« Un Hivernage dans les glaces » : différence entre les versions
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== I. Le pavillon noir ==
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Vêtu de ses habits sacerdotaux, il allait se rendre à l’autel, quand un homme entra dans la sacristie, joyeux et effaré à la fois. C’était un marin d’une soixantaine d’années, mais encore vigoureux et solide, avec une bonne et honnête figure.
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— Je vous en félicite du fond du cœur, mon vieux Cornbutte, dit le curé en se dépouillant de la chasuble et de l’étole. Je connais vos conventions. Le vicaire va me remplacer, et je me tiendrai à votre disposition pour l’arrivée de votre cher fils.
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Le marin revint à grands pas à sa maison, située sur le quai du port marchand, et d’où l’on apercevait la mer du Nord, ce dont il se montrait si fier.
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En rentrant au logis, Jean Cornbutte trouva toute la maison sur pied. Marie, le front radieux, revêtait ses habillements de mariée.
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— Hâte-toi, petite, répondit Jean Cornbutte, car les vents viennent du nord, et la Jeune-Hardie file bien, quand elle file grand largue !
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— Nos amis sont-ils prévenus, mon oncle ? demanda Marie.
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En ce moment entra le compère Clerbaut.
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Les invités de Jean Cornbutte arrivèrent sans tarder. Bien qu’il fût de grand matin, pas un ne manqua à l’appel. Tous félicitèrent à l’envi le brave marin qu’ils aimaient. Pendant ce temps, Marie, agenouillée, transformait devant Dieu ses prières en remercîments. Elle rentra bientôt, belle et parée, dans la salle commune, et elle eut la joue embrassée par toutes les commères, la main vigoureusement serrée par tous les hommes
Ce fut un spectacle curieux de voir cette joyeuse troupe prendre le chemin de la mer au lever du soleil. La nouvelle de l’arrivée du brick avait circulé dans le port, et bien des têtes en bonnets de nuit apparurent aux fenêtres et aux portes entrebâillées. De chaque côté arrivait un honnête compliment ou un salut flatteur.
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Le brick de Jean Cornbutte était devenu de plus en plus visible. Le vent fraîchissait, et la Jeune-Hardie courait grand largue sous ses huniers, sa misaine, sa brigantine, ses perroquets et ses cacatois. La joie devait évidemment régner à bord comme à terre. Jean Cornbutte, une longue-vue à la main, répondait gaillardement aux questions de ses amis.
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La Jeune-Hardie était entièrement visible. Déjà l’équipage faisait ses préparatifs de mouillage. Les voiles hautes avaient été carguées. On pouvait reconnaître les matelots qui s’élançaient dans les agrès. Mais ni Marie, ni Jean Cornbutte n’avaient encore pu saluer de la main le capitaine du brick.
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La Jeune-Hardie ne se trouvait plus qu’à trois encâblures du port, lorsqu’un pavillon noir monta à la corne de brigantine … Il y avait deuil à bord
Un sentiment de terreur courut dans tous les esprits et dans le cœur de la jeune fiancée.
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amis se précipitèrent vers le quai qu’il allait accoster, et, en un instant, ils se trouvèrent à bord.
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Les marins du brick, la tête découverte, lui montrèrent le pavillon de deuil.
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Marie poussa un cri de détresse et tomba dans les bras du vieux Cornbutte.
André Vasling avait ramené la Jeune-Hardie
== II. Le projet de Jean Cornbutte ==
Dès que la jeune fille, confiée aux soins de charitables amis, eut quitté le brick, le second, André Vasling, apprit à Jean Cornbutte l’affreux événement qui le privait de revoir son fils, et que le journal du bord rapportait en ces termes
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Jean Cornbutte, après avoir lu ce récit, sec comme un simple fait de bord, pleura longtemps, et s’il eut quelque consolation, elle vint de cette pensée que son fils était mort en voulant secourir ses semblables. Puis, le pauvre père quitta ce brick, dont la vue lui faisait mal, et il rentra dans sa maison désolée.
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Cette triste nouvelle se répandit aussitôt dans tout Dunkerque. Les nombreux amis du vieux marin vinrent lui apporter leurs vives et sincères condoléances. Puis, les matelots de la Jeune-Hardie donnèrent les détails les plus complets sur cet événement, et André Vasling dut raconter à Marie, dans tous ses détails, le dévouement de son fiancé.
Jean Cornbutte réfléchit, après avoir pleuré, et le lendemain même du mouillage, voyant entrer André Vasling chez lui, il lui dit
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— Et avez-vous bien fait toutes les recherches voulues pour le retrouver ?
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— Toutes, sans contredit, monsieur Cornbutte ! Mais il n’est malheureusement que trop certain que ses deux matelots et lui ont été engloutis dans le gouffre du Maëlstrom.
— Vous plairait-il, André, de garder le commandement en second du navire ?
— Cela dépendra du capitaine, monsieur Cornbutte.
— Le capitaine, ce sera moi, André, répondit le vieux marin. Je vais rapidement décharger mon navire, composer mon équipage et courir à la recherche de mon fils !
— Votre fils est mort ! répondit André Vasling en insistant.
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— C’est possible, André, répliqua vivement Jean Cornbutte, mais il est possible aussi qu’il se soit sauvé. Je veux fouiller tous les ports de la Norwége, où il a pu être poussé, et, quand j’aurai la certitude de ne plus jamais le revoir, alors, seulement, je reviendrai mourir ici ! »
André Vasling, comprenant que cette décision était inébranlable, n’insista plus et se retira.
Jean Cornbutte instruisit aussitôt sa nièce de son projet, et il vit briller quelques lueurs d’espérance à travers ses larmes. Il n’était pas encore venu à l’esprit de la jeune fille que la mort de son fiancé put être problématique
Le vieux marin décida que la Jeune-Hardie reprendrait aussitôt la mer. Ce brick, solidement construit, n’avait aucune avarie à réparer. Jean Cornbutte fit publier que s’il plaisait à ses matelots de s’y rembarquer, rien ne serait changé à la composition de l’équipage. Il remplacerait seulement son fils dans le commandement du navire.
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Jean Cornbutte proposa de nouveau à André Vasling de reprendre son rang à bord. Le second du brick était un manœuvrier habile, qui avait fait ses preuves en ramenant la Jeune-Hardie à bon port. Cependant, on ne sait pour quel motif, André Vasling fit quelques difficultés, et demanda à réfléchir.
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Jean Cornbutte avait un homme dévoué dans le Breton Penellan, qui fut longtemps son compagnon de voyage. La petite Marie passait autrefois les longues soirées d’hiver dans les bras du timonier, pendant que celui-ci demeurait à terre. Aussi avait-il conservé pour elle une amitié de père, que la jeune fille lui rendait en amour filial. Penellan pressa de tout son pouvoir l’armement du brick, d’autant plus que, selon lui, André Vasling n’avait peut-être pas fait toutes les recherches possibles pour retrouver les naufragés, bien qu’il fût excusé par la responsabilité qui pesait sur lui comme capitaine.
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Le départ fut fixé au 22 mai. La veille au soir, André Vasling, qui n’avait pas encore rendu réponse à Jean Cornbutte, se rendit à son logis. Il était encore indécis et ne savait quel parti prendre.
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Sans doute la discussion se prolongeait déjà depuis quelque temps, car la jeune fille semblait opposer une inébranlable fermeté aux observations du marin breton.
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André Vasling avait compris la résolution de la jeune fille. Il réfléchit un instant, et son parti fut pris.
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Marie et Penellan parurent aussitôt.
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— Marie ! Dieu aidant, je te ramènerai ton fiancé !
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— Oui, nous retrouverons Louis ! ajouta André Vasling.
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Le second et le matelot sortirent ensemble. Jean Cornbutte et Marie demeurèrent en présence l’un de l’autre. Bien des larmes furent répandues pendant cette triste soirée. Jean Cornbutte, voyant Marie si désolée, résolut de brusquer la séparation en quittant le lendemain la maison sans la prévenir. Aussi, ce soir-là même, lui donna-t-il son dernier baiser, et à trois heures du matin il fut sur pied.
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L’équipage était au complet. André Vasling donna les derniers ordres. Les voiles furent larguées, et le brick s’éloigna rapidement par une bonne brise de nord-ouest, tandis que le curé, debout au milieu des spectateurs agenouillés, remettait ce navire entre les mains de Dieu.
Où va ce navire
== III. Lueur d’espoir ==
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À cette époque de l’année, la saison était favorable, et l’équipage put espérer arriver promptement sur le lieu du naufrage.
Le plan de Jean Cornbutte se trouvait naturellement tracé. Il comptait {{tiret|relâ|cher}}
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{{tiret2|relâ|cher}} aux îles Feroë, où le vent du nord pouvait avoir porté les naufragés
André Vasling pensait, contrairement à l’avis du capitaine, que les côtes de l’Islande devaient plutôt être explorées
Il fut donc résolu que l’on suivrait ce littoral d’aussi près que possible, afin de reconnaître quelques traces de leur passage.
Le lendemain du départ, Jean Cornbutte, la tête penchée sur une carte, était abîmé dans ses réflexions, quand une petite main s’appuya sur son épaule, et une douce voix lui dit à l’oreille
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Il se retourna et demeura stupéfait. Marie l’entourait de ses bras.
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Penellan entra.
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et elle nous servira d’ange gardien. Et puis, capitaine, vous connaissez mon idée
La jeune fille fut installée dans une cabine, que les matelots disposèrent pour elle en peu d’instants et qu’ils rendirent aussi confortable que possible.
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Le 30 juin, le brick jetait l’ancre dans ce port
Là, les autorités remirent à Jean Cornbutte une bouteille trouvée à la côte, et qui renfermait un document ainsi conçu
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Le premier mouvement de Jean Cornbutte fut de remercier le Ciel. Il se croyait sur les traces de son fils
Il n’y avait pas à perdre un jour. La Jeune-Hardie fut aussitôt mise en état d’affronter les périls des mers polaires. Fidèle Misonne le charpentier la visita scrupuleusement et s’assura que sa construction solide pourrait résister au choc des glaçons.
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L’équipage fut divisé en deux quarts : le premier fut composé de Fidèle Misonne, de Gradlin et de Gervique ; le second, d’André Vasling, d’Aupic et de Penellan. Ces quarts ne devaient durer que deux heures, car sous ces froides régions la force de l’homme est diminuée de moitié. Bien que la Jeune-Hardie ne fût encore que par le soixante-troisième degré de latitude, le thermomètre marquait déjà neuf degrés centigrades au-dessous de zéro.
La pluie et la neige tombaient souvent en abondance. Pendant les éclaircies, quand le vent ne soufflait pas trop violemment, Marie demeurait sur le pont, et ses yeux s’accoutumaient à ces rudes scènes des mers polaires.
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André Vasling et Penellan. La Jeune-Hardie entrait alors dans une passe large de trois milles, à travers laquelle des trains de glaçons brisés descendaient rapidement vers le sud.
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— Peut-être, ma fille, mais je crains bien que nous ne soyons encore loin du terme de notre voyage. Il est à craindre que le Froöern n’ait été entraîné plus au nord !
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— Cela doit être, ajouta André Vasling, car cette bourrasque qui nous a séparés du navire norvégien a duré trois jours, et en trois jours un navire fait bien de la route, quand il est désemparé au point de ne pouvoir résister au vent !
— Permettez-moi de vous dire, monsieur Vasling, riposta Penellan, que c’était au mois d’avril, que le dégel n’était pas commencé alors, et que, par conséquent, le Froöern a dû être arrêté promptement par les glaces …
— Et sans doute brisé en mille pièces, répondit le second, puisque son équipage ne pouvait plus manœuvrer !
— Mais ces plaines de glaces, répondit Penellan, lui offraient un moyen facile de gagner la terre, dont il ne pouvait être éloigné.
— Espérons, dit Jean Cornbutte en interrompant une discussion qui se renouvelait journellement entre le second et le timonier. Je crois que nous verrons la terre avant peu.
— La voilà ! s’écria Marie. Voyez ces montagnes !
— Non, mon enfant, répondit Jean Cornbutte. Ce sont des montagnes de glaces, les premières que nous rencontrons. Elles nous broieraient comme du verre, si nous nous laissions prendre entre elles. Penellan et Vasling, veillez à la manœuvre. »
Ces masses flottantes, dont plus de cinquante apparaissaient alors à l’horizon, se rapprochèrent peu à peu du brick. Penellan prit le gouvernail, et Jean Cornbutte, monté sur les barres du petit perroquet, indiqua la route à suivre.
Vers le soir, le brick fut tout à fait engagé dans ces écueils mouvants, dont la force d’écrasement est irrésistible. Il s’agissait alors de traverser cette flotte de montagnes, car la prudence commandait de se porter en avant. Une autre difficulté s’ajoutait à ces périls
La Jeune-Hardie entra bientôt dans une passe si étroite, que souvent l’extrémité de ses vergues fut froissée par les montagnes en dérive, et que ses bouts-dehors durent être rentrés. On fut même obligé d’orienter la grande vergue à toucher les haubans. Heureusement, cette mesure ne fit rien perdre au brick de sa vitesse, car le vent ne pouvait atteindre que les voiles supérieures, et celles-ci suffirent à le pousser rapidement. Grâce à la finesse de sa
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coque, il s’enfonça dans ces vallées qu’emplissaient des tourbillons de pluie, tandis que les glaçons s’entrechoquaient avec de sinistres craquements.
Jean Cornbutte redescendit sur le pont. Ses regards ne pouvaient percer les ténèbres environnantes. Il devint nécessaire de carguer les voiles hautes, car le navire menaçait de toucher, et, dans ce cas, il eût été perdu.
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En ce moment, un énorme bloc de glace, engagé dans l’étroite passe que suivait la Jeune-Hardie, filait rapidement à contre-bord, et il parut impossible de l’éviter, car elle barrait toute la largeur du chenal, et le brick se trouvait dans l’impossibilité de virer.
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Le bloc avait soixante pieds de haut à peu près, et s’il se jetait sur le brick, le brick était broyé. Il y eut un indéfinissable moment d’angoisse, et l’équipage reflua vers l’arrière, abandonnant son poste, malgré les ordres du capitaine.
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Mais au moment où ce bloc n’était plus qu’à une demi-encablure de la Jeune Hardie, un bruit sourd se fit entendre, et une véritable trombe d’eau tomba d’abord sur l’avant du navire, qui s’éleva ensuite sur le dos d’une vague énorme.
Un cri de terreur fut jeté par tous les matelots
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Un phénomène, très-commun dans ces parages, venait de se produire. Lorsque ces masses flottantes se détachent les unes des autres à l’époque du dégel,
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elles voguent dans un équilibre parfait
== V. L’île Liverpool ==
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Penellan s’occupait avec un soin paternel de Marie, et, malgré le froid, il l’obligeait à venir tous les jours passer deux ou trois heures sur le pont, car l’exercice devenait une des conditions indispensables de la santé.
Le courage de Marie, d’ailleurs, ne faiblissait pas. Elle réconfortait même les matelots du brick par ses paroles, et tous éprouvaient pour elle une véritable adoration. André Vasling se montrait plus empressé que jamais, et il recherchait toutes les occasions de s’entretenir avec elle
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Cependant, Marie n’avait pas encore compris les projets d’André Vasling, car, au grand ennui de ce dernier ces conversations ne pouvaient se prolonger. Penellan trouvait toujours moyen d’intervenir et de détruire l’effet des propos d’André Vasling par les paroles d’espoir qu’il faisait entendre.
Marie, d’ailleurs, ne demeurait pas inoccupée. D’après les conseils du timonier, elle prépara ses habits d’hiver, et il fallut qu’elle changeât tout à fait son accoutrement. La coupe de ses vêtements de femme ne convenait pas sous ces latitudes froides. Elle se fit donc une espèce de pantalon fourré, dont les pieds étaient garnis de peau de phoque, et ses jupons étroits ne lui vinrent plus qu’à mi-jambe, afin de pas être en contact avec ces couches de neige, dont l’hiver allait couvrir les plaines de glace. Une mante en fourrure, étroitement fermée à la taille et garnie d’un capuchon, lui protégea le haut du corps.
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Aussitôt, le brick se dirigea sur l’île Liverpool, découverte, en 1821, par le capitaine Scoresby, et l’équipage poussa des acclamations, en voyant les naturels accourir sur la plage. Les communications s’établirent aussitôt, grâce à quelques mots de leur langue que possédait Penellan et à quelques phrases usuelles qu’eux-mêmes avaient apprises des baleiniers qui fréquentaient ces parages.
Ces Groënlandais étaient petits et trapus
En échange de morceaux de fer et de cuivre, dont ils sont extrêmement avides, ces pauvres gens apportaient des fourrures d’ours, des peaux de veaux marins, de chiens marins, de loups de mer et de tous ces animaux généralement compris
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sous le nom de phoques. Jean Cornbutte obtint à très-bas prix ces objets, qui allaient devenir pour lui d’une si grande utilité.
Le capitaine fit alors comprendre aux naturels qu’il était à la recherche d’un navire naufragé, et il leur demanda s’ils n’en avaient pas quelques nouvelles. L’un d’eux traça immédiatement sur la neige une sorte de navire et indiqua qu’un bâtiment de cette espèce avait été, il y a trois mois, emporté dans la direction du nord
Ces nouvelles, quoique imparfaites, ramenèrent l’espérance dans le cœur des matelots, et Jean Cornbutte n’eut pas de peine à les entraîner plus avant dans la mer polaire.
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Les boissons chaudes, telles que le café et le thé, furent distribuées régulièrement aux matelots matin et soir, et comme il était utile de se nourrir de viandes, on fit la chasse aux canards et aux sarcelles, qui abondent dans ces parages.
Jean Cornbutte installa aussi, au sommet du grand mât, «
Deux jours après que le brick eut perdu de vue l’île Liverpool, la température se refroidit subitement sous l’influence d’un vent sec. Quelques indices de l’hiver
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furent aperçus. La Jeune-Hardie n’avait pas un moment à perdre, car bientôt la route devait lui être absolument fermée. Elle s’avança donc à travers les passes que laissaient entre elles des plaines ayant jusqu’à trente pieds d’épaisseur.
Le 3 septembre au matin, la Jeune-Hardie parvint à la hauteur de la baie de Gaël-Hamkes. La terre se trouvait alors à trente milles sous le vent. Ce fut la première fois que le brick s’arrêta devant un banc de glace qui ne lui offrait aucun passage et qui mesurait au moins un mille de largeur. Il fallut donc employer les scies pour couper la glace. Penellan, Aupic, Gradlin et Turquiette furent préposés à la manœuvre de ces scies, qu’on avaient installées en dehors du navire. Le tracé des coupures fut fait de telle sorte que le courant pût emporter les glaçons détachés du banc. Tout l’équipage réuni mit près de vingt heures à ce travail. Les hommes éprouvaient une peine extrême à se maintenir sur la glace
D’ailleurs, sous ces latitudes élevées, tout travail excessif est bientôt suivi d’une fatigue absolue, car la respiration manque promptement, et le plus robuste est forcé de s’arrêter souvent.
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Jean Cornbutte fit ses premiers préparatifs d’hivernage. Il s’occupa d’abord de trouver une crique dont la position mît son navire à l’abri des coups de vent et des grandes débâcles. La terre, qui devait être à une dizaine de milles dans l’ouest, pouvait seule lui offrir de sûrs abris, qu’il résolut d’aller reconnaître.
Le 12 septembre, il se mit en marche, accompagné d’André Vasling, de Penellan et des deux matelots Gradlin et Turquiette. Chacun portait des provisions pour deux jours, car il n’était pas probable que leur excursion se
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La neige, qui avait tombé en grande abondance et dont la surface n’était pas gelée, les retarda considérablement. Ils enfonçaient souvent jusqu’à mi-corps, et ne pouvaient, d’ailleurs, s’avancer qu’avec une extrême prudence, s’ils ne voulaient pas tomber dans les crevasses. Penellan, qui marchait en tête, sondait soigneusement chaque dépression du sol avec son bâton ferré.
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Le lendemain matin, Jean Cornbutte et ses compagnons étaient ensevelis sous une couche de neige de plus d’un pied d’épaisseur. Heureusement leurs peaux, parfaitement imperméables, les avaient préservés, et cette neige avait même contribué à conserver leur propre chaleur, qu’elle empêchait de rayonner au dehors.
Jean Cornbutte donna aussitôt le signal du départ, et, vers midi, ses compagnons et lui aperçurent enfin la côte, qu’ils eurent d’abord quelque peine à distinguer. De hauts blocs de glaces, taillés perpendiculairement, se dressaient sur le rivage
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Ses compagnons le suivirent, et tous rejoignirent bientôt Penellan. Le marin avait dit vrai. Une pointe de terre assez élevée s’avançait comme un promontoire, et, en se recourbant vers la côte, elle formait une petite baie d’un mille de profondeur au plus. Quelques glaces mouvantes, brisées par cette pointe, flottaient au milieu, et la mer, abritée contre les vents les plus froids, ne se trouvait pas encore entièrement prise.
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Penellan, très-contrarié de l’insuccès de son exploration, dormait assez mal, quand, dans un moment d’insomnie, son attention fut attirée par un roulement sourd. Il prêta attentivement l’oreille à ce bruit, et ce roulement lui parut tellement étrange, qu’il poussa du coude Jean Cornbutte.
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Le bruit augmentait avec une violence sensible.
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Penellan, armé d’un fusil, gravit lestement le bloc qui les abritait. L’obscurité étant fort épaisse et le temps couvert, il ne put rien découvrir
Un péril d’une nouvelle sorte venait les menacer. À ce bruit, qui ressembla
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bientôt aux éclats du tonnerre, se joignit un mouvement d’ondulation très-prononcé du champ de glaces. Plusieurs matelots perdirent l’équilibre et tombèrent.
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À peine achevait-il ces mots, qu’un craquement effroyable se fit entendre. La plaine de glace se brisa tout entière, et les matelots durent se cramponner au bloc qui oscillait auprès d’eux. En dépit des paroles du timonier, ils se trouvaient dans une position excessivement périlleuse, car un tremblement venait de se produire. Les glaçons venaient «
Aux premières lueurs du jour, un tableau tout différent s’offrit à leurs yeux. La vaste plaine, unie la veille, se trouvait disjointe en mille endroits, et les flots, soulevés par quelque commotion sous-marine, avaient brisé la couche épaisse qui les recouvrait.
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La pensée de son brick se présenta à l’esprit de Jean Cornbutte.
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Le plus sombre désespoir commença à se peindre sur la figure de ses compagnons. La perte du navire entraînait inévitablement leur mort prochaine.
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Tous se précipitèrent en avant, et si imprudemment, que Turquiette glissa dans une fissure et eût infailliblement péri, si Jean Cornbutte ne l’eût rattrapé par son capuchon. Il en fut quitte pour un bain un peu froid.
Effectivement, le brick flottait à deux milles au vent. Après des peines infinies, la petite troupe l’atteignit. Le brick était en bon état
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== VII. Les installations de l’hivernage ==
Penellan avait encore une fois raison
Le 19 septembre, le brick fut enfin établi, à deux encâblures de terre, dans sa baie d’hivernage, et solidement ancré sur un bon fond. Dès le jour suivant, la glace s’était déjà formée autour de sa coque
Suivant l’habitude des navigateurs arctiques, le gréement resta tel qu’il était
Déjà le soleil s’élevait à peine au-dessus de l’horizon. Depuis le solstice de juin, les spirales qu’il avait décrites s’étaient de plus en plus abaissées, et bientôt il devait disparaître tout à fait.
L’équipage se hâta de faire ses préparatifs. Penellan en fut le grand ordonnateur. La glace se fut bientôt épaissie autour du navire, et il était à craindre que sa pression ne fût dangereuse
Les marins élevèrent ensuite le long des préceintes, et jusqu’à la hauteur des bastingages, une muraille de neige de cinq à six pieds d’épaisseur, qui ne tarda pas à se durcir comme un roc. Cette enveloppe ne permettait pas à la chaleur intérieure de rayonner au dehors. Une tente en toile, recouverte de peaux et hermétiquement fermée, fut tendue sur toute la longueur du pont et forma une espèce de promenoir pour l’équipage.
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On construisit également a terre un magasin de neige, dans lequel on entassa les objets qui embarrassaient le navire. Les cloisons des cabines furent démontées, de manière à ne plus former qu’une vaste chambre à l’avant comme à l’arrière. Cette pièce unique était, d’ailleurs, plus facile à réchauffer, car la glace et l’humidité trouvaient moins de coins pour s’y blottir. Il fut également plus aisé de l’aérer convenablement, au moyen de manches en toile qui s’ouvraient au dehors.
Chacun déploya une extrême activité dans ces divers préparatifs, et, vers le 25 septembre, ils furent entièrement terminés. André Vasling ne s’était pas montré le moins habile à ces divers aménagements. Il déploya surtout un empressement trop grand à s’occuper de la jeune fille, et si celle-ci, toute à la pensée de son pauvre Louis, ne s’en aperçut pas, Jean Cornbutte comprit bientôt ce qui en était. Il en causa avec Penellan ; il se rappela plusieurs circonstances qui l’éclairèrent tout à fait sur les intentions de son second : André Vasling aimait Marie et comptait la demander à son oncle, dès qu’il ne serait plus permis de douter de la mort des naufragés ; on s’en retournerait alors à Dunkerque, et André Vasling s’accommoderait très-bien d’épouser une fille jolie et riche, qui serait alors l’unique héritière de Jean Cornbutte.
Seulement, dans son impatience, André Vasling manqua souvent d’habileté ; il avait plusieurs fois déclaré inutiles les recherches entreprises pour retrouver les naufragés, et souvent un indice nouveau venait lui donner un démenti, que Penellan prenait du plaisir à faire ressortir. Aussi le second détestait-il cordialement le timonier, qui le lui rendait avec du retour. Ce dernier ne craignait qu’une chose, c’était qu’André Vasling ne parvint à jeter quelque germe de dissension dans l’équipage, et il engagea Jean Cornbutte à ne lui répondre qu’évasivement à la première occasion.
Lorsque les préparatifs d’hivernage furent terminés, le capitaine prit diverses mesures propres à conserver la santé de son équipage. Tous les matins, les hommes eurent ordre d’aérer les logements et d’essuyer soigneusement les parois intérieures, pour les débarrasser de l’humidité de la nuit. Ils reçurent, matin et soir, du thé ou du café brûlant, ce qui est un des meilleurs cordiaux à employer contre le froid ; puis ils furent divisés en quarts de chasseurs, qui devaient, autant que possible, procurer chaque jour une nourriture fraîche à l’ordinaire du bord.
Chacun dut prendre aussi, tous les jours, un exercice salutaire, et ne pas s’exposer sans mouvement à la température, car, par des froids de trente degrés au-dessous de zéro, il pouvait arriver que quelque partie du corps se gelât {{tiret|subi|tement}}
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{{tiret2|subi|tement}}. Il fallait, dans ce cas, avoir recours aux frictions de neige, qui seules pouvaient sauver la partie malade.
Penellan recommanda fortement aussi l’usage des ablutions froides, chaque matin. Il fallait un certain courage pour se plonger les mains et la figure dans la neige, que l’on faisait dégeler à l’intérieur. Mais Penellan donna bravement l’exemple, et Marie ne fut pas la dernière à l’imiter.
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Jean Cornbutte n’oublia pas non plus les lectures et les prières, car il s’agissait de ne pas laisser dans le cœur place au désespoir ou à l’ennui. Rien n’est plus dangereux dans ces latitudes désolées.
Le ciel, toujours sombre, remplissait l’âme de tristesse. Une neige épaisse, fouettée par des vents violents, ajoutait à l’horreur accoutumée. Le soleil allait disparaître bientôt. Si les nuages n’eussent pas été amoncelés sur la tête des navigateurs, ils auraient pu jouir de la lumière de la lune, qui allait devenir véritablement leur soleil pendant cette longue nuit des pôles
Penellan fit aussi creuser un trou dans la glace, non loin du navire. Tous les jours on brisait la nouvelle croûte qui se formait à sa partie supérieure, et l’eau que l’on y puisait à une certaine profondeur était moins froide qu’à la surface.
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Le 9 octobre, Jean Cornbutte tint conseil pour dresser le plan de ses opérations, et, afin que la solidarité augmentât le zèle et le courage de chacun, il y admit tout l’équipage. La carte en main, il exposa nettement la situation présente.
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<br />
La côte orientale du Groënland s’avance perpendiculairement vers le nord. Les découvertes des navigateurs ont donné la limite exacte de ces parages. Dans cet espace de cinq cents lieues, qui sépare le Groënland du Spitzberg, aucune terre n’avait été encore reconnue. Une seule île, l’île Shannon, se trouvait à une centaine de milles dans le nord de la baie de Gaël-Hamkes, où la Jeune-Hardie allait hiverner.
Si donc le navire norvégien, suivant toutes les probabilités, avait été entraîné dans cette direction, en supposant qu’il n’eût pu atteindre l’île Shannon, c’était là que Louis Cornbutte et les naufragés avaient dû chercher asile pour l’hiver.
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<br />
Cet avis prévalut, malgré l’opposition d’André Vasling, et il fut décidé que l’on dirigerait les explorations du côté de l’île Shannon.
Les dispositions furent immédiatement commencées. On s’était procuré, sur la côte de Norwége, un traîneau fait à la manière des Esquimaux, construit en planches recourbées à l’avant et à l’arrière, et qui fût propre à glisser sur la neige et sur la glace. Il avait douze pieds de long sur quatre de large, et pouvait, en conséquence, porter des provisions pour plusieurs semaines au besoin. Fidèle Misonne l’eut bientôt mis en état, et il y travailla dans le magasin de neige, où ses outils avaient été transportés. Pour la première fois, on établit un poêle à charbon dans ce magasin, car tout travail y eût été impossible sans cela. Le
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tuyau du poêle sortait par un des murs latéraux, au moyen d’un trou percé dans la neige
Pendant que Misonne travaillait au traîneau, Penellan, aidé de Marie, préparait les vêtements de rechange pour la route. Les bottes de peau de phoque étaient heureusement en grand nombre. Jean Cornbutte et André Vasling s’occupèrent des provisions
Le 11 octobre, le soleil ne reparut pas au-dessus de l’horizon. On fut obligé d’avoir une lampe continuellement allumée dans le logement de l’équipage. Il n’y avait pas de temps à perdre, il fallait commencer les explorations, et voici pourquoi
Au mois de janvier, le froid deviendrait tel qu’il ne serait plus possible de mettre le pied dehors, sans péril pour la vie. Pendant deux mois au moins, l’équipage serait condamné au casernement le plus complet
André Vasling savait tout cela mieux que personne. Aussi résolut-il d’apporter de nombreux obstacles à cette expédition.
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On décida donc, après de longues discussions, que la jeune fille accompagnerait l’expédition, et qu’il lui serait, au besoin, réservé une place dans le traîneau, sur lequel on construisit une petite hutte en bois, hermétiquement fermée. Quant à Marie, elle fut au comble de ses vœux, car il lui répugnait d’être éloignée de ses deux protecteurs.
L’expédition fut donc ainsi formée
Le 22 octobre, suivant les prévisions du capitaine, un changement soudain se manifesta dans la température. Le ciel s’éclaircit, les étoiles jetèrent un éclat extrêmement vif, et la lune brilla au-dessus de l’horizon pour ne plus le quitter pendant une quinzaine de jours. Le thermomètre était descendu à vingt-cinq degrés au-dessous de zéro.
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== IX. La maison de neige ==
Le 23 octobre, à onze heures du matin, par une belle lune, la caravane se mit en marche. Les précautions étaient prises, cette fois, de façon que le voyage pût se prolonger longtemps, s’il le fallait. Jean Cornbutte suivit la côte, en remontant vers le nord. Les pas des marcheurs ne laissaient aucune trace sur cette glace résistante. Aussi Jean Cornbutte fut-il obligé de se guider au moyen de points de repère qu’il choisit au loin
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<br />
À la première halte, après une quinzaine de milles, Penellan fit les préparatifs d’un campement. La tente fut adossée à un bloc de glaces. Marie n’avait pas trop souffert de ce froid rigoureux, car, par bonheur, la brise s’étant calmée, il était beaucoup plus supportable ; mais, plusieurs fois, la jeune fille avait dû descendre de son traîneau pour empêcher que l’engourdissement n’arrêtât chez elle la circulation du sang. D’ailleurs, sa petite hutte, tapissée de peau par les soins de Penellan, offrait tout le confortable possible.
Quand la nuit, ou plutôt quand le moment du repos arriva, cette petite hutte fut transportée sous la tente, où elle servit de chambre à coucher à la jeune fille. Le repas du soir se composa de viande fraîche, de pemmican et de thé chaud. Jean Cornbutte, pour prévenir les funestes effets du scorbut, fit distribuer à tout son monde quelques gouttes de jus de citron. Puis, tous s’endormirent à la garde de Dieu.
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Il se produisait aussi un effet de réfraction excessivement curieux. En marchant, au moment où l’on croyait mettre le pied sur un monticule, on tombait plus bas, ce qui occasionnait souvent des chutes, heureusement sans gravité, et que Penellan tournait en plaisanteries. Néanmoins, il recommanda de ne jamais faire un pas sans sonder le sol avec le bâton ferré dont chacun était muni.
Vers le 1er novembre, dix jours après le départ, la caravane se trouvait à une cinquantaine de lieues dans le nord. La fatigue devenait extrême pour tout le monde. Jean Cornbutte éprouvait des éblouissements terribles, et sa vue s’altérait sensiblement. Aupic et Fidèle Misonne ne marchaient plus qu’en tâtonnant, car leurs yeux, bordés de rouge, semblaient brûlés par la réflexion blanche. Marie avait été préservée de ces accidents par suite de son séjour dans la hutte, qu’elle habitait le plus possible. Penellan, soutenu par un indomptable courage, résistait à toutes ces fatigues. Celui qui, au surplus, se portait le mieux et sur lequel ces douleurs, ce froid, cet éblouissement ne semblaient avoir aucune prise, c’était André Vasling. Son corps de fer était fait à toutes ces fatigues
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robustes, et il prévoyait déjà le moment prochain où il faudrait revenir en arrière.
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Or, le 1er novembre, par suite des fatigues, il devint indispensable de s’arrêter pendant un jour ou deux.
Dès que le lieu du campement fut choisi, on procéda à son installation. On résolut de construire une maison de neige, que l’on appuierait contre une des roches du promontoire. Fidèle Misonne en traça immédiatement les fondements, qui mesuraient quinze pieds de long sur cinq de large. Penellan, Aupic, Misonne, à l’aide de leurs couteaux, découpèrent de vastes blocs de glace qu’ils apportèrent au lieu désigné, et ils les dressèrent, comme des maçons eussent fait de murailles en pierre. Bientôt la paroi du fond fut élevée à cinq pieds de hauteur avec une épaisseur à peu près égale, car les matériaux ne manquaient pas, et il importait que l’ouvrage fût assez solide pour durer quelques jours. Les quatre murailles furent terminées en huit heures à peu près
Après trois heures d’un travail pénible, la maison fut achevée, et chacun s’y retira, en proie à la fatigue et au découragement. Jean Cornbutte souffrait au point de ne pouvoir faire un seul pas, et André Vasling exploita si bien sa douleur qu’il lui arracha la promesse de ne pas porter ses recherches plus avant dans ces affreuses solitudes.
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Le 4 novembre, Jean Cornbutte commença à faire enterrer sur un point de la côte les provisions qui ne lui étaient pas nécessaires. Une marque indiqua le dépôt, pour le cas improbable où de nouvelles explorations l’entraîneraient de ce côté. Tous les quatre jours de marche, il avait laissé de semblables dépôts le long de sa route, — ce qui lui assurait des vivres pour le retour, sans qu’il eût la peine de les transporter sur son traîneau.
Le départ fut fixé à dix heures du matin, le 5 novembre. La tristesse la plus profonde s’était emparée de la petite troupe. Marie avait peine à retenir ses larmes, en voyant son oncle tout découragé. Tant de souffrances inutiles
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{{tiret2|don|nait}} tout le monde au diable et ne cessait, à chaque occasion, de se fâcher contre la faiblesse et la lâcheté de ses compagnons, plus timides et plus fatigués, disait-il, que Marie, laquelle aurait été au bout du monde sans se plaindre.
André Vasling ne pouvait pas dissimuler le plaisir que lui causait cette détermination. Il se montra plus empressé que jamais près de la jeune fille, à laquelle il fit même espérer que de nouvelles recherches seraient entreprises après l’hiver, sachant bien qu’elles seraient alors trop tardives
== X. Enterrés vivants ==
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Il faisait une obscurité complète. Une tempête effroyable, car ce n’était pas un dégel, éclatait dans ces parages. Des tourbillons de neige s’abattaient avec une violence extrême, et le froid était tellement excessif que le timonier sentit ses mains se geler rapidement. Il fut obligé de rentrer, après s’être vivement frotté avec de la neige.
«
En même temps que les rafales se déchaînaient dans l’air, un bruit effroyable se produisait sous le sol glacé
«
—
—
—
— C’est impossible ! répondit Penellan. Le froid est épouvantable au dehors, tandis que nous pourrons peut-être le braver en demeurant ici !
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<br />
— Donnez-moi le thermomètre, » dit André Vasling.
Aupic lui passa l’instrument, qui marquait dix degrés au-dessous de zéro, à l’intérieur, bien que le feu fût allumé. André Vasling souleva la toile qui retombait devant l’ouverture et le glissa au dehors avec précipitation, car il eût été meurtri par des éclats de glace que le vent soulevait et qui se projetaient en une véritable grêle.
«
—
—
—
—
—
Il souleva la toile de manière à ne passer que le bras, et eut quelque peine à retrouver le thermomètre, au milieu de la neige
«
—
Un morne silence suivit cette réflexion.
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Vers huit heures du matin, Penellan essaya une seconde fois de sortir, pour juger de la situation. Il fallait, d’ailleurs, donner une issue à la fumée, que le vent avait plusieurs fois repoussée dans l’intérieur de la hutte. Le marin ferma très-hermétiquement ses vêtements, assura son capuchon sur sa tête au moyen d’un mouchoir, et souleva la toile.
L’ouverture était entièrement obstruée par une neige résistante. Penellan prit son bâton ferré et parvint à l’enfoncer dans cette masse compacte
«
— Que dis-tu ? s’écria Jean Cornbutte.
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<br />
— Je dis que la neige s’est amoncelée et glacée autour de nous et sur nous, que nous sommes ensevelis vivants !
— Essayons de repousser cette masse de neige, » répondit le capitaine.
Les deux amis s’arcboutèrent contre l’obstacle qui obstruait la porte, mais il ne purent le déplacer. La neige formait un glaçon qui avait plus de cinq pieds d’épaisseur et ne faisait qu’un avec la maison.
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En ce moment, une fumée plus épaisse que jamais reflua à l’intérieur, car elle ne pouvait trouver aucune issue.
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<br />
« Malédiction ! s’écria Misonne. Le tuyau du poêle est bouché par la glace ! »
Penellan reprit son bâton et démonta le poêle, après avoir jeté de la neige sur les tisons pour les éteindre, ce qui produisit une fumée telle, que l’on pouvait à peine apercevoir la lueur de la lampe
Il ne fallait plus attendre qu’une fin affreuse, précédée d’une agonie terrible
Marie se leva alors, et sa présence, qui désespérait Jean Cornbutte, rendit
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quelque courage à Ponellan. Le timonier se dit que cette pauvre enfant ne pouvait être destinée à une mort aussi horrible
«
—
—
Personne n’osa lui apprendre la vérité.
«
Ces paroles ranimèrent ses compagnons.
«
Penellan joignit l’exemple au conseil et dévora sa portion. Ses compagnons l’imitèrent et burent ensuite une tasse de café brûlant, ce qui leur remit un peu de courage au cœur
Ce fut alors qu’André Vasling fit cette réflexion
«
Penellan regarda Marie, qui comprit la vérité, mais ne trembla pas.
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Penellan fit d’abord rougir à la flamme de l’esprit-de-vin le bout de son bâton ferré, qu’il introduisit successivement dans les quatre murailles de glace, mais il ne trouva d’issue dans aucune. Jean Cornbutte résolut alors de creuser une ouverture dans la porte même. La glace était tellement dure que les coutelas l’entamaient difficilement. Les morceaux que l’on parvenait à extraire encombrèrent bientôt la hutte. Au bout de deux heures de ce travail pénible, la galerie creusée n’avait pas trois pieds de profondeur.
Il fallut donc imaginer un moyen plus rapide et qui fût moins susceptible d’ébranler la maison, car plus on avançait, plus la glace, devenant dure, nécessitait de violents efforts pour être entamée. Penellan eut l’idée de se servir du réchaud à esprit-de-vin pour fondre la glace dans la direction voulue. C’était un moyen hasardeux, car si l’emprisonnement venait à se prolonger, cet esprit-de-vin, dont les marins n’avaient qu’une petite quantité, leur ferait défaut au moment de préparer le repas. Néanmoins, ce projet obtint l’assentiment de tous, et il fut mis à exécution. On creusa préalablement un trou de trois pieds de
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profondeur sur un pied de diamètre pour recueillir l’eau qui proviendrait de la fonte de la glace, et l’on n’eut pas à se repentir de cette précaution, car l’eau suinta bientôt sous l’action du feu, que Penellan promenait à travers la masse de neige.
L’ouverture se creusa peu à peu, mais on ne pouvait continuer longtemps un tel genre de travail, car l’eau, se répandant sur les vêtements, les perçait de part en part. Penellan fut obligé de cesser au bout d’un quart d’heure et de retirer le réchaud pour se sécher lui-même. Misonne ne tarda pas à prendre sa place, et il n’y mit pas moins de courage.
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Au bout de deux heures de travail, bien que la galerie eût déjà cinq pieds de profondeur, le bâton ferré ne put encore trouver d’issue au dehors.
«
—
—
—
—
—
Puis, Penellan alla remplacer André Vasling, qui travaillait avec énergie à la délivrance commune.
«
Le moment du repos était arrivé, et, lorsque Penellan eut encore creusé la galerie d’un pied, il revint se coucher près de ses compagnons.
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== XI. Un nuage de fumée ==
Le lendemain, quand les marins se réveillèrent, une obscurité complète les enveloppait. La lampe s’était éteinte. Jean Cornbutte réveilla Penellan pour lui demander le briquet, que celui-ci lui passa. Penellan se leva pour allumer le réchaud
Penellan se remit au travail avec rage.
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En ce moment, la jeune fille, aux lueurs que projetait le réchaud sur la figure du timonier, comprit que le désespoir et la volonté luttaient sur sa rude physionomie Elle vint à lui, lui prit les mains, les serra avec tendresse. Penellan sentit le courage lui revenir.
«
Il reprit son réchaud et se mit de nouveau à ramper dans l’étroite ouverture. Là, d’une main vigoureuse, il enfonça son bâton ferré et ne sentit pas de résistance. Était-il donc arrivé aux couches molles de la neige
«
Et, des pieds et des mains, il repoussa la neige, mais la surface extérieure n’était pas dégelée, ainsi qu’il l’avait cru. Avec le rayon de lumière, un froid violent pénétra dans la cabane et en saisit toutes les parties humides, qui se solidifièrent en un moment. Son coutelas aidant, Penellan agrandit l’ouverture et put enfin respirer au grand air. Il tomba à genoux pour remercier Dieu et fut bientôt rejoint par la jeune fille et ses compagnons.
Une lune magnifique éclairait l’atmosphère, dont les marins ne purent supporter le froid rigoureux. Ils rentrèrent, mais, auparavant, Penellan regarda autour de lui. Le promontoire n’était plus là, et la hutte se trouvait au milieu d’une immense plaine de glace. Penellan voulut se diriger du côté du traîneau, où étaient les provisions
La température l’obligea de rentrer. Il ne parla de rien à ses compagnons. Il fallait avant tout sécher les vêtements, ce qui fut fait avec le réchaud à esprit
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de-vin. Le thermomètre, mis un instant à l’air, descendit à trente degrés au-dessous de zéro.
Au bout d’une heure, André Vasling et Penellan résolurent d’affronter l’atmosphère extérieure. Ils s’enveloppèrent dans leurs vêtements encore humides et sortirent par l’ouverture, dont les parois avaient déjà acquis la dureté du roc.
«
—
—
—
Ils tournèrent autour de la hutte, qui formait un bloc de plus de quinze pieds de hauteur. Une immense quantité de neige était tombée pendant toute la durée de la tempête, et le vent l’avait accumulée contre la seule élévation que présentât la plaine. Le bloc entier avait été entraîné par le vent, au milieu des glaçons brisés, à plus de vingt-cinq milles au nord-est, et les prisonniers avaient subi le sort de leur prison flottante. Le traîneau, supporté par un autre glaçon, avait dérivé d’un autre côté, sans doute, car on n’en apercevait aucune trace, et les chiens avaient dû succomber dans cette effroyable tempête.
André Vasling et Penellan sentirent se glisser le désespoir dans leur âme. Ils n’osaient rentrer dans la maison de neige
Au moment où Penellan allait descendre le monticule, il jeta un coup d’œil sur André Vasling. Il le vit tout à coup regarder avidement d’un côté, puis tressaillir et pâlir.
«
—
Mais, au lieu d’obéir, Penellan remonta et porta ses yeux du côté qui avait attiré l’attention du second. Un effet bien différent se produisit en lui, car il poussa un cri de joie et s’écria
«
==[[Page:Verne - Le Docteur Ox.djvu/180]]==
<br />
Une légère fumée s’élevait dans le nord-est. Il n’y avait pas à s’y tromper. Là respiraient des êtres animés. Les cris de joie de Penellan attirèrent ses compagnons, et tous purent se convaincre par leurs yeux que le timonier ne se trompait pas.
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Il importait, cependant, de ne pas dévier de la ligne droite.
«
La marche durait ainsi depuis une demi-heure, quand Penellan s’arrêta soudain, prêtant l’oreille.
Le groupe de marins le rejoignit
«
—
—
—
—
—
—
Quelques sons faibles, mais perceptibles cependant, se faisaient entendre. Ces cris paraissaient des cris de douleur et d’angoisse. Ils se renouvelèrent deux fois. On eût dit que quelqu’un appelait au secours. Puis tout retomba dans le silence.
«
Et il se mit à courir dans la direction de ces cris. Il fit ainsi deux milles environ, et sa stupéfaction fut grande, quand il aperçut un homme couché sur la glace. Il s’approcha de lui, le souleva et leva les bras au ciel avec désespoir.
André Vasling, qui le suivait de près avec le reste des matelots, accourut et s’écria
«
==[[Page:Verne - Le Docteur Ox.djvu/181]]==
<br />
— Il est mort, répliqua Penellan, mort de froid ! »
Jean Cornbutte et Marie arrivèrent auprès du cadavre, que la glace avait déjà raidi. Le désespoir se peignit sur toutes les figures. Le mort était l’un des compagnons de Louis Cornbutte
«
Ils marchèrent encore pendant une demi-heure, sans mot dire, et ils aperçurent une élévation du sol, qui devait être certainement la terre.
«
Au bout d’un mille, ils aperçurent distinctement une fumée qui s’échappait d’une hutte de neige fermée par une porte en bois. Ils poussèrent des cris. Deux hommes s’élancèrent hors de la hutte, et, parmi eux, Penellan reconnut Pierre Nouquet.
«
Celui-ci demeurait là comme un homme hébété, n’ayant pas conscience de ce qui se passait autour de lui. André Vasling regardait avec une inquiétude mêlée d’une joie cruelle les compagnons de Pierre Nouquet, car il ne reconnaissait pas Louis Cornbutte parmi eux.
«
Pierre Nouquet revint à lui et tomba dans les bras de son vieux compagnon.
«
== XII. Retour au navire ==
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C’était Louis Cornbutte.
«
—
Ces deux cris partirent en même temps, et Louis Cornbutte tomba évanoui entre les bras de son père et de la jeune fille, qui l’entraînèrent dans la hutte, où leurs soins le ranimèrent.
==[[Page:Verne - Le Docteur Ox.djvu/182]]==
<br />
« Mon père ! Marie ! s’écria Louis Cornbutte. Je vous aurai donc revus avant de mourir !
— Tu ne mourras pas ! répondit Penellan, car tous tes amis sont près de toi ! »
Il fallait que André Vasling eût bien de la haine pour ne pas tendre la main à Louis Cornbutte ; mais il ne la lui tendit pas.
Pierre Nouquet ne se sentait pas de joie. Il embrassait tout le monde ; puis il jeta du bois dans le poêle, et bientôt une température supportable s’établit dans la cabane.
Là, il y avait encore deux hommes que ni Jean Cornbutte ni Penellan ne connaissaient.
==[[Page:Verne - Le Docteur Ox.djvu/183]]==
<br />
C’étaient Jocki et Herming, les deux seuls matelots norwégiens qui restassent de l’équipage du Froöern.
«
—
—
Un triste silence suivit cette réflexion, et Penellan apprit à Pierre Nouquet
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et à Louis Cornbutte la mort de leur compagnon, que le froid avait tué.
«
—
Le Froöern avait été entraîné, en effet, à quarante milles de l’endroit où Louis Cornbutte hivernait. Là, il fut brisé par les glaçons qui flottaient au dégel, et les naufragés furent emportés, avec une partie des débris dont était construite leur cabane, sur le rivage méridional de l’île Shannon.
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Les naufragés se trouvaient alors au nombre de cinq, Louis Cornbutte, Cortrois, Pierre Nouquet, Jocki et Herming. Quant au reste de l’équipage norwégien, il avait été submergé avec la chaloupe au moment du naufrage.
Dès que Louis Cornbutte, entraîné dans les glaces, vit celles-ci se refermer autour de lui, il prit toutes les précautions pour passer l’hiver. C’était un homme énergique, d’une grande activité comme d’un grand courage
Toute cette journée fut employée au repos et au plaisir de se revoir. Fidèle Misonne et Pierre Nouquet tuèrent quelques oiseaux de mer, près de la maison, dont il n’était pas prudent de s’écarter. Ces vivres frais et le feu qui fut activé rendirent de la force aux plus malades. Louis Cornbutte lui-même éprouva un mieux sensible. C’était le premier moment de plaisir qu’éprouvaient ces braves gens. Aussi le fêtèrent-ils avec entrain, dans cette misérable cabane, à six cents lieues dans les mers du Nord, par un froid de trente degrés au-dessous de zéro
Cette température dura jusqu’à la fin de la lune, et ce ne fut que vers le 17 novembre, huit jours après leur réunion, que Jean Cornbutte et ses compagnons purent songer au départ. Ils n’avaient plus que la lueur des étoiles pour se guider, mais le froid était moins vif, et il tomba même peu de neige.
==[[Page:Verne - Le Docteur Ox.djvu/185]]==
<br />
Avant de quitter ce lieu, on creusa une tombe au pauvre Cortrois. Triste cérémonie, qui affecta vivement ses compagnons ! C’était le premier d’entre eux qui ne devait pas revoir son pays.
Misonne avait construit avec les planches de la cabane une sorte de traîneau destiné au transport des provisions, et les matelots le traînèrent tour à tour. Jean Cornbutte dirigea la marche par les chemins déjà parcourus. Les campements s’organisaient, à l’heure du repos, avec une grande promptitude. Jean Cornbutte espérait retrouver ses dépôts de provisions, qui devenaient presque indispensables avec ce surcroît de quatre personnes. Aussi chercha-t-il à ne pas s’écarter de sa route.
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La petite troupe reprit sa route vers la baie d’hivernage. Les chiens furent attelés au traîneau, et aucun incident ne signala l’expédition.
On constata seulement qu’Aupic, André Vasling et les Norwégiens se tenaient à l’écart et ne se mêlaient pas à leurs compagnons
Vers le 7 décembre, vingt jours après leur réunion, ils aperçurent la baie où hivernait la Jeune-Hardie. Quel fut leur étonnement en apercevant le brick juché à près de quatre mètres en l’air sur des blocs de glace
La tempête s’était fait ressentir dans toute la mer polaire. Les glaces avaient été brisées et déplacées, et, glissant les unes sous les autres, elles avaient saisi le lit sur lequel reposait le navire. Leur pesanteur spécifique tendant à les ramener au-dessus de l’eau, elles avaient acquis une puissance incalculable, et le brick s’était trouvé soudain élevé hors des limites de la mer.
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saison du dégel serait venue, il n’y aurait plus qu’à le faire glisser sur un plan incliné, à le lancer, en un mot, dans la mer redevenue libre.
Mais une mauvaise nouvelle assombrit le visage de Jean Cornbutte et de ses compagnons. Pendant la terrible bourrasque, le magasin de neige construit sur la côte avait été entièrement brisé
Le dégel ne devait arriver qu’avec le mois de mai.
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== XIII. Les deux rivaux ==
André Vasling s’était pris d’amitié pour les deux matelots norwégiens. Aupic faisait aussi partie de leur bande, qui se tenait généralement à l’écart, désapprouvant hautement toutes les nouvelles mesures
Néanmoins, les deux Norwégiens parvinrent, deux jours après, à s’emparer d’une caisse de viande salée. Louis Cornbutte exigea qu’elle lui fût rendue sur-le-champ, mais Aupic prit fait et cause pour eux, et André Vasling fit même
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entendre que les mesures touchant la nourriture ne pouvaient durer plus longtemps.
Il n’y avait pas à prouver à ces malheureux que l’on agissait dans l’intérêt commun, car ils le savaient et ils ne cherchaient qu’un prétexte pour se révolter. Penellan s’avança vers les deux Norwégiens, qui tirèrent leurs coutelas
«
—
La jeune fille n’avait jamais tremblé devant les dangers des mers polaires, mais elle eut peur de cette haine dont elle était la cause, et l’énergie de Louis Cornbutte put à peine la rassurer.
Malgré cette déclaration de guerre, les repas se prirent aux mêmes heures et en commun. La chasse fournit encore quelques ptarmigans et quelques lièvres blancs
Dans cet état, ils n’avaient plus le courage de sortir pour chasser, ou pour prendre quelque exercice. Ils demeuraient accroupis autour du poêle, qui ne leur donnait qu’une chaleur insuffisante, et dès qu’ils s’en éloignaient un peu, ils sentaient leur sang se refroidir subitement.
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Jean Cornbutte vit sa santé gravement compromise, et il ne pouvait déjà plus quitter son logement. Des symptômes prochains de scorbut se manifestèrent en lui, et ses jambes se couvrirent de taches blanchâtres. La jeune fille se portait bien et s’occupait de soigner les malades avec l’empressement d’une sœur de charité. Aussi tous ces braves marins la bénissaient-ils du fond du cœur.
Le 1er janvier fut l’un des plus tristes jours de l’hivernage. Le vent était
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{{tiret2|vio|lent}}, et le froid insupportable. On ne pouvait sortir sans s’exposer à être gelé. Les plus courageux devaient se borner à se promener sur le pont abrité par la tente. Jean Cornbutte, Gervique et Gradlin ne quittèrent pas leur lit. Les deux Norwégiens, Aupic et André Vasling, dont la santé se soutenait, jetaient des regards farouches sur leurs compagnons, qu’ils voyaient dépérir.
Louis Cornbutte emmena Penellan sur le pont et lui demanda où en étaient les provisions de combustible. «
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Malgré le froid, tous deux montèrent sur les bastingages de l’avant, et ils abattirent tout le bois qui n’était pas d’une indispensable utilité pour le navire. Puis ils revinrent avec cette provision nouvelle. Le poêle fut bourré de nouveau, et un homme resta de garde pour l’empêcher de s’éteindre.
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Mais un jour, le 15 janvier, lorsque Louis Cornbutte descendit à la cambuse pour renouveler ses provisions de citrons, il demeura stupéfait en voyant que les
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barils où ils étaient renfermés avaient disparu. Il remonta près de Penellan et lui fit part de ce nouveau malheur. Un vol avait été commis, et les auteurs étaient faciles à reconnaître. Louis Cornbutte comprit alors pourquoi la santé de ses ennemis se soutenait
== XIV. Détresse ==
Le 20 janvier, la plupart de ces infortunés ne se sentirent pas la force de quitter leur lit. Chacun d’eux, indépendamment de ses couvertures de laine, avait une peau de buffle qui le protégeait contre le froid
Cependant, Louis Cornbutte ayant allumé le poêle, Penellan, Misonne, André Vasling sortirent de leur lit et vinrent s’accroupir autour du feu. Penellan prépara du café brûlant, et leur rendit quelque force, ainsi qu’à Marie, qui vint partager leur repas.
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Louis Cornbutte s’approcha alors du lit de son père qui était presque sans mouvement et dont les jambes étaient brisées par la maladie. Le vieux marin murmurait quelques mots sans suite, qui déchiraient le cœur de son fils.
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Louis Cornbutte prit une résolution décisive. Il revint vers le second et lui dit, en se contenant à peine
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Aupic et les deux matelots norvégiens sautèrent à bas de leur lit et se rangèrent derrière lui. Misonne, Turquiette, Penellan et Louis se préparèrent à se défendre. Pierre Nouquet et Gradlin, quoique bien souffrants, se levèrent pour les seconder.
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Les marins étaient si affaiblis, qu’ils n’osèrent pas se précipiter sur ces quatre misérables, car, en cas d’échec, ils eussent été perdus.
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André Vasling et ses complices se retirèrent à l’autre bout du logement et ne répondirent pas.
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cherché vainement quelque remède à ses douleurs. Ce jour-là, cependant, se jetant à l’improviste sur André Vasling, il parvint à lui arracher un citron que celui-ci s’apprêtait à sucer. André Vasling ne fit pas un pas pour le reprendre. Il semblait qu’il attendît l’occasion d’accomplir ses odieux projets.
Le jus de ce citron rendît quelque force à Jean Cornbutte, mais il aurait fallu continuer ce remède. La jeune fille alla supplier à genoux André Vasling, qui ne lui répondit pas, et Penellan entendit bientôt le misérable dire à ses compagnons
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Il fut alors résolu entre Louis Cornbutte et ses compagnons de ne plus attendre et de profiter du peu de force qui leur restait. Ils résolurent d’agir dans la nuit suivante et de tuer ces misérables pour n’être pas tués par eux.
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La température s’était élevée un peu. Louis Cornbutte se hasarda à sortir avec son fusil pour rapporter quelque gibier.
Il s’écarta d’environ trois milles du navire, et, souvent trompé par des effets de mirage ou de réfraction, il s’éloigna plus loin qu’il ne voulait. C’était imprudent, car des traces récentes d’animaux féroces se montraient sur le sol. Louis Cornbutte ne voulut cependant pas revenir sans rapporter quelque viande fraîche, et il continua sa route
En effet, la réflexion des monticules de glaces et de la plaine le saisissait de la tête aux pieds, et il lui semblait que cette couleur le pénétrait et lui causait un affadissement irrésistible. Son œil en était imprégné, son regard dévié. Il crut qu’il allait devenir fou de blancheur. Sans se rendre compte de cet effet terrible, il continua sa marche et ne tarda pas à faire lever un ptarmigan, qu’il poursuivit avec ardeur. L’oiseau tomba bientôt, et pour aller le prendre, Louis Cornbutte, sautant d’un glaçon sur la plaine, tomba lourdement, car il avait fait un saut de dix pieds, lorsque la réfraction lui faisait croire qu’il n’en avait que deux à franchir. Le vertige le saisit alors, et, sans savoir pourquoi, il se mit à appeler au secours pendant quelques minutes, bien qu’il ne se fût rien brisé dans sa chute. Le froid commençant à l’envahir, il revint au sentiment de sa conservation et se releva péniblement.
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Ces animaux avaient été attirés par cette odeur de graisse qui avait surpris Louis Cornbutte. Celui-ci s’abrita derrière un monticule, et il en compta trois qui ne tardèrent pas à escalader les blocs de glace sur lesquels reposait la Jeune-Hardie.
Rien ne parut lui faire supposer que ce danger fût connu à l’intérieur du navire, et une terrible angoisse lui serra le cœur. Comment s’opposer à ces ennemis redoutables
Louis Cornbutte fit en un instant ces réflexions. Les ours avaient gravi les glaçons et montaient à l’assaut du navire. Louis Cornbutte put alors quitter le bloc qui le protégeait, il s’approcha en rampant sur la glace, et bientôt il put voir les énormes animaux déchirer la tente avec leurs griffes et sauter sur le pont. Louis Cornbutte pensa à tirer un coup de fusil pour avertir ses compagnons
== XV. Les ours blancs ==
Après le départ de Louis Cornbutte, Penellan avait soigneusement fermé la porte du logement, qui s’ouvrait au bas de l’escalier du pont. Il revint près du poêle, qu’il se chargea de garder, pendant que ses compagnons regagnaient leur lit pour y trouver un peu de chaleur.
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Il était alors six heures du soir, et Penellan se mit à préparer le souper. Il descendit à la cambuse pour chercher de la viande salée, qu’il voulait faire amollir dans l’eau bouillante. Quand il remonta, il trouva sa place prise par André Vasling, qui avait mis des morceaux de graisse à cuire dans la bassine.
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Ceux-ci, en un clin d’œil, furent sur pied, armés de pistolets et de poignards. Le coup était préparé.
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Mais dès le commencement de la lutte, la bassine avait été renversée sur le fourneau, et la graisse, se répandant sur les charbons ardents, imprégnait l’atmosphère d’une odeur infecte. Marie se leva en poussant des cris de désespoir, et se précipita vers le lit où râlait le vieux Jean Cornbutte.
André Vasling, moins vigoureux que Penellan, sentit bientôt ses bras repoussés par ceux du timonier. Ils étaient trop près l’un de l’autre pour pouvoir faire usage de leurs armes. Le second, apercevant Herming, s’écria
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Mais Misonne se roulait à terre avec Aupic, qui cherchait à le percer de son coutelas. La hache du charpentier était une arme peu favorable à sa défense,
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Cependant, le sang coulait au milieu des rugissements et des cris. Turquiette, terrassé par Jocki, homme d’une force peu commune, avait reçu un coup de poignard à l’épaule, et il cherchait en vain à saisir un pistolet passé à la ceinture du Norwégien. Celui-ci l’étreignait comme dans un étau, et aucun mouvement ne lui était possible.
Au cri d’André Vasling, que Penellan acculait contre la porte d’entrée, Herming accourut. Au moment où il allait porter un coup de coutelas dans le dos du Breton, celui-ci d’un pied vigoureux l’étendit à terre. L’effort qu’il fit permit à André Vasling de dégager son bras droit des étreintes de Penellan
Soudain, un rugissement terrible éclata, et un ours gigantesque apparut sur les marches de l’escalier. André Vasling l’aperçut le premier. Il n’était pas à quatre pieds de lui. Au même moment, une détonation se fit entendre, et l’ours, blessé ou effrayé, rebroussa chemin. André Vasling, qui était parvenu à se relever, se mit à sa poursuite, abandonnant Penellan.
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Là, André Vasling se débattait contre un ours, auquel il avait porté déjà deux coups de poignard. L’animal, frappant l’air de ses pattes formidables, cherchait à atteindre André Vasling. Celui-ci, peu à peu acculé contre le bastingage, était perdu, quand une seconde détonation retentit. L’ours tomba. André Vasling leva la tête et aperçut Louis Cornbutte dans les enfléchures du mât de misaine, le fusil à la main. Louis Cornbutte avait visé l’ours au cœur, et l’ours était mort.
La haine domina la reconnaissance dans le cœur de Vasling
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André Vasling ne s’en occupa donc pas, et, suivi d’Herming, il vint au secours de Jocki ; mais Jocki, saisi entre les pattes de l’ours, fut broyé, et quand l’animal tomba sous les coups d’André Vasling et d’Herming, qui déchargèrent sur lui leurs pistolets, il ne tenait plus qu’un cadavre entre ses pattes.
« Nous ne sommes plus que deux, dit André Vasling d’un air sombre et farouche ; mais si nous succombons, ce ne sera pas sans vengeance ! »
Herming rechargea son pistolet, sans répondre. Avant tout, il fallait se débarrasser du troisième ours. André Vasling regarda du côté de l’avant et ne le vit pas. En levant les yeux, il l’aperçut debout sur le bastingage et grimpant déjà aux enfléchures, pour atteindre Louis Cornbutte. André Vasling laissa tomber son fusil qu’il dirigeait sur l’animal, et une joie féroce se peignit dans ses yeux.
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Cependant Louis Cornbutte s’était réfugié dans la hune de misaine. L’ours montait toujours, et il n’était plus qu’à six pieds de Louis, quand celui-ci épaula son fusil et visa l’animal au cœur.
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André Vasling poussa un cri de joie.
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Herming descendit l’escalier du logement.
Cependant, l’animal furieux s’était précipité sur Louis Cornbutte, qui chercha un abri de l’autre côté du mât
Ce combat devait être décisif. Pour assouvir pleinement sa vengeance, pour faire assister la jeune fille à la mort de son fiancé, André Vasling s’était privé du secours d’Herming. Il ne devait donc plus compter que sur lui-même.
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Louis Cornbutte et André Vasling se saisirent chacun au collet, et se tinrent de façon à ne pouvoir plus reculer. Des deux l’un devait tomber mort. Ils se portèrent de violents coups, qu’ils ne parèrent qu’à demi, car le sang coula bientôt de part et d’autre. André Vasling cherchait à jeter son bras droit autour du cou de son adversaire pour le terrasser. Louis Cornbutte, sachant que celui qui
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tomberait était perdu, le prévint, et il parvint à le saisir des deux bras
Des cris affreux arrivèrent en ce moment à son oreille. C’était la voix de Marie, qu’Herming voulait entraîner. La rage prit Louis Cornbutte au cœur
L’ours, descendu de la hune de misaine, s’était précipité sur ces deux hommes.
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André Vasling était appuyé contre le corps de l’animal. Louis Cornbutte sentait les griffes du monstre lui entrer dans les chairs. L’ours les étreignait tous deux.
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Des pas se firent entendre sur l’escalier. Penellan parut, arma son pistolet et le déchargea dans l’oreille de l’animal. Celui-ci poussa un rugissement. La douleur lui fit ouvrir un instant les pattes, et Louis Cornbutte, épuisé, glissa sans mouvement sur le pont
Penellan se précipita au secours de Louis Cornbutte. Aucune blessure grave ne mettait sa vie en danger, et le souffle seul lui avait manqué un moment.
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Louis Cornbutte et Penellan descendirent dans le logement, et Marie se précipita dans leurs bras.
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Herming, mortellement blessé, avait été transporté sur un lit par Misonne et Turquiette, qui étaient parvenus à briser leurs liens. Ce misérable râlait déjà, et les deux marins s’occupèrent de Pierre Nouquet, dont la blessure n’offrit heureusement pas de gravité.
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Mais un plus grand malheur devait frapper Louis Cornbutte. Son père ne donnait plus aucun signe de vie !
Était-il mort avec l’anxiété de voir son fils livré à ses ennemis ? Avait-il succombé avant cette terrible scène ? On ne sait. Mais le pauvre vieux marin, brisé par la maladie, avait cessé de vivre !
À ce coup inattendu, Louis Cornbutte et Marie tombèrent dans un désespoir profond, puis ils s’agenouillèrent près du lit et pleurèrent en priant pour l’âme de Jean Cornbutte.
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Jean Cornbutte fut enseveli sur cette côte. Il avait quitté son pays pour
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retrouver son fils, et il était venu mourir sous ce climat affreux
Depuis ce jour, Louis Cornbutte et ses compagnons passèrent encore par de cruelles épreuves
Gervique, Gradlin et Pierre Nouquet purent se lever, une quinzaine de jours après ces terribles événements, et prendre un peu d’exercice.
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Depuis l’équinoxe, le soleil s’était constamment maintenu au-dessus de l’horizon. Les huit mois de jour avaient commencé. Cette clarté perpétuelle et cette chaleur incessante, quoique excessivement faibles, ne tardèrent pas à agir sur les glaces.
Il fallait prendre de grandes précautions pour lancer la Jeune-Hardie du haut lit de glaçons qui l’entouraient. Le navire fut en conséquence solidement étayé, et il parut convenable d’attendre que les glaces fussent brisées par la débâcle
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mais les glaçons inférieurs, reposant dans une couche d’eau déjà plus chaude, se détachèrent peu à peu, et le brick redescendit insensiblement. Vers les premiers jours d’avril, il avait repris son niveau naturel.
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Le 21 mai, après une dernière visite au tombeau de son père, Louis Cornbutte abandonna enfin la baie d’hivernage. Le cœur de ces braves marins se remplit en même temps de joie et de tristesse, car on ne quitte pas sans regret les
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lieux où l’on a vu mourir un ami. Le vent soufflait du nord et favorisait le départ du brick. Souvent il fut arrêté par des bancs de glace, que l’on dut couper à la scie
La Jeune-Hardie fut enfin délivrée des glaces à la hauteur de l’île Jean-Mayen. Vers le 25 juin, le brick rencontra des navires qui se rendaient dans le Nord, pour la pêche des phoques et de la baleine. Il avait mis près d’un mois à sortir de la mer polaire.
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[[Catégorie:XIXe siècle]]
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