« Le Râmâyana (trad. Fauche)/Tome 1 » : différence entre les versions

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suivre avec décence. En effet, qu'il ait une grande âme, ou qu'il
ait un esprit méchant, la route qu'une femme doit tenir, c'est
_toujours_''toujours'' son époux. À combien plus forte raison, quand cet époux
est un monarque magnanime, reine, et bien-aimé de toi ! Sans aucun
doute, Bharata lui-même, la justice en personne, modeste, aimant
son père, deviendra légalement ton fils, comme je suis le tien
_naturellement_''naturellement''. Tu obtiendras même de Bharata une vénération
supérieure à celle dont tu jouis auprès de moi. En effet, je n'ai
jamais eu à souffrir de lui rien qui ne fût pas d'un sentiment
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ton âme sur la sienne. Honorant les brahmes, versés dans la science
des Védas, reste ici, pieuse épouse, dans la compagnie de ton époux
et l'espérance de mon retour. _Oui_''Oui'' ! c'est dans la compagnie de
ton époux que tu dois me revoir à mon retour dans ces lieux, si
toutefois mon père, séparé de moi, peut supporter la vie. »
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« Va, mon fils ! Que le bonheur t'accompagne ! Exécute l'ordre même de
ton père. Revenu ici heureux, en bonne santé, mes yeux te reverront
un jour. _Oui_''Oui'' ! je saurai me complaire dans l'obéissance à mon
époux, comme tu m'as dit, et je ferai toute autre chose qui soit à
faire. Va donc, suivi de la félicité ! »
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brahmes, versés dans ces connaissances, t'auraient-ils annoncé que
la planète de Vrihaspati opère à cette heure sa conjonction avec
l'astérisme Poushya, _influence''influence sinistre_sinistre'', qui afflige ton esprit ?
Couvert du parasol, zébré de cent raies et tel que l'orbe entier de
la lune, pourquoi ne vois-je pas briller sous lui ton charmant visage ?
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les bardes officiels et les panégyristes à la voix éloquente te
chanter, à cette heure de ton sacre, comme le roi de la jeunesse ?
Pourquoi les brahmes, qui ont abordé à la rive ultérieure _dans''dans
l'étude sainte_sainte'' des Védas, ne versent-ils pas sur ton front du miel
et du lait caillé, suivant les rites, pour donner à ce _noble_''noble'' front
la consécration royale ?
 
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la pompe du sacre, un éléphant, le plus grand de tous, marqué de
signes heureux, et versant par trois canaux une sueur d'amour sur
les tempes ? Pourquoi enfin, devant toi, ne vois-je marcher, _nous_''nous''
apportant la fortune et la victoire, un coursier _d''d'une beauté_beauté''
non pareille, au blanc pelage, au corps doué richement de signes
prospères ? »
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« Tu dois, chère Sîtâ, pour l'amour de moi, obéir d'un cœur sans
partage à ma _bonne_''bonne'' mère, accablée sous le poids de la vieillesse
et par la douleur de mon exil. »
 
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mérites de son fils, ni un fils par les mérites de son père ;
chacun d'eux engendre par ses actions propres le bien ou le mal pour
lui-même, _sans''sans partage avec un autre_autre''. Seule, l'épouse dévouée à
son mari obtient de goûter au bonheur mérité par son époux ; je
te suivrai donc en tous lieux où tu iras. Séparée de toi, je ne
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de Raghou, par ton amour et ta vie ! Tu es mon seigneur, mon gourou,
ma route, ma divinité même ; j'irai donc avec toi : c'est là ma
résolution dernière. Si tu as _tant''tant de_de'' hâte pour aller dans la
forêt épineuse, impraticable, j'y marcherai devant toi, brisant _de''de
mes pieds, afin de t'ouvrir un passage_passage'', les grandes herbes et les
épines. Pour une femme de bien, ce n'est pas un père, un fils, ni
une mère, ni un ami, ni son âme à elle-même, qui est la route
à suivre : non ! son époux est sa voix suprême ! Ne m'envie pas ce
_bonheur_''bonheur'' ; jette loin de toi cette pensée jalouse, comme l'eau qui
reste au _fond''fond du vase_vase'' après que l'on a bu : _emmène''emmène-moi_moi'', héros,
emmène-moi sans défiance : il n'est rien en moi qui sente la
méchanceté. L'asile inaccessible de tes pieds, mon seigneur, est, à
mes yeux, préférable aux palais, aux châteaux, à la cour des rois,
aux chars de nos Dieux, _que''que dis-je_je'' ? au ciel même. Accorde-moi
cette faveur : que j'aille, accompagnée de toi, au milieu de ces bois
fréquentés seulement par des lions, des éléphants, des tigres, des
sangliers et des ours ! J'habiterai avec bonheur au milieu des bois,
heureuse d'y trouver un asile sous tes pieds, aussi contente d'y
couler mes jours avec toi, que dans les palais du _bienheureux_''bienheureux'' Indra.
 
« J'emprunterai, comme toi, ma seule nourriture aux fruits et aux
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cette réponse, lui exposant les nombreuses misères attachées à
l'habitation au milieu des forêts : « Sîtâ, ton origine est de la
plus haute noblesse, le devoir est une science que tu possèdes ''à
fond_fond'', tu ceins la renommée _comme''comme un diadème_diadème'' : partant, il te sied
d'écouter et de suivre ma parole. Je laisse mon âme ici en toi, et
j'irai de corps seulement au milieu des bois, obéissant, malgré moi,
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« Dans le bois repairent les tigres, qui déchirent les hommes,
conduits _par''par le sort_sort'' dans leur voisinage : on est à cause d'eux en
des transes continuelles, ce qui fait du bois, mon amie, une chose
affreuse !
 
« Dans le bois circulent de nombreux éléphants, aux joues inondées
par la sueur de rut ; ils _vous_''vous'' attaquent et _vous_''vous'' tuent ; ce qui fait
du bois, mon amie, une chose affreuse !
 
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« C'est toujours sur un lit de feuilles ou sur un lit d'herbes,
couches incommodes, que l'on a préparées de ses mains, sur le
sein même de la terre, ô femme _si_''si'' délicate, que l'on cherche le
sommeil dans la forêt déserte. On y mange pour seule nourriture des
jujubes sauvages, les fruits de l'ingüa ou du myrobolan emblic,
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passer beaucoup de jours, dénués absolument de toute nourriture.
Dans les bois, on se fait des habits avec la peau des bêtes, avec
l'écorce des arbres ; on est contraint de tordre _sans''sans art_art'' ses
cheveux en gerbe, de porter la barbe longue et le poil non taillé
sur un corps tout souillé de fange et de poussière, sur des membres
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séjour dans les bois, mon amie, est-il une chose affreuse !
 
[Note 13: _Panicum''Panicum frumentaceum_frumentaceum''.]
 
[Note 14: _Trichosantes''Trichosantes diœca_diœca''.]
 
« De quel plaisir ou de quelle volupté pourrai-je donc être là
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mortifications, quelle volupté pourras-tu m'offrir dans ces forêts ?
Mais alors, moi, te voyant la couleur effacée par le hâle du vent et
la chaleur du soleil, ton _corps''corps si frêle_frêle'' épuisé de jeûnes et de
pénitences, ce spectacle de ta peine dans les bois mettra le comble
à mes souffrances.
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« Demeure ici, tu n'auras point cessé pour cela d'habiter dans mon
cœur ; et, si tu restes ici, tu n'en seras pas, ma bien-aimée, plus
éloignée de ma _pensée_''pensée'' ! »
 
À ces mots, Râma se tut, bien décidé à ne pas conduire une femme
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paroles de son mari la triste Sîtâ, de qui les pleurs inondaient le
visage ; ces inconvénients, que tu viens d'énumérer, mon dévouement
pour toi, _cher_''cher'' et noble époux, les montre à mes yeux comme autant
d'avantages. Le dieu Çatakratou lui-même n'est pas capable de
m'enlever, défendue par ton bras : combien moins le pourraient
tous ces animaux qui errent dans les forêts ! Je n'ai aucune peur
_naturellement_''naturellement'' des lions, des tigres, des sangliers, ni des autres
bêtes, dont tu m'as peint l'abord si redoutable au milieu des bois.
Combien moins puis-je en redouter les dents ou le venin, si la force
de ton bras étend sur moi sa défense ! Mourir là _d'ailleurs_'d'ailleurs'' vaut
mieux pour moi que vivre ici !
 
« Jadis, fils de Raghou, cette prédiction me fut donnée par des
brahmes versés dans la connaissance des signes : « Ton sort, m'ont
dit ces hommes véridiques, ton sort, _jeune_''jeune'' Sîtâ, est d'habiter
_quelque''quelque jour_jour'' une forêt déserte. » Et moi, depuis ce temps où les
devins m'ont tiré cet horoscope, j'ai senti continuellement s'agiter
dans mon cœur un vif désir de passer ma vie au milieu des bois.
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« Emmène-moi, fils de Raghou ! car j'ai un désir bien grand d'habiter
les forêts avec toi : je t'en supplie, courbant la tête ! Dans
un instant, s'il te plaît, tu vas me voir déjà prête, _noble_''noble''
Raghouide, à partir. Ce pieux voyage à tes côtés dans les bois est
mon _brûlant_''brûlant'' désir.
 
« Je suis déterminée à te suivre ; mais, si tu refuses que
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« Viens donc, suis-moi, comme il te plaît, ma chérie ! Je veux faire
toujours ce qui est agréable à ton _cœur_''cœur'', ô femme digne de tous
les respects !
 
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Joyeuse et au comble de ses vœux, l'illustre dame, obéissant à
l'ordre qu'elle avait reçu de son héroïque époux, se mit à
distribuer aux _plus_''plus'' sages des brahmes les vêtements _superbes_''superbes'', les
_magnifiques_''magnifiques'' parures et toutes les richesses.
 
Quand le beau Raghouide eut ainsi parlé à Sîtâ, il tourna ses yeux
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la tête inclinée, tremblant et les mains jointes : « Si tu quittes
ces lieux pour venir avec moi dans les forêts, Lakshmana, qui
soutiendra _nos''nos mères_mères'', Kâauçalyâ et Soumitrâ, cette illustre
femme ? Ce monarque des hommes, qui versait ''à pleines mains_mains'' ses
grâces sur nos deux mères, ne les verra sans doute plus avec les
mêmes yeux que dans les jours passés, maintenant qu'il est tombé
sous le pouvoir d'_un''un autre_autre'' amour. Un jour, enivrée par les fumées
de la toute-puissance, Kêkéyî, incapable de modérer son âme, fera
sentir quelque dureté à ses rivales. C'est pour consoler surtout
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hommes, sur lesquels Çrî a répandu ses faveurs, joignit les mains
et répondit en ces termes à Râma : « Seigneur, il serait possible
à Kâauçalyâ d'entretenir, _pour''pour sa défense_défense'', plusieurs milliers
d'hommes de mon espèce, elle, à qui dix centaines de villages
furent données pour son apanage ; et d'ailleurs, sans aucun doute, par
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à ma prière ; emmène-moi, vertueux ami ! »
 
Charmé de ce langage, Râma dit à Lakshmana : « _Eh''Eh bien_bien'' ! fils de
Soumitrâ, viens ! suis-moi ! prends congé de tes amis. »
 
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Après que Râma, assisté par son illustre Vidéhaine, eut donné
aux brahmes ses richesses, il prit ses armes et les instruments,
_c''c'est-à-dire la bêche et le panier_panier'' ; puis, sortant de son palais
avec Lakshmana, il s'en alla voir son auguste père. Il était
accompagné de son épouse et de son frère.
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couverte de campagnards, on n'eût pas trouvé un seul espace vide,
tant était grand alors cet amour du peuple, accourant saluer à son
départ ce Râma d'une splendeur infinie. Quand ils virent l'_auguste''auguste
prince_prince'' marcher à pied, avec Lakshmana, avec Sîtâ même, alors,
saisis de tristesse, leur âme s'épancha en divers discours : « Le
voilà, suivi par Lakshmana seul avec Sîtâ, ce héros, dans les
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« Que la forêt où va ce noble enfant de Raghou soit désormais notre
cité ! Que cette ville, abandonnée par nous, soit réduite à l'état
d'une forêt ! _oui_''oui'', notre ville sera maintenant où doit habiter ce
héros magnanime ! Quittez les cavernes et les bois, serpents, oiseaux,
éléphants et gazelles ! Abandonnez ce que vous habitez, et venez
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Sîtâ, son épouse ; ce Râma enfin, qui brille dans le monde par les
rayons de ses vertus, comme le soleil par les rayons de sa lumière,
est venu voir ici tes pieds _augustes_''augustes'' ; reçois-le en ta présence,
s'il te plaît ! »
 
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délai ! »
 
Du _plus_''plus'' loin qu'il vit Râma s'avancer, les mains jointes, le roi
s'élança du trône où il était assis, environné de ses femmes :
« Viens, Râma ! viens, mon fils ! » s'écria le monarque affligé, qui
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sur la terre ; puis, avec une âme palpitante d'émotion, il releva
doucement son père ; et, secondé par Lakshmana, aidé même par
Sîtâ, il remit le monarque évanoui dans son trône. Ensuite, _le''le
voilà_voilà'' qui _s'empresse_'s'empresse'' de rafraîchir avec un éventail le visage du
roi sans connaissance.
 
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forêts : tu ne dois pas faire un tel acte de complaisance à mon
égard. Pardonne, ô mon bien-aimé père, mais que ta majesté daigne
nous lier ensemble au devoir : _oui_''oui'', veuille bien, ô toi, qui donnes
l'honneur, te conserver toi-même dans la vérité de ta promesse. Je
te rappelle simplement ton devoir, ô mon roi ; ce n'est pas une leçon
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une route sans danger pour un nouvel accroissement de ta renommée et
les joies du retour ! Mais veuille bien demeurer ici toi-même
cette nuit seule. Quand tu auras partagé avec moi _quelques_''quelques'' mets
délicieux et _savouré''savouré le plaisir de_de'' mes richesses ; quand tu auras
consolé ta mère, toute souffrante de sa douleur, _eh''eh bien_bien'' ! tu
partiras. »
 
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Alors un vieillard d'un grand sens, connu sous le nom de Siddhârtha
et qui jouissait de la plus haute estime auprès du _puissant_''puissant'' roi,
s'approche de Kêkéyî et lui tient ce langage : « Reine, apprends de
moi, qui vais t'en raconter la cause, pourquoi jadis Asamandjas fut
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d'un naturel méchant, Asamandjas saisissait au cou les jeunes enfants
des citadins et les jetait dans les flots de la Çarayoû : voilà,
_reine_''reine'', le fait tel qu'il nous fut donné par la tradition. En
butte à ses vexations : « Dominateur de la terre, choisis, dirent au
monarque les citadins irrités, choisis entre abandonner Asamandjas
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à mon trône et même aux plaisirs, je vais en personne accompagner
Râma ; toi, ignoble femme, jouis à ton aise et longtemps de cette
couronne avec _ton_''ton'' Bharata ! »
 
Ensuite, Kêkéyî apporta de ses mains les habits d'écorce, et,
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car la jolie reine était encore inhabile à revêtir, comme il
fallait, un habit d'anachorète. Quand elles virent habillée de cette
écorce vile, comme une _mendiante_''mendiante'' sans appui, celle qui avait pour
appui un tel époux, toutes les femmes de pousser simultanément des
cris, et même : « Ô honte ! disaient-elles à l'envi ; honte ! oh ! la
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cette inattendue séparation d'avec moi, dans une mer de tristesse.
L'infortunée, elle mérite que tu étendes sur elle, pour la
consoler, _ta''ta plus haute_haute'' considération. Daigne, par amitié pour
moi, daigne toujours la couvrir tellement de tes yeux, roi puissant,
que, défendue par toi, son protecteur _légal_''légal'', elle n'ait point à
subir de persécutions. »
 
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Râma : « Il te faut, ô toi, qui donnes l'honneur, il te faut rester,
sans cesse, fils de Raghou, aux côtés de Sîtâ et de Lakshmana, ce
héros, qui t'est _si_''si'' dévoué. Il te faut en outre apporter la plus
grande attention au milieu de ces arbres nombreux, dont les forêts
sont couvertes. »
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En effet, il m'est aussi impossible de quitter Sîtâ, qu'au sage
d'abandonner sa gloire ! Quand je tiens mes flèches et mon arc en
main, d'où peut venir un danger pour moi ? _D''D'aucun être_être'', pas même
de Çatakratou, le seigneur des trois mondes ! Bonne mère, ne sois
pas affligée ! obéis à mon père ! La fin de cet exil au milieu des
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discours :
 
« Il est _cinq''cinq devoirs_devoirs'', bien dignes de votre famille : ce sont la
défense d'un frère aîné, l'aumône, le sacrifice, la pénitence
et l'abandon héroïque de la vie dans les combats. Pense que Râma,
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Ensuite, s'approchant d'un air modeste et les mains jointes, comme on
voit Mâtali s'avancer vers Indra, _son''son maître_maître'' : « Honneur à toi,
fils du roi ! dit Soumantra au digne rejeton de Kakoutstha : c'est toi
qu'attend ce grand char attelé.
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À ces nobles paroles du cocher, Râma, accompagné de son épouse,
_se''se prépare à_à'' monter dans ce char magnifique avec Lakshmana.
Il déposa lui-même sur le fond du char les différentes espèces
d'armes, les deux carquois, les deux cuirasses, la bêche et le
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cocher du roi y plaça encore une cruche de terre.
 
Soumantra les fit monter et monta lui-même derrière ces _nobles''nobles
compagnons d'exil_exil''. Ensuite, ayant jeté le regard d'une âme
consternée sur les deux frères assis auprès de la _belle''belle jeune_jeune''
femme, le troisième avec eux, Soumantra de fouetter ses chevaux, sur
le commandement, que Râma en donna lui-même au cocher.
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forêts ! Seule, elle a fait acte de vertu, cette jeune Vidéhaine à
la taille menue, qui s'attache aux pas de son époux comme l'ombre
suit le corps. Et toi aussi, Lakshmana, tu es heureux, _car_''car'' tu
satisfais à la vertu, toi, qui suis par dévouement ce frère aîné,
que tu aimes, sur la route, où l'entraîne l'amour de son devoir. »
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« Arrête ! arrête ! » criait le vieux monarque ; « Marche ! » disait au
cocher le jeune Raghouide. La position de Soumantra était alors celle
d'un homme entre la terre et le ciel, _qui''qui ne sait trop s'il doit
monter ou descendre_descendre''. « Quand tu seras de retour chez le roi, tu lui
diras : « Je n'avais pas entendu. Cocher, prolonger la douleur, c'est
la rendre plus cruelle. » Ainsi Râma parlait à Soumantra.
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Le roi, chef de la race d'Ikshwâkou, ne détourna point ses yeux,
tant qu'il put encore apercevoir la forme _vague_''vague'' de ce fils qui
marchait vers son exil.
 
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entre eux. Tant qu'il fut possible au roi de le voir, ses yeux, dont
le regard suivait ce fils, non moins vertueux que bien-aimé, ses
yeux, marchèrent _comme_''comme'' pas à pas avec lui. Mais, quand le roi,
maître du globe, eut cessé de voir son Râma, alors, pâle et navré
de chagrin, il tomba sur la terre.
 
Kâauçalyâ tout émue accourut à sa droite, et Kêkéyî vint
à gauche, toute pleine de sa tendresse _satisfaite_''satisfaite'' pour son fils
Bharata. Ce roi, doué parfaitement de conduite, de justice et de
modestie, adressant un regard à cette Kêkéyî, opiniâtre dans
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Le monarque, accompagné de sa tristesse, dit alors ces paroles : « Que
l'on me conduise au plus tôt dans l'appartement de Kâauçalyâ,
mère de _mon''mon fils_fils'' Râma ! »
 
À ces mots, ceux qui avaient la surveillance des portes mènent le
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m'abandonnes ! ... Heureux vivront alors ces hommes favorisés, qui te
verront, mon fils, revenu des bois, à la fin du temps fixé par ton
arrêt ! mais, _hélas_''hélas'' ! moi, je ne te verrai pas ! ...
 
« Bonne Kâauçalyâ, touche-moi de ta main ; car ma vue a suivi Râma,
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La reine jeta les yeux sur le monarque, abattu dans ce lit, d'où sa
pensée ne cessait de suivre _son''son bien-aimé_aimé'' Râma : elle entra dans
cette couche, _près''près de son époux_époux'', elle, de qui la douleur avait
tourmenté les formes, et, poussant de longs soupirs, elle éclata en
lamentations d'une manière pitoyable.
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À ces mots du prince, le cocher à l'instant d'exécuter son ordre,
il _alla_''alla'', revint et présenta son léger véhicule au vaillant Râma.
 
Celui-ci monta lestement sur le char avec ses deux compagnons
_d'exil_'d'exil'', et se hâta de traverser la Tamasâ. Quand le héros aux
longs bras fut arrivé sur l'autre bord de cette rivière, dont les
tourbillons agitent la surface, il suivit le cours de l'eau dans
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Râma, l'homme au grand char de guerre, ayant promené ses regards
sur les ondes aux vagues tourbillonnantes, dit à Soumantra : « Faisons
halte ici aujourd'hui. En effet, voici, _pour''pour nous abriter_abriter'', non loin
du fleuve, un arbre ingoudi très-haut, tout couvert de fleurs et
de jeunes pousses : demeurons _cette''cette nuit_nuit'' ici même, conducteur ! »
« Bien ! » lui répondent Lakshmana et Soumantra, qui aussitôt fait
avancer les chevaux près de l'arbre ingoudi. Alors ce digne rejeton
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Raghouide, arrivé déjà au pied de l'arbre.
 
« Ici habite un ami bien-aimé de Râma, _lui''lui dit-il_il'', un prince
équitable, de qui la bouche est l'organe de la vérité, ce roi des
Nishâdas, qui a nom Gouha aux longs bras. À la nouvelle que Râma,
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l'habit tissu d'herbes, que les fruits sont avec les racines toute
ma nourriture et le devoir toute ma pensée ; que je suis un ascète
_enfin_''enfin'' et que les choses des bois sont les seuls objets permis à mes
sens. J'ai besoin d'herbe pour mes chevaux ; il ne me faut rien autre
chose : avec cela seul, ta majesté m'aura bien traité.--Car c'est
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à la souche de l'arbre et s'y tint debout à côté d'eux.
 
La nuit alors, bien qu'il fût ainsi couché _sur''sur la dure_dure'', coula
doucement pour cet illustre, ce sage, ce magnanime fils du roi
Daçaratha, qui n'avait pas encore senti la misère et n'avait goûté
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« Tous ces gens sont accoutumés aux fatigues, mais toi, as-tu goûté
de la vie autre chose que ses douceurs ! Laisse-moi veiller cette nuit
à la garde du _généreux_''généreux'' Kakoutsthide. Certes ! il n'y a pas d'homme
sur la terre, qui me soit plus cher que Râma : fie-toi donc à cela
en toute assurance ; je le jure à toi, héros, je le jure par la
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« Gardés ici par toi, monarque sans péché, nous sommes tous sans
crainte, lui répondit Lakshmana : ce n'est pas tant le corps que
la pensée qui veille ici _et''et dans sa tristesse, ne peut céder au
sommeil_sommeil''. Comment le sommeil, ou les plaisirs, ou même la vie me
seraient-ils possibles, quand ce grand Daçarathide est ainsi couché
par terre avec Sîtâ ?
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« Et, quand ce temps sera venu, à qui sera-ce donc, si ce n'est à
l'heureux Bharata, ''à lui, resté seul_seul'', d'honorer mon vieux père
avec toutes les cérémonies funèbres ?
 
« Heureux tous ceux qui pourront errer à leur fantaisie dans la
capitale de mon père aux larges rues bien distribuées, aux cours
délicieuses, où l'on aime à rester _indolemment_''indolemment'' ; cette ville,
encombrée d'éléphants, de chevaux, de chars, toute remplie de
promenades et de jardins publics, heureuse de toutes les félicités,
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mots à Lakshmana : « Monte, tigre des hommes, monte dans ce bateau,
que voici bien à propos. Lève dans tes bras doucement et pose dans
la barque _ma''ma chère_chère'' pénitente Sîtâ. »
 
Lui sur-le-champ d'obéir à l'ordre que lui donnait son frère, et
d'exécuter cette tâche, qui ne lui était nullement désagréable :
il plaça d'abord la princesse de Mithila et monta ensuite de
lui-même dans l'esquif _amarré_''amarré''. Après lui s'embarqua son frère
aîné, le magnanime ermite.
 
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épouse.
 
_Mais''Mais d'abord_abord'' ce prince judicieux, voué au séjour des forêts, tint
ce langage au brave Lakshmana, douce joie de sa mère : « Marche en
avant, fils de Soumitrâ, et que Sîtâ vienne après ; j'irai, moi,
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plusieurs essences, Râma dit à Lakshmana vers le temps où le soleil
commence à baisser un peu : « Vois, fils de Soumitrâ, vois, près du
saint confluent s'élever cette fumée, _comme''comme le_le'' drapeau d'un feu
sacré : nous sommes, je pense, dans le voisinage d'un anachorète.
Sans doute, nous voici bientôt arrivés à l'endroit heureux où
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« Ce frère chéri est plus jeune que moi ; il est fils de Soumitrâ :
ferme dans les vœux qu'il a prononcés, _comme''comme kshatrya_kshatrya'', il me suit
de soi-même dans ces bois, où m'exile mon père. Docile à sa
voix, je vais entrer dans la grande forêt ; je marcherai là, saint
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la nourriture quotidienne. À son jeune compagnon assis, quand il eut
reçu de tels honneurs, Bharadwâdja tint alors ce langage assorti aux
_convenances''convenances, dont la politesse fait un_un'' devoir : « _Je''Je remercie_remercie''
la bonne fortune, _qui_''qui'' t'a conduit, Râma, sain et sauf dans mon
ermitage : assurément ! j'ai entendu parler de cet exil sans motif,
auquel ton père t'a condamné. Ce lieu solitaire et délicieux,
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peux demeurer là.
 
[Note 15: C'est-à-dire, _singes''singes à queue de vache_vache''.]
 
« Tant qu'un homme aperçoit les sommets du Tchitrakoûta, la
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échos répètent les chants des kokilas, des gallinules et des
paons, le bruit des gazelles et les cris de nombreux éléphants ivres
d'amour : puis, une fois arrivé dans cet ermitage, _occupe''occupe-toi d'y_y''
poser ton habitation. »
 
Leur ayant fait connaître le chemin, Bharadwâdja, salué par le
sage Râma, Lakshmana et Sîtâ, revint _dans''dans son ermitage_ermitage''. Quand
l'anachorète fut parti, Râma dit à Lakshmana : « L'intérêt, que
l'ermite prend à moi, fils de Soumitrâ, _est''est comme une eau limpide,
qui_qui'' lave mes souillures. » Ainsi causant et marchant derrière
Sîtâ, les deux héros voués à la pénitence arrivent sur les bords
de la Kâlindi[16].
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Peu de temps après, les voici qui entrent dans le bois du
Tchitrakoûta aux arbres variés, et Râma tient ce langage à Sîtâ :
« Sîtâ, ma _belle_''belle'' aux grands yeux, vois-tu, à la fin de la saison
froide, ces kinçoukas déjà fleuris et comme en feu, près du
fleuve, dont ils ceignent le front d'une guirlande ? Vois encore, le
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frères, se construisent un ermitage.
 
Ils vont chercher au milieu du _bois''bois suave comme un_un'' jardin et
rapportent de fortes branches, cassées par les éléphants. _Fichées''Fichées
dans la terre et_et'' rattachées l'une à l'autre avec des lianes
épandues, _qui''qui remplissent tous les intervalles_intervalles'', elles se forment
bientôt sous leurs mains en deux huttes séparées. Ils couvrent
le toit avec les feuilles nombreuses des arbres. Lakshmana ensuite
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Ensuite Râma lui-même s'assit avec Lakshmana, son frère, et tous
deux se mirent à manger sur un plat net et pur, qu'ils se firent avec
des feuilles _verdoyantes_''verdoyantes'' le reste des choses offertes en sacrifice.
Sîtâ avait elle-même servi les mets devant son époux et son
beau-frère ; puis, s'étant retirée seule à part, elle revint
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Aussitôt qu'ils virent arriver Soumantra, les habitants de courir à
_l'envi_'l'envi'' par centaines de mille derrière son véhicule _poudreux_''poudreux'', en
lui jetant cette question : « Où est Râma ? »
 
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parts ! Où sera désormais une chose agréable à ce peuple ? Quelle
chose, d'où lui vienne un plaisir, peut-il maintenant désirer ? »
Ainsi pensaient _les''les foules de_de'' ce peuple autour de Soumantra, qui
évitait de blesser personne _avec''avec son char_char''. Il entendait aussi
les voix des femmes, qui, accourues à leurs fenêtres, disaient :
« Comment, ce malheureux ! il est revenu, après avoir quitté Râma ! »
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enfant de Raghou, quand il t'a quitté ? Comment, élevé avec une
extrême délicatesse, mon fils pourra-t-il supporter de n'avoir que
le sol même pour unique siége ? Ou comment dormira-t-il à _ciel''ciel nu_nu''
dans un bois, ce fils du maître de la terre ? Qu'est-ce que dit Râma
à la vive splendeur ? Quelles paroles m'envoie Lakshmana ? Que me
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fanées. Les volatiles et les quadrupèdes, immobiles, fixant les yeux
sur un seul point et plongés dans leurs sombres pensées, oubliaient
d'errer çà et là _sous''sous les ombrages_ombrages'' ; toute la forêt, comme en
deuil par les chagrins du magnanime, était sans gazouillement.
 
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percer d'un trait la bête que je voyais de l'oreille seulement,
il m'est arrivé de commettre une faute. C'est pourquoi mon action
coupable a mûri ce fruit de malheur, _que''que je recueille aujourd'hui_hui'',
comme l'efficacité du poison est de tuer la vie dans l'être animé
qui en a bu la substance. _Mais_''Mais'' cette mauvaise action des jours
passés, je l'ai commise par ignorance, de même qu'à son insu tel
homme boirait un poison.
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arc à la main, je m'en allai vers la rivière Çarayoû. J'arrivai
de cette manière sur les rives désertes de cette belle rivière, où
m'attirait le désir de tirer sur une bête, _sans''sans la voir_voir'', à son
bruit seul, grâces à ma grande habitude des exercices de l'arc. Là,
je me tenais caché dans les ténèbres, mon arc toujours bandé en
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mon trépas, ce couple misérable et sans appui ? Qui est l'homme au
cœur méchant, de qui la flèche nous a frappés tous les trois, eux
et moi, d'un même coup, infortunés, qui vivions _innocemment_''innocemment'' ici de
racines, de fruits et d'herbes ? »
 
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infortuné, portant la peau d'antilope et le djatâ des anachorètes.
Lui, profondément blessé dans une articulation, il fixa les yeux
sur moi, _non''non moins_moins'' infortuné, et me dit ces mots, reine, comme s'il
eût voulu me consumer par le feu de sa rayonnante sainteté : « Quelle
offense ai-je commise envers toi, kshatrya, moi, _solitaire_''solitaire'', habitant
des bois, pour mériter que tu me frappasses d'une flèche, quand je
voulais prendre ici de l'eau pour mon père ? Ces vieux auteurs de mes
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même, quand il le saurait, que ferait-il dans l'état d'impuissance
où le met sa triste cécité ? Il en est de lui comme d'un arbre, qui
ne peut sauver à _ses''ses côtés_côtés'' un autre arbre que sape la hache _du''du
bûcheron_bûcheron''. Va promptement, fils de Raghou, va trouver mon père et
raconte-lui cet événement fatal, de peur que sa malédiction ne te
consume, comme le feu dévore un bois sec ! Le sentier, que tu
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Mais à peine mon trait fut-il ôté de sa blessure, que le fils de
l'anachorète, épuisé de souffrances et respirant d'un souffle, qui
s'échappait en _douloureux_''douloureux'' sanglots, se convulsa un instant, roula
hideusement ses yeux et rendit son dernier soupir.
 
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vieillards affligés s'entretenaient de lui : eux, que j'avais frappés
dans leur enfant, ils aspiraient au bonheur que ferait naître en eux
sa présence ! _Tel_''Tel'' je vis ce couple inquiet de pénitents se tenir
dans son ermitage, quand je m'approchai d'eux, l'âme bourrelée du
crime si grand que j'avais commis par ignorance.
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fauves, que la soif conduirait à ses eaux, où mon plaisir était de
les atteindre sans les voir. Dans ce temps, le son d'une cruche qui
s'emplissait vint frapper mon oreille : _je''je dirigeai une flèche sur ce
bruit_bruit'' et je blessai ton fils, croyant que c'était un éléphant. Aux
pleurs que lui arracha mon dard en lui perçant le cœur, je courus
tout tremblant au lieu _d''d'où ils parlaient_parlaient'', et je vis un jeune
pénitent. C'est bien la pensée que j'avais un éléphant vis-à-vis
de moi, saint anachorète, et mon adresse à percer une bête, _sans''sans
la voir_voir'', à son bruit seul, qui m'ont fait décocher vers les eaux
cette flèche de fer, dont, _hélas_''hélas'' ! fut blessé ton fils. Après que
j'eus retiré ma flèche de sa blessure, il exhala sa vie et s'en alla
au ciel ; mais, avant, il avait déploré bien longtemps le sort de
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ancêtres, si tu avais tué un ermite, sachant bien ce que tu faisais.
Mais comme tu as frappé celui-ci à ton insu, c'est pour cela que
tu n'as point cessé d'être : en effet, _dans''dans l'autre cas_cas'', la
race entière des Raghouides n'existerait déjà plus ; tant il s'en
faudrait que tu vécusses toi-même !
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« Alors, seul, je conduisis les deux aveugles, profondément
affligés, à ce lieu _funèbre_''funèbre'', où je fis toucher à l'anachorète,
comme à son épouse, le corps gisant de leur fils. Impuissants à
soutenir le poids de ce chagrin, à peine ont-ils porté la main sur
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lève-toi maintenant ! viens ! prends, mon ami, nos cous réunis dans
tes bras ! De qui, dans la forêt, entendrai-je la douce voix me faire
une lecture des Védas, la nuit prochaine, avec un désir _égal''égal au
tien_tien'', mon fils, d'apprendre les dogmes saints ? Qui, désormais, qui,
mon fils, apportera des bois la racine et le fruit sauvage à nous
deux, pauvres aveugles, qui les attendrons, assiégés par la faim ?
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demain, tu partiras, mon fils, avec ta mère et moi. Avant longtemps
le chagrin nous fera exhaler à tous les deux, abandonnés sans appui,
le souffle de notre vie dans la mort : _oui_''oui'', la sentence, auguste
enfant, est déjà prononcée. Entré chez le fils du soleil[17], je
mendierai, infortuné père, je mendierai moi-même, et portant mes
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dans ses mains, les touchera tout à l'entour afin de m'y procurer une
sensation agréable ? Parviens au monde des héros, qui ne retournent
pas _dans''dans le cercle des transmigrations_transmigrations'', comme il est vrai, mon fils,
que tu es un innocent, tombé sous le coup d'un homme qui fait le
mal ! Obtiens les mondes éternels des saints pénitents, des
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des bras de leur épouse, aux chastes brahmatchâris, aux âmes
généreuses, qui distribuent en largesses des vaches, de l'or, des
aliments et donnent même de la terre _aux''aux deux fois nés_nés'' ! Va, mon
fils, va, suivi par ma pensée, dans ces mondes éternels où vont
ceux qui assurent la sécurité des peuples, ceux de qui la parole est
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« En récompense du service dévoué que j'ai rempli autour de vos
saintes personnes, j'ai obtenu une condition pure, _sans''sans mélange_mélange''
et du plus haut degré : bientôt vos révérences obtiendront
elles-mêmes ce désiré séjour. Vous n'avez point à pleurer mon
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« Comment se peut-il que tu sois né, homme vil et présomptueux, dans
la race des Ikshwâkides, ces rois saints, magnanimes et de qui la
gloire est célèbre _en''en tous lieux_lieux'' ? Il n'existait pas d'inimitié
entre nous deux, ni au sujet d'une femme, ni à cause d'un champ :
pourquoi, les choses étant ainsi, pourquoi m'as-tu frappé d'une
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son affliction paternelle. Sans doute, la malédiction du brahme
s'accomplit maintenant pour moi : en effet, la douleur de mes regrets
_inconsolables_''inconsolables'' pour mon fils précipite à sa fin le souffle de ma
vie.
 
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semblable à la reine des étoiles, ce visage pur, beau, gracieux, aux
dents charmantes, aux yeux comme les pétales du lotus ! Heureux
les hommes qui verront la face _auguste_''auguste'' de mon fils, dont la douce
haleine est égale au parfum du lotus quand il s'épanouit dans
l'automne ! »
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de nouveau sur la couche, son âme saturée de tristesse par l'exil de
son fils. Bientôt, lorsque la nuit fut écoulée et que fut arrivée
l'heure où blanchit l'aube du jour, les poëtes, _réveilleurs_''réveilleurs''
officiels du roi, se répandirent autour _de''de sa chambre_chambre''.
 
Aussitôt, dans le gynœcée, à ces voix des chantres, des
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donc approchés du roi, immobile dans sa couche, les femmes se mirent
toutes à faire éclore son réveil dans la crainte de voir le
soleil monter sur l'horizon _avant''avant qu'il n'eût ouvert les yeux à sa
lumière''.
lumière_.
 
Mais quand, malgré tous leurs efforts mêmes pour le tirer du
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monarque, tombé sous l'empire de la mort, n'offrit plus, à l'aspect
des siéges et des lits renversés, à l'ouïe des pleurs entremêlés
de cris lamentables, que les images du malheur envoyé, _comme''comme une
flèche_flèche'', dans cette royale maison.
 
Ensuite, après qu'il eut fait évacuer la salle et tenu conseil avec
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« Allez rapidement sur des chevaux légers à la ville, où s'élève
le palais du roi _des''des Kékéyains_Kékéyains'' ; et là, dépouillant vos airs
affligés, il vous faut parler à Bharata _comme_''comme'' d'après un ordre
même de son père. « Ton père, _lui''lui direz-vous_vous'', et tous les
ministres s'enquièrent si tu vas bien et t'envoient ces paroles :
« Hâte-toi de venir promptement ; quelque chose d'une extrême
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sa personne les gardes et les concierges des portes.
 
Quand il vit, _dans''dans son intérieur_intérieur'', cette noble ville, souillée dans
ses portes et ses ventaux brunis de poussière ; cette ville, pleine
d'un peuple désolé, et néanmoins déserte dans ses grandes rues,
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et qui n'existaient pas dans un autre temps au sein de cette royale
cité, le jeune magnanime entra dans le palais de son père, la tête
courbée sous le poids de son _triste_''triste'' pressentiment.
 
Étant donc entré dans ce palais riche, admirable aux yeux et
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précipitamment de son siége, les yeux épanouis par la joie. Entré
d'une âme empressée dans ce palais de sa mère, le tout-puissant
Bharata, courbant la tête, prit ses pieds _avec''avec respect_respect''. Elle,
à son tour, de baiser Bharata sur la tête, de serrer son fils
étroitement dans ses bras, et, le faisant asseoir à son côté, de
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ville où règne ton grand-père ? As-tu fait un heureux voyage ? Es-tu
même venu sans fatigue ? Ton aïeul est-il bien portant, ainsi que
_mon''mon frère_frère'' Youdhadjit, ton oncle ? Mon fils, ton séjour dans la
famille de ton aïeul a-t-il eu pour toi beaucoup de charme ? » À ces
questions de Kêkéyî, Bharata, dans la tristesse de son âme, conta
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amitié ; mais la fatigue de mes équipages m'a forcé de laisser tout
dans ma route, tant je suis venu rapidement, plein de hâte, stimulé
par les messagers envoyés du roi, _mon''mon père_père'' ! Mais daigne maintenant
répondre aux demandes que je désire t'adresser.
 
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« Relève-toi promptement, Bharata, et ne veuille pas te désoler : car
les hommes de ta condition, qui ont médité sur les causes et sur les
effets du chagrin, ne s'abandonnent point _ainsi_''ainsi'' aux gémissements.
Ton père est descendu dans la tombe, après qu'il eut gouverné la
terre avec justice, sacrifié suivant les rites, versé des largesses
et des aumônes, tu n'as donc pas à le plaindre. Le roi Daçaratha,
_ton''ton père_père'', attaché d'un lien ferme au devoir et à la vérité,
s'en est allé dans une région plus heureuse ; tu n'as donc pas, mon
fils, à déplorer sa fortune. »
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Elle dit : à ces mots déchirants de Kêkéyî, Bharata, dans
une extrême douleur, adressa de nouveau ces paroles à sa mère :
« Peut-être, _me''me disais-je_je'', le roi va-t-il sacrer _le''le vaillant_vaillant''
Râma : peut-être va-t-il célébrer un sacrifice : » telles étaient
les espérances dont se berçait mon esprit et qui me faisaient
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de sa Vidéhaine, et suivi de Lakshmana, Râma s'en est allé dans
les bois sur l'ordre même de son père ; et c'est moi, qui ai su faire
exiler ce frère, _ton''ton rival_rival'', au sein des forêts. « Quand ton père
l'eut banni, Daçaratha, consumé de chagrins à cause de son fils,
quitta ce monde pour le ciel. »
 
À ces mots, Bharata, soupçonnant _malgré''malgré lui_lui'' un crime dans une
telle mère, Bharata, qui aspirait de tous ses désirs à la pureté
de sa famille, se mit à l'interroger en ces termes : « Râma, tout
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associé à sa couronne.
 
« _Mais_''Mais'', aussitôt parvenue à moi cette nouvelle que le monarque
avait conçu une telle pensée, je conjurai l'auguste souverain
_d''d'abandonner ce dessein_dessein'' et de reporter sur ta _noble''noble tête_tête''
l'onction royale qu'il destinait à Râma. J'ai demandé au roi l'exil
de Râma dans les forêts pendant neuf ans ajoutés à cinq années,
Ligne 1 985 :
 
« Ainsi donc, saisis-toi du royaume ; fais produire son fruit à ma
peine ; remplis, _terrible_''terrible'' immolateur de tes ennemis, remplis de joie
le cœur de tes amis et le mien ! Va, mon fils, va trouver bien vite
les brahmes et Vaçishtha, leur chef ; puis, quand tu auras acquitté
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de mal à personne.
 
« Pourquoi, si tu veux, grâce à ton désir _impatient_''impatient'' du trône,
aller au fond des enfers, pourquoi m'y entraîner moi-même après toi
dans ta chute ?
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l'armée, les brahmes et tous les colléges des conseillers divers
s'étant réunis, entrèrent dans le château royal, veuf d'un
souverain qui, _vivant_''vivant'', ressemblait au grand Indra lui-même. Cette
_illustre_''illustre'' assemblée s'assit autour de Bharata, qu'elle voyait
affligé, ses yeux remplis de larmes, plongé dans le chagrin, étendu
sur la terre et semblable à un homme qui n'a plus sa connaissance.
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science. Ainsi, revêts-toi de fermeté, rejette le chagrin de ton
cœur, et veuille bien célébrer sans délai, d'une âme rassise, les
obsèques de ton père. _Oui_''Oui'' ! il a fini comme un être sans appui,
ce _vigoureux_''vigoureux'' appui du monde, ton père, juste comme la justice
elle-même. _Alors_''Alors'', nous avons agité cette question : « N'y aurait-il
pas un moyen de procéder aux funérailles sans Bharata ? » et nous
avons déposé le corps du feu _roi_''roi'', ton père, dans un vaisseau
d'huile exprimée du sésame. Veuille donc, ô mon ami, célébrer ses
royales obsèques.
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intelligents, jeta les yeux sur Vaçishtha, et, plus affligé encore,
lui répondit en ces termes : « Quand ta sainteté me parle ainsi,
_pieux_''pieux'' ermite, je sens mon âme se déchirer en quelque sorte.
L'empereur du monde, Râma vit, quel empire ai-je donc ici ? Mais
conduisez-moi où est le roi mon père : c'est mon désir assurément
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il est possible que mon cœur n'éclate point à cet heure en
mille fragments ! Que vos éminences me fassent donc voir mon père,
_hélas_''hélas'' ! privé de la vie. »
 
Entré dans le palais de Kâauçalyâ avec les veuves du roi, Bharata
vit alors son père inanimé chez la mère de Râma. À la vue de son
père _gisant''gisant ainsi_ainsi'' la vie éteinte et la splendeur effacée, il jeta
ce cri : « Hélas ! mon roi ! » et tomba sur la face de la terre. On eût
dit un homme, de qui l'âme s'est échappée.
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plaint. Veuille bien t'occuper de ses funérailles avec un esprit
calme. Les parents et les amis, qui pleurent d'une affection
_désolée_''désolée'', ne font-ils pas tomber du ciel par la chute de ces
larmes, fils de Raghou, l'homme à qui ses vertus avaient mérité le
Swarga ? »
Ligne 2 102 :
À ces mots de Vaçishtha, Bharata, qui n'ignorait pas le devoir,
Bharata, le plus éloquent des êtres qui ont reçu la voix en
partage, secoua ce _trop''trop vif_vif'' chagrin et répondit en ces termes :
« Cet amour si fort de mon cœur à l'égard de mon père me trouble
en quelque sorte jusqu'à la démence. Néanmoins, fortifié par les
sages conseils de vos saintetés, mes _vénérables_''vénérables'' institutrices,
je dépose mon chagrin et je vais célébrer, _comme''comme il faut_faut'', les
obsèques de mon père. »
 
* * * * *
 
Quand cette nuit fut écoulée, les poëtes _de''de la cour_cour'' et les bardes
_officiels_''officiels'' de réveiller Bharata dans le sommeil et de chanter ses
louanges avec une voix mélodieuse. Soudain les tambours sont battus
à grand bruit, et, d'un autre côté, le souffle des musiciens fait
Ligne 2 125 :
a fait tomber sur ma tête innocente par cette action blâmée dans
tout l'univers ! La couronne impériale, que le droit de sa naissance
avait mise au front de mon père, _flotte''flotte incertaine_incertaine'' maintenant
qu'elle est séparée de lui, comme un navire sans gouvernail erre,
jouet _du''du vent et_et'' des flots. »
 
Après qu'on eut écarté le peuple et que l'astre auteur du jour fut
Ligne 2 148 :
 
Quand il eut déposé le grand roi dans le cercueil, il para le
corps et jeta sur lui une robe précieuse, dont il couvrit l'_auguste''auguste
défunt_défunt'' tout entier. Il étala ensuite une guirlande de fleurs sur
les restes de son père, qu'il parfuma avec les émanations d'un
encens divin ; puis il répandit ''à pleines mains_mains'' autour d'eux
par tous les côtés des fleurs odorantes d'une senteur exquise. Il
souleva le cercueil, assisté par Çatroughna, et le porta désolé,
tout en larmes et répétant à chaque pas : « Où es-tu, mon roi ! Il
s'en ira _donc''donc en cendres vaines_vaines'' ! » Au milieu de ses pleurs et sur un
signe de Vaçishtha, les serviteurs obéissants prirent le cercueil,
qu'ils emportèrent aussitôt d'un pied moins hésitant.
Ligne 2 179 :
 
Un groupe d'amis, les yeux troublés de larmes, souleva ce corps
_glacé_''glacé'' du monarque et le coucha sur le bûcher. Quand ils eurent
élevé sur le bois entassé le dominateur de la terre, vêtu avec une
robe de lin, les brahmes d'amonceler sur le corps tous les vases du
Ligne 2 194 :
cérémonies et les hymnes saints, on étala tout à l'entour du
roi un grand festin de mets divers. Cela fait, Bharata, aidé de ses
parents, ouvrit avec la charrue, _en''en commençant_commençant'' à l'orient, un
sillon pour enceindre la terre où s'élevait ce grand bûcher ;
ensuite il mit en liberté, suivant les rites, une vache avec son
Ligne 2 200 :
la graisse, l'huile de sésame et le beurre clarifié, il appliqua de
sa main le feu au bûcher. Tout à coup la flamme se déroula, et le
feu, développant _ses''ses langues_langues'' flamboyantes, consuma le corps du roi
monté sur le bois entassé.
 
Ligne 2 251 :
 
Quand le dixième jour fut écoulé, le fils du roi s'étant purifié,
offrit au mânes _de''de son père_père'' les oblations funèbres du douzième
et même du treizième jour. Alors, dans ces royales obsèques, il
donna aux brahmes, en vue de son père, une immense richesse, des
Ligne 2 271 :
famille a toujours, depuis Manou, légitimement appartenu à l'aîné
des frères : il ne sied donc point à vos excellences de me parler ce
langage, comme des gens _de''de qui la raison est_est'' troublée. Râma ; celui
des hommes qui sait le mieux à quels devoirs sont obligés les rois ;
Râma aux yeux de lotus mérite, et comme l'aîné de ses frères et
Ligne 2 277 :
en choisir un autre ; c'est lui-même qui sera notre souverain. Que
l'on rassemble aujourd'hui promptement une grande armée, distribuée
en ses quatre corps : j'irai _chercher''chercher avec elle et_et'' ramener des bois
mon frère, ce rejeton vertueux de Raghou. Que _nos_''nos'' ouvriers me
fassent des routes unies dans les chemins raboteux ; et que des hommes
experts dans la connaissance des routes, des lieux et des temps
Ligne 2 285 :
Il dit : alors tous les ministres du feu roi, le poil hérissé de
joie, répondirent à Bharata, qui tenait un langage si bien assorti
au devoir : « Daigne Çri, _appelée''appelée d'un autre nom_nom'' Padmâ, te
protéger, toi, digne enfant de Raghou, qui nous fais entendre ces
paroles et qui veux rendre la couronne à ton frère aîné ! »
Ligne 2 299 :
Ensuite, dans chaque maison, toutes les épouses des guerriers se
hâtent de faire leurs adieux à ceux qui doivent marcher dans cette
excursion, et chacune presse _vivement_''vivement'' le départ de son époux.
Bientôt les généraux viennent annoncer que l'armée est déjà
prête avec ses hommes de guerre, ses chevaux, ses voitures attelées
de taureaux et ses admirables chars légers. À cette nouvelle que
l'armée attend, Bharata, en présence du vénérable _anachorète_''anachorète'' :
« Fais promptement avancer mon char ! » dit-il à Soumantra, debout
à son côté. À peine eut-il reçu l'ordre, que celui-ci mettant à
Ligne 2 324 :
Cent mille chevaux montés de leurs cavaliers suivaient Bharata
dans sa marche, Bharata, le fils de roi et le descendant illustre de
_l'antique_'l'antique'' Raghou.
 
On voyait sur des chars au bruit éclatant s'avancer, et Kêkéyî,
et Soumitrâ, et l'auguste Kâauçalyâ, joyeuses de _penser''penser qu'elles
allaient_allaient'' ramener _le''le bien-aimé_aimé'' Râma.
 
Ensuite le roi des Nishâdas, à la vue de cette armée _si''si
nombreuse_nombreuse'', arrivée près du Gange et campée sur les bords du
fleuve, dit ces paroles à tous ses parents : « Voici de tous les
côtés une bien grande armée : je n'en vois pas la fin, tant elle
est répandue ici et là _dans''dans un immense espace_espace'' ! C'est l'armée des
Ikshwâkides : on n'en peut douter ; car j'aperçois dans un char, loin
d'ici, un drapeau, _où''où je reconnais leur symbole_symbole'', un ébénier des
montagnes. Bharata irait-il chasser ? Veut-il prendre des éléphants ?
Ou viendrait-il nous détruire ? En effet, aucune force d'homme n'est
Ligne 2 358 :
« Dans ce jour même, ou je mettrai fin à une chose des plus
difficiles pour le bien de Râma ; ou je serai gisant sur la terre,
couvert de blessures et souillé de poussière. _Mais''Mais non_non'' ! je saurai
bien repousser devant moi cette armée, qui marche avec tant de
coursiers et d'éléphants, moi, soutenu par le désir d'exécuter
Ligne 2 372 :
vieillard ; il est ami de Râma, il connaît tous les secrets de la
forêt Dandaka. Ainsi, reçois-le en ta présence, lui que t'amènent
de bienveillantes dispositions : _il''il te dira, ce que_que'' sans doute il
sait, en quels lieux habitent Râma et Lakshmana. » À ces paroles de
Soumantra, le prince intelligent dit alors au conducteur de son char :
Ligne 2 380 :
de ses parents, Gouha se présenta devant Bharata, et, s'inclinant,
lui tint ce langage : « Ce lieu est tout à fait, pour ainsi dire, sans
aucune maison et dépourvu _des''des choses nécessaires_nécessaires'' ; mais voilà,
_non''non loin d'ici_ici'', la demeure de ton esclave ; daigne habiter cette
maison, _qui''qui est la_la'' tienne, _puisqu''puisqu'elle est celle_celle'' de ton serviteur.
Nous avons là des racines et des fruits, que mes Nishâdas ont
recueillis, de la chair boucanée ou fraîche, et beaucoup d'autres
Ligne 2 412 :
À Gouha, qui parlait ainsi, Bharata pur à l'égal du ciel tint ce
langage d'une voix suave : « Puisse ce temps n'arriver jamais ! Loin de
moi une telle infamie ! Ne veuille pas me soupçonner _d'inimitié_'d'inimitié''
à l'égard du noble Raghouide ; car ce héros, mon frère aîné, est
égal devant mes yeux à mon père. Je marche, afin de ramener des
Ligne 2 428 :
 
Tandis que les deux rois s'entretenaient ainsi, le soleil ne brilla
plus qu'avec des rayons _près''près de_de'' s'éteindre, et la nuit s'approcha.
 
Quand il eut habité sur la rive de la Gangâ cette nuit seule,
Ligne 2 444 :
sur la rive du Gange, noble enfant de Kakoutstha ? Es-tu, ainsi que
ton armée, dans un état parfait de santé ? Mais cette demande est
_moins_''moins'' l'expression _de''de mon espérance que celle_celle'' de mon désir : en
effet, d'où pourrait venir le repos à ta couche, quand, tourmenté
par ta _pieuse_''pieuse'' tendresse, l'exil de ton frère et la mort du roi
ton père assiègent continuellement ta pensée ; car les peines de
l'esprit et du corps ne chassent point l'amour. »
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troupes montées, il dit, sous l'approbation du pourohita, ces paroles
à Gouha : « Par quelle région nous faut-il gagner la contrée où se
tient _l'ermite_'l'ermite'' enfant de Raghou ? Indique-moi le chemin, Gouha, toi
qui as toujours vécu au milieu de ces forêts. »
 
Ligne 2 494 :
l'endroit habité par le pieux Raghouide était une chose bien connue :
« À partir d'ici, noble fils de Kakoutstha, va droit à la grande
forêt _du''du confluent_confluent'', toute remplie par les multitudes variées des
oiseaux, encombrée de feuilles tendres et vertes, qui tombent rompues
sous le pied des habitants de l'air ; bois, semé de lacs, de tîrthas,
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accompagné, et tes vertus ont gagné toute mon affection. Tu as
dignement honoré dans ma personne ton amitié pour mon frère,
le sage Râma ; et tu m'as prouvé _de''de toutes les manières_manières'' ton
dévouement, ta bienveillance et ton amour. »
 
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des forêts, embellie par un bosquet de bananiers, toute pleine de
gazelles et de reptiles innocents, close enfin d'une jolie porte
basse, qui semblait _en''en ce moment_moment'' la porte ouverte du paradis même.
 
Arrivé sur le seuil de cet ermitage, à la suite du grand-prêtre,
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avec le pourohita. À peine l'ermite aux grandes macérations eut-il
aperçu Vaçishtha, qu'il se leva précipitamment de son siége et dit
à ses disciples : « _Vite_''Vite'' ! la corbeille de l'hospitalité ! »
 
Dès que Vaçishtha se fut mis face à face avec lui et que Bharata
l'eut salué, le solitaire à la splendeur éclatante reconnut
derrière le pourohita ce fils du roi Daçaratha. Le saint, qui était
le devoir, _pour''pour ainsi dire_dire'', en personne, leur offrit à tous les
deux sa corbeille hospitalière, de l'eau pour laver, de l'eau pour
boire, des fruits, et répondit par _d'autres_'d'autres'' politesses aux respects
de toute leur suite.
 
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rafraîchissements qu'un hôte sert devant son hôte.--Ta sainteté
ne l'a-t-elle pas déjà fait, lui répondit Bharata, en m'offrant de
l'eau pour laver, cette corbeille de l'arghya et ces _fruits''fruits mêmes_mêmes'',
présents hospitaliers que l'on trouve dans les forêts ? --Je te
connais, reprit l'anachorète d'une voix affectueuse : de quelque
manière que tu sois traité chez nous, il plaira toujours à ton
amitié pour moi d'en être satisfait. Mais je veux offrir un banquet
à toute cette armée, _qui''qui marche à_à'' ta _suite_''suite'' : ce me sera une joie
de penser, noble prince, qu'elle a reçu de moi ce bon accueil.
 
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Alors il entra dans la chapelle de son feu sacré, but de l'eau,
se purifia, et, comme il avait besoin de tout ce qu'il faut pour
l'hospitalité, il appela _et''et fit apparaître_apparaître'' Viçvakarma lui-même.
« Je veux donner un banquet à mes hôtes, dit-il au céleste ouvrier
en bois venu en sa présence. Qu'on me serve donc _sans''sans délai_délai'' mon
festin ! Fais couler ici toutes les rivières de la terre et du ciel
même, soit qu'elles tournent à l'orient, soit qu'elles se dirigent
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Viçvâvâsou, Hâhâ, Houhou, et les Apsaras célestes, et toutes
les Gandharvîs, Gritâtchî, Ménakâ, Rambhâ, Miçrakéçî,
Alamboushâ, et celles qui servent _le''le fulminant_fulminant'' Indra, et celles qui
servent Brahma lui-même à la splendeur immense ! Je les appelle ici
tous avec Tombourou et leur gracieux cortége ! Ton œuvre à toi,
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tenait encore son âme plongée dans la contemplation, toutes ces
divinités arrivèrent dans son ermitage, famille par famille.
Enivrante de ses parfums naturels mêlés _aux''aux célestes senteurs des
Immortels_Immortels'', une brise, embaumée de sandal, hôte accoutumé des monts
Dardoura et Malaba, vint souffler la délicieuse odeur de son haleine
douce et fortunée. Ensuite, les nuages avec des pluies de fleurs
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des oreilles, on vit au milieu des armées Viçvakarma donner
à chacune sa place dans ces lieux fortunés. La terre s'aplanit
_d''d'elle-même_même'' par tous les côtés dans un circuit de cinq yodjanas
et se couvrit de jeune gazon, qui semblait un pavé de lapis-lazuli
au fond d'azur. Là, s'entremêlèrent des vilvas, des kapitthas, des
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Dans l'instant même, à la voix de Bhraradwâdja, se présentèrent
devant son jeune hôte toutes les rivières, coulant sur une vase de
lait caillé. Une _sorte_''sorte'' de boue jaune pâle enduisait les rivages
aux deux bords et se composait d'onguents célestes dans une variété
infinie, produits tous grâces à la volonté du saint ermite. Au
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Nârada, Toumbourou, Gopa, Pradatta, Soûryamandala, ces rois des
Gandharvas, chantèrent devant Bharata ; et _les''les plus belles des
bayadères célestes_célestes'', Alamboushâ, Poundarikâ, Miçrakéçî,
Vâmanâ charmèrent ses yeux avec leurs danses, à l'ordre obéi de
Bharadwâdja. Il n'était pas un bouquet chez les Dieux, il n'était
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formes de femmes charmantes dans l'ermitage de l'anachorète :
 
_''« Allons ! disaient-elles ; tout est prêt ! _'' Que l'on boive à sa
fantaisie du lait, de la sourâ mêlée d'eau ou de la sourâ pure !
Toi, qui désires manger, savoure ici à ton gré les viandes les plus
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d'Ikshwâkou : le cavalier oublie son cheval ; le cornac oublie son
éléphant. L'armée se trouvait ainsi toute pleine en ce moment
d'hommes ivres ou fous _par''par le vin ou l'amour_amour''.
 
Rassasiés de toutes les choses que l'on peut désirer, parés de
sandal rouge, ravis _jusqu''jusqu'à l'enchantement_enchantement'' par les essaims des
Apsaras, les gens de l'armée jetaient au vent ces paroles : « Nous ne
voulons plus retourner dans Ayodhyâ ! Nous ne voulons plus aller dans
la forêt Dandaka ! Adieu Bharata ! Que Râma fasse comme il voudra ! »
Ainsi parlaient fantassins, cavaliers, valets d'armée, guerriers
combattant sur des _chars''chars ou des_des'' éléphants. Des milliers d'hommes
partout d'éclater en cris de joie : « C'est ici le paradis ! »
s'entredisaient eux-mêmes les suivants de Bharata.
Ligne 2 682 :
 
Les éléphants, les chameaux, les ânes, les taureaux, les chèvres,
les brebis, _en''en un mot_mot'', tous les quadrupèdes et les volatiles, si
différents qu'ils soient par les cris et la marche, furent de même
repus jusqu'à satiété. On n'aurait pas vu là un homme qui n'eût
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mêmes et de sangliers, ici par des amas de mets exquis, les plus
délicats, assaisonnés avec un extrait de fleurs ou nageant dans les
flots _d''d'une sauce_sauce'' douée des plus riches saveurs.
 
Çà et là se tiennent plusieurs milliers de plats d'or, bien lavés,
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les paroles suivantes à ce jeune tigre des hommes : « Cette nuit
s'est-elle écoulée, mon fils, doucement ici pour toi ? Ton peuple
est-il entièrement satisfait de mon hospitalité ? Dis-le moi, _jeune''jeune
homme_homme'' pur de tout péché. »
 
Au saint, qui était sorti de son ermitage dans le nimbe de son éclat
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pensée, le Daçarathide, semblable à un immortel, fit voir à son
épouse les merveilles du mont Tchitrakoûta, comme le Dieu qui brise
les cités en eût montré le tableau à _sa''sa compagne, la divine_divine''
Çatchî. » Depuis que j'ai vu cette délicieuse montagne, Sîtâ, ni
la perte de cette couronne tombée de ma tête, ni cet exil même
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tapis de jeune gazon, et telle un diamant, qui s'imbibe de lumière.
Partout enfin cette montagne, embellie déjà par la variété de ses
arbres, emprunte encore l'éclat _des''des joyaux_joyaux'' à ses hautes crêtes,
parées de métaux, hantées par des troupes de singes et peuplées
d'hyènes, de tigres _ou''ou de léopards_léopards''.
 
« Regarde, pendus aux branches, ces glaives et ces vêtements
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mes désirs, noble dame, sont pleinement satisfaits.
 
« Je dois à mon habitation dans ces forêts de savourer _deux_''deux'' beaux
fruits : d'abord, le payement de la dette que le devoir exigeait de mon
père ; ensuite, une satisfaction donnée aux vœux de Bharata. »
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fleurs, soit à fruits, enfants de ses rivages, parsemée d'admirables
îles et resplendissante de toutes parts comme l'étang de Kouvéra,
pépinière de nélumbos _célestes_''célestes''. Je sens la joie naître dans mon
cœur à la vue de ces beaux tîrthas, dont les eaux sont troublées
sous nos yeux par ces troupeaux de gazelles qui viennent se
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Quand Râma eut fait voir à la fille du roi Djanaka les merveilles du
mont Tchitrakoûta et de ce fleuve, agréable champ de lotus, il s'en
alla _d''d'un autre côté_côté''. Au pied septentrional de la montagne, il vit
une grotte charmante sous une voûte de roches et de métaux, secret
asile, peuplé d'une multitude d'oiseaux ivres de joie ou d'amour,
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délasser de notre fatigue. C'est en quelque sorte pour toi-même que
ce banc de pierre fut disposé là devant toi : à côté, la cime de
cet arbre le couvre _de''de ses rameaux pendants_pendants'' comme d'une crinière
_embaumée_''embaumée'', d'où s'écoule une pluie de fleurs. »
 
Il dit ; et Sîtâ, que la nature seule avait faite toute belle,
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saturée d'amour : « Il m'est impossible de ne pas obéir à ces
paroles de toi, noble fils de Raghou ! Sans doute, c'est pour
l'agrément des créatures que cet arbre étend là son _parasol_''parasol''
fleuri. » À ces mots de son épouse, il s'assit avec elle sur le
siége de pierre et tint ce discours à la belle aux grands yeux :
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kokila. Voici une liane, courbée sous le faix de ses fleurs et
qui cherche son appui sur un arbre fleuri, comme toi, reine, quand
fatiguée tu viens appuyer sur moi tout le poids _de''de ta jeune
personne_personne''. »
 
À ces mots, la noble Mithilienne au doux parler, assise sur les
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Voilà qu'en se promenant avec lui dans cette forêt toute remplie
d'antilopes, Sîtâ vit un grand singe, berger _sauvage_''sauvage'' d'un troupeau
_de''de singes_singes'', et, saisie de frayeur, elle se serra palpitante contre
son époux. Celui-ci enveloppa cette femme charmante dans une
étreinte de ses longs bras, et, rassurant sa tremblante épouse, il
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haché celles-là ; telles autres étaient crues et telles autres
déjà cuites. À la vue de cet ouvrage, le frère du Soumitride fut
satisfait et, _se''se tournant vers_vers'' Sîtâ, lui donna cet ordre : « Que
l'on nous serve à manger ! »
 
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miel et de la viande préparée. Quand elle eut rassasié la faim
de ces deux héros, quand l'un et l'autre se fut purifié, alors et
_seulement_''seulement'' après eux, suivant la règle, cette fille du roi Djanaka
prit enfin sa réfection.
 
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Lakshmana, qui terrasse les héros ennemis, revint dire à son frère :
« C'est une armée en marche ! » Puis, il ajouta ces paroles : « Donne
trêve au plaisir, noble _fils''fils de Raghou_Raghou'' ; fais entrer Sîtâ dans
une caverne ; attache la corde à deux solides arcs et couvre-toi de la
cuirasse. »
Ligne 3 008 :
 
À ces mots d'un frère si dévoué au devoir, si attentif à la
vérité, la pudeur fit rentrer, _pour''pour ainsi dire_dire'', Lakshmana dans ses
membres. À peine eut-il entendu ce langage, que, plein de confusion,
il répondit : « Je le pense, Bharata, ton frère _ne_''ne'' vient ici _que_''que''
pour nous voir. » Et Râma voyant Lakshmana tout confus, se hâta de
lui dire : « C'est aussi mon avis ; ce héros aux longs bras vient ici
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vénérable, il avait pris les devants et s'en allait d'un pied
hâté. Soumantra, de son côté, suivit également Çatroughna d'une
marche vive, car la vue _toute''toute prochaine_prochaine'' de Râma fit naître en
lui-même une joie égale à celle de Bharata.
 
Ce resplendissant taureau _du''du troupeau_troupeau'' des hommes, ce héros aux
longs bras dit à tous les ministres, que son père vivant
traitait avec faveur : « Nous voici, je pense, arrivés au lieu dont
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ce bois coupé, ces racines roulées en bottes, ces habits pendus en
l'air : tout cela, sans doute, est l'ouvrage de Lakshmana. Le chemin
est jalonné par des signes pour _guider_''guider'' ceux qui reviennent à
l'ermitage après que le jour est tombé. C'est de la _chaumière''chaumière de
Râma_Râma'' que je vois monter et se mêler _au''au ciel bleu_bleu'' cette fumée du
feu sacré, que les pénitents désirent alimenter sans fin au milieu
des forêts. C'est donc aujourd'hui que mes yeux verront ce digne
rejeton de Kakoutstha, lui, de qui l'aspect ressemble au port d'un
grand saint et qui remplit _dans''dans ces bois_bois'' les commandements de mon
père ! »
 
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de chars, d'éléphants et de coursiers environnaient de tous les
côtés ; celui, qu'il était presque impossible au monde de voir,
tant les foules _avides_''avides'' se faisaient obstacle l'une à l'autre ; _ce''ce
héros_héros'', mon frère aîné, le voilà donc assis, entouré seulement
par les animaux des forêts ! Lui qui, pour se vêtir, possédait
naguère des habits par nombreux milliers, il n'a donc ici qu'une peau
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dans ses bras, le fit asseoir sur le haut de sa cuisse et lui adressa
même ces questions avec intérêt : « Où ton père est-il, mon ami,
que tu es venu dans ces forêts ? car tu ne peux y venir _sans''sans lui_lui'',
quand ton père vit encore. Va-t-il bien ce roi Daçaratha, fidèle
observateur de la vérité, ce prince continuellement occupé de
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peut dire une parole salutaire.
 
« Tu ne fréquentes pas, _j'espère_'j'espère'', des brahmanes athées ? car ce
sont des insensés, habiles tisseurs de futilités, orgueilleux d'une
science inutile. D'une nature difficile pour concevoir une autre
théologie plus élevée, ils te viennent débiter de vaines
subtilités, après qu'ils ont détruit en eux la vue de
l'intelligence ! As-tu soin d'imiter, jeune taureau _du''du troupeau_troupeau'' des
hommes, la conduite que l'on admire en ton père ? ou montres-tu déjà
même une gravité égale à celle de tes ancêtres ? As-tu soin de
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Alors Bharata, d'une âme troublée et dans une profonde affliction,
fit connaître _en''en ces termes_termes'' au pieux Râma, qui l'interrogeait
ainsi, la mort du roi, son père : « Noble prince, le grand monarque a
délaissé son empire et s'en est allé dans le ciel, étouffé par
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d'arroser avec l'eau des yeux ce héros au grand arc, ce Râma,
le maître de la terre, étendu maintenant sur la terre, comme un
éléphant _couché''couché au bord des eaux_eaux'' et que l'écroulement
d'une berge écrasa dans le sommeil. Mais quand il eut repris sa
connaissance, les yeux baignés de larmes à la pensée de son père
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anachorète, s'étant approché de Sîtâ : « Ton beau-père est mort,
Sîtâ, dit-il, consumé par sa douleur, à cette femme au visage
charmant comme une pléoménie ; et ce _bon_''bon'' Lakshmana a perdu son
père : Bharata vient de m'apprendre ce malheur, que le maître de
la terre nous a quittés pour le ciel. » À cette nouvelle que son
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enfin Râma, qui semblait dans son ermitage un Dieu tombé du ciel. À
l'aspect du prince dans un tel dénûment de toutes les voluptés, ses
royales mères, désolées et _comme_''comme'' irrassasiables de chagrin,
se mirent toutes à verser des larmes et des plaintes éclatantes.
Aussitôt Râma se lève ; il prend de ses mains douces au toucher les
pieds de toutes ses nobles mères, en suivant l'ordre _établi''établi
des préséances_préséances'', et les presse avec les surfaces de ses doigts
veloutés. Les épouses du roi baisèrent le front de Râma et se
mirent à pleurer.
 
Le fils même de Soumitrâ, le corps incliné et la tristesse _au''au
cœur_cœur'', s'avança derrière lui pour saluer toutes ses royales mères
en proie à la douleur.
 
Ligne 3 313 :
« Princesse du Vidéha, la flamme que le malheur frotté sur le
malheur a fait jaillir en ton âme, ravage ici cruellement ta
charmante figure, comme _le''le soleil brûle_brûle'' un nymphée sans eau ! »
 
Tandis que sa mère désolée parlait ainsi, le noble Raghouide,
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toucha ses pieds. Quand Râma eut pressé dans ses mains les pieds
du grand-prêtre, semblable au feu, comme le roi des Immortels,
Indra même, presse des siennes les pieds de Vrihaspati, _le''le céleste
précepteur des Dieux_Dieux'', alors ce rejeton magnanime de Raghou s'assit
avec le vénérable environné d'une immense splendeur. Ensuite,
accompagné des ministres et des guerriers chefs de l'armée, Bharata
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le fils de Kâauçalyâ d'une égale tendresse, applaudirent à
ce discours de Bharata, et, prosternés devant Râma, tous, ils
suppliaient avec lui ce _noble''noble anachorète_anachorète''.
 
Quand Bharata eut cessé de lui parler ainsi, Râma, _continuant''continuant à
marcher_marcher'' d'un pied ferme sur le chemin du devoir, lui répondit ce
discours plein de vigueur au milieu de l'assemblée : « L'homme ici-bas
n'est pas libre dans ses actes ni maître de lui-même ; c'est le
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ont fait un chemin assez long. Les jours et les nuits de tout ce qui
respire ici-bas s'écoulent et tarissent bientôt chaque durée de la
vie, comme les rayons du soleil au temps chaud tarissent l'eau _des''des
étangs_étangs''. Pourquoi pleures-tu sur un autre ? Pleure, _hélas_''hélas'' ! sur
toi-même, car, soit que tu reposes ou soit que tu marches, la vie
se consume incessamment. Les rides sont venues sillonner vos membres,
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plaisir. Les hommes se réjouissent, quand l'astre du jour s'est levé
sur l'horizon : arrive-t-il à son couchant, on se réjouit encore, et
personne, ''à cette heure comme à l'autre_autre'', ne s'aperçoit qu'il a
marché lui-même vers la fin de sa vie ! Les êtres animés ont du
plaisir à voir la fleur nouvelle, qui vient succéder à la fleur
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« Tel qu'un morceau de bois flottant se rencontre avec un morceau
de bois promené dans l'Océan ; les deux épaves se joignent, elles
demeurent quelque peu réunies et se séparent bientôt _pour''pour ne
plus se rejoindre_rejoindre'' : ainsi, les épouses, les enfants, les amis, les
richesses vont de compagnie avec nous dans cette vie l'espace d'un
instant, et disparaissent ; car ils ne peuvent éviter l'heure qui les
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il n'est aucun moyen d'éluder la nécessité ? L'oiseau est fait pour
voler et le fleuve pour couler rapidement : mais l'âme est donnée à
l'homme pour la soumettre au devoir ; les hommes sont appelés _avec''avec
raison_raison'' les attelages du Devoir.
 
« Les âmes, qui ont accompli saintement le devoir, lavées de leurs
péchés par une conduite pure et des sacrifices payés convenablement
aux deux fois nés, obtiennent l'entrée du ciel, où habite Brahma,
l'auteur des créatures. Notre père, _sans''sans aucun doute_doute'', fut admis
au séjour de la béatitude, lui, qui a bien nourri ses domestiques,
gouverné ses peuples avec sagesse et distribué des aliments à la
vertu _indigente_''indigente''. Le ciel a reçu, _n''n'en doutez pas_pas'', ce dominateur
de la terre, qui a célébré mainte et mainte sorte de sacrifices,
savouré toutes les félicités d'ici-bas et prolongé sa vie jusqu'au
Ligne 3 433 :
serait malséant à moi de manquer à son ordre, héros, qui domptes
les ennemis ; et sa parole doit toujours être obéie par toi-même,
car il est notre parent, il est _plus_''plus'', notre père. »
 
À ces mots, Bharata d'opposer à l'instant ce langage : « Combien y
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telle manière que je ne laisse pas ma vie dans cette forêt déserte,
où j'ai vu, d'une âme désolée, un si noble prince habiter avec son
épouse et Lakshmana : _oui''oui, sauve-moi_moi'' ! et prends en main le sceptre
de la terre ! »
 
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« Il ne revient pas dans Ayodhyâ ! » se disait-on ; et le peuple en
ressentait de la douleur, mais il éprouvait du plaisir à lui voir
cette fermeté dans la promesse _donnée''donnée à son père_père''.
 
Bharata, tombant aux pieds de son frère, essaya instamment de le
gagner avec des paroles caressantes.
 
Râma fit asseoir sur _le''le siége musculeux_musculeux'' de sa cuisse le jeune
homme au teint azuré, aux yeux charmants comme les pétales du lotus,
à la voix semblable au roucoulement du cygne, quand il s'avance ivre
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même les trois mondes. Écoute, jeune roi, quels modèles Indra, le
soleil, le vent, Yama, la lune, Varouna et la terre mettent sous
nos yeux dans leur conduite _invariable_''invariable''. Tel qu'Indra fait pleuvoir
durant les quatre mois humides, tel un grand monarque doit inonder son
empire de ses bienfaits. De même que le soleil ravit l'eau huit mois
par la puissance de ses rayons, _il''il faut toujours qu'un roi dise_dise'' :
« Puissé-je amasser ainsi des trésors avec justice ! » c'est le vœu,
qu'on appelle solaire. Comme le vent circule partout et pénètre dans
tous les êtres, il faut qu'un roi s'introduise en tous lieux par
ses émissaires, et c'est la partie de ses fonctions que l'on appelle
_ventale_''ventale''. Tel qu'Yama, une fois l'heure venue, pousse dans la tombe
également l'ami ou l'ennemi ; tel il faut qu'après un mûr examen
tout monarque soit le même pour celui qu'il aime ou celui qu'il
n'aime pas. De même que nous voyons partout Varouna lier ce globe
avec la chaîne des eaux, de même le devoir _appelé_''appelé'' neptunien d'un
roi, c'est d'enchaîner _les''les brigands et_et'' les voleurs en tous lieux.
 
« Tel que l'aspect de la lune brillant à disque plein verse la joie
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et c'est l'obligation royale nommée lunaire. Comme la terre sans
relâche porte également tous les êtres, tel c'est pour un monarque
le devoir _appelé''appelé terrané_terrané'' de soutenir, _sans''sans manquer même au
dernier_dernier'', tous les sujets de son empire.
 
« Qu'il soit le premier à se ressouvenir des affaires, et qu'après
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Aussitôt qu'il vit Bharata venir lui toucher les pieds avec sa tête,
Râma se recula vite, les yeux un peu troublés _sous''sous un voile_voile'' de
larmes. Bharata cependant lui toucha les pieds ; et, pleurant, affligé
d'une excessive douleur, il tomba sur la terre, tel qu'un arbre abattu
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instituteurs et le grand-prêtre du palais. Les lianes elles-mêmes
pleuraient toute une averse de fleurs ; combien plus devaient pleurer
d'amour les hommes, de qui l'âme est _sensible''sensible aux peines_peines'' de
l'humanité !
 
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consumé de chagrin et les yeux baignés de larmes : « Mon ami, c'est
assez ! Allons ! retiens ces larmes ; vois combien la douleur nous
tourmente nous-mêmes : allons ! pars ! _retourne''retourne dans Ayodhyâ_Ayodhyâ'' ! Je ne
puis te voir dans un état si malheureux, toi, le fils du _plus''plus grand
des_des'' rois ; et mon âme succombe, pour ainsi dire, écrasée sous le
poids de sa douleur. Héros, je jure, Sîtâ et Lakshmana le jurent
avec moi, de ne plus te parler jamais, si tu ne reprends le chemin
Ligne 3 562 :
Aussitôt Bharata saisit et chaussa promptement aux deux pieds de son
frère les souliers donnés par l'anachorète et tressés avec les
_tiges''tiges du_du'' graminée.
 
Alors Vaçishtha, orateur habile et qui savait augmenter à son gré
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solennels à ce fils de Raghou, habile dans l'art de parler : « Tigre
des hommes, ô toi, qui es ferme dans tes vœux et comme le devoir
incarné, donne tes souliers à ton frère ; car ils mettront _la''la paix
et_et'' le bonheur dans les affaires au sein d'Ayodhyâ. » À ces mots
de Vaçishtha, le noble Râma se tint debout, la face tournée à
l'orient, et me donna, comme symbole du royaume, les deux souliers
Ligne 3 647 :
de pradakshina autour du pieux ermite, il reprit avec ses ministres le
chemin d'Ayodhyâ ; et l'armée, dans cette marche de retour, étendit,
_comme''comme en allant_allant'', ses longues files de voitures, de chars, de chevaux
et d'éléphants à la suite du sage Bharata.
 
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chaussures, et, consumé de sa douleur, il adressa ce discours à
tous les sujets, répandus en couronne autour de lui : « Apportez
l'ombrelle ! Hâtez-vous d'en couvrir _cette''cette chaussure, qu'ont
touchée_touchée'' les pieds du noble _anachorète_''anachorète'' ! Les souliers, ornés _de''de
cet emblème_emblème'', exerceront ici la royauté. Ma fonction à moi, c'est
de veiller, jusqu'au retour de ce digne enfant de Raghou, sur le cher
dépôt que son amitié même a remis dans mes mains. Un jour,
quand j'aurai pu rendre au noble Râma les souliers saints qu'il m'a
confiés, et ce vaste empire _dont''dont je suis investi_investi'', c'est alors que
je serai lavé de mes souillures dans Ayodhyâ. Une fois l'onction
royale donnée à cet illustre fils de Kakoutstha et le monde élevé
Ligne 3 705 :
Ensuite le beau jeune prince, ayant sacré les deux nobles
chaussures, fit apporter lui-même auprès d'elles le chasse-mouche
et l'éventail, _insignes''insignes de la royauté_royauté''. Et quand il eut donné
l'onction royale aux souliers de son frère dans Nandigrâma, _devenu_''devenu''
la première des villes, ce fut au nom des souliers qu'il intima
désormais tous les ordres.
Ligne 3 733 :
 
Alors, s'inclinant, celle-ci salua cette vénérable Anasoûyâ, ferme
dans ses vœux, et se hâta de lui dire : « Je suis la _princesse_''princesse'' de
Mithila. »
 
Anasoûyâ mit un baiser sur la tête de la vertueuse Mithilienne,
et lui dit ces mots d'une voix que sa joie rendait balbutiante : « Je
veux, de ce pouvoir _surnaturel_''surnaturel'', attribut de la pénitence, trésor
que m'ont acquis différentes austérités, je veux tirer un don
maintenant, Sîtâ, pour t'en gratifier.
 
« Noble fille du _roi_''roi'' Djanaka, tu marcheras désormais ornée de
parures et les membres teints avec un fard céleste, présents de mon
_amitié_''amitié''. À compter de ce jour, le tilaka, signe heureux _que_''que'' tu
_portes''portes sur le front_front'' va durer, n'en doute pas, éternel ; et ce
fard ne s'effacera pas de bien longtemps sur ton corps. Toi, chère
Mithilienne, avec ce liniment que tu reçois de mon _amitié_''amitié'', tu
raviras sans cesse ton époux bien-aimé, comme Çri, la déesse aux
formes charmantes _fait''fait les délices de Vishnou_Vishnou''. »
 
La princesse de Mithila reçut encore avec cet onguent céleste des
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s'attachent les deux carquois sur les épaules, ils prennent les
deux arcs à leur main, ils sortent et s'avancent pour continuer leur
visite à _cette''cette partie des_des'' ermitages _qu''qu'ils n'avaient pas encore
vus''.
vus_.
 
Quand la fille du roi Djanaka vit en marche les deux héros, armés de
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ciel ; ce monde a pour essence le devoir. Le paradis est la récompense
des hommes qui ont déchiré eux-mêmes leur corps dans les
pénitences ; _car_''car'' le bonheur ne s'achète point avec le bonheur. Bel
enfant de Raghou, fais ton plaisir de la mansuétude ; sois dévoué à
ton devoir ! ... Mais il n'est rien dans le monde, qui ne te soit bien
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tu m'as dit ? Eh bien, Sîtâ ! ces anachorètes sont malheureux dans
la forêt Dandaka ! Ces hommes accomplis dans leur vœux sont venus
d'eux-mêmes implorer mon secours, eux secourables à _toutes''toutes les
créatures_créatures'' ! Dans les bois qu'ils habitent, faisant du devoir leur
plaisir, des racines et des fruits leur seule nourriture, ils ne
peuvent goûter la paix un moment, opprimés qu'ils sont à la ronde
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dans les liens de leurs différentes pénitences, ils sont dévorés
au milieu des bois par ces démons féroces, difformes, qui vaguent
dans _l''l'épaisseur des_des'' fourrés.
 
« Ces bonnes paroles, que vient de t'inspirer le dévouement pour moi,
sont telles _qu''qu'on devait s'attendre_attendre'', femme charmante, à les trouver
dans ta bouche, et conformes à la noblesse de ta race. Oui ! ces
paroles, que tu m'as dites, inspirées de l'amour et de la tendresse,
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« Un spectacle si merveilleux a fait naître en nous tous une vive
curiosité. Qu'est-ce que cela, ermite à l'éclatante splendeur ? lui
demandent ces héros fameux : allons ! raconte-nous ce _mystère_''mystère'' ! »
 
À cette question du magnanime fils de Raghou, le solitaire, qui
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de sa pénitence. Ce grand bruit, que vous entendez là, ce sont les
jeux de ces bayadères célestes ; ce sont leurs chansons ravissantes
à l'oreille, qui se marient au _son''son cadencé des_des'' noûpouras et _des_''des''
bracelets. »
 
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d'écorce et des gerbes de kouças. Il entre, accompagné de son
frère et de Sîtâ dans cette enceinte couverte de lianes et d'arbres
variés, où tous les anachorètes _s''s'empressent de_de'' lui offrir les
honneurs de l'hospitalité. Ensuite, dans le cercle fortuné de leurs
ermitages, le Kakoutsthide habita fort à son aise, honoré par chacun
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moitié.
 
Tandis qu'il vivait heureux et savourait ainsi de _candides_''candides'' plaisirs
dans les ermitages des anachorètes, il vit dix années couler pour
lui d'un cours fortuné.
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« Il fut un roi, nommé Daçaratha ; son fils aîné, plein de force,
est appelé Râma : ce prince éminent est ici et demande à voir
l'anachorète. J'ai pour nom Lakshmana ; je suis le _compagnon_''compagnon''
dévoué et le frère puîné de ce resplendissant héros avec lequel
et son épouse je viens ici moi-même pour visiter le saint ermite. »
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Alors, environné de ses disciples, tous vêtus de valkalas
tissus d'écorce et portant des manteaux de peaux noires, le grand
anachorète s'avança hors _de''de la chapelle_chapelle''. À l'aspect de cet
Agastya, le plus excellent des solitaires, qui soutenait le poids
d'une cruelle pénitence et flamboyait comme le feu, Râma dit à
Lakshmana : « C'est Agni, c'est Lunus, c'est le Devoir éternel qui
sort _du''du Sanctuaire_Sanctuaire'' et vient au-devant de nous, arrivés dans son
temple.
 
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À ces mots du solitaire, le héros de Raghou, fort comme la vérité,
de joindre ses deux mains et de répondre au saint en ces paroles
modestes : « Je suis heureux, je suis favorisé _du''du ciel_ciel'', moi, de qui
les bonnes qualités, réunies aux vertus de mon épouse et de
mon frère, ont satisfait le plus éminent des anachorètes et lui
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À ces mots, le plus éminent des oiseaux : « Çyénî mit au monde
une fille avec d'autres enfants mâles : elle fut _nommée_''nommée'' Vinatâ, et
d'elle naquirent deux fils, Garouda et _le''le cocher du soleil_soleil'', Arouna.
 
« Je suis né de ce Garouda avec mon frère aîné Sampâti : sache,
dompteur _invincible_''invincible'' des ennemis, que je suis Djatâyou, _le''le
petit-fils_fils'' de Çyénî. Je serai, si tu le désires, ton fidèle
compagnon ; et je défendrai Sîtâ dans ces bois, quand Lakshmana et
toi vous serez absents. »
Ligne 4 083 :
À ces mots, Lakshmana eut bientôt fait à son frère une très-jolie
chaumière de sa main, qui terrasse les héros des ennemis.
Intelligent _ouvrier_''ouvrier'', il bâtit pour le noble héritier de Raghou
une grande cabane de feuillages charmante, jolie à voir, tout à fait
ravissante. Ensuite, le beau Lakshmana descendit à la rivière de
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incliné, une cruche à la main, le suivait par derrière avec Sîtâ :
« Voici arrivée, seigneur, dit alors celui-ci, une saison qui te fut
toujours agréable, où l'année brille, comme parée de _ses''ses plus
nombreuses_nombreuses'' qualités.
 
« Il gèle ; le vent est âpre, la terre est couverte de fruits ; les
eaux ne donnent plus de plaisir et le feu est agréable. _C''C'est le
temps où_où'' ceux qui mangent de l'offrande, quand ils ont honoré les
Dieux et les Mânes avec un sacrifice de riz nouveau, sont tous lavés
de leurs souillures.
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frappées d'un soleil sans chaleur, couvertes de gelée blanche,
frissonnantes d'un vent froid et piquant, l'éclat des neiges tombées
_la''la nuit_nuit'' fait briller au matin les forêts désertes.
 
« Le soleil, qui se lève au loin et dont les rayons nous arrivent,
enveloppés de la neige ou des brumes, apparaît maintenant sous
l'aspect d'une _autre_''autre'' lune. Sa chaleur, insensible au matin, paraît
douce au toucher vers le milieu du jour ; et, sur le soir, il se colore
d'une rouge qui tourne légèrement à la pâleur.
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« Dans la ville, en ce moment, par attachement pour toi, Bharata,
consumé de sa douleur, Bharata, le Devoir même en personne, se livre
à de _pénibles_''pénibles'' mortifications. Abandonnant et son trône, et
les voluptés, et toutes les choses des sens, se frustrant même de
nourriture, ce noble pénitent couche sur la froide surface de
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grand arc, je te dis adieu, ô le meilleur des hommes ; je retourne
en ma demeure. Il te faut apporter ici une continuelle attention à
l'égard de tous les êtres, fils de Raghou ! j'ai envie, _vaillant_''vaillant''
meurtrier des ennemis, j'ai envie de revoir mes parents et mes amis.
Quand j'aurai vu tous ceux que j'aime, ô le plus grand des hommes, je
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Dans ce moment une certaine Rakshasî, nommée Çoûrpanakhâ,
sœur de _Râvana''Râvana, le_le'' démon aux dix têtes vint en ces lieux d'un
mouvement spontané et vit là, semblable à un Dieu, Râma aux longs
bras, aux épaules de lion, aux yeux pareils aux pétales du lotus.
À la vue de ce prince beau comme un Immortel, la Rakshasî fut
enflammée d'amour ; elle, à qui la nature avait donné un teint
hideux, un caractère méchant, cette ignoble _fée_''fée'', cruelle à
servir, qui marchait toujours avec la pensée de faire du mal à
quelqu'un et n'avait de la femme rien autre chose que le nom.
Ligne 4 202 :
Aussitôt elle prend une forme assortie à son désir ; elle s'approche
du héros aux longs bras, et, commençant par déployer sa nature de
femme, lui tient ce langage avec un _doux_''doux'' sourire : « Qui es-tu, toi
qui, sous les apparences d'un pénitent, viens, accompagné d'une
épouse, avec un arc et des flèches, dans cette forêt impraticable,
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mon épouse ; voici mon frère Lakshmana. Vertueux, aimant le devoir,
je suis venu demeurer dans ces forêts à l'ordre de mon père, à
la voix de ma _belle_''belle''-mère. Ô toi, en qui sont rassemblés tous
les caractères de la beauté, toi, si charmante, qu'on dirait Çri
elle-même, qui se manifeste aux yeux des mortels, qui es-tu donc,
toi, qui, femme craintive, te promènes dans le bois Dandaka, la plus
terrible des forêts ? Je désire te connaître : ainsi dis-moi qui tu
es, quelle est _ta_''ta'' famille, et pour quel motif je te vois errer seule
ici et sans crainte. »
 
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Elle est sans charmes, elle est sans beauté, elle n'est en rien ton
égale ; moi, au contraire, je suis pour toi une épouse assortie et
douée, comme toi, des avantages de la beauté. _Laisse_''Laisse''-moi dévorer
cette femme sans attraits ni vertus, avec ce frère, qui est né
après toi, mais de qui la vie est déjà terminée. Cela fait, tu
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frère puîné, qui a nom Lakshmana, beau, joli à voir, d'un bon
caractère, plein d'héroïsme et qui n'est point marié. Il sera un
époux assorti à cette beauté, _dont''dont je te vois si bien douée_douée'' ; il
est jeune, il a besoin d'une épouse, ses formes sont gracieuses ; il
est d'un extérieur enfin qui plaît aux yeux. »
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grands yeux, la plus jeune de ses deux épouses. »
 
Il dit ; à ces mots de Lakshmana, _qui''qui semblait deviner, sous la
métamorphose de la méchante fée_fée'', ses dents longues et saillantes
avec son ventre bombé, elle prit sottement pour la vérité même ce
qui était une plaisanterie. Aussi courut-elle une seconde fois vers
Ligne 4 282 :
sur la Vidéhaine, qui la regardait avec ses yeux doux, comme ceux du
faon de la gazelle : on eût dit un grand météore de feu qui se rue
dans le ciel contre _la''la belle étoile_étoile'' Rohinî. Aussitôt que Râma
vit la Rakshasî lancée comme le nœud coulant de la mort, il arrêta
la furie dans sa course, et ce héros à la grande force dit avec
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Il dit : à ces paroles de son frère jetées avec colère,
Çoûrpanakhâ répondit ces mots d'une voix que ses larmes rendaient
bégayante : « _J''J'ai rencontré_rencontré'' deux jeunes gens pleins de beauté,
aux membres potelés, à la force puissante, aux grands yeux de lotus,
et doués de tous les signes où l'on reconnaît des rois. Habillés
Ligne 4 344 :
féroces. » Dès qu'il eut ouï ces paroles du héros à la force
sans mesure : « Oui ! » répondit Lakshmana, qui se mit à côté de la
_royale_''royale'' Vidéhaine.
 
Râma sur-le-champ attache la corde à son arc immense, orné
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traversent de part en part les Démons et se plongent dans la terre,
où leur impétuosité les emporte, comme des serpents dans une
_molle_''molle'' taupinière.
 
Les dards luisante revinrent d'eux-mêmes au carquois, après qu'ils
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« Arrache toi-même, Démon nocturne, cette épine qui est venue
s'implanter dans la forêt Dandaka pour y blesser tes Rakshasas.
_Autrement_''Autrement'', moi, qui te parle, je vais jeter là ma vie devant toi,
lâche, qui n'as point de honte, si mon ennemi n'est immolé de ta
main aujourd'hui même ! »
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À sa cruelle sœur, qui l'excitait ainsi à l'audace, le bouillant
Khara de répondre avec ce langage plein de véhémence au milieu des
Rakshasas : « Ce Râma, qui n'est _tout''tout simplement_simplement'' qu'un homme,
un être sans force, n'a point de valeur à mes yeux ; et bientôt,
aujourd'hui même, abattu sous mon bras, il vomira sa vie pour
Ligne 4 452 :
Mérou et décoré avec un or épuré, tout plein d'armes, pavoisé
d'étendards, orné de cent clochettes, rayonnant de toute la
diversité des pierreries, égal au ciel en splendeur, où _l''l'orfévre
habile_habile'' avait sculpté des poissons, des fleurs, des arbres, des
montagnes, le soleil et la lune en or, des troupes d'oiseaux et des
étoiles en argent ; char attelé de vigoureux coursiers, mais doué
Ligne 4 460 :
 
Aussitôt que les Rakshasas à la force terrible virent Khara placé
dans son char, ils se tinrent _attentifs''attentifs à sa voix_voix'', rangés autour
de lui et du vigoureux Doûshana. À la vue de cette grande armée,
pourvue de toutes les armes, sous diverses bannières, Khara joyeux
cria du haut de son char à tous les Rakshasas : « _En''En avant_avant'' !
sortez ! » Soudain toute cette armée, portant massues, lances et
tridents, s'élança hors du Djanasthâna avec un bruit pareil à
Ligne 4 561 :
variés dans les formes.
 
Il en reçut toutes les flèches _d''d'un air impassible_impassible'', comme l'Océan
reçoit les tributs des fleuves. Le corps percé de ces dards cruels,
Râma en fut aussi peu troublé qu'un grand mont n'est ému sous les
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entre elles par aucun lien et qui s'enfonçaient dans le sol de la
terre, après qu'elles avaient traversé les effroyables Rakshasas.
Ailleurs, tranchées par les dards _en''en forme de croissant_croissant'', les têtes
des ennemis tombent par milliers sur la terre, où leur bouche agite
convulsivement ses lèvres pliées.
 
En ce moment, réfugiés sous l'abri du monarque et de _son''son frère_frère''
Doûshana, ces débris s'entassèrent autour d'eux comme un troupeau
d'éléphants. Khara donc, à la vue de ses bataillons maltraités par
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vigueur épouvantable, au cœur plein de courage : « Héros, que l'on
ranime la valeur de mon armée ! Que l'on tente un nouvel effort ! Je
vais précipiter au séjour d'Yama cet _audacieux_''audacieux'' Râma, tout fils
qu'il est du roi Daçaratha ! »
 
Quand Doûshana eut aiguisé leur courage _émoussé_''émoussé'' et rendu à
l'armée sa première confiance, il se précipita vers le rejeton
de Kakoutstha avec la même fureur que jadis le Démon Namoutchi
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les haches, ces rôdeurs impurs des nuits dans une extrême fureur
de lancer tout contre lui. Mais il eut bientôt avec ces dards brisé
toutes leurs armes en morceaux ; puis, de ravir _sans''sans relâche_relâche'' à
coups de flèches dans ce dernier combat le souffle de la vie à ce
reste des Rakshasas. Le héros aux longs bras marchant, comme s'il
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écrasant comme la foudre même du tonnerre, pile et broie les membres
de ses ennemis, le vigoureux Doûshana fondit, pareil au Trépas, sur
le _vaillant_''vaillant'' Râma, tel que jadis on vit le démon Vritra s'élancer
contre le puissant Indra.
 
Ligne 4 637 :
[Note 21: Le Tartare indien.]
 
Le Rakshasa nommé Triçiras, _ou''ou le Démon aux trois têtes_têtes'', se jeta
devant le roi de l'armée défaite, Khara, qui s'avançait le
front tourné vers le vaillant Raghouide, et lui tint ce langage :
Ligne 4 659 :
du vaillant Râma, qui, plein de courroux, jeta ces mots avec
dépit : « J'ai reçu les dards que m'a décochés le nerf de ton arc :
maintenant reste ferme devant moi, _si''si tu l'oses_oses'' ! »
 
À ces mots, le héros irrité de plonger dans la poitrine de
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qu'il fendit le cœur au Démon en y plongeant dix flèches. Le prince
aux yeux de lotus, riant de colère, coupa les trois têtes du monstre
avec six dards acérés. Vomissant un sang _hideux_''hideux'', sa vie tranchée
par les flèches de Râma, il tomba sur la terre comme une grande
montagne dont la chute de ses hautes cimes a précédé la chute.
Ligne 4 692 :
Il banda son grand arc et fit voler sur Râma des flèches
courroucées, reluisantes d'un feu brûlant et toutes pareilles à des
serpents _de''de flammes_flammes''. Mais, tel qu'Indra fend l'atmosphère avec les
gouttes de la pluie, Râma de les briser aussitôt avec ses flèches
de fer, irrésistibles et semblables à des feux pétillants
Ligne 4 713 :
par quatre dards en demi-lune. Dans sa colère, il en dépensa deux
pour jeter le cocher au noir séjour d'Yama, et ce héros à la grande
force en mit sept pour casser l'arc et les traits _aigus_''aigus'' dans les
mains de Khara. Le noble fils de Raghou frappa le joug d'un seul dard
et le coupa net ; il trancha les cinq drapeaux avec cinq traits, dont
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Alors, son arc brisé, ses chevaux tués, son cocher sans vie,
Khara se tint par terre, sa massue à la main et ses pieds fortement
appuyés sur le sol. Soudain, avec la voix _menaçante_''menaçante'' du Rakshasa,
retentissent les roulements des tambours célestes, mêlés aux
mélodieux accents des Immortels dans leurs chars aériens.
Ligne 4 741 :
 
La massue rakshasî tomba, précipitée sur la terre, fendue et
consumée avec ses ornements et ses bracelets, comme un _globe''globe de_de'' feu
allumé.
 
En ce moment le Raghouide à la vigueur indomptable, homicide
_généreux_''généreux'' des héros ennemis, adresse à Khara ce discours d'une
voix terrible : « Ces paroles, que proclamait ta jactance par le désir
impatient de ma mort : « Je boirai ton sang ! » tu les vois démenties
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« Tu es mort ! » Mais son auguste ennemi de couper avec un torrent de
flèches le projectile feuillu dans son vol. Il conçut une brûlante
colère, _un''un désir impatient_impatient'' de tuer Khara dans cette bataille. Tous
les arbres que celui-ci prenait, le noble meurtrier de ses ennemis,
Râma les tranchait l'un après l'autre avec ses flèches aux barbes
Ligne 4 776 :
 
Enfin, baigné de sueur et bouillant de colère, il transperça le
Démon avec un millier de traits dans un _dernier_''dernier'' combat.
 
Aussitôt, mêlé au chant de voix mélodieuses, il se répandit
au sein de l'atmosphère un son de tambours célestes, avec ces
acclamations : « Bien ! bien ! » Une pluie de fleurs tomba au milieu du
champ de bataille sur le front même de Râma, et l'on entendit _le''le
ciel_ciel'' crier à tous les points cardinaux : « Le scélérat est mort ! »
 
Depuis ce temps, Râma joyeux, entre Lakshmana et son épouse, qu'il
avait rassurée, Sîtâ, aux yeux charmants de gazelle, coula dans cet
ermitage une vie agréable, environné des honneurs que lui rendaient
tous les ermites rassemblés _autour''autour de sa personne_personne''.
 
* * * * *
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les nombreuses cicatrices des plaies qu'Aîrâvata[22] lui avait
infligées avec la pointe de ses défenses, et les traces multiples
que le disque _acéré_''acéré'' de Vishnou avait laissées en tombant sur lui
dans ses combats avec les Immortels.
 
Ligne 4 885 :
orné de tous ses drapeaux. Le fortuné monarque des Rakshasas monte
sur le char fait d'or, avec des ornements d'or, allant de sa propre
volonté, _quoique_''quoique'' attelé d'ânes, parés d'or eux-mêmes, avec des
visages de vampires. Ensuite, il dirige sa marche vers _l'Océan_'l'Océan'',
souverain maître des rivières et des fleuves.
 
Ligne 4 911 :
« Tu connais le Djanasthâna, où habitaient Khara, mon frère,
Doûshana à la grande vigueur, Çoûrpanakhâ, ma sœur, Triçiras,
ce Démon vigoureux, _toujours_''toujours'' affamé de chair _humaine_''humaine'', et
d'autres nombreux héros noctivagues, habiles à toucher le but d'un
trait. Ils avaient mis là, suivant mon ordre, leurs habitations et
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au devoir. Là, vivaient quatorze milliers de Rakshasas aux prouesses
épouvantables, qui marchaient à la volonté de Khara et s'étaient
maintes fois signalés en frappant le but _avec''avec le javelot ou la
flèche''.
flèche_.
 
« Or, il est arrivé tout à l'heure que ces démons à la force
Ligne 4 924 :
Râma, qui les a complètement battus dans la guerre.
 
« _Oui_''Oui'' ! Râma seul, à pied, avec son bras d'homme, a couché morts
sur le champ de bataille dans le Djanasthâna par ses flèches,
semblables à des serpents, ces quatorze milliers de Rakshasas, contre
Ligne 4 937 :
avec lui et son bras est armé d'un arc !
 
« Il a, _dis''dis-je_je'', une épouse, célèbre sous le nom de Sîtâ : c'est
une femme aux grands yeux, douée parfaitement de jeunesse et de
beauté, charmante comme Çri même Apadma. Aujourd'hui j'irai, moi !
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rends-toi à l'ermitage de ce Râma, et montre-toi sous les yeux de
Sîtâ. Sans doute, sortant de sa chaumière aussitôt qu'elle t'aura
vu sous la forme de gazelle : « Prenez vivante cette _jolie''jolie bête_bête'' ! »
dira-t-elle à son époux ainsi qu'à Lakshmana. Ces deux héros
partis, l'ermitage reste vide et j'enlève à mon aise _la''la belle_belle''
Sîtâ sans appui, comme l'éclipse ravit à Lunus sa lumière. Avec
le pied léger de la gazelle, ta révérence peut fuir aisément : elle
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vrai, ou tu as mal entendu.
 
« Ayant su que _l'ambitieuse_'l'ambitieuse'' Kêkéyî avait trompé son père,
de qui _toute_''toute'' parole était une vérité : « Je ferai _ce''ce qu'il a
promis_promis'' ! » dit ce héros, le Devoir même en personne, et là-dessus
il partit aussitôt, pour les forêts. C'est par le désir de faire
une chose agréable à Kêkéyî et au roi son père qu'il abandonna
Ligne 4 997 :
défendue par son courage et sa vigueur ? Insensé, c'est comme si tu
voulais ravir sa lumière au soleil ! Quiconque aurait enlevé à Râma
cette épouse d'un sang égal au sien, cette _noble_''noble'' bru du _roi_''roi''
Daçaratha, ne pourrait sauver sa vie, eût-il trouvé même un asile
chez les treize immortels !
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dans toutes les affaires Vibhîshana, le prince des Rakshasas : il
te dira toujours ce qu'il y a de plus salutaire. Consulte aussi
Tridjatâ, _la''la femme anachorète_anachorète'', exempte de tout défaut, parvenue
à la perfection et riche d'une grande pénitence : tu recevras d'elle,
roi des rois, le plus sage conseil. Quant aux affections irritantes,
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des bois sur l'ordre vil d'une femme. Il faut nécessairement que
j'enlève sous tes yeux à cet homme, qui a tué Khara dans la guerre,
cette _belle_''belle'' Sîtâ, aussi chère à lui-même que sa vie ! C'est
une résolution bien arrêtée ! elle est écrite dans mon cœur : les
Asouras et tous les Dieux, Indra même à leur tête ne pourraient l'y
effacer !
 
« _Si''Si tu ne fais pas la chose de bon gré_gré'', je te forcerai même à la
faire malgré toi : quiconque, sache-le, se met en opposition avec
les rois ne grandit jamais en bonheur ! Mais si, _grâces''grâces à toi_toi'', mon
dessein réussit, Mârîtcha, je donne en récompense à ta grandeur
et d'une âme satisfaite la moitié de mon royaume. Tu agiras de telle
sorte, ami, que j'obtiendrai la belle Vidéhaine : le plan de cette
affaire est arrêté de manière que nous devons manœuvrer _de''de
concert, mais_mais'' séparés. Si tu jettes un regard sur ma famille, mon
courage et ma royale puissance, comment pourras-tu voir un danger
redoutable dans ce Râma, de qui l'_univers_''univers'' a déserté la fortune ?
 
« Ni Râma, ni quelque âme que ce puisse être chez les hommes,
Ligne 5 083 :
« Quoi ! on ne livre pas tes conseillers à la mort qu'ils méritent,
eux, à qui les Çâstras commandent, Râvana, de t'arrêter sur le
penchant du précipice, où te voilà monté _pour''pour y tomber_tomber''.
 
« Tu mets plus de légèreté que la corneille à chercher une guerre
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tué d'un coup malheureux, va-t'en vers tes Rakshasas et retourne
dans ton palais, sans que tu aies aventuré ton pied dans une faute à
l'égard de Râma. Je t'ai déjà parlé plus d'une fois, mais, _trop_''trop''
ami des combats, tu ne reçois pas encore mes paroles : que dois-je
faire ? ... Hélas ! je ferai, âme insensée que je suis, je ferai ce
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chose qu'il désire ; possible ou non ! »
 
Quand le Démon Râvana entendit Mârîtcha dire : « Je ferai _ce''ce que
tu veux_veux'', » il se mit à rire et lui tint joyeux ce langage : « Eût-il
une force égale à celle d'Indra même, que pourra-t-il faire ce
Kakoutsthide, qui a perdu son royaume, qui a perdu ses richesses, que
Ligne 5 119 :
 
« Tu es habile dans l'art des prestiges, tu es plein de force et
d'intelligence, ta _forme''forme empruntée de gazelle_gazelle'' est taillée pour
la course : quand tu auras fasciné la Vidéhaine, sois prompt à
disparaître. Mes ordres accomplis et les deux Raghouides égarés
Ligne 5 138 :
lui-même d'un mouvement spontané. » Ils arrivèrent à la forêt
Dandaka, et le roi des Rakshasas bientôt aperçut avec Mârîtcha
l'ermitage du _pieux_''pieux'' Raghouide. Ils descendent alors du char
magnifique, et Râvana tient ce langage à Mârîtcha, en prenant sa
main : « Voici l'ermitage de Râma, qui se montre au loin, environné
Ligne 5 159 :
l'obéissance à ma vie même. »
 
Mârîtcha, qui avait conçu une idée si généreuse et fait _sans''sans
réserve_réserve'' le sacrifice de lui-même, arriva, charmant les âmes, mais
la pensée de la mort occupant son esprit, dans le voisinage de Râma
et de Sîtâ.
Ligne 5 166 :
* * * * *
 
À la vue de cette gazelle, _errante_''errante'' au milieu du bois,
resplendissante du vif éclat de l'or, parée _de''de fleurs_fleurs'', aux flancs
variés d'or et d'argent, au front décoré de jolies cornes d'or,
aux membres ornés par toutes les sortes de gemmes, toute brillante de
Ligne 5 190 :
J'exprime là un atroce désir, malséant à la nature des femmes ;
mais cet animal ravit mon âme jusqu'à l'envie de posséder son corps
_si''si charmant_charmant''. »
 
À ces mots de son épouse bien-aimée, Râma, ce _noble_''noble'' taureau
_du''du troupeau_troupeau'' des hommes, dit alors, tout rempli de joie, au fils de
Soumitrâ : « Vois, Lakshmana, le désir que cette gazelle fit naître
à ma Vidéhaine : la beauté supérieure de son pelage est cause,
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furent tués dans le bois par ce Rakshasa, métamorphosé en gazelle.
 
[Note 24: La tête d'Orion, appelée MRIGAçIRAS, _tête''tête de
gazelle_gazelle'', qui est la forme de cette constellation dans la sphère
indienne.]
 
« Il n'y a point de gazelle d'or ! D'où vient donc ici dans le
monde cette association _contre''contre nature_nature'' de l'or et de la gazelle ?
Réfléchis bien à cela. Cet animal aux cornes de perle et de corail,
lui, dont les yeux sont des pierres précieuses, n'est pas une vraie
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Mais, s'il arrive que ce quadrupède, le plus merveilleux des animaux
à quatre pieds, ne se laisse pas saisir tout vivant, sa peau du moins
nous prêtera un brillant _tapis_''tapis''. J'ai bien envie de m'asseoir dans
mon humble siége d'herbes sur la peau, telle que l'or, de cet animal,
abattu _sous''sous ta flèche_flèche''. »
 
Elle dit ; et le beau Râma, à l'ouïe de ces paroles et à la vue de
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« Cette gazelle ressemble à de l'or épuré : on dirait que ses pieds
sont de corail : des étoiles d'argent sont peintes _sur''sur l'or de son
pelage_pelage'' et deux lunes demi-pleines s'argentent sur ses flancs.
En effet, de qui ne séduirait-elle point l'âme par sa beauté
nonpareille, cette gazelle au corps infiniment gracieux, au visage de
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recommandations à Lakshmana, il courut du côté où se trouvait la
gazelle, bien résolu à lui donner la mort. Son arc orné et
courbé en croissant à sa main, deux grands carquois liés _sur''sur les
épaules_épaules'', une épée à poignée d'or à son flanc et sa cuirasse
attachée sur la poitrine, il poursuivit la gazelle dans la forêt.
Mârîtcha courait dans le bois avec la rapidité du vent ou même
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Lakshmana ! »
 
Mârîtcha, quittant sa forme _empruntée_''empruntée'' de gazelle et reprenant sa
forme _naturelle_''naturelle'' de Rakshasa, ne montra plus, en sortant de la vie,
qu'un corps gigantesque étendu sur la terre. À la vue de ce monstre,
d'un aspect épouvantable, la pensée du Raghouide se tourna vers
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ton frère sans tarder. Dans ce moment où sa vie est en péril, que
feras-tu ici pour moi, qui n'ai pas même une heure à vivre, si tu ne
cours aider l'_infortuné_''infortuné'' Raghouide ? »
 
À la Vidéhaine, qui parlait ainsi, noyée de larmes et de chagrin,
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ici. Ces cris entrecoupés, que tu as entendus, ne viennent point de
sa voix... Râma, dans une position malheureuse, ne laissera jamais
échapper un mot qu'on puisse reprocher à son _courage_''courage'' ! »
 
À ces mots, les yeux enflammés, de colère, la Vidéhaine répondit
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tu espères sans doute que tu m'auras pour amante, puisque tu parles
ainsi ! Mais il n'est pas étonnant, Lakshmana, que le crime soit chez
des hommes tes pareils, qui sont toujours des rivaux _secrets_''secrets'' et des
ennemis cachés ! »
 
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parole injuste dans la bouche des femmes.
 
« Honte à toi ! péris donc, _si''si tu veux_veux'', toi, à qui ta mauvaise
nature de femme inspire de tels soupçons à mon égard, quand je me
tiens dans l'ordre même de mon auguste frère ! »
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retint même son haleine. Aussitôt qu'elle vit s'arrêter le roi
des Rakshasas, venu d'une course impétueuse, la rivière Godâvarî
d'enchaîner soudain son onde _glacée''glacée d'épouvante_épouvante''. On vit courir
_ou''ou s'envoler_envoler'' çà et là, effarouchés par ce Démon, tous les
volatiles et tous les quadrupèdes, qui se trouvaient dans la
Pantchavatî et la forêt de pénitence ou dans le voisinage du
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Il s'arrêta, fixant les yeux sur l'épouse de Râma aux lèvres
_de''de corail_corail'', aux dents brillantes, au visage rayonnant comme une
pleine-lune ; mais alors, délaissée par son époux et Lakshmana,
noyée dans le chagrin et les pleurs, assise dans sa maison de
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fermes, bien potelées, assorties au reste du visage : elles ont un
brillant coloris, une exquise fraîcheur, une coupe élégante,
et rien n'est plus joli à voir, femme _chérie_''chérie'' à la figure
enchanteresse. Tes oreilles charmantes, revêtues d'un or épuré,
mais ornées davantage par leur beauté naturelle, ont une courbe
dessinée suivant les _plus''plus justes_justes'' proportions. Tes mains bien faites
sont azurées comme les pétales du lotus : ta taille est en harmonie
avec tes autres charmes, femme à l'enivrant sourire. Tes pieds,
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beauté céleste : les plantes ont une délicatesse enfantine, et les
doigts une fraîcheur adolescente. D'une splendeur égale aux riches
couleurs du lotus, ils _ne_''ne'' sont _ni''ni moins_moins'' beaux _ni''ni moins_moins'' gracieux
dans leur marche : des étoiles de jais entre les angles rouges de tes
grands yeux nagent dans leur émail pur. Beauté de chevelure, taille
qu'on pourrait cacher dans ses deux mains ! _Non''Non ! _'' Je n'ai jamais vu
sur la face de la terre une femme, une Kinnarî, une Yakshî, une
Gandharvî, ni même une Déesse qui fût égale à toi pour la
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caché sous l'extérieur d'un religieux mendiant, l'honora et lui
offrit tout ce qui sert à l'accueil d'un hôte. D'abord, elle
apporta de l'eau ; elle invita ensuite le _faux''faux brahmane_brahmane'' à manger des
aliments que l'on trouve dans les bois, et dit au scélérat caché
sous une enveloppe amie : « La collation est prête ! » Quand il se vit
alors invité par Sîtâ avec un langage _franc''franc et_et'' sans réticences,
le Démon, ferme dans sa résolution d'enlever par la violence cette
fille des rois, se crut déjà parvenu au comble de ses vœux.
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au vieux monarque.
 
« Je ne dormirai, je ne boirai, je ne mangerai pas, _disait''disait-elle, que
je ne l'aie obtenue_obtenue'' : si Râma est sacré, ce sera la fin de ma vie !
Donne sa vérité à la grâce que tu m'as jadis accordée, seigneur,
dans la guerre des Asouras contre les Dieux. Que cette même
cérémonie soit destinée à sacrer _mon''mon fils_fils'' Bharata ; que Râma
s'en aille aujourd'hui même dans l'horrible forêt, et qu'il y reste
quatorze années ermite, vêtu avec une peau d'antilope noire et un
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« Écoute, prince de Raghou, ce qui m'a été promis par ton père :
« Je donne à Bharata, sans que personne y puisse rien prétendre,
_m''m'a-t-il dit_dit'', le trône de mes ancêtres. Il est donc nécessaire,
fils de Kakoutstha, que tu ailles habiter la forêt neuf ans auxquels
seront ajoutées cinq années : ainsi, pars et sauve du mensonge la
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« Mon époux, ferme en ce qu'il a promis, obéit à sa voix et lui
répondit : « _Je''Je le ferai ! _'' » en présence de son père. Râma est
toujours prêt à donner, jamais à recevoir ; il ne sortira point
de sa bouche une parole qui ne soit la vérité : telle est, _saint_''saint''
brahme, la sûreté de sa promesse, qu'il n'est rien au-dessus d'elle.
Un frère de Râma, né d'une autre mère et nommé Lakshmana, homme
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ce Raghouide à la vive splendeur. Ce frère judicieux, à la grande
vigueur et fidèle à son devoir, Lakshmana suivit avec moi, son arc
à la main, Râma, qui s'en allait _dans''dans le bois de son exil_exil''.
 
« Ainsi, une _seule_''seule'' parole de Kêkéyî nous a bannis tous les trois
du royaume, et nous errons pleins de constance, ô le plus vertueux
des brahmes, dans la forêt profonde. Nous habitons ces bois tout
remplis de bêtes féroces : rassure-toi cependant ; il t'est possible
d'habiter ici. Mon époux va bientôt revenir, m'apportant les plus
beaux fruits de la forêt... Dis-moi donc, _en''en attendant_attendant'', dis-moi
quel est ton nom, ta famille et ta race, suivant la vérité. Pourquoi
vas-tu seul ainsi dans la forêt Dandaka ? Je ne doute pas, saint
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conversation et se plaît dans la compagnie des ascètes. »
 
À ces mots de Sîtâ, la _charmante_''charmante'' épouse de Râma, le vigoureux
Démon, blessé par une flèche de l'Amour, lui répondit en ces
termes : « Écoute qui je suis, de quel sang je suis né ; et, quand tu
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était le fils de Brahma, et moi, femme, je suis le petit-fils
de Poulastya. J'ai reçu de l'Être existant par lui-même un don
_incomparable_''incomparable'', celui de prendre à mon gré toutes les formes et
de marcher aussi vite que la pensée. Ma force est renommée dans le
monde : on m'appelle aussi Daçagrîva[25] ; mais le nom de Râvana est
_encore''encore plus_plus'' célèbre, femme au candide sourire, et je le dois à la
nature de mes œuvres[26].
 
[Note 25: C'est-à-dire _Decem''Decem habens colla_colla''.]
 
[Note 26: _Râvana_''Râvana'' veut dire _qui''qui fait pleurer_pleurer''.]
 
« Sois donc la première de mes épouses, auguste Mithilienne, sois à
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montagne et l'Océan se répand à l'entour. Elle est ornée de hauts
pitons faits d'or épuré, elle est ceinte de fossés profondément
creusés, elle porte _comme_''comme'' une aigrette de palais et de belles
terrasses. Non moins célèbre dans les trois mondes qu'Amarâvatî,
la cité d'Indra, c'est la capitale des Rakshasas, de qui le teint
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yodjanas. Là, tu pourras te promener avec moi, Sîtâ, dans ses
riants bocages ; et tu n'auras plus aucun désir, noble dame, de
_revenir''revenir jamais_jamais'' habiter ces bois. »
 
À ces mots de Râvana, la charmante fille du roi Djanaka répondit
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forme naturelle avec son long cou et son corps de géant. À l'instant
ce noctivague Démon, frère puîné de Kouvéra, dépouillant ses
placides apparences de religieux mendiant, rentra dans la _hideuse_''hideuse''
réalité de son extérieur, semblable à celui de la Mort. Il avait
un grand corps, de grands bras, une large poitrine, les dents du lion,
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tu n'as jamais entendu parler, je pense, de ma force sans égale ! Me
tenant au sein des airs, je pourrais enlever la terre à la force
de mes bras ; je pourrais même tarir l'Océan _comme''comme une coupe_coupe'' :
je pourrais tuer la Mort, si elle combattait avec moi ! Je pourrais
offusquer le soleil de mes flèches aiguës ; je pourrais fendre
même la surface de la terre ! Vois donc, insensée, que je suis _ton_''ton''
maître, que je prends à mon gré toutes les formes, et donne à qui
je veux les biens que l'on désire ! »
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Au même instant apparut de nouveau le char de Râvana, ouvrage de la
magie, vaste, céleste, au bruit éclatant, aux membres d'or, attelé
de ses ânes _merveilleux_''merveilleux''. Le ravisseur, menaçant la Vidéhaine avec
une voix forte et des paroles brutales, la prit alors dans son sein et
la plaça dans son char : c'était l'époque de l'année où la nuit
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l'audition des Védas. Enlevée par ce monstre, la sage Mithilienne
appelait, bourrelée de chagrin : « À moi, criait-elle, mon époux ! »
mais son mari errait au loin dans les bois _et''et ne pouvait l'entendre_entendre''.
 
* * * * *
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En ce moment, sur le plateau d'une montagne, dans la forêt aux
retraites diverses, dormait, le dos tourné au soleil enflammé, le
monarque des oiseaux, _Djatâyou_''Djatâyou'', à la grande splendeur, au grand
courage, à la grande force. Le roi des oiseaux entendit cette plainte
comme le son d'une voix apportée dans un rêve, et cette lamentation,
entrée dans le canal de ses oreilles, vint frapper violemment son
cœur, comme la chute du tonnerre. Réveillé en sursaut par sa
_vieille_''vieille'' amitié pour le roi Daçaratha, il entendit le bruit d'un
char qui roulait avec un son pareil au fracas des nuages.
 
Ligne 5 831 :
épouse ?
 
« Lâche promptement l'_auguste_''auguste'' Vidéhaine, ou je vais te consumer de
mon regard épouvantable, _destructeur_''destructeur'', incendiaire, comme Vritra fut
consumé par le tonnerre de Mahéndra ! Ne vois-tu pas que tu as lié
au bout de ta robe un serpent à la dent venimeuse ? Ne vois-tu pas que
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À ces mots, prononcés avec tant de justesse par le vautour
Djatâyou, les vingt yeux du Rakshasa irrité brillèrent menaçants
et pareils au feu. Avec des regards enflammés de colère, _agitant_''agitant''
ses pendeloques d'or épuré, le monarque des Rakshasas s'élança
furieux sur le roi des oiseaux.
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Voici donc l'oiseau, frappant et de son bec et de ses ailes, ayant
pour troisième arme ses pattes crochues, et Râvana à la grande
force, qui luttent _sans''sans peur_peur'' l'un contre l'autre.
 
Le Démon fit pleuvoir sur le roi des vautours ses flots
épouvantables de traits, de javelots, de flèches en fer aux pointes
aiguës, aux barbes alternées. Le monarque des oiseaux, enveloppé
dans ces réseaux de flèches, reçut dans le combat _sans''sans bouger_bouger'' ces
dards coup sur coup de Râvana ; mais ensuite, enflammé de colère,
déployant son immense envergure telle qu'une montagne, il s'abattit
Ligne 5 872 :
 
Le volatile aux grandes serres s'éleva dans les cieux, et, dressant
les deux ailes sur la tête _de''de son ennemi_ennemi'', il en battit avec une
fureur acharnée le front du Rakshasa. Puis, soudain l'oiseau-roi de
briser dans ses pattes l'arc avec la flèche de son rival ; et, quand
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davantage ! »
 
À ces paroles _fières_''fières'', le plus éminent des oiseaux lui répondit
sans émotion : « Montre-moi donc ici tout ce que tu as de force, de
vigueur, de puissance et ton _plus''plus grand_grand'' courage : cruel, tu ne t'en
iras pas vivant ! Ravisseur des épouses d'autrui, âme impatiente,
vendue au mensonge, amie de la cruauté, tu brûleras dans
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mettaient le noctivague en morceaux. Saisi par les ongles acérés,
le Démon s'agitait de tous les côtés, comme un éléphant se remue
_avec''avec impatience_impatience'', quand le conducteur est monté dessus _et''et lui fait
sentir sa pointe_pointe''. Avec ses griffes, le roi des oiseaux lui sillonna
tout le dos ; avec ses griffes et les blessures de son bec tranchant,
Djatâyou laboura le cou entièrement. Avec les armes que lui
donnaient son bec, ses pattes crochues et ses _grandes_''grandes'' ailes, il
arracha les rudes cheveux du monstre et lui fit sentir la douleur dans
tous les yeux de ses dix têtes.
Ligne 5 959 :
 
Ce nouveau combat entre ces deux athlètes d'une force prodigieuse, ne
dura qu'un instant. En effet, Râvana, _dégagé_''dégagé'', leva son épée, il
perça le flanc, il coupa les deux pieds, il trancha les deux ailes de
l'oiseau, qui luttait si vaillamment pour la cause de Râma. Ses
Ligne 5 966 :
 
Quand elle vit l'oiseau gisant sur le sol et baigné de sang, la
Vidéhaine, _profondément_''profondément'' affligée, courut à lui comme elle eût
fait pour son époux. Le roi de Lankâ contemplait ce vautour à
l'âme généreuse, la poitrine toute blanche, le reste du corps
Ligne 5 982 :
main, le Kakoutsthide ignore sans doute quel monstre vint ici ! »
 
Une et deux fois elle appela Râma, et _Kâauçalyâ_''Kâauçalyâ'', sa belle-mère,
et Lakshmana lui-même : la tremblante Vidéhaine leur jetait _en''en vain_vain''
ces appels redoublés. Le monarque des Rakshasas courut alors vers
sa captive, le visage pâle d'effroi, les parures et les bouquets de
Ligne 5 990 :
sa douce voix ces cris répétés : « Sauve-moi ! sauve-moi ! »
 
Mais lui, pareil à la mort, il saisit par les cheveux _comme_''comme'' pour
trancher sa vie, cette femme consternée, à la voix expirante,
isolée de son époux dans ces bois. À la vue de cette violence
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qu'elle a percé un sombre nuage.
 
Un pied de la _belle_''belle'' Vidéhaine laissa échapper son bracelet, qui
tomba sur la terre, éclatant comme le feu et pareil à un disque
d'éclairs.
Ligne 6 022 :
rompit au milieu du sein et parut dans sa chute comme le Gange, qui
se répand du ciel sur la terre. Battus par le vent, tous les arbres,
habités par les familles des oiseaux _les''les plus_plus'' variés, semblaient
dire avec le bruit de leurs cimes émues : « Ne crains pas ! ne crains
pas ! »
Ligne 6 028 :
Irrités contre son ravisseur, les lions, les tigres, les éléphants,
les gazelles couraient après Sîtâ dans la grande forêt et
marchaient tous _pêle''pêle-mêle_mêle'' derrière son ombre. Quand le soleil
consterné vit ce rapt de _l'auguste_'l'auguste'' Vidéhaine, son disque pâlit et
son brillant réseau de lumière disparut.
 
Ligne 6 037 :
ciel toutes les créatures, à la vue de cette violence infligée à
l'illustre Vidéhaine, qui appelait de sa voix aux syllabes douces :
« Hâ ! Lakshmana ! ... à moi, Râma ! » et qui jetait, _hélas''hélas ! toujours
en vain_vain'', des regards multipliés sur toute la surface de la terre.
 
* * * * *
Ligne 6 051 :
toi, âme corrompue, qui le fis écarter de sa chaumière avec ce
prestige d'une gazelle, ouvrage de la magie ! Tu montres bien ici, roi
des Rakshasas, ton courage sans pareil ! Tu m'as conquise, _vraiment_''vraiment'' !
dans un noble combat, où ton nom fut proclamé ''à haute voix_voix'' ! Ce
cri, qui ressemblait à la voix de Râma, ce cri de détresse, qui
déchira mon cœur, n'était qu'un artifice de toi ! Comment n'as-tu
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rapt d'une femme en l'absence de son mari !
 
« Râma fut éloigné ainsi _de''de l'ermitage_ermitage'' : toi, voici que tu fuis !
alors, qu'est-il possible de faire ? Attends un instant, et tu ne t'en
iras pas avec le souffle de la vie ! »
Ligne 6 089 :
 
Parvenu dans sa grande cité aux larges rues bien distribuées, il
déposa enfin sa victime, comme Mâya l'Asoura déposa jadis _la''la
Déesse_Déesse'' Mâyâ. Le monarque aux dix têtes appela des Rakshasîs
à l'aspect épouvantable et leur intima ses volontés pour la
surveillance de sa captive : « Consacrez, dit-il à ces furies, qui
toutes, debout et réunies devant lui, tenaient leurs deux paumes
rassemblées en coupe ''à la hauteur du front_front'' ; consacrez sans
négligence toute votre attention à faire que personne en ces lieux,
ni homme ni femme, ne parle à cette Vidéhaine sans ma permission.
Donnez-lui tout ce qu'elle désire en parfums, fourrures,
habillements, or, pierreries ou perles ; je l'accorde... _Ne''Ne l'oubliez
pas_pas'' ! elle n'attache aucun prix à sa vie, celle qui dira jamais,
sciemment ou même à son insu, une parole qui soit désagréable à
_ma_''ma'' Vidéhaine ! »
 
* * * * *
Ligne 6 125 :
aujourd'hui cette crainte que Sîtâ ne veuille plus supporter le
poids de sa vie. Va donc promptement, fils de Vasou, console Sîtâ,
entre chez elle et présente-lui _de''de ma part_part'' ce vase de beurre
céleste et clarifié. » À ces mots, le Dieu Indra partit,
accompagné du Sommeil, pour la ville soumise aux lois de Râvana.
_Ils''Ils arrivent_arrivent'', et le saint meurtrier du _mauvais''mauvais Génie_Génie'' Pâka dit
à son compagnon : « Sommeil, trouble ici les paupières des femmes
Rakshasîs ! » Invité de cette manière, le Dieu qui préside au
Ligne 6 141 :
frère d'une bonne santé. Un jour, ce prince équitable viendra
lui-même dans cette Lankâ, soumise aux lois de Râvana. Environné
d'ours et de singes par milliers de kotis, ce _digne_''digne'' enfant de
Raghou, accompagné de son frère et suivi de son armée, t'emmènera
dans sa ville, après qu'il aura fait mordre la poussière à tous
les Rakshasas, grâce à la vigueur de son bras, et tué Râvana même
dans une bataille. _Oui_''Oui'' ! Djanakide, vainqueur de Râvana et de son
armée, ce puissant guerrier t'emmènera de ces lieux sur le char
Poushpaka : étouffe le souci qui te ronge le cœur ! Pour en assurer le
Ligne 6 199 :
Quand il songeait aux moyens avec lesquels Mârîtcha l'avait écarté
de sa chaumière ; à la manière dont cette gazelle d'or, frappée de
sa flèche, avait laissé voir le Rakshasa, _qui''qui s'était caché dans
ses formes_formes'' ; au cri, que le Démon avait jeté _en''en expirant_expirant'' : « À
moi, Lakshmana ! ..... Je suis mort ! ..... » Cette voix, _imitant''imitant la
mienne_mienne'', se disait-il plein d'angoisse, a dû procurer aux Rakshasas
cette favorable occasion qu'ils désiraient bien trouver ! Daigne
le ciel garder Sîtâ délaissée dans la grande forêt ; car leur
Ligne 6 209 :
 
Tandis qu'il agitait ces réflexions en lui-même, le Raghouide
_inquiet_''inquiet'' rencontra Lakshmana accourant à sa rencontre avec une
splendeur éteinte. À ce héros triste, abattu, consterné, le visage
altéré, Râma encore plus consterné lui-même de jeter ces mots
Ligne 6 229 :
la belle Mithilienne à titre de dépôt dans cette forêt déserte,
infestée par les Rakshasas, comment s'est-il fait que tu l'aies
abandonnée pour venir me trouver ? Ton arrivée _inattendue_''inattendue'' vers moi,
après ce délaissement de Sîtâ, a troublé véritablement toute mon
âme en y jetant _soudain_''soudain'' le soupçon d'un horrible forfait. À
peine t'eus-je aperçu de loin marchant au milieu des bois sans être
accompagné de Sîtâ, que je sentis battre mon cœur, Lakshmana,
Ligne 6 241 :
que je suis venu, abandonnant Sîtâ. Elle m'en a donné l'ordre
elle-même, et là-dessus je suis parti. En effet, ces mots :
« Lakshmana, sauve-moi ! » ce cri, que le noble _Démon_''Démon'' avait jeté au
loin à travers une vaste expansion, est tombé dans l'oreille de la
Mithilienne. À ce cri de détresse, elle, inquiète dans sa tendresse
Ligne 6 255 :
parole : « Sauve-moi ! » Pour quelle raison et par quelle bouche,
imitant la voix de mon frère, furent jetés ces mots étranglés :
« Sauve-moi, fils de Soumitrâ ? » _C''C'est là précisément ce dont
je me défie ! _'' Loin de toi ce trouble, où je te vois tombée ! Sois
tranquille ! N'aie point d'inquiétude ! Il n'existe pas dans les trois
mondes un homme qui puisse vaincre ton époux dans un combat : _oui_''oui'' !
il est impossible à nul être, soit né, soit à naître, de gagner
sur lui une bataille ! »
Ligne 6 282 :
les côtés, Râma dit encore, poussant des cris et levant au ciel ses
deux bras luisants : « Si cachée derrière un arbre, Sîtâ, tu veux
rire de mon _inquiétude_''inquiétude'', que la vive douleur, où ton absence m'a
jeté, noble Dame, suffise à ton badinage ! ... Sîtâ aime à jouer
avec ces faons apprivoisés de gazelle ; mais tu ne vois point ici avec
Ligne 6 296 :
ces Démons habiles à changer de formes. Vois ces traces, fils
de Soumitrâ ! Elles signalent ici un combat livré à cause de ma
Vidéhaine, que deux Rakshasas _impurs_''impurs'' se disputaient. Que devint,
_hélas_''hélas'' ! entre ces deux noctivagues, qui se battaient pour elle, son
visage, dont l'éclat sans tache ressemble à l'astre des nuits ?
 
Ligne 6 304 :
terre ! À qui était cette armure, qui gît non loin brisée, cuirasse
d'or aux ornements de pierreries et de lapis-lazuli, brillante comme
le soleil dans sa jeunesse _du''du matin_matin'' ? À qui fut ce parasol zébré
de cent raies, mon ami, et rehaussé d'une céleste guirlande de
fleurs, que tu vois là jeté sur la terre, avec un sceptre cassé ?
Ligne 6 333 :
les viviers fleuris de ce mont aux cimes nombreuses, couvert par des
centaines de métaux divers ; mais ils ne purent nulle part rencontrer
celle _qu''qu'ils cherchaient_cherchaient''.
 
Enfin, ils aperçurent, couché sur la terre, baigné de sang et ses
Ligne 6 339 :
d'une montagne. À la vue de ce volatile, Râma tint ce langage à son
frère : « On ne peut en douter, ma Vidéhaine fut dévorée ici par
ce _monstre_''monstre'' ! Ce vautour est sans doute un Rakshasa qui erre dans la
forêt avec cette forme empruntée : il fait ici la sieste à son aise,
bien repu de ma Sîtâ aux grands yeux !
Ligne 6 410 :
circonstance à laquelle Râvana ne fit alors aucune attention. »
 
[Note 29: C'est-à-dire _la''la trouveuse_trouveuse''.]
 
Tandis que l'oiseau mourant parlait ainsi à Râma, il s'agitait sans
Ligne 6 425 :
 
À la vue du volatile gisant, la vie éteinte, comme une montagne
_écroulée_''écroulée'', Râma dans le plus amer des chagrins, dit ces mots
au fils de Soumitrâ : « Cet oiseau, qui parcourut de si nombreuses
années la forêt Dandaka et qui demeurait tranquillement ici dans le
Ligne 6 448 :
les deux fils du plus noble des hommes descendent à la rivière
Godâvarî, et présentent de nouveau l'onde funèbre aux mânes
du roi des vautours. Honoré de ces pieuses obsèques par ce _royal''royal
anachorète_anachorète'', semblable à un grand rishi, l'âme du monarque emplumé
qui avait affronté une entreprise si glorieuse, mais si difficile,
et reçu la mort en combattant, parvint à la voie sainte, suprême et
Ligne 6 481 :
très-fauve, long, vaste, large, immense, placé dans la poitrine, et
dont la vue embrassait une distance infinie. Détruisant tout et
d'une force _sans''sans mesure_mesure'', il dévorait les ours farouches et les
plus grands éléphants : jetant çà et là ses deux bras horribles
et longs d'un yodjana, il empoignait dans ses mains les divers
Ligne 6 489 :
lieue seulement, qu'ils furent saisis par ce colosse aux longs bras.
Embrassés fortement par le monstre que tourmentait la faim, les deux
héros, entraînés vers le _tronc''tronc difforme_difforme'', virent alors ses bras
semblables à des massues ou pareils aux trompes des plus grands
éléphants ; ses bras, couverts de poils aigus avec des mains armées
Ligne 6 501 :
de toute leur force. Alors ce Dânava redoutable, Kabandha aux longs
bras, dit à ce couple de frères, armés d'arcs et de flèches : « Qui
êtes-vous, _guerriers_''guerriers'' aux épaules de taureaux, qui portez des arcs
et de grandes épées ; vous, qui êtes venus dans ces bois horribles
et vous êtes approchés de moi pour être ma pâture ? Dites-moi et
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À ces mots du cruel Kabandha, l'aîné des Raghouides, le visage
glacé _d'épouvante_'d'épouvante'', dit à son frère : « Nous sommes tombés d'une
infortune dans un plus grand malheur ; désastre épouvantable et sûr,
où nous perdrons la vie sans avoir eu même le bonheur de recouvrer
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formes-ci tout à fait contraires. C'est le venin d'une malédiction
qui a changé mes attraits en cette difformité hideuse, repoussante,
qui inspire la terreur à tous les êtres et telle enfin _que''que vous
voyez''.
voyez_.
 
« Ma beauté fut célèbre dans les trois mondes, elle était au
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Çoukra, la lune, le soleil et Vrihaspati étaient réunis dans une
seule personne. Je suis un Dânava, mon nom est Danou, je suis le
fils moyen de Lakshmî, _déesse''déesse de la beauté_beauté'' : apprends que c'est la
colère d'Indra qui m'a revêtu de ces formes hideuses.
 
« Une terrible pénitence me rendit agréable au père des créatures :
il m'accorda une longue vie en récompense, et ce don remplit mon âme
_d''d'un vain orgueil_orgueil''. « Maintenant qu'une longue vie m'est donnée,
pensai-je, qu'est-ce qu'Indra peut me faire ? » et là-dessus je
défiai Indra même au combat. Mais son bras, déchaînant sur moi sa
foudre aux cent nœuds, fit rentrer dans mon corps et ma tête et mes
jambes. Je le conjurai en vain _de''de me donner la mort_mort'', il ne voulut
pas m'envoyer au noir séjour d'Yama : « Non ! dit-il, que la parole de
Brahma subsiste dans sa vérité ! »
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« Alors, devenu ce que tu vois, rejeté hors de ma beauté, avec ma
splendeur éteinte, je dis au roi des Immortels, en réunissant les
paumes de mes deux mains à _l''l'endroit où n'était plus_plus'' mon front :
« Transformé par la foudre, les jambes tronquées et ma bouche
rentrée dans mon corps avec ma tête, comment puis-je sans manger
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me donner la mort, suivant les paroles que m'a dites l'habitant du
ciel. Je veux me lier de société avec vous, hommes éminents, et
jurer à vos grandeurs une _éternelle_''éternelle'' amitié, en prenant le feu
même à témoin. »
 
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quelque chose dans la vérité. Il te sied d'agir ainsi par compassion
pour nous, errants, malheureux, accablés de chagrins et voués
nous-mêmes au secours des _opprimés_''opprimés''. »
 
À ces mots de Râma composés de syllabes attendrissantes, Danou,
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Soudain, secouant les cendres du bûcher, s'envola rapidement au sein
des cieux le beau Danou, joyeux, paré de tous ses membres, regardant,
_comme''comme un Dieu_Dieu'', sans cligner ses paupières et portant sur des habits
sans tache une guirlande de fleurs cueillies sur l'arbre céleste
Santâna. Autour de lui flottait sa robe lumineuse, immaculée ; et,
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l'âme et les yeux.
 
_L''L'être fortuné_fortuné'' qui marchait dans les cieux _et''et qui naguère
était_était'' Kabandha : « Apprends, fils de Raghou, dit-il à Râma, qui
doit un jour te rendre Sîtâ. Près d'ici est une rivière nommée
Pampâ, dans son voisinage est un lac ; ensuite, une montagne appelée
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ne tarde pas à faire de lui ton ami : avec lui pour allié, je vois
ton entreprise bientôt couronnée du succès. Lève-toi, homme pieux ;
mets-toi en route à l'instant et va, tandis que le _flambeau''flambeau du_du''
soleil est allumé, t'aboucher avec le monarque reconnaissant des
singes. »
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au glorieux Kabandha, qui planait dans le sein des airs. « Et vous
aussi, allez, répondit le Dânava, pour le succès de l'affaire
_où''où vous êtes engagés_engagés''. » Ainsi congédiés, les deux rejetons de
Kakoutstha rendent leurs hommages à Danou et partent bien contents.
 
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des lieux couverts de montagnes, dont les arbres étaient chargés de
fruits doux comme le miel. Après une station d'une seule nuit sur
le dos _gazonné_''gazonné'' des montagnes, ces héros continuent leur voyage le
premier jour dès l'aube naissante.
 
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et bleu-foncé, à l'aspect de cette Pampâ, bien ravissante et comme
enflammée par des lotus brillants à l'égal du soleil dans son
enfance _du''du matin_matin''. En contemplant cette rivière limpide, fortunée,
charmante à voir, ces deux héros à l'immense vigueur furent
enivrés d'une joie aussi vive que Mitra et même Varouna, ce jour
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La vue de ces deux magnanimes héros jetait dans une extrême
inquiétude Sougrîva et ceux qui suivaient sa fortune. L'esprit
assiégé de _mille_''mille'' pensées, le roi des singes résolut de quitter
la montagne. Observant que ces deux héros paraissaient d'une vigueur
immense et porter des arcs formidables, il ne pouvait calmer son âme ;
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apparences d'un religieux mendiant, et, commençant par les
flatter suivant l'étiquette, il adressa aux deux héros ce langage
_insinuant_''insinuant'' : « Pénitents aux vœux parfaits, vous qui ressemblez
au roi des Immortels, comment, anachorètes des bois, vos grandeurs
sont-elles venues dans cette contrée où vos pas jettent l'épouvante
parmi les troupes des gazelles et les autres habitants des forêts ;
vous, ascètes, de qui les yeux contemplent de tous côtés les arbres
nés sur les rives de la Pampa, et qui n'êtes pas _en''en ce moment_moment''
le moins bel ornement de cette rivière aux ondes fraîches ? Qui
êtes-vous donc, vous, qui, remplis de force, êtes revêtus d'un
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pensée lui peignit en ce moment Sougrîva, l'âme troublée de
chagrin. Le singe alors de raconter, et le nom, et la forme, et l'exil
de son maître _sur''sur le mont Rishyamoûka_Rishyamoûka'', et de porter enfin toute
l'histoire de son roi à la connaissance de Râma, dans une assez
longue extension.
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asservi à la vérité : je l'accompagnai ; et Sîtâ, son épouse aux
grands yeux, le suivit elle-même dans l'exil, comme la lumière à la
fin du jour suit, _dans''dans l'autre hémisphère_hémisphère'', le soleil aux clartés
flamboyantes. Plongé dans une vaste mer de chagrins, quoiqu'il fût
digne du bonheur, le grand monarque, père de ce héros et l'essence
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m'attachent à son service. Dans le temps que ce prince à la vive
splendeur habitait, dépouillé de sa couronne et banni, dans les bois
_déserts_''déserts'', un Rakshasa mit la fraude en jeu pour lui dérober
son épouse. Mais il ne connaît pas le Démon ravisseur de sa
bien-aimée. Il est un fils de Lakshmî, nommé Danou, et tombé dans
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suit : « Les hommes, doués d'intelligence, secourables aux créatures,
qui ont dompté la colère, qui ont vaincu les organes des sens, qui
sont tels que vous êtes, _méritent''méritent de_de'' gouverner la terre. »
 
Il dit ; et, quand il eut d'une voix douce prononcé gracieusement ces
mots : « Allons, reprit-il, où m'attend le singe Sougrîva. En guerre
déclarée avec son frère, en butte aux vexations répétées de
Bâli et renversé du trône, _comme''comme toi_toi'', ce prince, qui s'est vu
aussi ravir son épouse, tremble _sans''sans cesse_cesse'' au milieu des bois.
Accompagné de nous, Sougrîva, compatissant aux peines de Râma,
_ne''ne peut manquer de_de'' s'associer à vous dans la recherche de la
Vidéhaine. »
 
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voir Sougrîva. » À ces mots, le fils du Vent, Hanoûmat au grand
corps s'en alla, portant les deux héros, où Sougrîva se tenait
_dans''dans l'attente_attente''.
 
* * * * *
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véridique : dépose ta douleur, guerrier aux longs bras ! Je te le
jure, ami, par la vérité ! je sais à la ressemblance des situations
_qui''qui enleva ton épouse_épouse'' : car c'est ta Mithilienne, sans doute, que
j'ai vue ; c'est elle qu'un Rakshasa cruel emportait, criant d'une
manière lamentable : « Râma ! ... Lakshmana ! ... Râma ! Râma ! » et se
débattant sur le sein du monstre comme l'épouse du roi des serpents
_dans''dans les serres de Garouda_Garouda''. Elle me vit elle-même sur un plateau de
montagne, où j'étais moi cinquième _avec''avec ces quatre singes_singes'' ; elle
nous jeta rapidement alors son vêtement supérieur et ses brillants
joyaux. Ces objets recueillis par nous sont ici, fils de Raghou : je
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de la montagne.
 
Là, il prit la robe et les bijoux éclatants, _revint_''revint'', les mit sous
les yeux du héros et lui dit : « Regarde ! »
 
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« Médite cette maxime dans ta pensée : « Un esprit ferme ne souffre
pas que rien abatte sa _constance_''constance'' ; mais l'homme qui laisse toujours
le souffle du trouble agiter son âme est un insensé. Il est malgré
lui submergé dans le chagrin, comme un vaisseau battu par le vent. »
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cassa une branche touffue de fleurs et de feuilles, l'étendit sur la
terre et s'assit dessus avec l'aîné des Raghouides. Quand Hanoûmat
les vit assis tous deux, _il''il s'approcha_approcha'' d'un sandal, rompit une
branche de cet arbre, en joncha la terre et fit asseoir Lakshmana.
 
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syllabes : « Les persécutions me forcent, Râma, d'errer çà et là
dans cette terre... Après que mon frère m'eut enlevé mon épouse,
je suis venu chercher un asile dans les _bois''bois du_du'' Rishyamoûka ; mais,
redoutant le vigoureux Bâli, en guerre déclarée avec lui, en butte
à ses vexations, mon âme tremble sans cesse au milieu des forêts.
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l'énergie, la vigueur, la fermeté de Bâli, et décide ensuite ce
qui est opportun. Avant que le soleil ne soit levé, Bâli, secouant
déjà la torpeur _du''du sommeil_sommeil'', s'en va de la mer occidentale
à l'Océan oriental, et de l'Océan méridional à la mer
septentrionale. Dans sa vigueur extrême, il empoigne les sommets et
Ligne 7 018 :
 
« Autrefois Bâli transperça d'une flèche trois palmiers d'un seul
coup dans les sept que voici, répondit le singe à Lakshmana : _eh''eh
bien_bien'' ! que Râma les perce tous à la fois d'une seule flèche et je
crois à l'instant qu'il peut tuer Bâli ! »
 
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« Bâli, comme on appelle ce farouche immolateur des ennemis, Bâli
est mon frère aîné. Il fut toujours en grand honneur devant mon
père et dans mon estime. Quand notre père fut allé se reposer _dans''dans
la tombe_tombe'' : « Bâli, se dirent les ministres, est son fils aîné. Il
fut donc sacré, d'un consentement universel, monarque et seigneur des
peuples singes ; et moi, tandis qu'il gouvernait ce vaste empire de
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fuyant aperçoit dans la terre une caverne profonde cachée par de
hauts graminées ; il s'y précipite soudain ; tandis que nous, en
approchant, les grandes herbes nous enveloppent _et''et nous dérobent sa
vue_vue''. Quand il vit son ennemi déjà réfugié dans la caverne, Bâli,
transporté de colère, me parla en ces termes, les sens tout émus :
« Reste ici, toi, Sougrîva ! et garde sans négligence cette porte de
Ligne 7 071 :
 
« À peine mon frère eut donné cet ordre, que je tâchai par tous
mes efforts d'arrêter sa résolution ; _ce''ce fut en vain_vain'', il s'engagea
malgré moi dans cette caverne. Une année complète s'écoula
entièrement depuis son entrée, et je restai devant la porte en
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« Enfin, après ce long espace de temps écoulé, je vis, à n'en pas
douter, je vis sortir de cette catacombe un fleuve de sang écumeux ;
et _tout_''tout'' mon cœur en fut troublé. En même temps il vint du milieu
de la caverne à mes oreilles un grand bruit de rugissements, jetés
par des Asouras et mêlés aux cris d'un combattant qui se voit tué
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avait succombé, et je pris enfin le parti de m'en aller. Je revins,
assailli par le chagrin, à la caverne Kishkindhyâ, mais après que
j'eus comblé avec des rochers _l''l'entrée de_de'' cet antre _fatal_''fatal'' et
versé, mon ami, d'une âme déchirée par la douleur, une libation
d'eau funèbre en l'honneur de mon frère.
Ligne 7 093 :
« En vain j'employai mes efforts à cacher la catastrophe, elle
parvint aux oreilles des ministres, et tous alors de me sacrer dans ce
trône _vacant_''vacant''. Mais, tandis que je gouvernais l'empire avec justice,
Bâli revint, fils de Raghou, après qu'il eut tué son terrible
ennemi. Quand il me vit, le front investi du sacre, une _soudaine_''soudaine''
colère enflamma ses yeux, il frappa de mort tous mes conseillers
et m'adressa des paroles outrageantes. Sans doute, fils de Raghou,
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« Persuadé qu'il assurait mes derrières, je m'engageai dans cette
grande caverne, et j'y passai toute une année à chercher la porte
_d''d'une catacombe intérieure_intérieure''.
 
« Enfin, je vis cet Asoura, de qui l'arrogance avait semé tant
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reçu de lui nulle réponse, la colère me saisit ; je brisai à coups
de pied redoublés ma prison, et, sorti de cette manière, je revins
chez moi _sain''sain et sauf_sauf'', comme j'en étais parti. Il m'avait donc
enfermé là ce cruel, à qui la soif de ma couronne fit oublier
l'amitié qu'il devait à son frère ! »
 
« Sur ces mots, le singe Bâli me réduit au seul vêtement, _que''que m'a
donné la nature_nature'', et me chasse de sa cour sans ménagement. Voilà,
fils de Raghou, la cause des persécutions répétées qu'il m'a fait
subir. Privé de mon épouse et dépouillé de mes honneurs, je suis
Ligne 7 150 :
 
« Résolu à me donner la mort, il sortit sur le seuil de sa caverne
et me fit trembler, en levant sur ma _tête_''tête'' un arbre épouvantable.
Je m'enfuis sous la crainte du coup et je parcourus toute la terre,
fils de Raghou, avec les montagnes, qui la remplissent, et les
mers, qui la revêtent de leur _humide_''humide'' manteau. Enfin, j'arrivai au
Rishyamoûka, et, comme une _puissante_''puissante'' cause oblige cet invincible
Bâli à laisser toujours un intervalle entre ce mont et lui, je
choisis pour mon habitation cette reine des montagnes.
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ces flèches aiguës, qui ne sont jamais vaines, Sougrîva, et qui
brillent à l'égal du soleil, je les enverrai se plonger dans le
cruel Bâli. _Oui_''Oui'' ! Bâli, cette âme corrompue, le corrupteur des
bonnes mœurs, n'a plus de temps à vivre que celui où mes yeux
n'auront pas encore pu voir ce ravisseur de ton épouse. »
 
Il prit alors son arc céleste, resplendissant à l'égal de l'arc
même du _puissant_''puissant'' Indra ; il encocha une flèche, et, visant les sept
palmiers, déchaîna contre eux ce _merveilleux''merveilleux projectile_projectile''. Le
trait paré d'or, envoyé de sa main vigoureuse, transperça tous les
palmiers, fendit la montagne elle-même et pénétra jusqu'au sein
des enfers. Ensuite, la flèche remonta spontanée sous la forme d'un
cygne ; et, brillante d'une lumière infinie, elle revint _d''d'où elle
était partie_partie'' et rentra d'elle-même au carquois de son maître.
 
Quand il vit les sept palmiers traversés d'outre en outre par
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main, ni le Vent, ni le Feu même n'est égal à toi !
 
« Quel _être_''être'' mâle est capable de résister à celui, de qui la main
put transpercer à la fois d'une seule flèche ces grands palmiers et
cette montagne elle-même, hantée par les Dânavas ? Maintenant mon
chagrin est dissipé ; maintenant mon _cœur_''cœur'' est inondé par la joie ;
maintenant je vois déjà étendu mort sur un champ de bataille ce
Bâli, toujours ivre de combats ! »
 
À ces mots, le héros à la grande science, Râma d'embrasser le
_noble_''noble'' singe à la parole agréable et de lui répondre en ces
termes, approuvés de Lakshmana : « Viens avec moi, Sougrîva ; je vais
à la caverne Kishkindhyâ, où règne Bâli : arrivé là, défie au
combat cet ennemi, qui a _dépouillé_''dépouillé'' les formes du frère ! » Sur les
paroles de Râma, l'exterminateur des ennemis : « Je te suis, » reprit
avec joie Sougrîva ; et tous deux alors ils s'avancent d'un pied
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[Note 30: Mars et Mercure.]
 
Ils se frappaient l'un l'autre dans cet _horrible_''horrible'' duel avec leurs
paumes semblables à des foudres, avec leurs poings durs comme
les diamants, avec des arbres, avec les crêtes elles-mêmes des
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l'un à l'autre, et pareils celui-ci à celui-là pour la vaillance et
la force : il reconnut alors qu'on ne pouvait distinguer le premier
du second, comme il en est pour les deux beaux Açwins. _Dans''Dans cette
parfaite ressemblance_ressemblance'', le vaillant Raghouide ne pouvait discerner
Sougrîva, ni Bâli : aussi ne voulut-il pas encore lancer une flèche
_au''au milieu du combat_combat''.
 
Sur ces entrefaites, rompu sous la main de Bâli et voyant ce _qu''qu'il
s'imaginait une_une'' trahison du Raghouide, _son''son allié_allié'', Sougrîva se mit
à courir vers le Rishyamoûka. Épuisé, baigné de sang, accablé de
coups, frappé avec fureur, il se réfugia dans la grande forêt.
À peine le resplendissant Bâli eût-il vu que son ennemi s'était
dérobé dans ces bois, il fit volte-face, chassé par la crainte
d'une malédiction, _jadis''jadis fulminée contre lui_lui'', et s'en retourna en
disant : « Tu m'as échappé ! »
 
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« Si tu voulais, le ciel détourne ce malheur ! si tu voulais que
Bâli me donnât la mort dans ce combat, quel besoin avais-je de _ton_''ton''
amitié pour m'aider à recouvrer mon royaume, puisque j'allais cesser
de vivre ? »
Ligne 7 292 :
parée de ses fleurs, et mets-la au cou du magnanime Sougrîva. »
 
« Héros, dit le singe, tu m'as promis naguère que ta _flèche_''flèche'' lui
porterait la mort : tâche que ta promesse, comme une liane en fleurs,
ne tarde point à nous donner son fruit ! »
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Faisant grincer les dents longues de sa bouche et la fureur teignant
son poil d'une couleur plus rouge encore, sa face brillait avec ses
yeux tout grands ouverts, comme un lac aux lotus _épanouis_''épanouis''. Le roi
des simiens sortit avec impétuosité et la marche de ses pieds fit
trembler, pour ainsi dire, toute la terre. Mais Târâ aussitôt
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et s'est enfui, chassé par la crainte. Ce défi, qu'il rapporte ici,
fait naître en moi des soupçons, surtout à la pensée qu'il s'est
déjà vu tout à l'heure abattu et tué même, _pour''pour ainsi dire_dire'',
sous ta main.
 
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sur la terre un vase de gloire et de hautes perfections.
 
« Qu'Angada, _notre''notre fils_fils'', s'en aille, emportant avec lui tous les
joyaux qui sont ici dans ton palais : qu'il offre _de''de ta part_part'' ces
richesses à Râma et signe un traité de paix avec ce héros d'une
splendeur égale aux clartés du feu à la fin d'un youga. Ou bien
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répondit en ces termes : « Comment puis-je dans cette colère, qu'il
fit naître en moi, comment puis-je endurer, mon amie, les cris d'un
ennemi qui vient rugir ''à ma porte_porte'' avec une telle arrogance, et qui
n'est après tout que le voleur _de''de ma couronne_couronne'' ? Pour des héros,
qui ne reculent jamais dans les combats et qui n'ont pas un front
accoutumé à l'injure, tolérer une offense, ma chérie, est plus
Ligne 7 364 :
 
« Va-t'en ! Je reviendrai, je t'en fais le serment sur ma vie et
ma _prochaine_''prochaine'' victoire ; _oui_''oui'' ! je reviendrai, moi qui te parle,
aussitôt que j'aurai vaincu mon frère dans ce combat. »
 
Târâ embrasse alors Bâli, de qui la vue était _bien_''bien'' chère à ses
yeux ; _toute_''toute'' en pleurs et tremblante, elle décrit à pas lents un
pradakshina autour de son époux. Après qu'elle eut, suivant les
rites, invoqué le succès pour l'expédition du singe auquel son
_cœur_''cœur'' désirait la victoire, cette reine à la taille charmante de
rentrer suivie des femmes dans son gynœcée ; et, quand Târâ eut
regagné avec elles ses appartements, Bâli sortit, poussant une
Ligne 7 388 :
mots, il frappa du poing son rival en pleine poitrine.
 
Néanmoins, Sougrîva sans crainte arrache aidé de sa vigueur _et''et
lève_lève'' un grand arbre, qu'il abat sur le sein de Bâli, comme la
foudre tombe sur une haute montagne. La chute de cette masse étourdit
_un''un moment_moment'' son ennemi, qui s'était approché de nouveau pour
le combat : accablé sous la pesanteur du coup, Bâli chancelle et
vacille.
 
_Cependant_''Cependant'' Râma voyait Bâli rompre la fierté de Sougrîva et lui
abattre même sa vigueur ; il en fut irrité d'une furieuse colère.
Il encoche soudain une flèche, qui semblait un serpent de flamme et
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espères-tu de cette mort, que tu m'as portée dans un instant où
je n'avais pas les yeux tournés de ton côté ? car tu m'as frappé
_lâchement_''lâchement'' caché et tandis que ce duel absorbait toute mon
attention ! »
 
Après la chute de ce héros, le monarque des singes, _on''on vit_vit'' la
face de la terre s'obscurcir, comme le ciel quand la lune est plongée
_dans''dans les nuages_nuages''. Mais ni la vie, ni la force, ni le courage, ni la
beauté n'avaient déserté le corps de ce magnanime, étendu sur la
terre. En effet, sa guirlande céleste, qu'un Dieu avait tissue d'or,
était _comme_''comme'' attentive elle-même à soutenir dans sa fin la vie de
ce quadrumane, le plus noble des singes.
 
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précipitant son pas, accompagnée de son fils, hors de cette caverne
de la montagne. Elle vit les singes tremblants fuir d'une course
légère comme des gazelles _épouvantées_''épouvantées'', quand _un''un chasseur a_a''
tué la reine du troupeau et dispersé toute la bande : « Singes, leur
dit-elle, pourquoi donc, abandonnant ce monarque des singes, de
Ligne 7 434 :
âme tout émue répondent à l'épouse du roi ces paroles opportunes :
« Fille de Jîva, retourne chez toi et défends ton fils Angada !
La mort sous la forme de Râma emporte _l''l'âme de_de'' Bâli, qu'elle a
tué ! »
 
Ligne 7 457 :
s'écria-t-elle, je suis morte ! » puis elle tomba sur la face de la
terre et s'y roula comme une gazelle qu'un avide chasseur a blessée
mortellement. Ceux qui formaient la cour du _magnifique_''magnifique'' Bâli et les
dames simiennes de son intérieur, tous alors de s'élancer avec des
cris de pygargue hors de la bouche de sa caverne.
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la parole d'une voix nette à Sougrîva et lui tint affectueusement ce
langage : « Sougrîva, ne veuille pas que je m'en aille, tourmenté
par cette défaillance de l'âme, où tu me vois, _noble_''noble'' singe, et
chargé d'une faute, moi, que l'expiation a lavé de ses péchés.
Sans doute le Destin avait décidé que la concorde n'existerait pas
Ligne 7 490 :
jointes, à Râma, et tint ce langage pour lui recommander son fils :
« Le prolétaire qui, dès son commencement, a toujours vécu dans
une maigre condition, n'est point, à _bien''bien dire_dire'', misérable, fils de
Raghou ; mais ce nom de misérable convient plus justement à l'homme
de haute naissance précipité dans l'affliction et dans l'infortune.
Ligne 7 506 :
Quand il eut transmis sa guirlande à son frère et baisé Angada sur
le front, Bâli, préparé saintement pour entrer dans la condition
des âmes, dit ces mots avec amour _au''au jeune quadrumane_quadrumane'' :
 
« Ménage les temps et les lieux, endure avec patience ce qui plaît
Ligne 7 517 :
 
Il n'avait pas encore achevé de parler sous l'oppression violente du
trait _acéré_''acéré'' que ses yeux se roulent affreusement dans leur orbite,
ses dents s'entre-choquent avec une force à les briser, et le mourant
exhale enfin sa vie dans un dernier soupir. Alors, toute plongée dans
un océan de chagrin, Târâ, les yeux fixés sur la face _glacée_''glacée''
de son cher époux, retomba dans la poussière, tenant Bâli embrassé
comme une liane roulée autour d'un grand arbre.
 
Quand l'_aîné''aîné des_des'' Raghouides, l'exterminateur des ennemis, vit
que Bâli avait exhalé son dernier soupir, il tint à Sougrîva ce
discours modeste : « L'homme ne se laisse point ainsi enchaîner par
le chagrin, il s'élance vers une condition meilleure. Que Târâ s'en
aille avec son fils habiter maintenant chez toi. Tu as répandu ces
larmes, qui viennent à la suite d'une violente douleur : _c''c'est assez !
car_car'', passé la mort, il ne reste plus rien à faire. La nécessité
est la cause universelle, la nécessité embrasse le monde, la
nécessité est la cause qui agit dans la séparation de tous les
Ligne 7 539 :
 
« Bâli est rentré au sein de la nature ; il a reçu dans cette mort
donnée le fruit _amer_''amer'' de son œuvre : que l'on célèbre maintenant
les funérailles du roi des singes, comblé de tous les dons
funèbres. Son âme fut chassée du corps, parce qu'il a commis
l'injustice et qu'il en a recueilli ce fruit ; mais, comme il est
rentré dans le devoir, ''à la fin de sa vie_vie'', le Paradis lui fut
donné pour sa récompense. Nous avons accordé ce qu'il faut à la
douleur : accomplissons maintenant ce qu'il est à propos de faire »
 
Les yeux troublés de larmes, Târâ et les autres dames singes,
parentes du mort, suivent, poussant des cris, le _cercueil''cercueil du_du'' roi des
simiens.
 
Ligne 7 557 :
Les amis en bien grand nombre de Bâli construisent un bûcher
dans une île solitaire, que la rivière, descendue de la montagne,
environnait de ses ondes ; et, _l''l'ouvrage terminé_terminé'', les principaux
des singes, qui portaient la bière sur leurs épaules, s'approchent,
déposent le cercueil et se tiennent à l'écart, l'âme plongée dans
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dans une profonde affliction : « Ô toi, à qui tes fils étaient si
chers, tu n'aimes donc plus celui-ci, qui se nomme Angada ? Pourquoi le
regardes-tu avec cet air stupéfait, lui, _ton''ton enfant_enfant'', accablé sous
le poids du chagrin ?
 
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armée : entre dans cette ville ; moi tenant domptés mes organes des
sens, j'habiterai là sur la montagne. Voici, dans le sein du mont
_Rishyamoûka_''Rishyamoûka'', une caverne délicieuse, vaste, protégée contre le
souffle du vent : c'est là que j'habiterai, mon ami, toute la
saison des pluies avec le fils de Soumitrâ. Mais, quand tu auras vu
s'écouler Kârttikî, mois charmant, aux ondes redevenues limpides,
aux moissons de lotus et de nymphéas, déploie alors, déploie, ami,
tes soins pour la mort de Râvana. C'est donc là, _souviens''souviens-t'en_en'' !
ce qui reste bien convenu entre nous. Va dans cette ville florissante ;
puis, une fois sacré dans ton royaume, fais-y la joie de tes amis. »
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de tous les côtés.
 
Tout le _peuple''peuple des_des'' sujets, la tête prosternée jusqu'à terre,
salue, plein de respect, le nouveau roi des singes, en lui criant :
« Victoire ! victoire ! » Sougrîva les invite à se relever et, les
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« Héros, plein de courage dans les batailles et qui domptes les
ennemis, tu laisses passer l'occasion pour l'affaire de Râma, ton
ami ; _tu''tu oublies que le moment est venu_venu'' pour aller à la recherche de
sa Vidéhaine. Tu perds le temps, et néanmoins on ne le voit pas te
presser, malgré son impatience : cet homme sage et qui sait le devoir,
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pas stérilement.
 
« Ou bien désires-tu voir, bandé par moi dans un combat _avec''avec toi_toi'',
la forme de mon arc au dos plaqué d'or et semblable à un faisceau
d'éclairs ? Veux-tu entendre, pareil au fracas du tonnerre, le bruit
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Lakshmana, ce prince fortuné, au corps semé de signes heureux,
se dirigea donc _lestement_''lestement'' vers la cité des singes. Bientôt il
aperçut la ville du roi des simiens, pleine de singes à la grande
vigueur, hauts comme des montagnes, _les''les yeux_yeux'' attentifs _au''au signe du
maître_maître''. Effrayés par sa vue, tous ces quadrumanes, semblables à
des éléphants, saisissent alors par centaines, ceux-ci des crêtes
de montagnes, ceux-là de grands et vieux arbres. Quand Lakshmana les
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poussèrent à l'envi le rugissement des lions.
 
Aussitôt Sougrîva, que cette vaste clameur et la _voix''voix de_de'' Târâ
avaient tiré du sommeil, entra dans la salle du conseil pour
délibérer avec ses ministres.
 
Le plus éminent des conseillers, _Hanoûmat_''Hanoûmat'', le fils du Vent,
commence par se concilier la faveur de Sougrîva et lui tient ce
langage, comme Vrihaspati lui-même s'adresse au roi des Immortels :
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À ces mots d'Hanoûmat : « Il en est ainsi ! » dit Angada, saisi
de tristesse ; et, là-dessus, il ajoute ces paroles à son père
_adoptif_''adoptif'' : « Admets-le devant toi, ou bien arrête-le dans sa marche ;
fais ce que tu penses convenable ; il est certain que Lakshmana vient
ici d'un air furieux ; mais nous ignorons tous quelle peut être la
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au sujet du magnanime Râma, parce qu'il me fut impossible jusqu'ici
d'acquitter avec le mien cet éminent service, que j'ai reçu de sa
_faveur_''faveur''. »
 
À ces mots du monarque, Hanoûmat lui fit cette réponse au milieu de
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car ce fut pour le seul plaisir de t'obliger que ce héros de Raghou
tendit son grand arc et donna la mort à Bâli d'une force égale à
celle du _puissant_''puissant'' Indra. Le Raghouide est irrité de l'indifférence
que tu lui montres de toutes les manières, je n'en fais aucun doute ;
et c'est pour cela qu'il t'envoie son frère, ce Lakshmana, _de_''de'' qui
_la''la société_société'' ajoute à sa fortune.
 
« Il te faut supporter, ô le plus grand des singes, les paroles