« Utilisateur:Andre315/Dum3 » : différence entre les versions

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Qu’ajouter à ces nombres si éloquents par eux-mêmes ? Rien. Aussi admettra-t-on sans conteste le calcul suivant, obtenu par le statisticien Pitcairn : en divisant le nombre des victimes tombées sous les boulets par celui des membres du Gun-Club, il trouva que chacun de ceux-ci avait tué pour son compte une « moyenne » de deux mille trois cent soixante-quinze hommes et une fraction.
 
AÀ considérer un pareil chiffre, il est évident que l’unique préoccupation de cette société savante fut la destruction de l’humanité dans un but philanthropique, et le perfectionnement des armes de guerre, considérées comme instruments de civilisation.
 
C’était une réunion d’Anges Exterminateurs, au demeurant les meilleurs fils du monde.
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— Cependant, Maston, reprit le colonel Blomsberry, on se bat toujours en Europe pour soutenir le principe des nationalités !
 
 
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Eh bien ?
 
— Eh bien ?
 
— Eh bien ! il y aurait peut-être quelque chose à tenter là-bas, et si l’on acceptait nos services...
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Le 5 octobre, à huit heures du soir, une foule compacte se pressait dans les salons du Gun-Club, 21, Union-Square. Tous les membres du cercle résidant à Baltimore s’étaient rendus à l’invitation de leur président. Quant aux membres correspondants, les express les débarquaient par centaines dans les rues de la ville, et si grand que fût le « hall » des séances,
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Cependant l’immense « hall » offrait aux regards un curieux spectacle. Ce vaste local était merveilleusement approprié à sa destination. De hautes colonnes formées de canons superposés auxquels d’épais mortiers servaient de base soutenaient les fines armatures de la voûte, véritables dentelles de fonte frappées à l’emporte-pièce. Des panoplies d’espingoles, de tromblons, d’arquebuses, de carabines, de toutes les armes à feu anciennes ou modernes s’écartelaient sur les murs dans un entrelacement pittoresque. Le gaz sortait pleine flamme d’un millier de revolvers groupés en forme de lustres, tandis que des girandoles de pistolets et des candélabres faits de fusils réunis en faisceaux, complétaient ce splendide éclairage. Les modèles de canons, les échantillons de bronze, les mires criblées de coups, les plaques brisées au choc des boulets du Gun-Club, les assortiments de refouloirs et d’écouvillons, les chapelets de bombes, les colliers de projectiles, les guirlandes d’obus, en un mot, tous les outils de l’artilleur surprenaient l’œil par leur étonnante disposition et laissaient à penser que leur véritable destination était plus décorative que meurtrière.
 
AÀ la place d’honneur, on voyait, abrité par une splendide vitrine, un morceau de culasse, brisé et tordu sous l’effort de la poudre, précieux débris du canon de J.-T. Maston.
 
AÀ l’extrémité de la salle, le président, assisté de quatre secrétaires, occupait une large esplanade. Son siège, élevé sur un affût sculpté, affectait dans son ensemble les formes puissantes d’un mortier de trente-deux pouces ; il était braqué sous un angle de quatre-vingt-dix degrés et suspendu à des tourillons, de telle sorte que le président pouvait lui imprimer, comme aux « rocking-chairs »<ref>Chaises à bascule en usage aux États-Unis.</ref>, un balancement fort agréable par les grandes chaleurs. Sur le bureau, vaste plaque de tôle supportée par six caronades, on voyait un encrier d’un goût exquis, fait d’un biscaïen délicieusement ciselé, et un timbre à détonation qui éclatait, à l’occasion, comme un revolver. Pendant les discussions véhémentes, cette sonnette d’un nouveau genre suffisait à peine à couvrir la voix de cette légion d’artilleurs surexcités.
 
Devant le bureau, des banquettes disposées en zigzags, comme les circonvallations d’un retranchement, formaient une succession de bastions et de courtines où prenaient place tous les membres du Gun-Club, et ce soir-là,
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« Braves collègues, depuis trop longtemps déjà une paix inféconde est venue plonger les membres du Gun-Club dans un regrettable désœuvrement. Après une période de quelques années, si pleine d’incidents, il a fallu abandonner nos travaux et nous arrêter net sur la route du progrès. Je ne crains pas de le proclamer à haute voix, toute guerre qui nous remettrait les armes à la main serait bien venue...
 
 
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Oui, la guerre ! s’écria l’impétueux J.-T. Maston.
 
— Oui, la guerre ! s’écria l’impétueux J.-T. Maston.
 
— Écoutez ! écoutez ! répliqua-t-on de toutes parts.
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Un violent mouvement d’intérêt et de surprise accueillit ces paroles.
 
Permettez-moi, reprit-il, de vous rappeler en quelques mots comment certains esprits ardents, embarqués pour des voyages imaginaires, prétendirent avoir pénétré les secrets de notre satellite. Au XVIIe siècle, un certain David Fabricius se vanta d’avoir vu de ses yeux des habitants de la Lune. En 1649, un Français, Jean Baudoin, publia le Voyage fait au monde de la Lune par Dominique Gonzalès, aventurier espagnol. AÀ la même époque, Cyrano de Bergerac fit paraître cette expédition célèbre qui eut tant de succès en France. Plus tard, un autre Français — ces gens-là s’occupent beaucoup de la Lune — , le nommé Fontenelle, écrivit la Pluralité des Mondes, un chef-d’œuvre en son temps ; mais la science, en marchant, écrase même les chefs-d’œuvre ! Vers 1835, un opuscule traduit du New York American raconta que Sir John Herschell, envoyé au cap de Bonne-Espérance pour y faire des études astronomiques, avait, au moyen d’un télescope perfectionné par un éclairage intérieur, ramené la Lune à une distance de quatre-vingts yards<ref>Le yard vaut un peu moins que le mètre, soit 91 cm.</ref>. Alors il aurait aperçu distinctement des cavernes dans lesquelles vivaient des hippopotames, de vertes montagnes frangées de dentelles d’or, des moutons aux cornes d’ivoire, des chevreuils blancs, des habitants avec des ailes membraneuses comme celles de la chauve-souris. Cette brochure, œuvre d’un Américain nommé Locke<ref>Cette brochure fut publiée en France par le républicain Laviron, qui fut tué au siège de Rome en 1840.</ref>, eut un très grand succès. Mais bientôt on reconnut que c’était une mystification scientifique, et les Français furent les premiers à en rire.
 
— Rire d’un Américain ! s’écria J.-T. Maston, mais voilà un casus belli !...
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« Vous savez, dit-il, quels progrès la balistique a faits depuis quelques années et à quel degré de perfection les armes à feu seraient parvenues, si la guerre eût continué. Vous n’ignorez pas non plus que, d’une façon générale, la force de résistance des canons et la puissance expansive de la poudre sont illimitées. Eh bien ! partant de ce principe, je me suis demandé si, au moyen d’un appareil suffisant, établi dans des conditions de résistance déterminées, il ne serait pas possible d’envoyer un boulet dans la Lune. »
 
AÀ ces paroles, un « oh ! » de stupéfaction s’échappa de mille poitrines
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haletantes ; puis il se fit un moment de silence, semblable à ce calme profond qui précède les coups de tonnerre. Et, en effet, le tonnerre éclata, mais un tonnerre d’applaudissements, de cris, de clameurs, qui fit trembler la salle des séances. Le président voulait parler ; il ne le pouvait pas. Ce ne fut qu’au bout de dix minutes qu’il parvint à se faire entendre.
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Cependant Barbicane ne perdit pas un instant au milieu des ovations dont il était l’objet. Son premier soin fut de réunir ses collègues dans les bureaux du Gun-Club. Là, après discussion, on convint de consulter les astronomes sur la partie astronomique de l’entreprise ; leur réponse une fois connue, on discuterait alors les moyens mécaniques, et rien ne serait négligé pour assurer le succès de cette grande expérience.
 
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« 3° Quelle sera la durée du trajet du projectile auquel aura été imprimée une vitesse initiale suffisante, et, par conséquent, à quel moment devra-t-on le lancer pour qu’il rencontre la Lune en un point déterminé ?
 
« 4° AÀ quel moment précis la Lune se présentera-t-elle dans la position la plus favorable pour être atteinte par le projectile ?
 
 
«
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5° Quel point du ciel devra-t-on viser avec le canon destiné à lancer le projectile ?
 
« 5° Quel point du ciel devra-t-on viser avec le canon destiné à lancer le projectile ?
 
« 6° Quelle place la Lune occupera-t-elle dans le ciel au moment où partira le projectile ?
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« Sur la première question : — Est-il possible d’envoyer un projectile dans la Lune ?
 
« Oui, il est possible d’envoyer un projectile dans la Lune, si l’on parvient à animer ce projectile d’une vitesse initiale de douze mille yards par seconde. Le calcul démontre que cette vitesse est suffisante. AÀ mesure que l’on s’éloigne de la Terre, l’action de la pesanteur diminue en raison inverse du carré des distances, c’est-à-dire que, pour une distance trois fois plus grande, cette action est neuf fois moins forte. En conséquence, la pesanteur du boulet décroîtra rapidement, et finira par s’annuler complètement au moment où l’attraction de la Lune fera équilibre à celle de la Terre, c’est-à-dire aux quarante-sept cinquante-deuxièmes du trajet. En ce moment, le projectile ne pèsera plus, et, s’il franchit ce point, il tombera sur la Lune par l’effet seul de l’attraction lunaire. La possibilité théorique de l’expérience est donc absolument démontrée ; quant à sa réussite, elle dépend uniquement de la puissance de l’engin employé.
 
« Sur la deuxième question : — Quelle est la distance exacte qui sépare la Terre de son satellite ?
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yards par seconde qui lui aura été imprimée à son départ, il ne mettrait que neuf heures environ à se rendre à sa destination ; mais comme cette vitesse initiale ira continuellement en décroissant, il se trouve, tout calcul fait, que le projectile emploiera trois cent mille secondes, soit quatre-vingt-trois heures et vingt minutes, pour atteindre le point où les attractions terrestre et lunaire se font équilibre, et de ce point il tombera sur la Lune en cinquante mille secondes, ou treize heures cinquante-trois minutes et vingt secondes. Il conviendra donc de le lancer quatre-vingt-dix-sept heures treize minutes et vingt secondes avant l’arrivée de la Lune au point visé.
 
« Sur la quatrième question : — AÀ quel moment précis la Lune se présentera-t-elle dans la position la plus favorable pour être atteinte par le projectile ?
 
« D’après ce qui vient d’être dit ci-dessus, il faut d’abord choisir l’époque où la Lune sera dans son périgée, et en même temps le moment où elle passera au zénith, ce qui diminuera encore le parcours d’une distance égale au rayon terrestre, soit trois mille neuf cent dix-neuf milles ; de telle sorte que le trajet définitif sera de deux cent quatorze mille neuf cent soixante-seize milles ( — 86,410 lieues). Mais, si chaque mois la Lune passe à son périgée, elle ne se trouve pas toujours au zénith à ce moment. Elle ne se présente dans ces deux conditions qu’à de longs intervalles. Il faudra donc attendre la coïncidence du passage au périgée et au zénith. Or, par une heureuse circonstance, le 4 décembre de l’année prochaine, la Lune offrira ces deux conditions : à minuit, elle sera dans son périgée, c’est-à-dire à sa plus courte distance de la Terre, et elle passera en même temps au zénith.
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Un observateur doué d’une vue infiniment pénétrante, et placé à ce centre inconnu autour duquel gravite le monde, aurait vu des myriades d’atomes remplir l’espace à l’époque chaotique de l’univers. Mais peu à peu, avec les siècles, un changement se produisit ; une loi d’attraction se
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En regardant attentivement, l’observateur eût alors vu les autres molécules de l’amas se comporter comme l’étoile centrale, se condenser à sa façon par un mouvement de rotation progressivement accéléré, et graviter autour d’elle sous forme d’étoiles innombrables. La nébuleuse, dont les astronomes comptent près de cinq mille actuellement, était formée.
 
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En effet, ce Soleil, encore à l’état gazeux et composé de molécules mobiles, il l’eût aperçu tournant sur son axe pour achever son travail de concentration. Ce mouvement, fidèle aux lois de la mécanique, se fût accéléré avec la diminution de volume, et un moment serait arrivé où la force centrifuge l’aurait emporté sur la force centripète, qui tend à repousser les molécules vers le centre.
 
Alors un autre phénomène se serait passé devant les yeux de l’observateur, et les molécules situées dans le plan de l’équateur, s’échappant comme la pierre d’une fronde dont la corde vient à se briser subitement, auraient été former autour du Soleil plusieurs anneaux concentriques semblables à celui de Saturne. AÀ leur tour, ces anneaux de matière cosmique, pris d’un mouvement de rotation autour de la masse centrale, se seraient brisés et décomposés en nébulosités secondaires, c’est-à-dire en planètes.
 
Si l’observateur eût alors concentré toute son attention sur ces planètes, il les aurait vues se comporter exactement comme le Soleil et donner naissance à un ou plusieurs anneaux cosmiques, origines de ces astres d’ordre inférieur qu’on appelle satellites.
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La blonde Phoebé, plus humaine au contraire, se laisse complaisamment voir dans sa grâce modeste ; elle est douce à l’œil, peu ambitieuse, et cependant, elle se permet parfois d’éclipser son frère, le radieux Apollon, sans jamais être éclipsée par lui. Les mahométans ont compris la reconnaissance qu’ils devaient à cette fidèle amie de la Terre, et ils ont réglé leur mois sur sa révolution<ref>Vingt-neuf jours et demi environ.</ref>.
 
Les premiers peuples vouèrent un culte particulier à cette chaste déesse. Les Égyptiens l’appelaient Isis ; les Phéniciens la nommaient Astarté ; les Grecs l’adorèrent sous le nom de Phoebé, fille de Latone et de Jupiter, et ils expliquaient ses éclipses par les visites mystérieuses de Diane au bel Endymion. AÀ en croire la légende mythologique, le lion de Némée parcourut les campagnes de la Lune avant son apparition sur la Terre, et le poète Agésianax, cité par Plutarque, célébra dans ses vers ces doux yeux, ce nez charmant et cette bouche aimable, formés par les parties lumineuses de l’adorable Séléné.
 
 
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Mais si les Anciens comprirent bien le caractère, le tempérament, en un mot, les qualités morales de la Lune au point de vue mythologique, les plus savants d’entre eux demeurèrent fort ignorants en sélénographie.
 
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Ces diverses observations se confirmèrent par la suite et profitèrent aux nouveaux astronomes. Ptolémée, au IIe siècle, l’Arabe Aboul-Wéfa, au Xe, complétèrent les remarques d’Hipparque sur les inégalités que subit la Lune en suivant la ligne ondulée de son orbite sous l’action du Soleil. Puis Copernic<ref>Voir Les Fondateurs de l’Astronomie moderne, un livre admirable de M. J. Bertrand, de l’Institut.</ref>, au XVe siècle, et Tycho Brahé, au XVIe, exposèrent complètement le système du monde et le rôle que joue la Lune dans l’ensemble des corps célestes.
 
AÀ cette époque, ses mouvements étaient à peu près déterminés ; mais de sa constitution physique on savait peu de chose. Ce fut alors que Galilée expliqua les phénomènes de lumière produits dans certaines phases par l’existence de montagnes auxquelles il donna une hauteur moyenne de quatre mille cinq cents toises.
 
Après lui, Hevelius, un astronome de Dantzig, rabaissa les plus hautes altitudes à deux mille six cents toises ; mais son confrère Riccioli les reporta à sept mille.
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Jusqu’alors, bien des gens ignoraient comment on avait pu calculer la distance qui sépare la Lune de la Terre. On profita de la circonstance pour leur apprendre que cette distance s’obtenait par la mesure de la parallaxe de la Lune. Si le mot parallaxe semblait les étonner, on leur disait que c’était l’angle formé par deux lignes droites menées de chaque extrémité du rayon terrestre jusqu’à la Lune. Doutaient-ils de la perfection de cette méthode, on leur prouvait immédiatement que, non seulement cette distance moyenne était bien de deux cent trente-quatre mille trois cent quarante-sept milles ( — 94,330 lieues), mais encore que les astronomes ne se trompaient pas de soixante-dix milles ( — 30 lieues).
 
AÀ ceux qui n’étaient pas familiarisés avec les mouvements de la Lune, les journaux démontraient quotidiennement qu’elle possède deux mouvements distincts, le premier dit de rotation sur un axe, le second dit de révolution autour de la Terre, s’accomplissant tous les deux dans un temps égal, soit vingt-sept jours et un tiers<ref>C’est la durée de la révolution sidérale, c’est-à-dire le temps que la Lune met à revenir à une même étoile.</ref>.
 
Le mouvement de rotation est celui qui crée le jour et la nuit à la surface de la Lune ; seulement il n’y a qu’un jour, il n’y a qu’une nuit par mois lunaire, et ils durent chacun trois cent cinquante-quatre heures et un tiers. Mais, heureusement pour elle, la face tournée vers le globe terrestre est éclairée par lui avec une intensité égale à la lumière de quatorze Lunes. Quant à l’autre face, toujours invisible, elle a naturellement trois cent cinquante-quatre heures d’une nuit absolue, tempérée seulement par cette « pâle clarté qui tombe des étoiles ». Ce phénomène est uniquement dû à cette particularité que les mouvements de rotation et de révolution s’accomplissent dans un temps rigoureusement égal, phénomène commun, suivant Cassini et Herschell, aux satellites de Jupiter, et très probablement à tous les autres satellites.
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Quelques esprits bien disposés, mais un peu rétifs, ne comprenaient pas tout d’abord que, si la Lune montrait invariablement la même face à la
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Terre pendant sa révolution, c’est que, dans le même laps de temps, elle faisait un tour sur elle-même. AÀ ceux-là on disait : « Allez dans votre salle à manger, et tournez autour de la table de manière à toujours en regarder le centre ; quand votre promenade circulaire sera achevée, vous aurez fait un tour sur vous-même, puisque votre œil aura parcouru successivement tous les points de la salle. Eh bien ! la salle, c’est le Ciel, la table, c’est la Terre, et la Lune, c’est vous ! » Et ils s’en allaient enchantés de la comparaison.
 
Ainsi donc, la Lune montre sans cesse la même face à la Terre ; cependant, pour être exact, il faut ajouter que, par suite d’un certain balancement du nord au sud et de l’ouest à l’est appelé « libration », elle laisse apercevoir
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L’Observatoire de Cambridge avait, dans sa mémorable lettre du 7 octobre, traité la question au point de vue astronomique ; il s’agissait désormais de la résoudre mécaniquement. C’est alors que les difficultés pratiques eussent paru insurmontables en tout autre pays que l’Amérique. Ici ce ne fut qu’un jeu.
 
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La parole lui fut accordée avec l’empressement que méritait son passé magnifique.
 
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— Très bien ! dit le major Elphiston.
 
— En effet, s’écria l’orateur, si Dieu a fait les étoiles et les planètes, l’homme a fait le boulet, ce critérium des vitesses terrestres, cette réduction des astres errant dans l’espace, et qui ne sont, à vrai dire, que des projectiles ! AÀ Dieu la vitesse de l’électricité, la vitesse de la lumière, la vitesse des étoiles, la vitesse des comètes, la vitesse des planètes, la vitesse des satellites, la vitesse du son, la vitesse du vent ! Mais à nous la vitesse du boulet, cent fois supérieure à la vitesse des trains et des chevaux les plus rapides ! »
 
J.-T. Maston était transporté ; sa voix prenait des accents lyriques en chantant cet hymne sacré du boulet.
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— Eh bien ! pour obtenir ce résultat, il me suffira d’établir un télescope sur quelque montagne élevée. Ce que nous ferons.
 
 
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Je me rends, je me rends, répondit le major. Vous avez une façon de simplifier les choses !... Et quel grossissement espérez-vous obtenir ainsi ?
 
— Je me rends, je me rends, répondit le major. Vous avez une façon de simplifier les choses !... Et quel grossissement espérez-vous obtenir ainsi ?
 
— Un grossissement de quarante-huit mille fois, qui ramènera la Lune à cinq milles seulement, et, pour être visibles, les objets n’auront plus besoin d’avoir que neuf pieds de diamètre.
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— Oh ! oh ! fit le major, dix-neuf cents livres, c’est un gros chiffre !
 
 
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A Malte, au temps des chevaliers, un certain canon du fort Saint-Elme lançait des projectiles pesant deux mille cinq cents livres.
 
— À Malte, au temps des chevaliers, un certain canon du fort Saint-Elme lançait des projectiles pesant deux mille cinq cents livres.
 
— Pas possible !
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— C’est juste.
 
 
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Enfin, nous le tenons, cette fois ! répéta J.-T. Maston.
 
— Enfin, nous le tenons, cette fois ! répéta J.-T. Maston.
 
— Pas tout à fait encore, répliqua le président.
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« Mes braves collègues, dit Barbicane, notre canon doit être d’une grande ténacité, d’une grande dureté, infusible à la chaleur, indissoluble et inoxydable à l’action corrosive des acides.
 
 
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Il n’y a pas de doute à cet égard, répondit le major, et comme il faudra employer une quantité considérable de métal, nous n’aurons pas l’embarras du choix.
 
— Il n’y a pas de doute à cet égard, répondit le major, et comme il faudra employer une quantité considérable de métal, nous n’aurons pas l’embarras du choix.
 
— Eh bien ! alors, dit Morgan, je propose pour la fabrication de la Columbiad le meilleur alliage connu jusqu’ici, c’est-à-dire cent parties de cuivre, douze parties d’étain et six parties de laiton.
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— Mes amis, répondit le président, j’avoue que cette composition a donné des résultats excellents ; mais, dans l’espèce, elle coûterait trop cher et serait d’un emploi fort difficile. Je pense donc qu’il faut adopter une matière excellente, mais à bas prix, telle que la fonte de fer. N’est-ce pas votre avis, major ?
 
 
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Parfaitement, répondit Elphiston.
 
— Parfaitement, répondit Elphiston.
 
— En effet, reprit Barbicane, la fonte de fer coûte dix fois moins que le bronze ; elle est facile à fondre, elle se coule simplement dans des moules de sable, elle est d’une manipulation rapide ; c’est donc à la fois économie d’argent et de temps. D’ailleurs, cette matière est excellente, et je me rappelle que pendant la guerre, au siège d’Atlanta, des pièces en fonte ont tiré mille coups chacune de vingt minutes en vingt minutes, sans en avoir souffert.
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— Évidemment, répondit Barbicane. Je vais donc prier notre digne secrétaire de calculer le poids d’un canon de fonte long de neuf cents pieds, d’un diamètre intérieur de neuf pieds, avec parois de six pieds d’épaisseur.
 
AÀ l’instant », répondit J.-T. Maston.
 
Et, ainsi qu’il avait fait la veille, il aligna ses formules avec une merveilleuse facilité, et dit au bout d’une minute :
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Restait à traiter la question des poudres. Le public attendait avec anxiété cette dernière décision. La grosseur du projectile, la longueur du canon étant données, quelle serait la quantité de poudre nécessaire pour produire l’impulsion ? Cet agent terrible, dont l’homme a cependant maîtrisé les effets, allait être appelé à jouer son rôle dans des proportions inaccoutumées.
 
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— Bon ! ce qui est un inconvénient pour un canon destiné à faire un long service n’en est pas un pour notre Columbiad. Nous ne courons aucun danger d’explosion, il faut que la poudre s’enflamme instantanément, afin que son effet mécanique soit complet.
 
 
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On pourrait, dit J.-T. Maston, percer plusieurs lumières, de façon à mettre le feu sur divers points à la fois.
 
— On pourrait, dit J.-T. Maston, percer plusieurs lumières, de façon à mettre le feu sur divers points à la fois.
 
— Sans doute, répondit Elphiston, mais cela rendrait la manœuvre plus difficile. J’en reviens donc à ma poudre à gros grains, qui supprime ces difficultés.
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— Eh bien ! il me semble, répondit J.-T. Maston, que nous n’avons pas à hésiter, et que notre choix est tout fait.
 
AÀ moins que vous ne préfériez de la poudre d’or », répliqua le major en riant, ce qui lui valut un geste menaçant du crochet de son susceptible ami.
 
Jusqu’alors Barbicane s’était tenu en dehors de la discussion. Il laissait parler, il écoutait. Il avait évidemment une idée. Aussi se contenta-t-il simplement de dire :
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— Mais alors il faudra en revenir à mon canon d’un demi-mille de longueur.
 
 
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C’est évident, dit le major.
 
— C’est évident, dit le major.
 
— Seize cent mille livres de poudre, reprit le secrétaire du Comité, occuperont un espace de vingt-deux mille pieds cubes<ref>Un peu moins de 800 mètres cubes.</ref> environ ; or, comme votre canon n’a qu’une contenance de cinquante-quatre mille pieds cubes<ref>Deux mille mètres cubes.</ref>, il sera à moitié rempli, et l’âme ne sera plus assez longue pour que la détente des gaz imprime au projectile une suffisante impulsion. »
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— Pas un, malheureusement, répondit le major.
 
 
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Cependant, pour satisfaire Maston, reprit le président, je lui dirai que les travaux d’un de nos concitoyens peuvent être rattachés à l’étude de la cellulose, car le collodion, qui est un des principaux agents de la photographie, est tout simplement du pyroxyle dissous dans l’éther additionné d’alcool, et il a été découvert par Maynard, alors étudiant en médecine à Boston.
 
— Cependant, pour satisfaire Maston, reprit le président, je lui dirai que les travaux d’un de nos concitoyens peuvent être rattachés à l’étude de la cellulose, car le collodion, qui est un des principaux agents de la photographie, est tout simplement du pyroxyle dissous dans l’éther additionné d’alcool, et il a été découvert par Maynard, alors étudiant en médecine à Boston.
 
— Eh bien ! hurrah pour Maynard et pour le fulmi-coton ! s’écria le bruyant secrétaire du Gun-Club.
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— Je ne le pense pas, répondit Barbicane. Ainsi donc, au lieu de seize cent mille livres de poudre, nous n’aurons que quatre cent mille livres de fulmi-coton, et comme on peut sans danger comprimer cinq cents livres de coton dans vingt-sept pieds cubes, cette matière n’occupera qu’une hauteur de trente toises dans la Columbiad. De cette façon, le boulet aura plus de sept cents pieds d’âme à parcourir sous l’effort de six milliards de litres de gaz, avant de prendre son vol vers l’astre des nuits ! »
 
AÀ cette période, J.-T. Maston ne put contenir son émotion ; il se jeta dans les bras de son ami avec la violence d’un projectile, et il l’aurait défoncé, si Barbicane n’eût été bâti à l’épreuve de la bombe.
 
Cet incident termina la troisième séance du Comité. Barbicane et ses
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Le public américain trouvait un puissant intérêt dans les moindres détails de l’entreprise du Gun-Club. Il suivait jour par jour les discussions du Comité. Les plus simples préparatifs de cette grande expérience, les questions de chiffres qu’elle soulevait, les difficultés mécaniques à résoudre,
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les plus invraisemblables, pleins, creux, ronds ou coniques. Refus du président qui, décidément, ne voulait pas compromettre son dernier succès.
 
Nicholl, surexcité par cet entêtement inqualifiable, voulut tenter Barbicane en lui laissant toutes les chances. Il proposa de mettre sa plaque à deux cents yards du canon. Barbicane de s’obstiner dans son refus. AÀ cent yards ? Pas même à soixante-quinze.
 
« AÀ cinquante alors, s’écria le capitaine par la voix des journaux, à vingt-cinq yards ma plaque, et je me mettrai derrière ! »
 
Barbicane fit répondre que, quand même le capitaine Nicholl se mettrait devant, il ne tirerait pas davantage.
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Nicholl, à cette réplique, ne se contint plus ; il en vint aux personnalités ; il insinua que la poltronnerie était indivisible ; que l’homme qui refuse de tirer un coup de canon est bien près d’en avoir peur ; qu’en somme, ces artilleurs qui se battent maintenant à six milles de distance ont prudemment remplacé le courage individuel par les formules mathématiques, et qu’au surplus il y a autant de bravoure à attendre tranquillement un boulet derrière une plaque, qu’à l’envoyer dans toutes les règles de l’art.
 
AÀ ces insinuations Barbicane ne répondit rien ; peut-être même ne les connut-il pas, car alors les calculs de sa grande entreprise l’absorbaient entièrement.
 
Lorsqu’il fit sa fameuse communication au Gun-Club, la colère du capitaine Nicholl fut portée à son paroxysme. Il s’y mêlait une suprême jalousie et un sentiment absolu d’impuissance ! Comment inventer quelque chose de mieux que cette Columbiad de neuf cents pieds ! Quelle cuirasse résisterait jamais à un projectile de vingt mille livres ! Nicholl demeura d’abord atterré, anéanti, brisé sous ce « coup de canon » puis il se releva, et résolut d’écraser la proposition du poids de ses arguments.
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<br />
 
4º Que la Columbiad éclaterait au premier coup, ci... 4000 —
 
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<br />
 
Le vingt-huitième parallèle, à sa rencontre avec la côte américaine, traverse la péninsule de la Floride et la divise en deux parties à peu près égales. Puis, se jetant dans le golfe du Mexique, il sous-tend l’arc formé par les côtes de l’Alabama, du Mississippi et de la Louisiane. Alors, abordant le Texas, dont il coupe un angle, il se prolonge à travers le Mexique, franchit la Sonora, enjambe la vieille Californie et va se perdre dans les mers du Pacifique. Il n’y avait donc que les portions du Texas et de la Floride, situées au-dessous de ce parallèle, qui fussent dans les conditions de latitude recommandées par l’Observatoire de Cambridge.
 
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et nuit de réclamations formidables. Si sept villes de la Grèce se disputèrent l’honneur d’avoir vu naître Homère, deux États tout entiers menaçaient d’en venir aux mains à propos d’un canon.
 
On vit alors ces « frères féroces » se promener en armes dans les rues de la ville. AÀ chaque rencontre, quelque conflit était à craindre, qui aurait eu des conséquences désastreuses. Heureusement la prudence et l’adresse du président Barbicane conjurèrent ce danger. Les démonstrations personnelles trouvèrent un dérivatif dans les journaux des divers États. Ce fut ainsi que le New York Herald et la Tribune soutinrent le Texas, tandis que le Times et l’American Review prirent fait et cause pour les députés floridiens. Les membres du Gun-Club ne savaient plus auquel entendre.
 
Le Texas arrivait fièrement avec ses vingt-six comtés, qu’il semblait mettre en batterie ; mais la Floride répondait que douze comtés pouvaient plus que vingt-six, dans un pays six fois plus petit.
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Le Texas se targuait fort de ses trois cent trente mille indigènes, mais la Floride, moins vaste, se vantait d’être plus peuplée avec cinquante-six mille. D’ailleurs elle accusait le Texas d’avoir une spécialité de fièvres paludéennes qui lui coûtaient, bon an mal an, plusieurs milliers d’habitants. Et elle n’avait pas tort.
 
AÀ son tour, le Texas répliquait qu’en fait de fièvres la Floride n’avait rien à lui envier, et qu’il était au moins imprudent de traiter les autres de pays malsains, quand on avait l’honneur de posséder le « vómito negro » à l’état chronique. Et il avait raison.
 
« D’ailleurs, ajoutaient les Texiens par l’organe du New York Herald, on doit des égards à un État où pousse le plus beau coton de toute l’Amérique, un État qui produit le meilleur chêne vert pour la construction des navires, un État qui renferme de la houille superbe et des mines de fer dont le rendement est de cinquante pour cent de minerai pur. »
 
AÀ cela l’American Review répondait que le sol de la Floride, sans être aussi riche, offrait de meilleures conditions pour le moulage et la fonte de la Columbiad, car il était composé de sable et de terre argileuse.
 
« Mais, reprenaient les Texiens, avant de fondre quoi que ce soit dans un pays, il faut arriver dans ce pays ; or, les communications avec la Floride sont difficiles, tandis que la côte du Texas offre la baie de Galveston, qui a quatorze lieues de tour et qui peut contenir les flottes du monde entier.
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La guerre se soutenait ainsi depuis quelques jours, quand la Floride essaya d’entraîner son adversaire sur un autre terrain, et un matin le Times insinua que, l’entreprise étant « essentiellement américaine », elle ne pouvait être tentée que sur un territoire « essentiellement américain » !
 
AÀ ces mots le Texas bondit : « Américains ! s’écria-t-il, ne le sommes-nous pas autant que vous ? Le Texas et la Floride n’ont-ils pas été incorporés tous les deux à l’Union en 1845 ?
 
— Sans doute, répondit le Times, mais nous appartenons aux Américains depuis 1820.
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Les souscriptions furent ouvertes dans les principales villes de l’Union pour se centraliser à la banque de Baltimore, 9, Baltimore street ; puis on souscrivit dans les différents États des deux continents :
 
AÀ Vienne, chez S.-M. de Rothschild ;
 
AÀ Pétersbourg, chez Stieglitz et Ce ;
 
AÀ Paris, au Crédit mobilier ;
 
AÀ Stockholm, chez Tottie et Arfuredson ;
 
AÀ Londres, chez N.-M. de Rothschild et fils ;
 
 
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<br />
A Turin, chez Ardouin et Ce ;
 
AÀ BerlinTurin, chez MendelssohnArdouin et Ce ;
 
AÀ GenèveBerlin, chez Lombard, Odier et CeMendelssohn ;
 
À Genève, chez Lombard, Odier et Ce ;
A Constantinople, à la Banque Ottomane ;
 
À Constantinople, à la Banque Ottomane ;
A Bruxelles, chez S. Lambert ;
 
AÀ MadridBruxelles, chez DanielS. WeiswellerLambert ;
 
À Madrid, chez Daniel Weisweller ;
A Amsterdam, au Crédit Néerlandais ;
 
À Amsterdam, au Crédit Néerlandais ;
A Rome, chez Torlonia et Ce ;
 
AÀ LisbonneRome, chez LecesneTorlonia et Ce ;
 
À Lisbonne, chez Lecesne ;
A Copenhague, à la Banque privée ;
 
AÀ Buenos AiresCopenhague, à la Banque Mauaprivée ;
 
À Buenos Aires, à la Banque Maua ;
A Rio de Janeiro, même maison ;
 
AÀ MontevideoRio de Janeiro, même maison ;
 
À Montevideo, même maison ;
A Valparaiso, chez Thomas La Chambre et Ce ;
 
AÀ MexicoValparaiso, chez MartinThomas DaranLa Chambre et Ce ;
 
AÀ LimaMexico, chez ThomasMartin La ChambreDaran et Ce. ;
 
À Lima, chez Thomas La Chambre et Ce.
 
Trois jours après le manifeste du président Barbicane, quatre millions de dollars<ref>Vingt et un millions de francs (21,680,000).</ref> étaient versés dans les différentes villes de l’Union. Avec un pareil acompte, le Gun-Club pouvait déjà marcher.
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La Russie versa pour son contingent l’énorme somme de trois cent soixante-huit mille sept cent trente-trois roubles<ref>Un million quatre cent soixante-quinze mille francs.</ref>. Pour s’en étonner, il faudrait méconnaître le goût scientifique des Russes et le progrès qu’ils impriment aux études astronomiques, grâce à leurs nombreux observatoires, dont le principal a coûté deux millions de roubles.
 
La France commença par rire de la prétention des Américains. La Lune servit de prétexte à mille calembours usés et à une vingtaine de vaudevilles, dans lesquels le mauvais goût le disputait à l’ignorance. Mais, de même que les Français payèrent jadis après avoir chanté, ils payèrent, cette fois, après avoir ri, et ils souscrivirent pour une somme de douze cent cinquante-trois mille neuf cent trente francs. AÀ ce prix-là, ils avaient bien le droit de s’égayer un peu.
 
 
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<br />
 
L’Autriche se montra suffisamment généreuse au milieu de ses tracas financiers. Sa part s’éleva dans la contribution publique à la somme de deux cent seize mille florins<ref>Cinq cent vingt mille francs.</ref>, qui furent les bienvenus.
 
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Restait l’Angleterre. On connaît la méprisante antipathie avec laquelle elle accueillit la proposition Barbicane. Les Anglais n’ont qu’une seule et même âme pour les vingt-cinq millions d’habitants que renferme la Grande-Bretagne. Ils donnèrent à entendre que l’entreprise du Gun-Club était contraire « au principe de non-intervention », et ils ne souscrivirent même pas pour un farthing.
 
AÀ cette nouvelle, le Gun-Club se contenta de hausser les épaules et revint à sa grande affaire. Quand l’Amérique du Sud, c’est-à-dire le Pérou, le Chili, le Brésil, les provinces de la Plata, la Colombie, eurent pour leur quote-part versé entre ses mains la somme de trois cent mille dollars<ref>Un million six cent vingt-six mille francs.</ref>, il se trouva à la tête d’un capital considérable, dont voici le décompte :
 
* Souscription des États-Unis.... 4 000 000 dollars
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« Mon digne ami, lui répondit-il, nous avons un intérêt de premier ordre à couler notre Columbiad dans les hautes terres.
 
 
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Pour être plus près de la Lune ? s’écria le secrétaire du Gun-Club.
 
— Pour être plus près de la Lune ? s’écria le secrétaire du Gun-Club.
 
— Non ! répondit Barbicane en souriant. Qu’importent quelques toises de plus ou de moins ? Non, mais au milieu de terrains élevés, nos travaux marcheront plus facilement ; nous n’aurons pas à lutter avec les eaux, ce qui nous évitera des tubages longs et coûteux, et c’est á considérer, lorsqu’il s’agit de forer un puits de neuf cents pieds de profondeur.
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— Non, monsieur, nous ne le savons pas, répondit l’ingénieur, et nous n’aurons pas besoin de l’apprendre. »
 
Vers dix heures du matin. la petite troupe avait franchi une douzaine de milles ; aux campagnes fertiles succédait alors la région des forêts. Là, croissaient les essences les plus variées avec une profusion tropicale. Ces forêts presque impénétrables étaient faites de grenadiers, d’orangers, de citronniers, de figuiers, d’oliviers, d’abricotiers, de bananiers, de grands ceps de vigne, dont les fruits et les fleurs rivalisaient de couleurs et de parfums. AÀ l’ombre odorante de ces arbres magnifiques chantait et volait
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tout un monde d’oiseaux aux brillantes couleurs, au milieu desquels on distinguait plus particulièrement des crabiers, dont le nid devait être un écrin, pour être digne de ces bijoux emplumés.
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En ce moment le soleil passait au méridien. Barbicane, après quelques instants, chiffra rapidement le résultat de ses observations et dit :
 
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Le soir même, Barbicane et ses compagnons rentraient à Tampa-Town, et l’ingénieur Murchison se réembarquait sur le Tampico pour La Nouvelle-Orléans. Il devait embaucher une armée d’ouvriers et ramener la plus grande partie du matériel. Les membres du Gun-Club demeurèrent à
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Du reste, Barbicane était l’âme de ce monde accouru à sa voix ; il l’animait, il lui communiquait son souffle, son enthousiasme, sa conviction ; il se trouvait en tous lieux, comme s’il eût été doué du don d’ubiquité et toujours suivi de J.-T. Maston, sa mouche bourdonnante. Son esprit pratique s’ingéniait à mille inventions. Avec lui point d’obstacles, nulle difficulté, jamais d’embarras ; il était mineur, maçon, mécanicien autant qu’artilleur, ayant des réponses pour toutes les demandes et des solutions pour tous les problèmes. Il correspondait activement avec le Gun-Club ou l’usine de Goldspring, et jour et nuit, les feux allumés, la vapeur maintenue en pression, le Tampico attendait ses ordres dans la rade d’Hillisboro.
 
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« Vous savez tous, mes amis, pourquoi je vous ai réunis dans cette partie sauvage de la Floride. Il s’agit de couler un canon mesurant neuf pieds de diamètre intérieur, six pieds d’épaisseur à ses parois et dix-neuf pieds et demi à son revêtement de pierre ; c’est donc au total un puits large de soixante pieds qu’il faut creuser à une profondeur de neuf cents. Cet ouvrage considérable doit être terminé en huit mois ; or, vous avez deux millions cinq cent quarante-trois mille quatre cents pieds cubes de terrain à extraire en deux cent cinquante-cinq jours, soit, en chiffres ronds, dix mille pieds cubes par jour. Ce qui n’offrirait aucune difficulté pour mille ouvriers travaillant à coudées franches sera plus pénible dans un espace relativement restreint. Néanmoins, puisque ce travail doit se faire, il se fera, et je compte sur votre courage autant que sur votre habileté. »
 
AÀ huit heures du matin, le premier coup de pioche fut donné dans le sol floridien, et depuis ce moment ce vaillant outil ne resta plus oisif un seul instant dans la main des mineurs. Les ouvriers se relayaient par quart de journée.
 
D’ailleurs, quelque colossale que fût l’opération, elle ne dépassait point la limite des forces humaines. Loin de là. Que de travaux d’une difficulté plus réelle et dans lesquels les éléments durent être directement combattus, qui furent menés à bonne fin ! Et, pour ne parler que d’ouvrages
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Le 4 novembre, cinquante ouvriers creusèrent au centre même de l’enceinte palissadée, c’est-à-dire à la partie supérieure de Stone’s-Hill, un trou circulaire large de soixante pieds.
 
La pioche rencontra d’abord une sorte de terreau noir, épais de six pouces, dont elle eut facilement raison. AÀ ce terreau succédèrent deux pieds d’un sable fin qui fut soigneusement retiré, car il devait servir à la confection du moule intérieur.
 
Après ce sable apparut une argile blanche assez compacte, semblable à la marne d’Angleterre, et qui s’étageait sur une épaisseur de quatre pieds.
 
Puis le fer des pics étincela sur la couche dure du sol, sur une espèce de roche formée de coquillages pétrifiés, très sèche, très solide, et que les outils ne devaient plus quitter. AÀ ce point, le trou présentait une profondeur de six pieds et demi, et les travaux de maçonnerie furent commencés.
 
Au fond de cette excavation, on construisit un « rouet » en bois de chêne, sorte de disque fortement boulonné et d’une solidité à toute épreuve ; il était percé à son centre d’un trou offrant un diamètre égal au diamètre
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Pendant les huit mois qui furent employés à l’opération du forage, les travaux préparatoires de la fonte avaient été conduits simultanément avec une extrême rapidité ; un étranger, arrivant à Stone’s-Hill, eût été fort surpris du spectacle offert à ses regards.
 
AÀ six cents yards du puits, et circulairement disposés autour de ce point central, s’élevaient douze cents fours à réverbère, larges de six pieds chacun et séparés l’un de l’autre par un intervalle d’une demi-toise. La ligne développée par ces douze cents fours offrait une longueur de deux milles<ref>Trois mille six cents mètres environ.</ref>. Tous étaient construits sur le même modèle avec leur haute cheminée quadrangulaire, et ils produisaient le plus singulier effet. J.-T. Maston trouvait superbe cette disposition architecturale. Cela lui rappelait les monuments de Washington. Pour lui, il n’existait rien de plus beau, même en Grèce, « où d’ailleurs, disait-il, il n’avait jamais été ».
 
On se rappelle que, dans sa troisième séance, le Comité se décida à employer la fonte de fer pour la Columbiad, et spécialement la fonte grise. Ce métal est, en effet, plus tenace, plus ductile, plus doux, facilement alésable, propre à toutes les opérations de moulage, et, traité au charbon de terre, il est d’une qualité supérieure pour les pièces de grande résistance, telles que canons, cylindres de machines à vapeur, presses hydrauliques, etc.
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— Je m’en garderai bien, Maston ; la fonte de la Columbiad est une opération délicate, pour ne pas dire périlleuse, et je préfère qu’elle s’effectue à huis clos. Au départ du projectile, fête si l’on veut, mais jusque-là, non. »
 
Le président avait raison ; l’opération pouvait offrir des dangers imprévus, auxquels une grande affluence de spectateurs eût empêché de parer. Il fallait conserver la liberté de ses mouvements. Personne ne fut donc admis dans l’enceinte, à l’exception d’une délégation des membres du Gun-Club, qui fit le voyage de Tampa-Town. On vit là le fringant Bilsby, Tom Hunter, le colonel Blomsberry, le major Elphiston, le général Morgan, et tutti quanti, pour lesquels la fonte de la Columbiad devenait une affaire personnelle. J.-T. Maston s’était constitué leur cicérone ; il ne leur fit grâce d’aucun détail ; il les conduisit partout, aux magasins, aux ateliers, au milieu des machines, et il les força de visiter les douze cents fourneaux les uns après les autres. AÀ la douze-centième visite, ils étaient un peu écœurés.
 
La fonte devait avoir lieu à midi précis ; la veille, chaque four avait été chargé de cent quatorze mille livres de métal en barres, disposées par
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Cependant des observations quotidiennes permirent de constater un certain changement dans l’état du sol. Vers le 15 août, les vapeurs projetées avaient diminué notablement d’intensité et d’épaisseur. Quelques jours après, le terrain n’exhalait plus qu’une légère buée, dernier souffle du monstre enfermé dans son cercueil de pierre. Peu à peu les tressaillements du sol vinrent à s’apaiser, et le cercle de calorique se restreignit ; les plus impatients des spectateurs se rapprochèrent ; un jour on gagna deux toises ; le lendemain, quatre ; et, le 22 août, Barbicane, ses collègues, l’ingénieur, purent prendre place sur la nappe de fonte qui effleurait le sommet de Stone’s-Hill, un endroit fort hygiénique, à coup sûr, où il n’était pas encore permis d’avoir froid aux pieds.
 
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Mais la dépêche était connue, car les appareils de transmission sont peu discrets de leur nature, et la proposition de Michel Ardan courait déjà les divers États de l’Union. Ainsi Barbicane n’avait plus aucune raison de se taire. Il réunit donc ses collègues présents à Tampa-Town, et sans laisser voir sa pensée, sans discuter le plus ou moins de créance que méritait le télégramme, il en lut froidement le texte laconique.
 
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Quelques minutes plus tard, une dépêche était lancée au syndic des courtiers de navires à Liverpool. On demandait une réponse aux questions suivantes :
 
 
«
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Qu’est-ce que le navire l’Atlanta ? — Quand a-t-il quitté l’Europe ? — Avait-il à son bord un Français nommé Michel Ardan ? »
 
« Qu’est-ce que le navire l’Atlanta ? — Quand a-t-il quitté l’Europe ? — Avait-il à son bord un Français nommé Michel Ardan ? »
 
Deux heures après, Barbicane recevait des renseignements d’une précision qui ne laissait plus place au moindre doute.
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« Le steamer l’Atlanta, de Liverpool, a pris la mer le 2 octobre, — faisant voile pour Tampa-Town, — ayant à son bord un Français, porté au livre des passagers sous le nom de Michel Ardan. »
 
AÀ cette confirmation de la première dépêche, les yeux du président brillèrent d’une flamme subite, ses poings se fermèrent violemment, et on l’entendit murmurer :
 
« C’est donc vrai ! c’est donc possible ! ce Français existe ! et dans quinze jours il sera ici ! Mais c’est un fou ! un cerveau brûlé !... Jamais je ne consentirai... »
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Maintenant, raconter l’émotion dont fut prise l’Amérique tout entière ; comment l’effet de la communication Barbicane fut dix fois dépassé ; ce que dirent les journaux de l’Union, la façon dont ils acceptèrent la nouvelle et sur quel mode ils chantèrent l’arrivée de ce héros du vieux continent ; peindre l’agitation fébrile dans laquelle chacun vécut, comptant les heures, comptant les minutes, comptant les secondes ; donner une idée, même affaiblie, de cette obsession fatigante de tous les cerveaux maîtrisés par une pensée unique ; montrer les occupations cédant à une seule préoccupation, les travaux arrêtés, le commerce suspendu, les navires prêts à partir restant affourchés dans le port pour ne pas manquer l’arrivée de l’Atlanta, les convois arrivant pleins et retournant vides, la baie d’Espiritu-Santo incessamment sillonnée par les steamers, les packets-boats, les yachts de plaisance, les fly-boats de toutes dimensions ; dénombrer ces milliers de curieux qui quadruplèrent en quinze jours la population de Tampa-Town et durent camper sous des tentes comme une armée en campagne, c’est une tâche au-dessus des forces humaines et qu’on ne saurait entreprendre sans témérité.
 
Le 20 octobre, à neuf heures du matin, les sémaphores du canal de Bahama signalèrent une épaisse fumée à l’horizon. Deux heures plus tard, un grand steamer échangeait avec eux des signaux de reconnaissance. Aussitôt le nom de l’Atlanta fut expédié à Tampa-Town. AÀ quatre heures, le navire anglais donnait dans la rade d’Espiritu-Santo. AÀ cinq, il franchissait les passes de la rade Hillisboro à toute vapeur. AÀ six, il mouillait dans le port de Tampa.
 
L’ancre n’avait pas encore mordu le fond de sable, que cinq cents embarcations
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Barbicane le suivit sans avoir prononcé une parole.
 
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Quant au président, après avoir convié les visiteurs à se retirer, il rentra dans la cabine du passager, et il ne la quitta qu’au moment où la cloche du steamer sonna le quart de minuit.
 
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Le lieu choisit fut une vaste plaine située en dehors de la ville ; en quelques heures on parvint à l’abriter contre les rayons du soleil ; les navires du port riches en voiles, en agrès, en mâts de rechange, en vergues, fournirent les accessoires nécessaires à la construction d’une tente colossale. Bientôt un immense ciel de toile s’étendit sur la prairie calcinée et la défendit des ardeurs du jour. Là trois cent mille personnes trouvèrent place et bravèrent pendant plusieurs heures une température étouffante, en attendant l’arrivée du Français. De cette foule de spectateurs, un premier tiers pouvait voir et entendre ; un second tiers voyait mal et n’entendait pas ; quant au troisième, il ne voyait rien et n’entendait pas davantage. Ce ne fut cependant pas le moins empressé à prodiguer ses applaudissements.
 
AÀ trois heures, Michel Ardan fit son apparition, accompagné des principaux membres du Gun-Club. Il donnait le bras droit au président Barbicane, et le bras gauche à J.-T. Maston, plus radieux que le Soleil en plein midi, et presque aussi rutilant. Ardan monta sur une estrade, du haut de laquelle ses regards s’étendaient sur un océan de chapeaux noirs. Il ne paraissait aucunement embarrassé ;
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il ne posait pas ; il était là comme chez lui, gai, familier, aimable. Aux hurrahs qui l’accueillirent il répondit par un salut gracieux ; puis, de la main, réclama le silence, silence, il prit la parole en anglais, et s’exprima fort correctement en ces termes :
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« Vous pensez bien, mes braves Yankees, qu’une si grande question est à peine effleurée par moi ; je ne viens point vous faire ici un cours public et soutenir une thèse sur ce vaste sujet. Il y a toute une autre série d’arguments en faveur de l’habitabilité des mondes. Je la laisse de côté. Permettez-moi seulement d’insister sur un point. Aux gens qui soutiennent que les planètes ne sont pas habitées, il faut répondre : Vous pouvez avoir raison, s’il est démontré que la Terre est le meilleur des mondes possible, mais cela n’est pas, quoi qu’en ait dit Voltaire. Elle n’a qu’un satellite, quand Jupiter, Uranus, Saturne, Neptune, en ont plusieurs à leur service, avantage qui n’est point à dédaigner. Mais ce qui rend surtout notre globe peu confortable, c’est l’inclinaison de son axe sur son orbite. De là l’inégalité des jours et des nuits ; de là cette diversité fâcheuse des saisons. Sur notre malheureux sphéroïde, il fait toujours trop chaud ou trop froid ; on y gèle en hiver, on y brûle en été ; c’est la planète aux rhumes, aux coryzas et aux fluxions de poitrine, tandis qu’à la surface de Jupiter, par exemple, où l’axe est très peu incliné<ref>L’inclinaison de l’axe de Jupiter sur son orbite n’est que de 3° 5’.</ref>, les habitants pourraient jouir de températures invariables ; il y a la zone des printemps, la zone des étés, la zone des automnes et la zone des hivers perpétuels ; chaque Jovien peut choisir le climat qui lui plaît et se mettre pour toute sa vie à l’abri des variations de la température. Vous conviendrez sans peine de cette supériorité de Jupiter sur notre planète, sans parler de ses années, qui durent douze ans chacune ! De plus, il est évident pour moi que, sous ces auspices et dans ces conditions merveilleuses d’existence, les habitants de ce monde fortuné sont des êtres supérieurs, que les savants y sont plus savants, que les artistes y sont plus artistes, que les méchants y sont moins méchants, et que les bons y sont meilleurs. Hélas ! que manque-t-il à notre sphéroïde pour atteindre cette perfection ? Peu de chose ! Un axe de rotation moins incliné sur le plan de son orbite.
 
 
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Eh bien ! s’écria une voix impétueuse, unissons nos efforts, inventons des machines et redressons l’axe de la Terre ! »
 
— Eh bien ! s’écria une voix impétueuse, unissons nos efforts, inventons des machines et redressons l’axe de la Terre ! »
 
Un tonnerre d’applaudissements éclata à cette proposition, dont l’auteur était et ne pouvait être que J.-T. Maston. Il est probable que le fougueux secrétaire avait été emporté par ses instincts d’ingénieur à hasarder cette hardie proposition. Mais, il faut le dire — car c’est la vérité — , beaucoup l’appuyèrent de leurs cris, et sans doute, s’ils avaient eu le point d’appui réclamé par Archimède, les Américains auraient construit un levier capable de soulever le monde et de redresser son axe. Mais le point d’appui, voilà ce qui manquait à ces téméraires mécaniciens.
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« Maintenant que l’orateur a donné une large part à la fantaisie, voudra-t-il bien rentrer dans son sujet, faire moins de théories et discuter la partie pratique de son expédition ? »
 
Tous les regards se dirigèrent vers le personnage qui parlait ainsi. C’était un homme maigre, sec, d’une figure énergique, avec une barbe taillée à l’américaine qui foisonnait sous son menton. AÀ la faveur des diverses agitations produites dans l’assemblée, il avait peu à peu gagné le premier rang des spectateurs. Là, les bras croisés, l’œil brillant et hardi, il fixait imperturbablement le héros du meeting. Après avoir formulé sa demande, il se tut et ne parut pas s’émouvoir des milliers de regards qui convergeaient vers lui, ni du murmure désapprobateur excité par ses paroles. La réponse se faisant attendre, il posa de nouveau sa question avec le même accent net et précis, puis il ajouta :
 
« Nous sommes ici pour nous occuper de la Lune et non de la Terre.
 
 
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Vous avez raison, monsieur, répondit Michel Ardan, la discussion s’est égarée. Revenons à la Lune.
 
— Vous avez raison, monsieur, répondit Michel Ardan, la discussion s’est égarée. Revenons à la Lune.
 
— Monsieur, reprit l’inconnu, vous prétendez que notre satellite est habité. Bien. Mais s’il existe des Sélénites, ces gens-là, à coup sûr, vivent sans respirer, car — je vous en préviens dans votre intérêt — il n’y a pas la moindre molécule d’air à la surface de la Lune. »
 
AÀ cette affirmation, Ardan redressa sa fauve crinière ; il comprit que la lutte allait s’engager avec cet homme sur le vif de la question. Il le regarda fixement à son tour, et dit :
 
« Ah ! il n’a pas d’air dans la Lune ! Et qui prétend cela, s’il vous plaît ?
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Barbicane et ses collègues dévoraient des yeux cet intrus qui venait si hardiment se jeter au travers de l’entreprise. Aucun ne le connaissait, et le président, peu rassuré sur les suites d’une discussion si franchement posée, regardait son nouvel ami avec une certaine appréhension. L’assemblée était attentive et sérieusement inquiète, car cette lutte avait pour résultat d’appeler son attention sur les dangers ou même les véritables impossibilités de l’expédition.
 
 
«
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<br />
Monsieur, reprit l’adversaire de Michel Ardan, les raisons sont nombreuses et indiscutables qui prouvent l’absence de toute atmosphère autour de la Lune. Je dirai même a priori que, si cette atmosphère a jamais existé, elle a dû être soutirée par la Terre. Mais j’aime mieux vous opposer des faits irrécusables.
 
« Monsieur, reprit l’adversaire de Michel Ardan, les raisons sont nombreuses et indiscutables qui prouvent l’absence de toute atmosphère autour de la Lune. Je dirai même a priori que, si cette atmosphère a jamais existé, elle a dû être soutirée par la Terre. Mais j’aime mieux vous opposer des faits irrécusables.
 
— Opposez, monsieur, répondit Michel Ardan avec une galanterie parfaite, opposez tant qu’il vous plaira !
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— Et pour quelle raison ?
 
 
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<br />
Parce que la Lune, sous l’action de l’attraction terrestre, a pris la forme d’un œuf que nous apercevons par le petit bout. De là cette conséquence due aux calculs de Hansen, que son centre de gravité est situé dans l’autre hémisphère. De là cette conclusion que toutes les masses d’air et d’eau ont dû être entraînées sur l’autre face de notre satellite aux premiers jours de sa création.
 
— Parce que la Lune, sous l’action de l’attraction terrestre, a pris la forme d’un œuf que nous apercevons par le petit bout. De là cette conséquence due aux calculs de Hansen, que son centre de gravité est situé dans l’autre hémisphère. De là cette conclusion que toutes les masses d’air et d’eau ont dû être entraînées sur l’autre face de notre satellite aux premiers jours de sa création.
 
— Pures fantaisies ! s’écria l’inconnu.
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==[[Page:Verne - De la Terre à la lune.djvu/126]]==
<br />
 
Trois cent mille auditeurs à la fois applaudirent à la proposition. L’adversaire de Michel Ardan voulait encore parler, mais il ne pouvait plus se faire entendre. Les cris, les menaces fondaient sur lui comme la grêle.
 
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— Chassez cet intrus ! répétaient les autres.
 
AÀ la porte ! à la porte ! » s’écriait la foule irritée.
 
Mais lui, ferme, cramponné à l’estrade, ne bougeait pas et laissait passer l’orage, qui eût pris des proportions formidables, si Michel Ardan ne l’eût apaisé d’un geste. Il était trop chevaleresque pour abandonner son contradicteur dans une semblable extrémité.
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— Je ne reviendrai pas ! »
 
AÀ cette réponse, qui touchait au sublime par sa simplicité, l’assemblée demeura muette Mais son silence fut plus éloquent que n’eussent été ses cris d’enthousiasme. L’inconnu en profita pour protester une dernière fois.
 
« Vous vous tuerez infailliblement, s’écria-t-il, et votre mort, qui n’aura été que la mort d’un insensé, n’aura pas même servi la science !
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— Et vous me rendrez raison de cette insulte.
 
AÀ l’instant.
 
— Non. Je désire que tout se passe secrètement entre nous. Il y a un bois situé à trois milles de Tampa, le bois de Skersnaw. Vous le connaissez ?
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==[[Page:Verne - De la Terre à la lune.djvu/129]]==
<br />
 
Pendant que les conventions de ce duel étaient discutées entre le président et le capitaine, duel terrible et sauvage, dans lequel chaque adversaire devient chasseur d’homme, Michel Ardan se reposait des fatigues du triomphe. Se reposer n’est évidemment pas une expression juste, car les lits américains peuvent rivaliser pour la dureté avec des tables de marbre ou de granit.
 
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— Pas un seul. Ce chasseur-là n’a pas l’air de faire bonne chasse !
 
 
==[[Page:Verne - De la Terre à la lune.djvu/131]]==
<br />
Que faire ? dit Maston.
 
— Que faire ? dit Maston.
 
— Entrer dans le bois, au risque d’attraper une balle qui ne nous est pas destinée.
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— Le capitaine Nicholl !
 
 
==[[Page:Verne - De la Terre à la lune.djvu/133]]==
<br />
Nicholl ! » s’écria Michel Ardan, qui ressentit un violent serrement de cœur.
 
— Nicholl ! » s’écria Michel Ardan, qui ressentit un violent serrement de cœur.
 
Nicholl désarmé ! Il n’avait donc plus rien à craindre de son adversaire ?
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— Lui-même, répondit Michel Ardan, et permets que je te présente en même temps le digne capitaine Nicholl !
 
 
==[[Page:Verne - De la Terre à la lune.djvu/136]]==
<br />
Nicholl ! s’écria Barbicane, qui fut debout en un instant. Pardon, capitaine, dit-il, j’avais oublié... je suis prêt... »
 
— Nicholl ! s’écria Barbicane, qui fut debout en un instant. Pardon, capitaine, dit-il, j’avais oublié... je suis prêt... »
 
Michel Ardan intervint sans laisser aux deux ennemis le temps de s’interpeller.
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Mais, si vite qu’il eût prononcé ce mot, Nicholl l’avait achevé en même temps que lui.
 
 
«
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Hurrah ! bravo ! vivat ! hip ! hip ! hip ! s’écria Michel Ardan en tendant la main aux deux adversaires. Et maintenant que l’affaire est arrangée, mes amis, permettez-moi de vous traiter à la française. Allons déjeuner. »
 
« Hurrah ! bravo ! vivat ! hip ! hip ! hip ! s’écria Michel Ardan en tendant la main aux deux adversaires. Et maintenant que l’affaire est arrangée, mes amis, permettez-moi de vous traiter à la française. Allons déjeuner. »
 
 
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On sait avec quelle frénésie les Yankees se passionnent pour un individu. Dans un pays où de graves magistrats s’attellent à la voiture d’une danseuse et la traînent triomphalement, que l’on juge de la passion déchaînée par l’audacieux Français ! Si l’on ne détela pas ses chevaux, c’est probablement parce qu’il n’en avait pas, mais toutes les autres marques d’enthousiasme lui furent prodiguées. Pas un citoyen qui ne s’unît à lui d’esprit et de cœur ! Ex pluribus unum, suivant la devise des États-Unis.
 
AÀ dater de ce jour, Michel Ardan n’eut plus un moment de repos. Des députations venues de tous les coins de l’Union le harcelèrent sans fin ni trêve. Il dut les recevoir bon gré mal gré. Ce qu’il serra de mains, ce qu’il tutoya de gens ne peut se compter ; il fut bientôt sur les dents ; sa voix, enrouée dans des speechs innombrables, ne s’échappait plus de ses lèvres qu’en sons inintelligibles, et il faillit gagner une gastro-entérite à la suite des toasts qu’il dut porter à tous les comtés de l’Union. Ce succès eût grisé un autre dès le premier jour, mais lui sut se contenir dans une demi-ébriété spirituelle et charmante.
 
Parmi les députations de toute espèce qui l’assaillirent, celle des « lunatiques » n’eut garde d’oublier ce qu’elle devait au futur conquérant de la Lune. Un jour, quelques-uns de ces pauvres gens, assez nombreux en Amérique, vinrent le trouver et demandèrent à retourner avec lui dans leur pays natal. Certains d’entre eux prétendaient parler « le sélénite » et voulurent l’apprendre à Michel Ardan. Celui-ci se prêta de bon cœur à
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— Oui ! mon brave ami ! Songe au cas où nous rencontrerions des habitants là-haut. Voudrais-tu donc leur donner une aussi triste idée de ce qui se passe ici-bas, leur apprendre ce que c’est que la guerre, leur montrer qu’on emploie le meilleur de son temps à se dévorer, à se manger, à se casser bras et jambes, et cela sur un globe qui pourrait nourrir cent milliards d’habitants, et où il y en a douze cents millions à peine ? Allons donc, mon digne ami, tu nous ferais mettre à la porte !
 
 
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<br />
Mais si vous arrivez en morceaux, répliqua J.-T. Maston, vous serez aussi incomplets que moi !
 
— Mais si vous arrivez en morceaux, répliqua J.-T. Maston, vous serez aussi incomplets que moi !
 
— Sans doute, répondit Michel Ardan, mais nous n’arriverons pas en morceaux ! »
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Sans perdre un instant, une embarcation se dirigea vers le lieu de sa chute ; des plongeurs habiles se précipitèrent sous les eaux, et attachèrent des câbles aux oreillettes de la bombe, qui fut rapidement hissée à bord. Cinq minutes ne s’étaient pas écoulées entre le moment où les animaux furent enfermés et le moment où l’on dévissa le couvercle de leur prison.
 
Ardan, Barbicane, Maston, Nicholl se trouvaient sur l’embarcation, et ils assistèrent à l’opération avec un sentiment d’intérêt facile à comprendre. AÀ peine la bombe fut-elle ouverte, que le chat s’élança au-dehors, un peu froissé, mais plein de vie, et sans avoir l’air de revenir d’une expédition aérienne. Mais d’écureuil point. On chercha. Nulle trace. Il fallut bien alors reconnaître la vérité. Le chat avait mangé son compagnon de voyage.
 
J.-T. Maston fut très attristé de la perte de son pauvre écureuil, et se proposa de l’inscrire au martyrologe de la science.
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Deux jours plus tard, Michel Ardan reçut un message du président de l’Union, honneur auquel il se montra particulièrement sensible.
 
AÀ l’exemple de son chevaleresque compatriote le marquis de la Fayette, le gouvernement lui décernait le titre de citoyen des États-Unis d’Amérique.
 
 
 
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<br />
 
Après l’achèvement de la célèbre Columbiad, l’intérêt public se rejeta immédiatement sur le projectile, ce nouveau véhicule destiné à transporter à travers l’espace les trois hardis aventuriers. Personne n’avait oublié que, par sa dépêche du 30 septembre, Michel Ardan demandait une modification aux plans arrêtés par les membres du Comité.
 
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De nouveaux plans furent donc envoyés à la maison Breadwill and Co. d’Albany, avec recommandation de les exécuter sans retard. Le projectile, ainsi modifié, fut fondu le 2 novembre et expédié immédiatement à Stone’s-Hill par les railways de l’Est. Le 10, il arriva sans accident au lieu de sa destination. Michel Ardan, Barbicane et Nicholl attendaient avec la plus vive impatience ce « wagon-projectile » dans lequel ils devaient prendre passage pour voler à la découverte d’un nouveau monde.
 
Il faut en convenir, c’était une magnifique pièce de métal, un produit métallurgique qui faisait le plus grand honneur au génie industriel des Américains. On venait d’obtenir pour la première fois l’aluminium en masse aussi considérable, ce qui pouvait être justement regardé comme un résultat prodigieux. Ce précieux projectile étincelait aux rayons du Soleil. AÀ le voir avec ses formes imposantes et coiffé de son chapeau conique, on l’eût pris volontiers pour une de ces épaisses tourelles en façon de poivrières, que les architectes du Moyen Age suspendaient à l’angle des châteaux forts. Il ne lui manquait que des meurtrières et une girouette.
 
 
«
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<br />
Je m’attends, s’écriait Michel Ardan, à ce qu’il en sorte un homme d’armes portant la haquebutte et le corselet d’acier. Nous serons là-dedans comme des seigneurs féodaux, et, avec un peu d’artillerie, on y tiendrait tête à toutes les armées sélénites, si toutefois il y en a dans la Lune !
 
« Je m’attends, s’écriait Michel Ardan, à ce qu’il en sorte un homme d’armes portant la haquebutte et le corselet d’acier. Nous serons là-dedans comme des seigneurs féodaux, et, avec un peu d’artillerie, on y tiendrait tête à toutes les armées sélénites, si toutefois il y en a dans la Lune !
 
— Ainsi le véhicule te plaît ? demanda Barbicane à son ami.
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— Oui ! oui ! sans doute, répondit Michel Ardan qui l’examinait en artiste. Je regrette seulement que ses formes ne soient pas plus effilées, son cône plus gracieux ; on aurait dû le terminer par une touffe d’ornements en métal guilloché, avec une chimère, par exemple, une gargouille, une salamandre sortant du feu les ailes déployées et la gueule ouverte...
 
AÀ quoi bon ? dit Barbicane, dont l’esprit positif était peu sensible aux beautés de l’art.
 
AÀ quoi bon, ami Barbicane ! Hélas ! puisque tu me le demandes, je crains bien que tu ne le comprennes jamais !
 
— Dis toujours, mon brave compagnon.
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— Mais au moins, reprit Michel Ardan, puisque l’extérieur de notre wagon-projectile laisse à désirer, on me permettra de le meubler à mon aise, et avec tout le luxe qui convient à des ambassadeurs de la Terre !
 
AÀ cet égard, mon brave Michel, répondit Barbicane, tu agiras à ta fantaisie, et nous te laisserons faire à ta guise. »
 
Mais, avant de passer à l’agréable, le président du Gun-Club avait songé à l’utile, et les moyens inventés par lui pour amoindrir les effets du contrecoup furent appliqués avec une intelligence parfaite.
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Telle fut l’observation faite à la séance où se traita cette grave question. Michel Ardan ne voulait pas mettre en doute la possibilité de vivre au moyen de cet air factice, et il offrit d’en faire l’essai avant le départ. Mais l’honneur de tenter cette épreuve fut réclamé énergiquement par J.-T. Maston.
 
 
«
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<br />
Puisque je ne pars pas, dit ce brave artilleur, c’est bien le moins que j’habite le projectile pendant une huitaine de jours. »
 
« Puisque je ne pars pas, dit ce brave artilleur, c’est bien le moins que j’habite le projectile pendant une huitaine de jours. »
 
Il y aurait eu mauvaise grâce à lui refuser. On se rendit à ses vœux. Une quantité suffisante de chlorate de potasse et de potasse caustique fut mise à sa disposition avec des vivres pour huit jours ; puis, ayant serré la main de ses amis, le 12 novembre, à six heures du matin, après avoir expressément recommandé de ne pas ouvrir sa prison avant le 20, à six heures du soir, il se glissa dans le projectile, dont la plaque fut hermétiquement fermée. Que se passa-t-il pendant cette huitaine ? Impossible de s’en rendre
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<br />
 
Le 20 octobre de l’année précédente, après la souscription close, le président du Gun-Club avait crédité l’Observatoire de Cambridge des sommes nécessaires à la construction d’un vaste instrument d’optique. Cet appareil, lunette ou télescope, devait être assez puissant pour rendre visible à la surface. de la Lune un objet ayant au plus neuf pieds de largeur.
 
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Telle était la question posée à l’Observatoire de Cambridge. Il ne devait pas être arrêté par les difficultés financières ; restaient donc les difficultés matérielles.
 
Et d’abord il fallut opter entre les télescopes et les lunettes. Les lunettes présentent des avantages sur les télescopes. AÀ égalité d’objectifs, elles permettent d’obtenir des grossissements plus considérables, parce que les rayons lumineux qui traversent les lentilles perdent moins par l’absorption que par la réflexion sur le miroir métallique des télescopes. Mais l’épaisseur que l’on peut donner à une lentille est limitée, car, trop épaisse, elle
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ne laisse plus passer les rayons lumineux. En outre, la construction de ces vastes lentilles est excessivement difficile et demande un temps considérable, qui se mesure par années.
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En effet, le système orographique de ce grand pays se réduit à deux chaînes de moyenne hauteur, entre lesquelles coule ce magnifique Mississippi que les Américains appelleraient « le roi des fleuves », s’ils admettaient une royauté quelconque.
 
AÀ l’est, ce sont les Appalaches, dont le plus haut sommet, dans le New-Hampshire, ne dépasse pas cinq mille six cents pieds, ce qui est fort modeste.
 
AÀ l’ouest, au contraire, on rencontre les montagnes Rocheuses, immense chaîne qui commence au détroit de Magellan, suit la côte occidentale de l’Amérique du Sud sous le nom d’Andes ou de Cordillères, franchit l’isthme de Panama et court à travers l’Amérique du Nord jusqu’aux rivages de la mer polaire.
 
Ces montagnes ne sont pas très élevées, et les Alpes ou l’Himalaya les regarderaient avec un suprême dédain du haut de leur grandeur. En effet, leur plus haut sommet n’a que dix mille sept cent un pieds, tandis que le mont Blanc en mesure quatorze mille quatre cent trente-neuf, et le Kintschindjinga<ref>La plus haute cime de l’Himalaya.</ref> vingt-six mille sept cent soixante-seize au-dessus du niveau de la mer.
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On était au 22 novembre. Le départ suprême devait avoir lieu dix jours plus tard. Une seule opération restait encore à mener à bonne fin, opération délicate, périlleuse, exigeant des précautions infinies, et contre le succès de laquelle le capitaine Nicholl avait engagé son troisième pari. Il s’agissait, en effet, de charger la Columbiad et d’y introduire les quatre cent mille livres de fulmi-coton. Nicholl avait pensé, non sans raison peut-êêtre,
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tre, que la manipulation d’une aussi formidable quantité de pyroxyle entraînerait de graves catastrophes, et qu’en tout cas cette masse éminemment explosive s’enflammerait d’elle-même sous la pression du projectile.
 
Il y avait là de graves dangers encore accrus par l’insouciance et la légèreté des Américains, qui ne se gênaient pas, pendant la guerre fédérale, pour charger leurs bombes le cigare à la bouche. Mais Barbicane avait à cœur de réussir et de ne pas échouer au port ; il choisit donc ses meilleurs ouvriers, il les fit opérer sous ses yeux, il ne les quitta pas un moment du regard, et, à force de prudence et de précautions, il sut mettre de son côté toutes les chances de succès.
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<br />
 
Mais, avant de procéder à cette opération, les objets nécessaires au voyage furent disposés avec ordre dans le wagon-projectile. Ils étaient en assez grand nombre, et si l’on avait laissé faire Michel Ardan, ils auraient bientôt occupé toute la place réservée aux voyageurs. On ne se figure pas ce que cet aimable Français voulait emporter dans la Lune. Une véritable pacotille d’inutilités. Mais Barbicane intervint, et l’on dut se réduire au strict nécessaire.
 
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— Hurrah ! hurrah ! s’écria J.-T. Maston en homme qui avait son idée ; voilà qui est bien dit ! Certainement, mes braves amis, nous ne vous oublierons pas !
 
 
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<br />
J’y compte ! Ainsi, vous le voyez, nous aurons régulièrement des nouvelles du globe, et, pour notre compte, nous serons bien maladroits si nous ne trouvons pas moyen de communiquer avec nos bons amis de la Terre ! »
 
— J’y compte ! Ainsi, vous le voyez, nous aurons régulièrement des nouvelles du globe, et, pour notre compte, nous serons bien maladroits si nous ne trouvons pas moyen de communiquer avec nos bons amis de la Terre ! »
 
Ces paroles respiraient une telle confiance, que Michel Ardan, avec son air déterminé, son aplomb superbe, eût entraîné tout le Gun-Club à sa suite. Ce qu’il disait paraissait simple, élémentaire, facile, d’un succès assuré, et il aurait fallu véritablement tenir d’une façon mesquine à ce misérable globe terraqué pour ne pas suivre les trois voyageurs dans leur expédition lunaire.
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==[[Page:Verne - De la Terre à la lune.djvu/161]]==
<br />
 
Le premier jour de décembre était arrivé, jour fatal, car si le départ du projectile ne s’effectuait pas le soir même, à dix heures quarante-six minutes et quarante secondes du soir, plus de dix-huit ans s’écouleraient avant que la Lune se représentât dans ces mêmes conditions simultanées de zénith et de périgée.
 
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Les créoles de la Louisiane fraternisaient avec les fermiers de l’Indiana ; les gentlemen du Kentucky et du Tennessee, les Virginiens élégants et hautains donnaient la réplique aux trappeurs à demi sauvages des Lacs et aux marchands de bœufs de Cincinnati. Coiffés du chapeau de castor blanc à larges bord, ou du panama classique, vêtus de pantalons en cotonnade bleue des fabriques d’Opelousas, drapés dans leurs blouses élégantes de toile écrue, chaussés de bottines aux couleurs éclatantes, ils exhibaient d’extravagants jabots de batiste et faisaient étinceler à leur chemise, à leurs manchettes, à leurs cravates, à leurs dix doigts, voire même à leurs oreilles, tout un assortiment de bagues, d’épingles, de brillants, de chaînes, de boucles, de breloques, dont le haut prix égalait le mauvais goût. Femmes, enfants, serviteurs, dans des toilettes non moins opulentes, accompagnaient, suivaient, précédaient, entouraient ces maris, ces pères, ces maîtres, qui ressemblaient à des chefs de tribu au milieu de leurs familles innombrables.
 
AÀ l’heure des repas, il fallait voir tout ce monde se précipiter sur les mets particuliers aux États du Sud et dévorer, avec un appétit menaçant pour l’approvisionnement de la Floride, ces aliments qui répugneraient à un estomac européen, tels que grenouilles fricassées, singes à l’étouffée, « fish-chowder<ref>Mets composé de poissons divers.</ref> », sarigue rôtie, opossum saignant, ou grillades de racoon.
 
Mais aussi quelle série variée de liqueurs ou de boissons venait en aide à cette alimentation indigeste ! Quels cris excitants, quelles vociférations engageantes retentissaient dans les bar-rooms ou les tavernes ornées de verres, de chopes, de flacons, de carafes, de bouteilles aux formes invraisemblables, de mortiers pour piler le sucre et de paquets de paille !
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Aussi, d’habitude, ces incitations adressées aux gosiers altérés sous l’action brûlante des épices se répétaient, se croisaient dans l’air et produisaient un assourdissant
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tapage. Mais ce jour-là, ce premier décembre, ces cris étaient rares. Les débitants se fussent vainement enroués à provoquer les chalands. Personne ne songeait ni à manger ni à boire, et, à quatre heures du soir, combien de spectateurs circulaient dans la foule qui n’avaient pas encore pris leur lunch accoutumé ! Symptôme plus significatif encore, la passion violente de l’Américain pour les jeux était vaincue par l’émotion. AÀ voir les quilles du tempins couchées sur le flanc, les dés du creps dormant dans leurs cornets, la roulette immobile, le cribbage abandonné, les cartes du whist, du vingt-et-un, du rouge et noir, du monte et du faro, tranquillement enfermées dans leurs enveloppes intactes, on comprenait que l’événement du jour absorbait tout autre besoin et ne laissait place à aucune distraction.
 
Jusqu’au soir, une agitation sourde, sans clameur, comme celle qui précède les grandes catastrophes, courut parmi cette foule anxieuse. Un indescriptible malaise régnait dans les esprits, une torpeur pénible, un sentiment indéfinissable qui serrait le cœur. Chacun aurait voulu « que ce fût fini ».
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Cependant, vers sept heures, ce lourd silence se dissipa brusquement. La Lune se levait sur l’horizon. Plusieurs millions de hurrahs saluèrent son apparition. Elle était exacte au rendez-vous. Les clameurs montèrent jusqu’au ciel ; les applaudissements éclatèrent de toutes parts, tandis que la blonde Phoebé brillait paisiblement dans un ciel admirable et caressait cette foule enivrée de ses rayons les plus affectueux.
 
En ce moment parurent les trois intrépides voyageurs. AÀ leur aspect les cris redoublèrent d’intensité. Unanimement, instantanément, le chant national des États-Unis s’échappa de toutes les poitrines haletantes, et le Yankee doodle, repris en chœur par cinq millions d’exécutants, s’éleva comme une tempête sonore jusqu’aux dernières limites de l’atmosphère.
 
Puis, après cet irrésistible élan, l’hymne se tut, les dernières harmonies s’éteignirent peu à peu, les bruits se dissipèrent, et une rumeur silencieuse flotta au-dessus de cette foule si profondément impressionnée. Cependant, le Français et les deux Américains avaient franchi l’enceinte réservée autour de laquelle se pressait l’immense foule. Ils étaient accompagnés des membres du Gun-Club et des députations envoyées par les observatoires européens. Barbicane, froid et calme, donnait tranquillement ses derniers ordres. Nicholl, les lèvres serrées, les mains croisées derrière le dos, marchait d’un pas ferme et mesuré. Michel Ardan, toujours dégagé, vêtu en parfait voyageur, les guêtres de cuir aux pieds, la gibecière au côté, flottant dans ses vastes vêtements de velours marron, le cigare à la bouche, distribuait sur son passage de chaleureuses poignées de main avec
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Murchison suivait de l’œil l’aiguille de son chronomètre. Il s’en fallait à peine de quarante secondes que l’instant du départ ne sonnât, et chacune d’elles durait un siècle.
 
AÀ la vingtième, il y eut un frémissement universel, et il vint à la pensée de cette foule que les audacieux voyageurs enfermés dans le projectile comptaient aussi ces terribles secondes ! Des cris isolés s’échappèrent :
 
« Trente-cinq ! — trente-six ! — trente-sept ! — trente-huit ! — trente-neuf ! — quarante ! Feu ! ! ! »
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Au moment où la gerbe incandescente s’éleva vers le ciel à une prodigieuse hauteur, cet épanouissement de flammes éclaira la Floride entière, et, pendant un instant incalculable, le jour se substitua à la nuit sur une étendue considérable de pays. Cet immense panache de feu fut aperçu de cent milles en mer du golfe comme de l’Atlantique, et plus d’un capitaine de navire nota sur son livre de bord l’apparition de ce météore gigantesque.
 
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Le courant atmosphérique, après avoir renversé les baraquements, culbuté les cabanes, déraciné les arbres dans un rayon de vingt milles, chassé les trains du railway jusqu’à Tampa, fondit sur cette ville comme une avalanche, et détruisit une centaine de maisons, entre autres l’église Saint-Mary, et le nouvel édifice de la Bourse, qui se lézarda dans toute sa longueur. Quelques-uns des bâtiments du port, choqués les uns contre les autres, coulèrent à pic, et une dizaine de navires, mouillés en rade, vinrent à la côte, après avoir cassé leurs chaînes comme des fils de coton.
 
Mais le cercle de ces dévastations s’étendit plus loin encore, et au-delà des limites des États-Unis. L’effet du contrecoup, aidé des vents d’ouest, fut ressenti sur l’Atlantique à plus de trois cents milles des rivages américains. Une tempête factice, une tempête inattendue, que n’avait pu {{tiret|pré|voir}}
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{{tiret2|pré|voir}} l’amiral Fitz-Roy, se jeta sur les navires avec une violence inouïe ; plusieurs bâtiments, saisis dans ces tourbillons épouvantables sans avoir le temps d’amener, sombrèrent sous voiles, entre autres le Childe-Harold, de Liverpool, regrettable catastrophe qui devint de la part de l’Angleterre l’objet des plus vives récriminations.
 
Enfin, et pour tout dire, bien que le fait n’ait d’autre garantie que l’affirmation de quelques indigènes, une demi-heure après le départ du projectile, des habitants de Gorée et de Sierra Leone prétendirent avoir entendu une commotion sourde, dernier déplacement des ondes sonores, qui, après avoir traversé l’Atlantique, venait mourir sur la côte africaine.
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Pendant cette première journée, chacun chercha à pénétrer le voile opaque des nuages, mais chacun en fut pour ses peines, et chacun d’ailleurs se trompait en portant ses regards vers le ciel, car, par suite du mouvement diurne du globe, le projectile filait nécessairement alors par la ligne des antipodes.
 
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le digne homme restait en perpétuelle communication avec ses trois amis, qu’il ne désespérait pas de revoir un jour.
 
« Nous correspondrons avec eux, disait-il à qui voulait l’entendre, dès que les circonstances le permettront. Nous aurons de leurs nouvelles et ils auront des nôtres ! D’ailleurs, je les connais, ce sont des hommes ingénieux. AÀ eux trois ils emportent dans l’espace toutes les ressources de l’art, de la science et de l’industrie. Avec cela on fait ce qu’on veut, et vous verrez qu’ils se tireront d’affaire ! »
 
<center>'''FIN'''</center>