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/102]]==
que je sens de ce que je viens de voir : c'est la première fois que j'ai été
assez hardi pour vous parler, et ce sera aussi la dernière. La mort, ou du moins un
éloignement éternel, m'ôteront d'un lieu où je ne puis plus vivre, puisque je viens de
Ligne 1 819 ⟶ 1 989 :
Madame de Clèves, en sortant de la lice, alla chez la reine, l'esprit bien occupé de ce
qui s'était passé. Monsieur de Nemours y vint peu de temps après, habillé
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/103]]==
magnifiquement et comme un homme qui ne se sentait pas de l'accident qui lui était
arrivé. Il paraissait même plus gai que de coutume ; et la joie de ce qu'il croyait avoir vu
Ligne 1 840 ⟶ 2 011 :
apparences, elle est de cette maîtresse pour qui il a quitté toutes les autres. Si vous ne
la pouvez lire présentement, gardez-la ; venez ce soir à mon coucher pour me la
rendre, et pour me dire si vous en connaissez l'écriture.
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/104]]==
dire si vous en connaissez l'écriture.
Madame la dauphine quitta madame de Clèves après ces paroles, et la laissa si
étonnée et dans un si grand saisissement, qu'elle fut quelque temps sans pouvoir sortir
Ligne 1 860 ⟶ 2 033 :
pour vous, et dans le temps que je vous la laissais voir tout entière, j'appris que vous
me trompiez, que vous en aimiez une autre, et que, selon toutes les apparences, vous
me sacrifiez à cette nouvelle maîtresse. Je le sus le jour de la course de bague ; c'est
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/105]]==
de la course de bague ; c'est
ce qui fit que je n'y allais point. Je feignis d'être malade pour cacher le désordre de mon
esprit ; mais je le devins en effet, et mon corps ne put supporter une si violente
Ligne 1 879 ⟶ 2 054 :
n'être point aimé, que j'éprouvais si cruellement. Je crus que si quelque chose pouvait
rallumer les sentiments que vous aviez eus pour moi, c'était de vous faire voir que les
miens étaient
miens étaient changés ; mais de vous le faire voir en feignant de vous le cacher, et
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/106]]==
changés ; mais de vous le faire voir en feignant de vous le cacher, et
comme si je n'eusse pas eu la force de vous l'avouer. Je m'arrêtai à cette résolution ;
mais qu'elle me fut difficile à prendre, et qu'en vous revoyant elle me parut impossible à
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pour être persuadée que vous ne lui aviez jamais parlé de moi ; mais votre retour et
votre discrétion n'ont pu réparer votre légèreté. Votre cœur a été partagé entre moi et
une autre, vous m'avez trompée ; cela suffit pour m'ôter le plaisir d'être aimée de vous,
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/107]]==
d'être aimée de vous,
comme je croyais mériter de l'être, et pour me laisser dans cette résolution que j'ai prise
de ne vous voir jamais, et dont vous êtes si surpris.
Ligne 1 916 ⟶ 2 095 :
plus de courage qu'elle ne s'en trouvait à elle-même, et elle enviait la force qu'elle avait
eue de cacher ses sentiments à monsieur de Nemours. Elle voyait, par la fin de la
lettre, que cette personne se croyait aimée ; elle pensait que la discrétion que ce prince
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/108]]==
ce prince
lui avait fait paraître, et dont elle avait été si touchée, n'était peut-être que l'effet de la
passion qu'il avait pour cette autre personne, à qui il craignait de déplaire. Enfin elle
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son coucher ; elle se mit au lit et feignit de se trouver mal, en sorte que quand monsieur
de Clèves revint de chez le roi, on lui dit qu'elle était endormie ; mais elle était bien
éloignée
éloignée de la tranquillité qui conduit au sommeil. Elle passa la nuit sans faire autre
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/109]]==
de la tranquillité qui conduit au sommeil. Elle passa la nuit sans faire autre
chose que s'affliger et relire la lettre qu'elle avait entre les mains.
Madame de Clèves n'était pas la seule personne dont cette lettre troublait le repos. Le
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d'Uzès avait cru nécessaire de l'avertir en diligence, que l'on avait dit chez la reine qu'il
était tombé une lettre de galanterie de sa poche pendant qu'il était au jeu de paume ;
que l'on avait raconté une grande partie de ce qui était dans la lettre ; que la reine avait
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/110]]==
une grande partie de ce qui était dans la lettre ; que la reine avait
témoigné beaucoup de curiosité de la voir ; qu'elle l'avait envoyé demander à un de ses
gentilshommes servants, mais qu'il avait répondu qu'il l'avait laissée entre les mains de
Ligne 1 976 ⟶ 2 161 :
madame de Clèves, ne lui avait donné que des idées agréables. Il fut bien surpris de se
voir éveillé par le vidame de Chartres ; et il lui demanda si c'était pour se venger de ce
qu'il lui avait dit pendant le souper, qu'il venait troubler son repos. Le vidame lui fit bien
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/111]]==
souper, qu'il venait troubler son repos. Le vidame lui fit bien
juger par son visage, qu'il n'y avait rien que de sérieux au sujet qui l'amenait.
-- Je viens vous confier la plus importante affaire de ma vie, lui dit-il. Je sais bien que
Ligne 1 998 ⟶ 2 185 :
passionnément aimé, et qui est une des plus estimables femmes du monde ; et d'un
autre côté, je m'attire une haine implacable, qui me coûtera ma fortune, et peut-être
quelque chose de plus.
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/112]]==
plus.
-- Je ne puis entendre tout ce que vous me dites répondit monsieur de Nemours ; mais
vous me faites entrevoir que les bruits qui ont couru de l'intérêt qu'une grande
Ligne 2 018 ⟶ 2 207 :
n'avais jamais parlé. La reine me dit qu'elle m'en estimait davantage, qu'elle n'avait
trouvé personne en France qui eût du secret, et que c'était ce qui l'avait le plus
embarrassée, parce que cela lui avait ôté le plaisir de donner sa confiance ; que c'était
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/113]]==
confiance ; que c'était
une chose nécessaire dans la vie, que d'avoir quelqu'un à qui on pût parler, et surtout
pour les personnes de son rang. Les jours suivants, elle reprit encore plusieurs fois la
Ligne 2 039 ⟶ 2 230 :
Page 51
combien il était difficile de n'y pas tomber. Elle voulait savoir si j'étais amoureux ; et en
ne me demandant
ne me demandant point de qui je l'étais, et en ne me laissant voir que la seule intention
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/114]]==
point de qui je l'étais, et en ne me laissant voir que la seule intention
de me faire plaisir, elle m'ôtait la pensée qu'elle me parlât par curiosité ou par dessein.
"Cependant, contre toutes sortes d'apparences, je démêlai la vérité. J'étais amoureux
Ligne 2 057 ⟶ 2 250 :
mes amis, continua-t-elle ; mais je ne veux pas, en vous donnant cette place, ignorer
quels sont vos attachements. Voyez si vous la voulez acheter au prix de me les
apprendre : je vous donne deux jours pour y penser ; mais après ce temps-là, songez
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/115]]==
y penser ; mais après ce temps-là, songez
bien à ce que vous me direz, et souvenez-vous que si, dans la suite, je trouve que vous
m'ayez trompée, je ne vous le pardonnerai de ma vie."
Ligne 2 076 ⟶ 2 271 :
"Au bout des deux jours que la reine m'avait donnés, comme j'entrais dans la chambre
où toutes les dames étaient au cercle, elle me dit tout haut, avec un air grave qui me
surprit : "Avez-vous pensé à cette affaire dont je vous ai chargé, et en savez-vous la
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/116]]==
la
vérité ? - Oui, Madame, lui répondis-je, et elle est comme je l'ai dite à Votre Majesté. --
Venez ce soir à l'heure que je dois écrire, répliqua-t-elle, et j'achèverai de vous donner
Ligne 2 097 ⟶ 2 294 :
vous donner toute ma confiance. Souvenez-vous que je veux la vôtre tout entière ; que
je veux que vous n'ayez ni ami, ni amie, que ceux qui me seront agréables, et que vous
abandonniez
abandonniez tout autre soin que celui de me plaire. Je ne vous ferai pas perdre celui de
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/117]]==
tout autre soin que celui de me plaire. Je ne vous ferai pas perdre celui de
votre fortune ; je la conduirai avec plus d'application que vous-même, et, quoi que je
fasse pour vous, je m'en tiendrai trop bien récompensée, si je vous trouve pour moi tel
Ligne 2 125 ⟶ 2 324 :
inquiétudes et de si grands chagrins que je me crus cent fois perdu auprès d'elle. Je la
rassurai enfin à force de soins, de soumissions et de faux serments ; mais je n'aurais
pu la tromper longtemps, si le changement de madame de Thémines ne m'avait
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/118]]==
 
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/119]]==
avait
détaché d'elle malgré moi. Elle me fit voir qu'elle ne m'aimait plus ; et j'en fus si
persuadé, que je fus contraint de ne la pas tourmenter davantage, et de la laisser en
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/120]]==
davantage, et de la laisser en
repos. Quelque temps après, elle m'écrivit cette lettre que j'ai perdue. J'appris par là
qu'elle avait su le commerce que j'avais eu avec cette autre femme dont je vous ai
Ligne 2 147 ⟶ 2 352 :
grâces de la reine, et qui voit bien que j'occupe une place qu'il voudrait remplir, sous
prétexte de raccommoder madame la dauphine avec elle, est entré dans les différends
qu'elles ont eu ensemble. Je ne doute pas qu'il n'ait démêlé le véritable sujet de
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/121]]==
de
l'aigreur de la reine, et je crois qu'il me rend toutes sortes de mauvais offices, sans lui
laisser voir qu'il a dessein de me les rendre. Voilà l'état où sont les choses à l'heure
Ligne 2 167 ⟶ 2 374 :
des mains de madame la dauphine."
-- Je vois bien, dit monsieur de Nemours, que l'on ne peut être dans un plus grand
embarras que celui où vous êtes, et il faut avouer que vous le méritez. On m'a accuséê
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/122]]==
tes, et il faut avouer que vous le méritez. On m'a accusé
de n'être pas un amant fidèle, et d'avoir plusieurs galanteries à la fois ; mais vous me
passez de si loin, que je n'aurais seulement osé imaginer les choses que vous avez
Ligne 2 188 ⟶ 2 397 :
-- Je vous ai déjà dit, reprit monsieur de Nemours, que la proposition que vous me
faites est un peu extraordinaire, et que mon intérêt particulier m'y peut faire trouver des
difficultés ; mais de plus, si l'on a vu tomber cette lettre de votre poche, il me paraît
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/123]]==
de plus, si l'on a vu tomber cette lettre de votre poche, il me paraît
difficile de persuader qu'elle soit tombée de la mienne.
-- Je croyais vous avoir appris, répondit le vidame, que l'on a dit à la reine dauphine
Ligne 2 209 ⟶ 2 420 :
sa rêverie :
-- Je crois bien, lui dit-il, que vous craignez de vous brouiller avec votre maîtresse, et
même vous me donneriez lieu de croire que c'est avec la reine dauphine, si le peu de
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/124]]==
lieu de croire que c'est avec la reine dauphine, si le peu de
jalousie que je vous vois de monsieur d'Anville ne m'en ôtait la pensée ; mais, quoi qu'il
en soit, il est juste que vous ne sacrifiez pas votre repos au mien, et je veux bien vous
Ligne 2 229 ⟶ 2 442 :
demanderait pas à avoir l'honneur de la voir à une heure si extraordinaire, si une affaire
de conséquence ne l'y obligeait. Madame de Clèves était encore au lit, l'esprit aigri et
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/125]]==
agité de tristes pensées, qu'elle avait eues pendant la nuit. Elle fut extrêmement
surprise, lorsqu'on lui dit que monsieur de Nemours la demandait ; l'aigreur où elle était
Ligne 2 249 ⟶ 2 463 :
-- Elle m'en a dit quelque chose, répondit madame de Clèves ; mais je ne vois pas ce
que cette lettre a de commun avec les intérêts de mon oncle, et je vous puis assurer
qu'il n'y est pas nommé.
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/126]]==
nommé.
-- Il est vrai, Madame, répliqua monsieur de Nemours, il n'y est pas nommé, néanmoins
elle s'adresse à lui, et il lui est très important que vous la retiriez des mains de madame
Ligne 2 273 ⟶ 2 489 :
dauphine, et il ne lui paraîtra pas vraisemblable que les lettres de monsieur le vidame
tombent de vos poches. C'est pourquoi à moins que vous n'ayez quelque raison que je
ne sais point, à cacher la vérité à la reine dauphine, je vous conseille de la lui avouer.
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/127]]==
la lui avouer.
-- Je n'ai rien à lui avouer, reprit-il, la lettre ne s'adresse pas à moi, et s'il y a quelqu'un
que je souhaite d'en persuader, ce n'est pas madame la dauphine. Mais Madame,
Ligne 2 294 ⟶ 2 512 :
l'écriture ; elle ne put s'empêcher de le prendre, de regarder le dessus pour voir s'il
s'adressait au vidame de Chartres, et de le lire tout entier pour juger si la lettre que l'on
redemandait était la même qu'elle avait entre les mains. Monsieur de Nemours lui dit
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/128]]==
de Nemours lui dit
encore tout ce qu'il crut propre à la persuader ; et comme on persuade aisément une
vérité agréable, il convainquit madame de Clèves qu'il n'avait point de part à cette
Ligne 2 315 ⟶ 2 535 :
trouver. Monsieur de Nemours fut contraint de se retirer ; il alla trouver le vidame pour
lui dire qu'après l'avoir quitté, il avait pensé qu'il était plus à propos de s'adresser à
madame de Clèves qui était sa nièce, que d'aller droit à madame la dauphine. Il ne
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/129]]==
droit à madame la dauphine. Il ne
manqua pas de raisons pour faire approuver ce qu'il avait fait et pour en faire espérer
un bon succès.
Ligne 2 336 ⟶ 2 558 :
-- Je ne sais, Madame comment vous ferez, répondit-elle ; car monsieur de Clèves, à
qui je l'avais donnée à lire, l'a rendue à monsieur de Nemours qui est venu dès ce
matin le prier de vous la redemander. Monsieur de Clèves a eu l'imprudence de lui dire
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/130]]==
redemander. Monsieur de Clèves a eu l'imprudence de lui dire
qu'il l'avait, et il a eu la faiblesse de céder aux prières que monsieur de Nemours lui a
faites de la lui rendre.
Ligne 2 362 ⟶ 2 586 :
donnée, et il n'oserait dire le contraire.
Page 59
Madame de Clèves entra dans cet expédient, et d'autant plus qu'elle pensait qu'elle
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/131]]==
plus qu'elle pensait qu'elle
enverrait quérir monsieur de Nemours pour ravoir la lettre même, afin de la faire copier
mot à mot, et d'en faire à peu près imiter l'écriture, et elle crut que la reine y serait
Ligne 2 382 ⟶ 2 608 :
monsieur de Nemours ne lui avait jamais vus, et qui redoublaient son amour. Comme il
n'avait point eu encore de si agréables moments, sa vivacité en était augmentée ; et
quand madame de Clèves voulut commencer à se souvenir de la lettre et à l'écrire, ce
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/132]]==
l'écrire, ce
prince, au lieu de lui aider sérieusement, ne faisait que l'interrompre et lui dire des
choses plaisantes. Madame de Clèves entra dans le même esprit de gaieté, de sorte
Ligne 2 402 ⟶ 2 630 :
se fût déjà rendu maître de son esprit, ou que l'aventure de cette lettre qui lui fit voir
qu'elle était trompée lui aidât à démêler les autres tromperies que le vidame lui avait
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/133]]==
déjà faites, il est certain qu'il ne put jamais se raccommoder sincèrement avec elle.
Leur liaison se rompit, et elle le perdit ensuite à la conjuration d'Amboise où il se trouva
Ligne 2 423 ⟶ 2 652 :
contraire elle ne l'avait jamais regardé si favorablement, qu'elle était cause que
monsieur de Clèves l'avait envoyé quérir, et qu'ils venaient de passer une après-dînée
ensemble en particulier, elle trouvait qu'elle était d'intelligence avec monsieur de
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/134]]==
d'intelligence avec monsieur de
Nemours, qu'elle trompait le mari du monde qui méritait le moins d'être trompé, et elle
était honteuse de paraître si peu digne d'estime aux yeux même de son amant. Mais ce
Ligne 2 443 ⟶ 2 674 :
m'exposer aux cruels repentirs et aux mortelles douleurs que donne l'amour ? Je suis
vaincue et surmontée par une inclination qui m'entraîne malgré moi. Toutes mes
résolutions sont inutiles ; je pensai hier tout ce que je pense aujourd'hui, et je fais
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/135]]==
que je pense aujourd'hui, et je fais
aujourd'hui tout le contraire de ce que je résolus hier. Il faut m'arracher de la présence
de monsieur de Nemours ; il faut m'en aller à la campagne, quelque bizarre que puisse
Ligne 2 463 ⟶ 2 696 :
le roi partit pour Compiègne, où il ne devait être que peu de jours.
Monsieur de Nemours avait eu bien de la douleur de n'avoir point revu madame de
Clèves depuis cette après-dînée qu'il avait passée avec elle si agréablement et qui
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/136]]==
et qui
avait augmenté ses espérances. Il avait une impatience de la revoir qui ne lui donnait
point de repos, de sorte que quand le roi revint à Paris, il résolut d'aller chez sa sœur,
Ligne 2 484 ⟶ 2 719 :
accompagnés d'un grand nombre de domestiques. Comme il ne s'était pas attendu à
trouver monsieur de Clèves, qu'il avait laissé auprès du roi, son premier mouvement le
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/137]]==
porta à se cacher : il entra dans le cabinet qui donnait sur le jardin de fleurs, dans la
pensée d'en ressortir par une porte qui était ouverte sur la forêt ; mais voyant que
Ligne 2 505 ⟶ 2 741 :
-- Vous me feriez une grande injustice d'avoir cette pensée, reprit-elle avec un
embarras qui augmentait toujours ; mais je vous supplie de me laisser ici. Si vous y
pouviez demeurer, j'en aurais beaucoup de joie, pourvu que vous y demeurassiez seul,
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/138]]==
pourvu que vous y demeurassiez seul,
et que vous voulussiez bien n'y avoir point ce nombre infini de gens qui ne vous
quittent quasi jamais.
Ligne 2 530 ⟶ 2 768 :
Page 63
Je n'ai jamais donné nulle marque de faiblesse, et je ne craindrais pas d'en laisser
paraître, si vous me laissiez la liberté de me retirer de la cour, ou si j'avais encore
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/139]]==
de me retirer de la cour, ou si j'avais encore
madame de Chartres pour aider à me conduire.
Quelque dangereux que soit le parti que je prends, je le prends avec joie pour me
Ligne 2 552 ⟶ 2 792 :
l'amour, et je vois que vous craignez d'en avoir pour un autre. Et qui est-il, Madame, cet
homme heureux qui vous donne cette crainte ? Depuis quand vous plaît-il ? Qu'a-t-il fait
pour vous
pour vous plaire ? Quel chemin a-t-il trouvé pour aller à votre cœur ? Je m'étais consolé
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/140]]==
plaire ? Quel chemin a-t-il trouvé pour aller à votre cœur ? Je m'étais consolé
en quelque sorte de ne l'avoir pas touché par la pensée qu'il était incapable de l'être.
Cependant un autre fait ce que je n'ai pu faire. J'ai tout ensemble la jalousie d'un mari
Ligne 2 573 ⟶ 2 815 :
crois ne pas devoir dire. L'aveu que je vous ai fait n'a pas été par faiblesse, et il faut
plus de courage pour avouer cette vérité que pour entreprendre de la cacher.
Monsieur
Monsieur de Nemours ne perdait pas une parole de cette conversation ; et ce que
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/141]]==
de Nemours ne perdait pas une parole de cette conversation ; et ce que
venait de dire madame de Clèves ne lui donnait guère moins de jalousie qu'à son mari.
Il était si éperdument amoureux d'elle, qu'il croyait que tout le monde avait les mêmes
Ligne 2 594 ⟶ 2 838 :
me souviens de l'embarras où vous fûtes le jour que votre portrait se perdit. Vous avez
donné, Madame, vous avez donné ce portrait qui m'était si cher et qui m'appartenait si
légitimement. Vous n'avez pu cacher vos sentiments ; vous aimez, on le sait ; votre
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/142]]==
sentiments ; vous aimez, on le sait ; votre
vertu vous a jusqu'ici garantie du reste.
-- Est-il possible, s'écria cette princesse, que vous puissiez penser qu'il y ait quelque
Ligne 2 616 ⟶ 2 862 :
qu'il la suppliait de venir le lendemain, et qu'il la conjurait de croire que quoiqu'il fût
affligé, il avait pour elle une tendresse et une estime dont elle devait être satisfaite.
Lorsque ce prince fut parti, que madame de Clèves demeura seule, qu'elle regarda ce
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/143]]==
demeura seule, qu'elle regarda ce
qu'elle venait de faire, elle en fut si épouvantée, qu'à peine put-elle s'imaginer que ce
fût une vérité. Elle trouva qu'elle s'était ôté elle-même le cœur et l'estime de son mari,
Ligne 2 635 ⟶ 2 883 :
que c'était lui qu'elle ne haïssait pas. Il s'abandonna d'abord à cette joie ; mais elle ne
fut pas longue, quand il fit réflexion que la même chose qui lui venait d'apprendre qu'il
avait touché le cœur de madame de Clèves le devait persuader aussi qu'il n'en
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/144]]==
aussi qu'il n'en
recevrait jamais nulle marque, et qu'il était impossible d'engager une personne qui avait
recours à un remède si extraordinaire. Il sentit pourtant un plaisir sensible de l'avoir
Ligne 2 655 ⟶ 2 905 :
d'admiration que le vidame soupçonna aisément que cette histoire regardait ce prince.
Il le pressa extrêmement de le lui avouer. Il lui dit qu'il connaissait depuis longtemps
qu'il avait quelque passion violente, et qu'il y avait de l'injustice de se défier d'un
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/145]]==
et qu'il y avait de l'injustice de se défier d'un
homme qui lui avait confié le secret de sa vie. Monsieur de Nemours était trop
amoureux pour avouer son amour ; il l'avait toujours caché au vidame, quoique ce fût
Ligne 2 675 ⟶ 2 927 :
ne ferait tant d'honneur à la France que madame de Clèves. Monsieur de Clèves reçut
l'honneur de ce choix comme il le devait, et le regarda même comme une chose qui
éloignerait sa
éloignerait sa femme de la cour, sans qu'il parût de changement dans sa conduite.
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/146]]==
femme de la cour, sans qu'il parût de changement dans sa conduite.
Néanmoins le temps de ce départ était encore trop éloigné pour être un remède à
l'embarras où il se trouvait. Il écrivit à l'heure même à madame de Clèves, pour lui
Ligne 2 697 ⟶ 2 951 :
curiosité avec laquelle je ne saurais vivre. Je ne vous demande pourtant pas de la
satisfaire ; mais je ne puis m'empêcher de vous dire que je crois que celui que je dois
envier
envier est le maréchal de Saint-André, le duc de Nemours ou le chevalier de Guise
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/147]]==
est le maréchal de Saint-André, le duc de Nemours ou le chevalier de Guise
-- Je ne vous répondrai rien, lui dit-elle en rougissant, et je ne vous donnerai aucun lieu,
par mes réponses, de diminuer ni de fortifier vos soupçons. Mais si vous essayez de
Ligne 2 717 ⟶ 2 973 :
vraisemblance. La seule chose qui l'assurait qu'il ne s'était pas trompé était l'extrême
tristesse de madame de Clèves, quelque effort qu'elle fît pour la cacher : peut-être que
des regards et des paroles obligeantes n'eussent pas tant augmenté l'amour de
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/148]]==
n'eussent pas tant augmenté l'amour de
monsieur de Nemours que faisait cette conduite austère.
Un soir que monsieur et madame de Clèves étaient chez la reine, quelqu'un dit que le
Ligne 2 739 ⟶ 2 997 :
que monsieur de Nemours ne vienne avec moi. Le chagrin que vous en avez vient
d'une autre cause. Ce chagrin m'apprend ce que j'aurais appris d'une autre femme, par
la joie qu'elle en aurait eue. Mais ne craignez point ; ce que je viens de vous dire n'est
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/149]]==
aurait eue. Mais ne craignez point ; ce que je viens de vous dire n'est
pas véritable, et je l'ai inventé pour m'assurer d'une chose que je ne croyais déjà que
trop.
Ligne 2 761 ⟶ 3 021 :
Page 69
-- Ne m'évitez point, Madame, lui dit-il, je ne vous dirai rien qui puisse vous déplaire ; je
vous demande pardon de la surprise que je vous ai faite tantôt. J'en suis assez puni,
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/150]]==
de la surprise que je vous ai faite tantôt. J'en suis assez puni,
par ce que j'ai appris. Monsieur de Nemours était de tous les hommes celui que je
craignais le plus. Je vois le péril où vous êtes ; ayez du pouvoir sur vous pour l'amour
Ligne 2 781 ⟶ 3 043 :
connétable à leur tête. Lorsque ce duc fut proche du roi, il voulut lui embrasser les
genoux ; mais le roi l'en empêcha et le fit marcher à son côté jusque chez la reine et
chez Madame, à
chez Madame, à qui le duc d'Albe apporta un présent magnifique de la part de son
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/151]]==
qui le duc d'Albe apporta un présent magnifique de la part de son
maître. Il alla ensuite chez madame Marguerite sœur du roi, lui faire les compliments de
monsieur de Savoie, et l'assurer qu'il arriverait dans peu de jours. L'on fit de grandes
Ligne 2 802 ⟶ 3 066 :
ce que l'on sait à ce que l'on aime, fit qu'il redit à madame de Martigues l'action
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extraordinaire de cette personne, qui avait avoué à son mari la passion qu'elle avait
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/152]]==
avait avoué à son mari la passion qu'elle avait
pour un autre. Il l'assura que monsieur de Nemours était celui qui avait inspiré cette
violente passion, et il la conjura de lui aider à observer ce prince. Madame de
Ligne 2 824 ⟶ 3 090 :
-- Vous savez, lui dit cette reine, l'envie que nous avions de deviner ce qui causait le
changement qui paraît au duc de Nemours : je crois le savoir, et c'est une chose qui
vous surprendra. Il est éperdument amoureux et fort aimé d'une des plus belles
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/153]]==
amoureux et fort aimé d'une des plus belles
personnes de la cour.
Ces paroles, que madame de Clèves ne pouvait s'attribuer, puisqu'elle ne croyait pas
Ligne 2 848 ⟶ 3 116 :
de Chartres. Vous savez qu'il en est amoureux ; il la lui a confiée comme un secret, et il
la sait du duc de Nemours lui-même. Il est vrai que le duc de Nemours ne lui a pas dit
le
le nom de la dame, et ne lui a pas même avoué que ce fût lui qui en fût aimé ; mais le
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/154]]==
nom de la dame, et ne lui a pas même avoué que ce fût lui qui en fût aimé ; mais le
vidame de Chartres n'en doute point.
Comme la reine dauphine achevait ces paroles, quelqu'un s'approcha du lit. Madame
Ligne 2 870 ⟶ 3 140 :
mari.
Page 72
Le trouble et l'embarras de madame de Clèves étaient au-delà de tout ce que l'on peuté
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/155]]==
taient au-delà de tout ce que l'on peut
s'imaginer, et si la mort se fût présentée pour la tirer de cet état, elle l'aurait trouvée
agréable. Mais monsieur de Nemours était encore plus embarrassé, s'il est possible. Le
Ligne 2 891 ⟶ 3 163 :
m'a confié des choses qui ne sont pas d'une médiocre importance ; mais je ne sais,
Madame, poursuivit-il, pourquoi vous me faites l'honneur de me mêler à cette aventure.
Le vidame ne peut pas dire qu'elle me regarde, puisque je lui ai dit le contraire. La
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/156]]==
qu'elle me regarde, puisque je lui ai dit le contraire. La
qualité d'un homme amoureux me peut convenir ; mais pour celle d'un homme aimé, je
ne crois pas, Madame, que vous puissiez me la donner.
Ligne 2 913 ⟶ 3 187 :
-- Votre ami a une passion bien aisée à satisfaire, dit madame la dauphine, et je
commence à croire que ce n'est pas de vous dont vous parlez. Il ne s'en faut guère,
continua-t-elle, que je ne sois de l'avis de madame de Clèves, qui soutient que cette
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/157]]==
de madame de Clèves, qui soutient que cette
aventure ne peut être véritable.
-- Je ne crois pas en effet qu'elle le puisse être, reprit madame de Clèves qui n'avait
Ligne 2 935 ⟶ 3 211 :
part, je l'ai fait par des raisons qui ne la regardent pas.
Madame de Clèves ne fit pas semblant d'entendre monsieur de Nemours ; elle le quitta
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/158]]==
sans le regarder et se mit à suivre le roi qui venait d'entrer. Comme il y avait beaucoup
de monde, elle s'embarrassa dans sa robe, et fit un faux pas : elle se servit de ce
Ligne 2 956 ⟶ 3 233 :
est sue, et on me la vient de conter, ne sachant pas que j'y eusse le principal intérêt.
-- Que me dites-vous, Madame ? lui répondit-il. Vous m'accusez d'avoir conté ce qui
s'est passé entre vous et moi, et vous m'apprenez que la chose est sue ? Je ne me
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/159]]==
que la chose est sue ? Je ne me
justifie pas de l'avoir redite ; vous ne le sauriez croire, et il faut sans doute que vous
ayez pris pour vous ce que l'on vous a dit de quelque autre.
Ligne 2 978 ⟶ 3 257 :
l'on souhaiterait de se cacher à soi-même ? Songez plutôt Madame, à qui vous avez
parlé. Il est plus vraisemblable que ce soit par vous que par moi que ce secret soit
échappé. Vous n'avez pu soutenir toute seule l'embarras où vous vous êtes trouvée, et
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/160]]==
où vous vous êtes trouvée, et
vous avez cherché le soulagement de vous plaindre avec quelque confidente qui vous
a trahie.
Ligne 2 998 ⟶ 3 279 :
occupés l'un et l'autre de leurs pensées, qu'ils furent longtemps sans parler, et ils ne
sortirent de ce silence, que pour redire les mêmes choses qu'ils avaient déjà dites
plusieurs fois, et demeurèrent le cœur et l'esprit plus éloignés et plus altérés qu'ils ne
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/161]]==
cœur et l'esprit plus éloignés et plus altérés qu'ils ne
les avaient encore eus.
Il est aisé de s'imaginer en quel état ils passèrent la nuit. Monsieur de Clèves avait
Ligne 3 020 ⟶ 3 303 :
détruiraient aisément, et que surtout il fallait qu'elle allât au Louvre et aux assemblées
comme à l'ordinaire.
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/162]]==
Après ces paroles, monsieur de Clèves quitta sa femme sans attendre sa réponse. Elle
trouva beaucoup de raison dans tout ce qu'il lui dit, et la colère où elle était contre
Ligne 3 040 ⟶ 3 324 :
bonheur, même incertain, a fini sa discrétion. Il n'a pu s'imaginer qu'il était aimé, sans
vouloir qu'on le sût. Il a dit tout ce qu'il pouvait dire ; je n'ai pas avoué que c'était lui que
j'aimais, il l'a soupçonné, et il a laissé voir ses soupçons. S'il eût eu des certitudes, il en
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/163]]==
laissé voir ses soupçons. S'il eût eu des certitudes, il en
aurait usé de la même sorte. J'ai eu tort de croire qu'il y eût un homme capable de
cacher ce qui flatte sa gloire. C'est pourtant pour cet homme, que j'ai cru si différent du
Ligne 3 061 ⟶ 3 347 :
conversation avec elle ; mais il trouvait qu'il la devait craindre plutôt que de la désirer.
Page 77
"Qu'aurais-je à lui dire ? s'écriait-il. Irai-je encore lui montrer ce que je ne lui ai déjà que
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/164]]==
dire ? s'écriait-il. Irai-je encore lui montrer ce que je ne lui ai déjà que
trop fait connaître ? Lui ferai-je voir que je sais qu'elle m'aime, moi qui n'ai jamais
seulement osé lui dire que je l'aimais ? Commencerai-je à lui parler ouvertement de ma
Ligne 3 081 ⟶ 3 369 :
respect par son affliction et par son silence, de lui faire voir même qu'il n'osait se
présenter devant elle, et d'attendre ce que le temps, le hasard et l'inclination qu'elle
avait
avait pour lui, pourraient faire en sa faveur. Il résolut aussi de ne point faire de
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/165]]==
pour lui, pourraient faire en sa faveur. Il résolut aussi de ne point faire de
reproches au vidame de Chartres de l'infidélité qu'il lui avait faite, de peur de fortifier
ses soupçons.
Ligne 3 100 ⟶ 3 390 :
le roi menait Madame, qui avait aussi une couronne fermée, et sa robe portée par
mesdemoiselles de Montpensier et de Longueville. La reine marchait ensuite, mais
sans couronne. Après elle, venait la reine dauphine, Madame sœur du roi, madame de
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/166]]==
Madame sœur du roi, madame de
Lorraine, et la reine de Navarre, leurs robes portées par des princesses. Les reines et
les princesses avaient toutes leurs filles magnifiquement habillées des mêmes couleurs
Ligne 3 121 ⟶ 3 413 :
laissa pas de paraître aux yeux de tout le monde, et surtout aux yeux de monsieur de
Nemours, d'une beauté incomparable. Il n'osa lui parler, quoique l'embarras de cette
cérémonie lui en donnât plusieurs moyens ; mais il lui fit voir tant de tristesse et une
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/167]]==
mais il lui fit voir tant de tristesse et une
crainte si respectueuse de l'approcher qu'elle ne le trouva plus si coupable, quoiqu'il ne
lui eût rien dit pour se justifier. Il eut la même conduite les jours suivants, et cette
Ligne 3 140 ⟶ 3 434 :
paraître avec cette couleur, sans indiscrétion, puisque madame de Clèves n'en mettant
point, on ne pouvait soupçonner que ce fût la sienne.
Jamais on n'a fait voir tant d'adresse que les quatre tenants en firent paraître. Quoique
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/168]]==
tenants en firent paraître. Quoique
le roi fût le meilleur homme de cheval de son royaume, on ne savait à qui donner
l'avantage. Monsieur de Nemours avait un agrément dans toutes ses actions qui
Ligne 3 160 ⟶ 3 456 :
tomba du coup, ses écuyers et monsieur de Montmorency, qui était un des maréchaux
du camp, coururent à lui. Ils furent étonnés de le voir si blessé ; mais le roi ne s'étonna
point. Il dit que c'était peu de chose, et qu'il pardonnait au comte de Montgomery. On
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/169]]==
On
peut juger quel trouble et quelle affliction apporta un accident si funeste dans une
journée destinée à la joie. Sitôt que l'on eut porté le roi dans son lit, et que les
Ligne 3 181 ⟶ 3 479 :
occupée pour avoir de l'attention à sa conduite, et pour démêler si son mal était faux ou
véritable. Son mari seul pouvait en connaître la vérité, mais elle n'était pas fâchée qu'il
la connût. Ainsi elle demeura chez elle, peu occupée du grand changement qui se
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/170]]==
qui se
préparait ; et, remplie de ses propres pensées, elle avait toute la liberté de s'y
abandonner. Tout le monde était chez le roi. Monsieur de Clèves venait à de certaines
Ligne 3 203 ⟶ 3 503 :
-- Je n'ai donc point encore de maître, répondit-elle, et personne ne peut m'obliger à
rendre ce que sa confiance m'a mis entre les mains.
Sitôt qu'il fut expiré au château des Tournelles, le duc de Ferrare, le duc de Guise et le
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/171]]==
Ferrare, le duc de Guise et le
duc de Nemours conduisirent au Louvre la reine mère, le roi et la reine sa femme.
Monsieur de Nemours menait la reine mère. Comme ils commençaient à marcher, elle
Ligne 3 210 ⟶ 3 512 :
compliment.
QUATRIEME PARTIE
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/172]]==
Le cardinal de Lorraine s'était rendu maître absolu de l'esprit de la reine mère ; le
Le
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/173]]==
cardinal de Lorraine s'était rendu maître absolu de l'esprit de la reine mère ; le
vidame de Chartres n'avait plus aucune part dans ses bonnes grâces, et l'amour qu'il
avait pour madame de Martigues et pour la liberté l'avait même empêché de sentir
Ligne 3 222 ⟶ 3 527 :
allaient parvenir. On donna le commandement des armées au duc de Guise, et les
finances au cardinal de Lorraine. La duchesse de Valentinois fut chassée de la cour ;
on fit revenir le cardinal de Tournon, ennemi déclaré du connétable, et le chancelier
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/174]]==
cardinal de Tournon, ennemi déclaré du connétable, et le chancelier
Olivier, ennemi déclaré de la duchesse de Valentinois. Enfin, la cour changea
entièrement de face. Le duc de Guise prit le même rang que les princes du sang à
Ligne 3 243 ⟶ 3 550 :
fausse lettre du roi d'Espagne, qui l'accusait de faire des entreprises sur ses places ;
on lui fit craindre pour ses terres ; enfin, on lui inspira le dessein de s'en aller en Béarn.
La reine lui en fournit un moyen, en lui donnant la conduite de madame Élisabeth, et
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/175]]==
un moyen, en lui donnant la conduite de madame Élisabeth, et
l'obligea même à partir devant cette princesse ; et ainsi il ne demeura personne à la
cour qui pût balancer le pouvoir de la maison de Guise.
Ligne 3 263 ⟶ 3 572 :
il ne put se résoudre à partir sans la voir, et la veille du départ, il alla chez elle aussi
tard que la bienséance le pouvait permettre, afin de la trouver seule. La fortune favorisa
son intention. Comme il entra dans la cour, il trouva madame de Nevers et madame de
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/176]]==
de Nevers et madame de
Martigues qui en sortaient, et qui lui dirent qu'elles l'avaient laissée seule. Il monta avec
une agitation et un trouble qui ne se peut comparer qu'à celui qu'eut madame de
Ligne 3 284 ⟶ 3 595 :
elle trouva même qu'elle avait fait une faute, et si elle eût ôsé ou qu'il eût encore été
assez à temps, elle l'aurait fait rappeler.
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/177]]==
Mesdames de Nevers et de Martigues, en sortant de chez elle, allèrent chez la reine
dauphine ; monsieur de Clèves y était. Cette princesse leur demanda d'où elles
Ligne 3 304 ⟶ 3 616 :
désirait. Il alla d'abord dans la chambre de sa femme, et après lui avoir parlé quelque
temps de choses indifférentes, il ne put s'empêcher de lui demander ce qu'elle avait fait
et qui elle avait vu ; elle lui en rendit compte. Comme il vit qu'elle ne lui nommait point
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/178]]==
compte. Comme il vit qu'elle ne lui nommait point
monsieur de Nemours, il lui demanda, en tremblant, si c'était tout ce qu'elle avait vu,
afin de lui donner lieu de nommer ce prince et de n'avoir pas la douleur qu'elle lui en fît
Ligne 3 326 ⟶ 3 640 :
le pas voir s'il ne vous a rien dit ? Mais, Madame, il vous a parlé ; si son silence seul
vous avait témoigné sa passion, elle n'aurait pas fait en vous une si grande impression.
Vous n'avez
Vous n'avez pu me dire la vérité tout entière ; vous m'en avez caché la plus grande
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/179]]==
pu me dire la vérité tout entière ; vous m'en avez caché la plus grande
partie ; vous vous êtes repentie même du peu que vous m'avez avoué et vous n'avez
pas eu la force de continuer. Je suis plus malheureux que je ne l'ai cru, et je suis le
Ligne 3 346 ⟶ 3 662 :
plus digne de moi. Je vous adore, je vous hais ; je vous offense, je vous demande
pardon ; je vous admire, j'ai honte de vous admirer. Enfin il n'y a plus en moi ni de
calme ni de raison. Je ne sais comment j'ai pu vivre depuis que vous me parlâtes à
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/180]]==
comment j'ai pu vivre depuis que vous me parlâtes à
Coulommiers, et depuis le jour que vous apprîtes de madame la dauphine que l'on
savait votre aventure. Je ne saurais démêler par où elle a été sue, ni ce qui se passa
Ligne 3 366 ⟶ 3 684 :
bientôt plus vive et plus présente qu'auparavant.
Les premiers jours du départ de ce prince, elle ne sentit quasi pas son absence ;
ensuite elle lui parut cruelle. Depuis qu'elle l'aimait, il ne s'était point passé de jour
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/181]]==
jour
qu'elle n'eût craint ou espéré de le rencontrer et elle trouva une grande peine à penser
qu'il n'était plus au pouvoir du hasard de faire qu'elle le rencontrât.
Ligne 3 387 ⟶ 3 707 :
Madame de Martigues vint à Coulommiers, comme elle l'avait promis à madame de
Clèves ; elle la trouva dans une vie fort solitaire. Cette princesse avait même cherché
le moyen d'être dans une solitude entière, et de passer les soirs dans les jardins, sans
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/182]]==
de passer les soirs dans les jardins, sans
être accompagnée de ses domestiques. Elle venait dans ce pavillon où monsieur de
Nemours l'avait écoutée ; elle entrait dans le cabinet qui était ouvert sur le jardin. Ses
Ligne 3 407 ⟶ 3 729 :
à la campagne. Monsieur de Nemours et monsieur de Clèves étaient alors chez cette
reine. Madame de Martigues, qui avait trouvé Coulommiers admirable, en conta toutes
les beautés, et elle s'étendit extrêmement sur la description de ce pavillon de la forêt et
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/183]]==
et
sur le plaisir qu'avait madame de Clèves de s'y promener seule une partie de la nuit.
Monsieur de Nemours, qui connaissait assez le lieu pour entendre ce qu'en disait
Ligne 3 428 ⟶ 3 752 :
l'esprit. Il lui conta dans quel embarras il se trouvait. Il lui dit quelle avait été jusqu'alors
la vertu de madame de Clèves, et lui ordonna de partir sur les pas de monsieur de
Nemours, de l'observer exactement, de voir s'il n'irait point à Coulommiers, et s'il
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/184]]==
exactement, de voir s'il n'irait point à Coulommiers, et s'il
n'entrerait point la nuit dans le jardin.
Le gentilhomme qui était très capable d'une telle commission, s'en acquitta avec toute
Ligne 3 448 ⟶ 3 774 :
qu'elle était seule ; mais il la vit d'une si admirable beauté, qu'à peine fut-il maître du
transport que lui donna cette vue. Il faisait chaud, et elle n'avait rien sur sa tête et sur
sa
sa gorge, que ses cheveux confusément rattachés. Elle était sur un lit de repos, avec
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/185]]==
gorge, que ses cheveux confusément rattachés. Elle était sur un lit de repos, avec
une table devant elle, où il y avait plusieurs corbeilles pleines de rubans ; elle en choisit
quelques-uns, et monsieur de Nemours remarqua que c'étaient des mêmes couleurs
Ligne 3 468 ⟶ 3 796 :
madame de Clèves, sans songer que les moments lui étaient précieux. Quand il fut un
peu remis, il pensa qu'il devait attendre à lui parler qu'elle allât dans le jardin ; il crut
qu'il le pourrait faire avec plus de sûreté, parce qu'elle serait plus éloignée de ses
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/186]]==
serait plus éloignée de ses
femmes ; mais voyant qu'elle demeurait dans le cabinet, il prit la résolution d'y entrer.
Quand il voulut l'exécuter, quel trouble n'eut-il point ! Quelle crainte de lui déplaire !
Ligne 3 487 ⟶ 3 817 :
sans balancer ni se retourner du côté où il était, elle entra dans le lieu où étaient ses
femmes. Elle y entra avec tant de trouble qu'elle fut contrainte, pour le cacher, de dire
qu'elle se trouvait mal ; et elle le dit aussi pour occuper tous ses gens, et pour donner
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/187]]==
gens, et pour donner
le temps à monsieur de Nemours de se retirer. Quand elle eut fait quelque réflexion,
elle pensa qu'elle s'était trompée, et que c'était un effet de son imagination d'avoir cru
Ligne 3 507 ⟶ 3 839 :
Nemours se résolut d'y passer tout le jour, afin de retourner la nuit à Coulommiers, pour
voir si madame de Clèves aurait encore la cruauté de le fuir, ou celle de ne se pas
exposer à être vue ; quoiqu'il eût une joie sensible de l'avoir trouvée si remplie de son
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/188]]==
son
idée, il était néanmoins très affligé de lui avoir vu un mouvement si naturel de le fuir.
La passion n'a jamais été si tendre et si violente qu'elle l'était alors en ce prince. Il s'en
Ligne 3 527 ⟶ 3 861 :
serai aimé de la plus aimable personne du monde, et je n'aurai cet excès d'amour que
donnent les premières certitudes d'être aimé, que pour mieux sentir la douleur d'être
maltraité ! Laissez-moi voir que vous m'aimez, belle princesse, s'écria-t-il, laissez-moi
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/189]]==
aimez, belle princesse, s'écria-t-il, laissez-moi
voir vos sentiments ; pourvu que je les connaisse par vous une fois en ma vie, je
consens que vous repreniez pour toujours ces rigueurs dont vous m'accablez.
Ligne 3 548 ⟶ 3 884 :
jardin. Ce prince connut bientôt que madame de Clèves n'avait pas voulu hasarder qu'il
essayât encore de la voir ; toutes les portes étaient fermées. Il tourna de tous les côtés
pour
pour découvrir s'il ne verrait point de lumières ; mais ce fut inutilement.
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/190]]==
découvrir s'il ne verrait point de lumières ; mais ce fut inutilement.
Madame de Clèves s'étant doutée que monsieur de Nemours pourrait revenir, était
demeurée dans sa chambre ; elle avait appréhendé de n'avoir pas toujours la force de
Ligne 3 567 ⟶ 3 905 :
dessein de la quitter à Coulommiers, dans la pensée de l'en laisser partir la première ;
et il crut avoir trouvé un moyen infaillible de parler à madame de Clèves.
Comme ils arrivèrent, elle se promenait dans une grande allée qui borde le parterre. La
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/191]]==
grande allée qui borde le parterre. La
vue de monsieur de Nemours ne lui causa pas un médiocre trouble, et ne lui laissa plus
douter que ce ne fût lui qu'elle avait vu la nuit précédente. Cette certitude lui donna
Ligne 3 591 ⟶ 3 931 :
-- Je ne me souviens point, lui dit-elle, de vous y avoir vu ; et si vous y avez été, c'est
sans que je l'aie su.
-- Il est vrai, Madame, répliqua monsieur de Nemours, que j'y ai été sans vos ordres, et
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/192]]==
Nemours, que j'y ai été sans vos ordres, et
j'y ai passé les plus doux et les plus cruels moments de ma vie.
Madame de Clèves entendait trop bien tout ce que disait ce prince, mais elle n'y
Ligne 3 611 ⟶ 3 953 :
qu'il avait dit, il ne pouvait plus retourner avec sa sœur ; ainsi, il revint à Paris, et en
partit le lendemain.
Le gentilhomme de monsieur de Clèves l'avait toujours observé : il revint aussi à Paris,
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/193]]==
observé : il revint aussi à Paris,
et, comme il vit monsieur de Nemours parti pour Chambord, il prit la poste afin d'y
arriver devant lui, et de rendre compte de son voyage. Son maître attendait son retour,
Ligne 3 633 ⟶ 3 977 :
la nuit même, et avec de si grands accidents, que dès ce moment sa maladie parut très
dangereuse. On en donna avis à madame de Clèves ; elle vint en diligence. Quand elle
arriva, il était encore plus mal, elle lui trouva quelque chose de si froid et de si glacé
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/194]]==
froid et de si glacé
pour elle, qu'elle en fut extrêmement surprise et affligée. Il lui parut même qu'il recevait
avec peine les services qu'elle lui rendait ; mais enfin, elle pensa que c'était peut-être
Ligne 3 654 ⟶ 4 000 :
derniers jours de son mal, après avoir passé une nuit très fâcheuse, il dit sur le matin
Page 91
qu'il voulait reposer. Madame de Clèves demeura seule dans sa chambre ; il lui parut
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/195]]==
sa chambre ; il lui parut
qu'au lieu de reposer, il avait beaucoup d'inquiétude. Elle s'approcha et se vint mettre à
genoux devant son lit le visage tout couvert de larmes. Monsieur de Clèves avait résolu
Ligne 3 673 ⟶ 4 021 :
monsieur de Nemours. Je mourrai, ajouta-t-il ; mais sachez que vous me rendez la mort
agréable, et qu'après m'avoir ôté l'estime et la tendresse que j'avais pour vous, la vie
me ferait horreur. Que ferais-je de la vie, reprit-il, pour la passer avec une personne
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/196]]==
pour la passer avec une personne
que j'ai tant aimée, et dont j'ai été si cruellement trompé, ou pour vivre séparé de cette
même personne, et en venir à un éclat et à des violences si opposées à mon humeur
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idée, sinon qu'il lui reprochait son inclination pour monsieur de Nemours ; enfin, sortant
tout d'un coup de son aveuglement :
-- Moi, des crimes ! s'écria-t-elle ; la pensée même m'en est inconnue. La vertu la plus
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/197]]==
vertu la plus
austère ne peut inspirer d'autre conduite que celle que j'ai eue ; et je n'ai jamais fait
d'action dont je n'eusse souhaité que vous eussiez été témoin.
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demande point de me croire ; mais croyez tous vos domestiques, et sachez si j'allai
dans le jardin de la forêt la veille que monsieur de Nemours vint à Coulommiers, et si je
n'en
n'en sortis pas le soir d'auparavant deux heures plus tôt que je n'avais accoutumé.
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/198]]==
sortis pas le soir d'auparavant deux heures plus tôt que je n'avais accoutumé.
Elle lui conta ensuite comme elle avait cru voir quelqu'un dans ce jardin. Elle lui avoua
qu'elle avait cru que c'était monsieur de Nemours. Elle lui parla avec tant d'assurance,
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encore en état de sentir distinctement sa douleur. Quand elle commença d'avoir la
force de l'envisager, et qu'elle vit quel mari elle avait perdu, qu'elle considéra qu'elle
était la cause de sa mort, et que c'était par la passion qu'elle avait eue pour un autre
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/199]]==
qu'elle avait eue pour un autre
qu'elle en était cause, l'horreur qu'elle eut pour elle-même et pour monsieur de
Nemours ne se peut représenter.
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si exacts étaient donnés en vue de ce prince, et pour ne point entendre parler de lui.
Monsieur de Nemours était trop amoureux pour pouvoir vivre si absolument privé de la
vue de madame de Clèves. Il résolut de trouver des moyens, quelque difficiles qu'ils
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/200]]==
difficiles qu'ils
pussent être, de sortir d'un état qui lui paraissait si insupportable.
La douleur de cette princesse passait les bornes de la raison. Ce mari mourant, et
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était, et passa dans un état de tristesse et de langueur. Madame de Martigues fit un
voyage à Paris, et la vit avec soin pendant le séjour qu'elle y fit. Elle l'entretint de la
cour et de tout ce qui s'y passait ; et quoique madame de Clèves ne parût pas y
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/201]]==
Clèves ne parût pas y
prendre intérêt, madame de Martigues ne laissait pas de lui en parler pour la divertir.
Elle lui conta des nouvelles du vidame, de monsieur de Guise, et de tous les autres qui
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gagner sa vie. Toutes les fois qu'il vient céans, je le vois toujours regarder les maisons
et les jardins ; mais je ne le vois jamais travailler.
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/202]]==
Madame de Clèves écoutait ce discours avec une grande attention. Ce que lui avait dit
madame de Martigues, que monsieur de Nemours était quelquefois à Paris, se joignit
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enseveli dans une rêverie profonde, et elle reconnut que c'était monsieur de Nemours.
Cette vue l'arrêta tout court. Mais ses gens qui la suivaient firent quelque bruit, qui tira
monsieur de Nemours de sa rêverie. Sans regarder qui avait causé le bruit qu'il avait
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/203]]==
regarder qui avait causé le bruit qu'il avait
entendu, il se leva de sa place pour éviter la compagnie qui venait vers lui, et tourna
dans une autre allée, en faisant une révérence fort basse, qui l'empêcha même de voir
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leur état passé que la passion de monsieur de Nemours pour elle, et que celle qu'elle
avait pour lui.
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/204]]==
Toutes ces idées furent nouvelles à cette princesse. L'affliction de la mort de monsieur
de Clèves l'avait assez occupée, pour avoir empêché qu'elle n'y eût jeté les yeux. La
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fut d'aller voir s'il n'y aurait personne à la fenêtre qui donnait chez elle ; elle y alla, elle y
vit monsieur de Nemours. Cette vue la surprit, et elle se retira avec une promptitude qui
fit juger à ce prince qu'il avait été reconnu. Il avait souvent désiré de l'être, depuis que
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/205]]==
avait été reconnu. Il avait souvent désiré de l'être, depuis que
sa passion lui avait fait trouver ces moyens de voir madame de Clèves ; et lorsqu'il
n'espérait pas d'avoir ce plaisir, il allait rêver dans le même jardin où elle l'avait trouvé.
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pas paraître instruit.
Le vidame reçut tout ce qu'il lui dit avec beaucoup de joie, et l'assura que sans savoir
ses sentiments, il avait souvent pensé, depuis que madame de Clèves était veuve,
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/206]]==
avait souvent pensé, depuis que madame de Clèves était veuve,
qu'elle était la seule personne digne de lui. Monsieur de Nemours le pria de lui donner
les moyens de lui parler, et de savoir quelles étaient ses dispositions.
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-- Je ne lui dois pas pardonner, répondit-elle, d'avoir oublié l'état où je suis, et à quoi il
expose ma réputation.
En prononçant ces paroles, elle voulut s'en aller ; et monsieur de Nemours, la retenant :
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/207]]==
paroles, elle voulut s'en aller ; et monsieur de Nemours, la retenant :
-- Ne craignez rien, Madame, répliqua-t-il, personne ne sait que je suis ici, et aucun
hasard n'est à craindre. Écoutez-moi, Madame, écoutez-moi ; si ce n'est par bonté, que
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dans les personnes de mon sexe. Je ne vous dirai point que je n'ai pas vu
l'attachement que vous avez eu pour moi ; peut-être ne me croiriez-vous pas quand je
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/208]]==
avez eu pour moi ; peut-être ne me croiriez-vous pas quand je
vous le dirais. Je vous avoue donc, non seulement que je l'ai vu, mais que je l'ai vu tel
que vous pouvez souhaiter qu'il m'ait paru.
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si bien instruit. Vous ne me le parûtes déjà que trop chez madame la dauphine, qui
avait su cette aventure par ceux à qui vous l'aviez confiée.
Monsieur de Nemours lui apprit alors de quelle sorte la chose était arrivée.
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/209]]==
chose était arrivée.
-- Ne vous excusez point, reprit-elle ; il y a longtemps que je vous ai pardonné, sans
que vous m'ayez dit de raison. Mais puisque vous avez appris par moi-même ce que
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de vous de faire en sorte que votre devoir vous oblige un jour à conserver les
sentiments que vous avez pour moi.
-- Mon devoir,
-- Mon devoir, répliqua-t-elle, me défend de penser jamais à personne, et moins à vous
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/210]]==
répliqua-t-elle, me défend de penser jamais à personne, et moins à vous
qu'à qui que ce soit au monde, par des raisons qui vous sont inconnues.
-- Elles ne me le sont peut-être pas, Madame, reprit-il ; mais ce ne sont point de
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estimable personne du monde ; j'aurais vu en elle tout ce qui peut faire une adorable
maîtresse ; elle ne m'aurait pas haï, et je n'aurais trouvé dans sa conduite que tout ce
qui peut être à désirer dans une femme ? Car enfin, Madame, vous êtes peut-être la
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/211]]==
vous êtes peut-être la
seule personne en qui ces deux choses se soient jamais trouvées au degré qu'elles
sont en vous. Tous ceux qui épousent des maîtresses dont ils sont aimés, tremblent en
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devrais avoir dans une première conversation, mais je vous conjure de m'écouter sans
m'interrompre.
"
"Je crois devoir à votre attachement la faible récompense de ne vous cacher aucun de
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/212]]==
Je crois devoir à votre attachement la faible récompense de ne vous cacher aucun de
mes sentiments, et de vous les laisser voir tels qu'ils sont. Ce sera apparemment la
seule fois de ma vie que je me donnerai la liberté de vous les faire paraître ; néanmoins
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a apprises, vous ont donné assez d'espérance pour ne vous pas rebuter.
-- Ah ! Madame, reprit monsieur de Nemours, je ne saurais garder le silence que vous
m'imposez : vous me faites trop d'injustice, et vous me faites trop voir combien vous
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/213]]==
et vous me faites trop voir combien vous
êtes éloignée d'être prévenue en ma faveur.
-- J'avoue, répondit-elle, que les passions peuvent me conduire ; mais elles ne
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Quand je pourrais m'accoutumer à cette sorte de malheur, pourrais-je m'accoutumer à
celui de croire voir toujours monsieur de Clèves vous accuser de sa mort, me reprocher
de vous
de vous avoir aimé, de vous avoir épousé et me faire sentir la différence de son
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/214]]==
avoir aimé, de vous avoir épousé et me faire sentir la différence de son
attachement au vôtre ? Il est impossible, continua-t-elle, de passer par-dessus des
raisons si fortes : il faut que je demeure dans l'état où je suis, et dans les résolution que
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commerce entre nous.
Monsieur de Nemours se jeta à ses pieds, et s'abandonna à tous les divers
mouvements
mouvements dont il était agité. Il lui fit voir, et par ses paroles et par ses pleurs, la plus
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/215]]==
dont il était agité. Il lui fit voir, et par ses paroles et par ses pleurs, la plus
vive et la plus tendre passion dont un cœur ait jamais été touché. Celui de madame de
Clèves n'était pas insensible, et, regardant ce prince avec des yeux un peu grossis par
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Elle sortit en disant ces paroles, sans que monsieur de Nemours pût la retenir. Elle
trouva monsieur le vidame dans la chambre la plus proche. Il la vit si troublée qu'il
n'osa lui parler, et il la remit en son carrosse sans lui rien dire. Il revint trouver monsieur
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/216]]==
lui rien dire. Il revint trouver monsieur
de Nemours, qui était si plein de joie, de tristesse, d'étonnement et d'admiration, enfin,
de tous les sentiments que peut donner une passion pleine de crainte et d'espérance,
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vaincre ses scrupules ! Enfin, une partie de la nuit était passée devant que monsieur de
Nemours songeât à le laisser en repos.
Madame de Clèves n'était pas en état d'en trouver : ce lui était une chose si nouvelle
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/217]]==
ce lui était une chose si nouvelle
d'être sortie de cette contrainte qu'elle s'était imposée, d'avoir souffert, pour la première
fois de sa vie, qu'on lui dît qu'on était amoureux d'elle, et d'avoir dit elle-même qu'elle
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violence de prendre des résolutions ; la bienséance lui donnait un temps considérable
à se déterminer ; mais elle résolut de demeurer ferme à n'avoir aucun commerce avec
monsieur de
monsieur de Nemours. Le vidame la vint voir, et servit ce prince avec tout l'esprit et
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/218]]==
Nemours. Le vidame la vint voir, et servit ce prince avec tout l'esprit et
l'application imaginables. Il ne la put faire changer sur sa conduite, ni sur celle qu'elle
avait imposée à monsieur de Nemours. Elle lui dit que son dessein était de demeurer
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La cour alla conduire la reine d'Espagne jusqu'en Poitou. Pendant cette absence,
madame de Clèves demeura à elle-même, et, à mesure qu'elle était éloignée de
monsieur
monsieur de Nemours et de tout ce qui l'en pouvait faire souvenir, elle rappelait la
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/219]]==
de Nemours et de tout ce qui l'en pouvait faire souvenir, elle rappelait la
mémoire de monsieur de Clèves, qu'elle se faisait un honneur de conserver. Les
raisons qu'elle avait de ne point épouser monsieur de Nemours lui paraissaient fortes
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de sa maîtresse. La pensée d'être privé pour longtemps de la vue de madame de
Clèves lui était une douleur sensible, et surtout dans un temps où il avait senti le plaisir
de la voir, et de la voir touchée de sa passion. Cependant il ne pouvait faire autre
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/220]]==
la voir touchée de sa passion. Cependant il ne pouvait faire autre
chose que s'affliger, mais son affliction augmenta considérablement. Madame de
Clèves, dont l'esprit avait été si agité, tomba dans une maladie violente sitôt qu'elle fut
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elle surmonta les restes de cette passion qui était affaiblie par les sentiments que sa
maladie lui avait donnés. Les pensées de la mort lui avaient reproché la mémoire de
monsieur de Clèves. Ce souvenir, qui s'accordait à son devoir, s'imprima fortement
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/221]]==
qui s'accordait à son devoir, s'imprima fortement
dans son cœur. Les passions et les engagements du monde lui parurent tels qu'ils
paraissent aux personnes qui ont des vues plus grandes et plus éloignées. Sa santé,
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qu'elle devait conserver ; qu'elle voulait bien qu'il sût, qu'ayant trouvé que son devoir et
son repos s'opposaient au penchant qu'elle avait d'être à lui, les autres choses du
monde
monde lui avaient paru si indifférentes qu'elle y avait renoncé pour jamais ; qu'elle ne
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/222]]==
lui avaient paru si indifférentes qu'elle y avait renoncé pour jamais ; qu'elle ne
pensait plus qu'à celles de l'autre vie, et qu'il ne lui restait aucun sentiment que le désir
de le voir dans les mêmes dispositions où elle était.
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couvents les plus austères ; et sa vie, qui fut assez courte, laissa des exemples de
vertu inimitables.
==[[Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/223]]==