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Le lendemain je me réveillai complètement guéri. Je pensai qu’un bain me serait très salutaire, et j’allai me plonger pendant quelques minutes dans les eaux de cette Méditerranée. Ce nom, à coup sûr, elle le méritait entre tous.
 
Je revins déjeuner avec un bel appétit. Hans s’entendait à cuisiner notre petit menu ; il avait de l’eau et du feu à sa disposition, de sorte qu’il put varier un peu notre ordinaire.
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Au dessert, il nous servit quelques tasses de café, et jamais ce délicieux breuvage ne me parut plus agréable à déguster.
 
« Maintenant, dit mon oncle, voici l’heure de la marée, et il ne faut pas manquer l’occasion d’étudier ce phénomène,
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— Mais où sommes-nous, mon oncle ? car je ne vous ai point encore posé cette question à laquelle vos instruments ont dû répondre ?
 
— Horizontalement, à trois cent cinquante lieues de l’Islande.
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Horizontalement, à trois cent cinquante lieues de l’Islande.
 
— Tout autant ?
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— Cependant je ne vois pas comment nous pénétrerons sous cette plaine liquide.
 
— Aussi
— Aussi je ne prétends point m’y précipiter la tête la première. Mais si les océans ne sont, à proprement parler, que des lacs, puisqu’ils sont entourés de terre, à plus forte raison cette mer intérieure se trouve-t-elle circonscrite par le massif granitique.
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je ne prétends point m’y précipiter la tête la première. Mais si les océans ne sont, à proprement parler, que des lacs, puisqu’ils sont entourés de terre, à plus forte raison cette mer intérieure se trouve-t-elle circonscrite par le massif granitique.
 
— Cela n’est pas douteux.
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— Est-il possible ?
 
— C’est ce qu’on appelle du « surtarbrandur » ou bois fossile.
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C’est ce qu’on appelle du « surtarbrandur » ou bois fossile.
 
— Mais alors, comme les lignites, il doit avoir la dureté de la pierre, et il ne pourra flotter ?
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Le lendemain soir, grâce à l’habileté du guide, le radeau était terminé ; il avait dix pieds de long sur cinq de large ; les poutres de surtarbrandur, reliées entre elles par de fortes cordes, offraient une surface solide, et une fois lancée, cette embarcation improvisée flotta tranquillement sur les eaux de la mer Lidenbrock.
 
 
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Le 13 août, on se réveilla de bon matin. Il s’agissait d’inaugurer un nouveau genre de locomotion rapide et peu fatigant.
 
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« Si nous continuons à marcher ainsi, dit-il, nous ferons au moins trente lieues par vingt-quatre heures et nous ne tarderons pas à reconnaître les rivages opposés.
 
 
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Je ne répondis pas, et j’allai prendre place à l’avant du radeau. Déjà la côte septentrionale s’abaissait à l’horizon ; les deux bras du rivage s’ouvraient largement comme pour faciliter notre départ. Devant mes yeux s’étendait une mer immense ; de grands nuages promenaient rapidement à sa surface leur ombre grisâtre, qui semblait peser sur cette eau morne. Les rayons argentés de la lumière électrique, réfléchis ça et là par quelque gouttelette, faisaient éclore des points lumineux sur les côtés de l’embarcation. Bientôt toute terre fut perdue de vue, tout point de repère disparut, et, sans le sillage écumeux du radeau, j’aurais pu croire qu’il demeurait dans une parfaite immobilité.
 
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Depuis notre départ de Port-Graüben, le professeur Lidenbrock m’avait chargé de tenir le « journal du bord », de noter les moindres observations, de consigner les phénomènes intéressants, la direction du vent, la vitesse acquise, le chemin parcouru, en un mot, tous les incidents de cette étrange navigation.
 
Je me bornerai donc à reproduire ici ces notes quotidiennes, écrites pour
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ainsi dire sous la dictée des événements, afin de donner un récit plus exact de notre traversée.
 
''Vendredi 14 août.'' — Brise égale du N.-O. Le radeau marche avec rapidité et en ligne droite. La côte reste à trente lieues sous le vent. Rien à l’horizon. L’intensité de la lumière ne varie pas. Beau temps, c’est-à-dire que les nuages sont fort élevés, peu épais et baignés dans une atmosphère blanche, comme serait de l’argent en fusion.
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— Il est aveugle !
 
Aveugle !
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Aveugle !
 
— Non seulement aveugle, mais l’organe de la vue lui manque absolument. »
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Je regarde. Rien n’est plus vrai. Mais ce peut être un cas particulier. La ligne est donc amorcée de nouveau et rejetée à la mer. Cet océan, à coup sûr, est fort poissonneux, car en deux heures nous prenons une grande quantité de Pterychtis, ainsi que des poissons appartenant à une famille également éteinte, les Dipterides, mais dont mon oncle ne peut reconnaître le genre. Tous sont dépourvus de l’organe de la vue. Cette pêche inespérée renouvelle avantageusement nos provisions.
 
 
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Ainsi donc, cela paraît constant, cette mer ne renferme que des espèces fossiles, dans lesquelles les poissons comme les reptiles sont d’autant plus parfaits que leur création est plus ancienne.
 
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Cependant mon imagination m’emporte dans les merveilleuses hypothèses de la paléontologie. Je rêve tout éveillé. Je crois voir à la surface des eaux ces énormes Chersites, ces tortues antédiluviennes, semblables à des îlots flottants. Il me semble que sur les grèves assombries passent les grands mammifères des premiers jours, le Leptotherium, trouvé dans les cavernes du Brésil, le mericotherium, venu des régions glacées de la Sibérie. Plus loin, le pachyderme Lophiodon, ce tapir gigantesque, se cache derrière les rocs, prêt à disputer sa proie à l’Anoplotherium, animal étrange, qui tient du rhinocéros, du cheval, de l’hippopotame et du chameau, comme si le Créateur, pressé aux premières heures du monde, eût réuni plusieurs animaux en un seul. Le Mastodonte géant fait tournoyer sa trompe et broie sous ses défenses les rochers du rivage, tandis que le Megatherium, arc-bouté sur ses énormes pattes, fouille la terre en éveillant par ses rugissements l’écho des granits sonores. Plus haut, le Protopithèque, le premier singe apparu à la surface du globe, gravit les cimes ardues. Plus haut encore, le Ptérodactyle, à la main ailée, glisse comme une large chauve-souris sur l’air comprimé. Enfin, dans les dernières couches, des oiseaux immenses, plus puissants que le casoar, plus grands que l’autruche, déploient leurs vastes ailes et vont donner de la tête contre la paroi de la voûte granitique.
 
Tout ce monde fossile renaît dans mon imagination. Je me reporte aux époques bibliques de la création, bien avant la naissance de l’homme, lorsque la terre incomplète ne pouvait lui suffire encore. Mon rêve alors devance l’apparition des êtres animés. Les mammifères disparaissent, puis les oiseaux, puis les reptiles de l’époque secondaire, et enfin les poissons, les crustacés, les mollusques, les articulés. Les zoophytes de la période de transition retournent au néant à leur tour. Toute la vie de la terre se résume en moi. et mon cœur est seul à battre dans ce monde dépeuplé. Il n’y plus de saisons ; il n’y a plus de climats ; la chaleur
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propre du globe s’accroît sans cesse et neutralise celle de l’astre radieux. La végétation s’exagère ; je passe comme une ombre au milieu des fougères arborescentes, foulant de mon pas incertain les marnes irisées et les grès bigarrés du sol ; je m’appuie au tronc des conifères immenses ; je me couche à l’ombre des Sphenophylles, des Asterophylles et des Lycopodes hauts de cent pieds.
 
Les siècles s’écoulent comme des jours ; je remonte la série des transformations terrestres ; les plantes disparaissent ; les roches granitiques perdent leur dureté ; l’état liquide va remplacer l’état solide sous l’action d’une chaleur plus intense ; les eaux courent à la surface du globe ; elles bouillonnent, elles se volatilisent ; les vapeurs enveloppent la terre, qui peu à peu ne forme plus qu’une masse gazeuse, portée au rouge blanc, grosse comme le soleil et brillante comme lui !
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À ces paroles, je me lève, je consulte l’horizon ; mais la ligne d’eau se confond toujours avec la ligne des nuages.
 
''
''Samedi 15 août.'' — La mer conserve sa monotone uniformité. Nulle terre n’est en vue. L’horizon parait excessivement reculé.
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Samedi 15 août.'' — La mer conserve sa monotone uniformité. Nulle terre n’est en vue. L’horizon parait excessivement reculé.
 
J’ai la tête encore alourdie par la violence de mon rêve.
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— C’est la question. Avons-nous suivi cette route ? Saknussemm a-t-il rencontré cette étendue d’eau ? L’a-t-il traversée ? Ce ruisseau que nous avons pris pour guide ne nous a-t-il pas complètement égarés ?
 
— En tout cas, nous ne pouvons regretter, d’être venus jusqu’ici. Ce spectacle est magnifique, et…
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En tout cas, nous ne pouvons regretter, d’être venus jusqu’ici. Ce spectacle est magnifique, et…
 
— Il ne s’agit pas de voir. Je me suis proposé un but, et je veux l’atteindre ! Ainsi ne me parle pas d’admirer ! »
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''Dimanche 16 août.'' — Rien de nouveau. Même temps. Le vent a une légère tendance à fraîchir. En me réveillant, mon premier soin est de constater l’intensité
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de la lumière. Je crains toujours que le phénomène électrique ne vienne à s’obscurcir, puis à s’éteindre. Il n’en est rien : l’ombre du radeau est nettement dessinée à la surface des flots.
 
Vraiment cette mer est infinie ! Elle doit avoir la largeur de la Méditerranée, ou même de l’Atlantique. Pourquoi pas ?
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''Lundi 17 août.'' — Je cherche à me rappeler les instincts particuliers à ces animaux antédiluviens de l’époque secondaire, qui, succédant aux mollusques, aux crustacés et aux poissons, précédèrent l’apparition des mammifères sur le globe. Le monde appartenait alors aux reptiles. Ces monstres régnaient en maîtres dans les mers jurassiques<ref>Mers de la période secondaire qui ont formé les terrains dont se composent les montagnes du Jura.</ref>. La nature leur avait accordé la plus complète organisation. Quelle gigantesque structure ! quelle force prodigieuse ! Les sauriens actuels, alligators ou crocodiles, les plus gros et les plus redoutables, ne sont que des réductions affaiblies de leurs pères des premiers âges !
 
Je frissonne à l’évocation que je fais de ces monstres. Nul œil humain ne les a vus vivants. Ils apparurent sur la terre mille siècles avant l’homme, mais leurs
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ossements fossiles, retrouvés dans ce calcaire argileux que les Anglais nomment le lias, ont permis de les reconstruire anatomiquement et de connaître leur colossale conformation.
 
J’ai vu au Muséum de Hambourg le squelette de l’un de ces sauriens qui mesurait trente pieds de longueur. Suis-je donc destiné, moi, habitant de la terre, à me trouver face à face avec ces représentants d’une famille antédiluvienne ? Non ! c’est impossible. Cependant la marque des dents puissantes est gravée sur la barre de fer, et à leur empreinte je reconnais qu’elles sont coniques comme celles du crocodile.
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— Une baleine ! une baleine ! s’écrie alors le professeur. J’aperçois ses nageoires énormes ! Vois l’air et l’eau qu’elle chasse par ses évents ! »
 
 
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En effet, deux colonnes liquides s’élèvent à une hauteur considérable au-dessus de la mer. Nous restons surpris, stupéfaits, épouvantés, en présence de ce troupeau de monstres marins. Ils ont des dimensions surnaturelles, et le moindre d’entre eux briserait le radeau d’un coup de dent. Hans veut mettre la barre au vent, afin de fuir ce voisinage dangereux ; mais il aperçoit sur l’autre bord d’autres ennemis non moins redoutables : une tortue large de quarante pieds, et un serpent long de trente, qui darde sa tête énorme au-dessus des flots.
 
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— L’autre, c’est un serpent caché dans la carapace d’une tortue, le terrible ennemi du premier, le Plesiosaurus ! »
 
Hans a dit vrai. Deux monstres seulement troublent ainsi la surface de la mer, et j’ai devant les yeux deux reptiles des océans primitifs. J’aperçois l’œil sanglant de l’Ichthyosaurus, gros comme la tête d’un homme. La nature l’a doué d’un appareil d’optique d’une extrême puissance et capable de résister à la pression des couches d’eau dans les profondeurs qu’il habite. On l’a justement nommé la baleine des Sauriens, car il en a la rapidité et la taille. Celui-ci ne
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mesure pas moins de cent pieds, et je peux juger de sa grandeur quand il dresse au-dessus des flots les nageoires verticales de sa queue. Sa mâchoire est énorme, et d’après les naturalistes, elle ne compte pas moins de cent quatre-vingt-deux dents.
 
Le Plesiosaurus, serpent à tronc cylindrique, à queue courte, a les pattes disposées en forme de rame. Son corps est entièrement revêtu d’une carapace, et son cou, flexible comme celui du cygne, se dresse à trente pieds au-dessus des flots.
 
Ces animaux s’attaquent avec une indescriptible furie. Ils soulèvent des montagnes liquides qui s’étendent jusqu’au radeau. Vingt fois nous sommes sur le point de chavirer. Des sifflements d’une prodigieuse intensité se font entendre. Les
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deux bêtes sont enlacées. Je ne puis les distinguer l’une de l’autre ! Il faut tout craindre de la rage du vainqueur.
 
Une heure, deux heures se passent. La lutte continue avec le même acharnement. Les combattants se rapprochent du radeau et s’en éloignent tour à tour. Nous restons immobiles, prêts à faire feu.
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Trois heures se passent. Les mugissements semblent provenir d’une chute d’eau éloignée.
 
 
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Je le fais remarquer à mon oncle, qui secoue la tête. J’ai pourtant la conviction que je ne me trompe pas. Courons-nous donc à quelque cataracte qui nous précipitera dans l’abîme ? Que cette manière de descendre plaise au professeur, parce qu’elle se rapproche de la verticale, c’est possible, mais à moi…
 
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Je me retourne vers Hans. Hans maintient sa barre avec une inflexible rigueur.
 
 
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Cependant, si de la distance qui nous sépare de cet animal, et qu’il faut estimer à douze lieues au moins, on peut apercevoir la colonne d’eau chassée par ses évents, il doit être d’une taille surnaturelle. Fuir serait se conformer aux lois de la plus vulgaire prudence. Mais nous ne sommes pas venus ici pour être prudents.
 
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Je ne veux pas, d’abord, m’être trompé si grossièrement. Avoir pris un îlot pour un monstre marin ! Mais l’évidence se fait, et il faut enfin convenir de mon erreur. Il n’y a là qu’un phénomène naturel.
 
À mesure que nous approchons, les dimensions de la gerbe liquide deviennent grandioses. L’îlot représente à s’y méprendre un cétacé immense dont la tête domine les flots à une hauteur de dix toises. Le geyser, mot que les Islandais prononcent « geysir » et qui signifie « fureur », s’élève majestueusement à son extrémité. De sourdes détonations éclatent par instants, et l’énorme jet, pris de colères plus violentes, secoue son panache de vapeurs en bondissant jusqu’à la
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première couche de nuages. Il est seul. Ni fumerolles, ni sources chaudes ne l’entourent, et toute la puissance volcanique se résume en lui. Les rayons de la lumière électrique viennent se mêler à cette gerbe éblouissante, dont chaque goutte se nuance de toutes les couleurs du prisme.
 
« Accostons, » dit le professeur.
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Je saute sur le roc ; mon oncle me suit lestement, tandis que le chasseur demeure à son poste, comme un homme au-dessus de ces étonnements.
 
Nous marchons sur un granit mêlé de tuf siliceux ; le sol frissonne sous
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nos pieds comme les flancs d’une chaudière où se tord de la vapeur surchauffée ; il est brûlant. Nous arrivons en vue d’un petit bassin central d’où s’élève le geyser. Je plonge dans l’eau qui coule en bouillonnant un thermomètre à déversement, et il marque une chaleur de cent soixante-trois degrés.
 
Ainsi donc cette eau sort d’un foyer ardent. Cela contredit singulièrement les théories du professeur Lidenbrock. Je ne puis m’empêcher d’en faire la remarque.
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''Vendredi 21 août.'' — Le lendemain le magnifique geyser a disparu. Le vent a fraîchi, et nous a rapidement éloignés de l’îlot Axel. Les mugissements se sont éteints peu à peu.
 
Le temps, s’il est permis de s’exprimer ainsi, va changer avant peu. L’atmosphère se charge de vapeurs, qui emportent avec elles l’électricité formée par
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l’évaporation des eaux salines, les nuages s’abaissent sensiblement et prennent une teinte uniformément olivâtre ; les rayons électriques peuvent à peine percer cet opaque rideau baissé sur le théâtre où va se jouer le drame des tempêtes.
 
Je me sens particulièrement impressionné, comme l’est sur terre toute créature à l’approche d’un cataclysme. Les « cumulus<ref>Nuages de formes arrondies.</ref> » entassés dans le sud présentent un aspect sinistre ; ils ont cette apparence « impitoyable » que j’ai souvent remarquée au début des orages. L’air est lourd, la mer est calme.
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« Amenons-la, dis-je, abattons notre mât : cela sera prudent.
 
— Non, par le diable ! s’écrie mon oncle, cent fois non ! Que le vent nous saisisse !
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que l’orage nous emporte ! mais que j’aperçoive enfin les rochers rivage, quand notre radeau devrait s’y briser en mille pièces ! »
 
Ces paroles ne sont pas achevées que l’horizon du sud change subitement d’aspect ; les vapeurs accumulées se résolvent en eau, et l’air, violemment appelé pour combler les vides produits par la condensation, se fait ouragan. Il vient des extrémités les plus reculées de la caverne. L’obscurité redouble. C’est à peine si je puis prendre quelques notes incomplètes.
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Mes yeux sont éblouis par l’intensité de la lumière, mes oreilles brisées par le fracas de la foudre ; il faut me retenir au mât, qui plie comme un roseau sous la violence de l’ouragan. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
 
[
[Ici mes notes de voyage devinrent très incomplètes. Je n’ai plus retrouvé que quelques observations fugitives et prises machinalement pour ainsi dire. Mais, dans leur brièveté, dans leur obscurité même, elles sont empreintes de l’émotion qui me dominait, et mieux que ma mémoire elles me donnent le sentiment de notre situation.] . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
==[[Page:Verne - Voyage au centre de la Terre.djvu/185]]==
Ici mes notes de voyage devinrent très incomplètes. Je n’ai plus retrouvé que quelques observations fugitives et prises machinalement pour ainsi dire. Mais, dans leur brièveté, dans leur obscurité même, elles sont empreintes de l’émotion qui me dominait, et mieux que ma mémoire elles me donnent le sentiment de notre situation.] . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
 
''Dimanche 23 août.'' — Où sommes-nous ? Emportés avec une incomparable rapidité.
 
La nuit a été épouvantable. L’orage ne se calme pas. Nous vivons dans un
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milieu de bruit, une détonation incessante. Nos oreilles saignent. On ne peut échanger une parole.
 
Les éclairs ne discontinuent pas. Je vois des zigzags rétrogrades qui, après un jet rapide, reviennent de bas ou haut et vont frapper la voûte de granit. Si elle allait s’écrouler ! D’autres éclairs se bifurquent ou prennent la forme de globes de feu qui éclatent comme des bombes. Le bruit général ne parait pas s’en accroître ; il a dépassé la limite d’intensité que peut percevoir l’oreille humaine, et, quand toutes les poudrières du monde viendraient à sauter ensemble, nous ne saurions en entendre davantage.
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Sa tête n’a pas eu le temps de se relever de bas en haut qu’un disque de feu apparaît au bord du radeau. Le mât et la voile sont partis tout d’un bloc, et je les ai vus s’enlever à une prodigieuse hauteur, semblables au Ptérodactyle, cet oiseau fantastique des premiers siècles.
 
Nous sommes glacés d’effroi ; la boule mi-partie blanche, mi-partie azurée, de
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la grosseur d’une bombe de dix pouces, se promène lentement, en tournant avec une surprenante vitesse sous la lanière de l’ouragan. Elle vient ici, là, monte sur un des bâtis du radeau, saute sur le sac aux provisions, redescend légèrement, bondit, effleure la caisse à poudre. Horreur ! Nous allons sauter ! Non ! Le disque éblouissant s’écarte ; il s’approche de Hans, qui le regarde fixement ; de mon oncle, qui se précipite à genoux pour l’éviter ; de moi, pâle et frissonnant sous l’éclat de la lumière et de la chaleur ; il pirouette près de mon pied, que j’essaye de retirer. Je ne puis y parvenir.
 
Une odeur de gaz nitreux remplit l’atmosphère ; elle pénètre le gosier, les poumons. On étouffe.
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Un bruit nouveau se fait entendre ! Évidemment, la mer qui se brise sur des rochers !….. Mais alors…..<br> . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . <br> . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
 
 
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Ici se termine ce que j’ai appelé « le journal du bord », si heureusement sauvé du naufrage. Je reprends mon récit comme devant.
 
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— Absolument rien, un peu de fatigue, et voilà tout.
 
— Mais vous me paraissez bien gai, ce matin, mon oncle.
==[[Page:Verne - Voyage au centre de la Terre.djvu/189]]==
Mais vous me paraissez bien gai, ce matin, mon oncle.
 
— Enchanté, mon garçon ! enchanté ! Nous sommes arrivés !
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— Le retour ! Ah ! tu penses à revenir quand on n’est même pas arrivé ?
 
— Non, je veux seulement demander comment il s’effectuera.
==[[Page:Verne - Voyage au centre de la Terre.djvu/190]]==
Non, je veux seulement demander comment il s’effectuera.
 
— De la manière la plus simple du monde. Une fois arrivés au centre du sphéroïde, ou nous trouverons une route nouvelle pour remonter à sa surface, ou nous reviendrons tout bourgeoisement par le chemin déjà parcouru. J’aime à penser qu’il ne se fermera pas derrière nous.
Ligne 3 753 ⟶ 3 813 :
« Et les provisions ? dis-je,
 
— Voyons les provisions, » répondit mon oncle.
==[[Page:Verne - Voyage au centre de la Terre.djvu/191]]==
Voyons les provisions, » répondit mon oncle.
 
Les caisses qui les contenaient étaient alignées sur la grève dans un parfait état de conservation ; la mer les avait respectées pour la plupart, et somme toute, en biscuits, viande salée, genièvre et poissons secs, on pouvait compter encore sur quatre mois de vivres.
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— Soit ! À l’îlot Axel, nous avions franchi environ deux cent soixante-dix lieues de mer et nous nous trouvions à plus de six cents lieues de l’Islande.
 
— Bien ! partons de ce point alors et comptons quatre jours d’orage, pendant lesquels notre vitesse n’a pas dû être inférieure à quatre-vingts lieues par vingt-quatre heures.
==[[Page:Verne - Voyage au centre de la Terre.djvu/192]]==
Bien ! partons de ce point alors et comptons quatre jours d’orage, pendant lesquels notre vitesse n’a pas dû être inférieure à quatre-vingts lieues par vingt-quatre heures.
 
— Je le crois. Ce serait donc trois cents lieues à ajouter.
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Ainsi donc, il ne fallait plus en douter, pendant la tempête une saute de vent s’était produite dont nous ne nous étions pas aperçus et avait ramené le radeau vers les rivages que mon oncle croyait laisser derrière lui.
 
 
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Il me serait impossible de peindre la succession des sentiments qui agitèrent le professeur Lidenbrock, la stupéfaction, l’incrédulité et enfin la colère. Jamais je ne vis homme si décontenancé d’abord, si irrité ensuite. Les fatigues de la traversée, les dangers courus, tout était à recommencer ! Nous avions reculé au lieu de marcher en avant !
 
Mais mon oncle reprit rapidement le dessus.
 
« Ah ! la fatalité me joue de pareils tours ! s’écria-t-il ; les éléments conspirent
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contre moi ! l’air, le feu et l’eau combinent leurs efforts pour s’opposer à mon passage ! Eh bien ! l’on saura ce que peut ma volonté. Je ne céderai pas, je ne reculerai pas d’une ligne, et nous verrons qui l’emportera de l’homme ou de la nature ! »
 
Debout sur le rocher, irrité, menaçant, Otto Lidenbrock, pareil au farouche Ajax, semblait défier les dieux. Mais je jugeai à propos d’intervenir et de mettre un frein à cette fougue insensée.
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« Je ne dois rien négliger, reprit-il, et puisque la fatalité m’a poussé sur cette partie de la côte, je ne la quitterai pas sans l’avoir reconnue. »
 
 
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Cette remarque sera comprise quand on saura que nous étions revenus au rivage du nord, mais non pas à l’endroit même de notre premier départ. Port-Graüben devait être situé plus à l’ouest. Rien de plus raisonnable dès lors que d’examiner avec soin les environs de ce nouvel atterrissage.
 
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Nous marchions donc sur une sorte de terrain sédimentaire formé par les eaux, comme tous les terrains de cette période, si largement distribués à la surface du globe. Le professeur examinait attentivement chaque interstice de roche. Qu’une ouverture quelconque existât, et il devenait important pour lui d’en faire sonder la profondeur.
 
Pendant un mille, nous avions côtoyé les rivages de la mer Lidenbrock, quand le sol changea subitement d’aspect. Il paraissait bouleversé, convulsionné par un
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exhaussement violent des couches inférieures. En maint endroit, des enfoncements ou des soulèvements attestaient une dislocation puissante du massif terrestre.
 
Nous avancions difficilement sur ces cassures de granit, mélangées de silex, de quartz et de dépôts alluvionnaires, lorsqu’un champ, plus qu’un champ, une plaine d’ossements apparut à nos regards. On eût dit un cimetière immense, où les générations de vingt siècles confondaient leur éternelle poussière. De hautes extumescences de débris s’étageaient au loin. Elles ondulaient jusqu’aux limites de l’horizon et s’y perdaient dans une brume fondante. Là, sur trois milles carrés. peut-être ; s’accumulait toute la vie de l’histoire animale, à peine écrite dans les terrains trop récents du monde habité.
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— Oui, mon neveu ! Ah ! M. Milne-Edwards ! Ah ! M, de Quatrefages ! que n’êtes-vous là où je suis, moi, Otto Lidenbrock ! »
 
 
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Pour comprendre cette évocation faite par mon oncle à ces illustres savants français, il faut savoir qu’un fait d’une haute importance en paléontologie s’était produit quelque temps avant notre départ.
 
Le 28 mars 1863, des terrassiers fouillant sous la direction de M. Boucher de Perthes les carrières de Moulin-Quignon, près Abbeville, dans le département de la Somme, en France, trouvèrent une mâchoire humaine à quatorze pieds au-dessous de la superficie du sol. C’était le premier fossile de cette espèce ramené à
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la lumière du grand jour. Près de lui se rencontrèrent des haches de pierre et des silex taillés, colorés et revêtus par le temps d’une patine uniforme.
 
Le bruit de cette découverte fut grand, non seulement en France, mais en Angleterre et en Allemagne. Plusieurs savants de l’Institut français, entre autres MM. Milne-Edwards et de Quatrefages, prirent l’affaire à cœur, démontrèrent l’incontestable authenticité de l’ossement en question, et se firent les plus ardents défenseurs de ce « procès de la mâchoire », suivant l’expression anglaise.
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Ainsi, d’un bond, l’homme remontait l’échelle des temps d’un grand nombre de siècles ; il précédait le Mastodonde ; il devenait le contemporain de « l’Elephas meridionalis » ; il avait cent mille ans d’existence, puisque c’est la date assignée par les géologues les plus renommés à la formation du terrain pliocène !
 
 
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Tel était alors l’état de la science paléontologique, et ce que nous en connaissions suffisait à expliquer notre attitude devant cet ossuaire de la mer Lidenbrock. On comprendra donc les stupéfactions et les joies de mon oncle, surtout quand, vingt pas plus loin, il se trouva en présence, on peut dire face à face, avec un des spécimens de l’homme quaternaire.
 
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Après quelques instants de silence, l’oncle fut vaincu par le professeur. Otto Lidenbrock, emporté par son tempérament, oublia les circonstances de notre voyage, le milieu où nous étions, l’immense caverne qui nous contenait. Sans doute il se crut au Johannaeum, professant devant ses élèves, car il prit un ton doctoral, et s’adressant à un auditoire imaginaire :
 
« Messieurs, dit-il, j’ai l’honneur de vous présenter un homme de l’époque quaternaire. De grands savants ont nié son existence, d’autres non moins grands l’ont affirmée. Les saint Thomas de la paléontologie, s’ils étaient là, le toucheraient du doigt, et seraient bien forcés de reconnaître leur erreur. Je sais bien que la science doit se mettre en garde contre les découvertes de ce genre ! Je n’ignore pas quelle exploitation des hommes fossiles ont faite les Barnum et autres charlatans de même farine. Je connais l’histoire de la rotule d’Ajax, du prétendu corps d’Oreste retrouvé par les Spartiates, et du corps d’Astérius, long de dix coudées, dont parle Pausanias. J’ai lu les rapports sur le squelette de Trapani découvert au XIVe siècle, et dans lequel on voulait reconnaître Polyphème, et l’histoire du géant déterré pendant le XVIe siècle aux environs de Palerme. Vous n’ignorez pas plus que moi, Messieurs, l’analyse faite auprès de Lucerne, en 1577, de ces grands ossements que le célèbre médecin Félix Plater déclarait appartenir à un géant de dix-neuf pieds ! J’ai dévoré les traités de Cassanion, et tous ces mémoires, brochures, discours et contre-discours publiés à propos du squelette du roi des Cimbres, Teutobochus, l’envahisseur de la Gaule, exhumé d’une sablonnièresablonniè
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re du Dauphiné en 1613 ! Au XVIIIe siècle, j’aurais combattu avec Pierre Campet l’existence des préadamites de Scheuchzer ! J’ai eu entre les mains l’écrit nommé ''Gigans''.. »
 
Ici reparut l’infirmité naturelle de mon oncle, qui en public ne pouvait pas prononcer les mots difficiles.
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« Vous le voyez, reprit-il, il n’a pas six pieds de long, et nous sommes loin des prétendus géants. Quant à la race à laquelle il appartient, elle est incontestablement caucasique. C’est la race blanche, c’est la nôtre ! Le crâne de ce fossile est régulièrement ovoïde, sans développement des pommettes, sans projection de la mâchoire. Il ne présente aucun caractère de ce prognathisme qui modifie l’angle facial<ref>L’angle facial est formé par deux plans, l’un plus ou moins vertical qui est tangent au front et aux incisives, l’antre horizontal, qui passe par l’ouverture des conduits auditifs et l’épine nasale inférieure. On appelle prognathisme, en langue anthropologique, cette projection de la mâchoire qui modifie l’angle facial.</ref>. Mesurez cet angle, il est presque de quatre-vingt-dix degrés. Mais j’irai plus loin encore dans le chemin des déductions. et j’oserai dire que cet échantillon humain appartient à la famille japétique, répandue depuis les Indes jusqu’aux limites de l’Europe occidentale. Ne souriez pas, Messieurs ! »
 
 
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Personne ne souriait, mais le professeur avait une telle habitude de voir les visages s’épanouir pendant ses savantes dissertations !
 
« Oui, reprit-il avec une animation nouvelle, c’est là un homme fossile, et contemporain des Mastodontes dont les ossements emplissent cet amphithéâtre. Mais de vous dire par quelle route il est arrivé là, comment ces couches où il était enfoui ont glissé, jusque dans cette énorme cavité du globe, c’est ce que je ne me permettrai pas. Sans doute, à l’époque quaternaire, des troubles considérables se manifestaient encore dans l’écorce terrestre : le refroidissement continu du globe produisait des cassures, des fentes, des failles, où dévalait vraisemblablement une partie du terrain supérieur. Je ne me prononce pas, mais enfin l’homme
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est là, entouré des ouvrages de sa main, de ces haches, de ces silex taillés qui ont constitué l’âge de pierre, et à moins qu’il n’y soit venu comme moi en touriste, en pionnier de la science, je ne puis mettre en doute l’authenticité de son antique origine. »
 
Le professeur se tut, et j’éclatai en applaudissements unanimes. D’ailleurs mon oncle avait raison, et de plus savants que son neveu eussent été fort empêchés de le combattre.
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Pendant une demi-heure encore, nos pieds foulèrent ces couches d’ossements. Nous allions en avant, poussés par une ardente curiosité. Quelles autres merveilles renfermait cette caverne, quels trésors pour la science ? Mon regard s’attendait à toutes les surprises, mon imagination à tous les étonnements.
 
Les rivages de la mer avaient depuis longtemps disparu derrière les collines de l’ossuaire. L’imprudent professeur, s’inquiétant peu de d’égarer, m’entraînait au loin. Nous avancions silencieusement, baignés dans les ondes électriques. Par un phénomène que je ne puis expliquer, et grâce à sa diffusion, complète alors, la lumière éclairait uniformément les diverses faces des objets. Son foyer n’existait plus en un point déterminé de l’espace et elle ne produisait aucun effet d’ombre. On aurait pu se croire en plein midi et on plein été, au milieu des régions équatoriales, sous les rayons verticaux du soleil. Toute vapeur avait disparu. Les rochers, les montagnes lointaines, quelques masses confuses de forêts éloignéeséloigné
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es, prenaient un étrange aspect sous l’égale distribution du fluide lumineux. Nous ressemblions à ce fantastique personnage d’Hoffmann qui a perdu son ombre.
 
Après une marche d’un mille, apparut la lisière d’une forêt immense, mais non plus un de ces bois de champignons qui avoisinaient Port-Graüben.
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Soudain je m’arrêtai, De la main, je retins mon oncle.
 
La lumière diffuse permettait d’apercevoir les moindres objets dans la profondeur des taillis. J’avais cru voir… non ? réellement, de mes yeux, je voyais des formes immenses s’agiter sous les arbres ! En effet, c’étaient des animaux gigantesques, tout un troupeau de Mastodontes, non plus fossiles, mais vivants, et semblables à ceux dont les restes furent découverts en 1801 dans les marais de l’Ohio ! J’apercevais ces grands éléphants dont les trompes grouillaient sous les arbres comme une légion de serpents. J’entendais le bruit de leurs longues défenses
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fenses dont l’ivoire taraudait les vieux troncs. Les branches craquaient, et les feuilles arrachées par masses considérables s’engouffraient dans la vaste gueule de ces monstres.
 
Ce rêve, où j’avais vu renaître tout ce monde des temps antéhistoriques, des époques ternaire et quaternaire, se réalisait donc enfin ! Et nous étions là, seuls, dans les entrailles du globe, à la merci de ses farouches habitants !
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Un quart d’heure plus tard, nous étions hors de la vue de ce redoutable ennemi.
 
Et maintenant que j’y songe tranquillement, maintenant que le calme s’est refait dans mon esprit, que des mois se sont écoulés depuis cette étrange et surnaturelle rencontre, que penser, que croire ? Non ! c’est impossible ! Nos sens ont été abusés, nos yeux n’ont pas vu ce qu’ils voyaient ! Nulle créature humaine n’existe dans ce monde subterrestre ! Nulle génération d’hommes n’habite ces
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cavernes inférieures du globe, sans se soucier des habitants de sa surface, sans communication avec eux ! C’est insensé, profondément insensé !
 
J’aime mieux admettre l’existence de quelque animal dont la structure se rapproche de la structure humaine, de quelque singe des premières époques géologiques, de quelque Protopithèque, de quelque Mésopithèque semblable à celui que découvrit M. Lartet dans le gîte ossifère de Sansan ! Mais celui-ci dépassait par sa taille toutes les mesures données par la paléontologie ! N’importe ! Un singe, oui, un singe, si invraisemblable qu’il soit ! Mais un homme, un homme vivant, et avec lui toute une génération enfouie dans les entrailles de la terre ! Jamais !
 
 
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Cependant nous avions quitté la forêt claire et lumineuse, muets d’étonnement, accablés sous une stupéfaction qui touchait à l’abrutissement. Nous courions malgré nous. C’était une vraie fuite, semblable à ces entraînements effroyables que l’on subit dans certains cauchemars. Instinctivement, nous revenions vers la mer Lidenbrock, et je ne sais dans quelles divagations mon esprit se fût emporté, sans une préoccupation qui me ramena à des observations plus pratiques.
 
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— Moi, aucunement, mais vous, je suppose ?
 
— Non pas, que je sache ; je n’ai jamais eu cet objet en ma possession.
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Non pas, que je sache ; je n’ai jamais eu cet objet en ma possession.
 
— Et moi encore moins, mon oncle.
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Nous arrivâmes ainsi à un endroit où le rivage se resserrait. La mer venait presque baigner le pied des contre-forts, laissant un passage large d’une toise au plus. Entre deux avancées de roc, on apercevait l’entrée d’un tunnel obscur.
 
 
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Là, sur une plaque de granit, apparaissaient deux lettres mystérieuses à demi rongées, les deux initiales du hardi et fantastique voyageur :
 
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« En avant, en avant ! » m’écriai-je.
 
 
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Je m’élançais déjà vers la sombre galerie, quand le professeur m’arrêta, et lui, l’homme des emportements, il me conseilla la patience et le sang-froid.
 
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— Ah ! tu trouves, Axel ?
 
— Sans doute, et il n’est pas jusqu’à la tempête qui ne nous ait remis dans le droit chemin. Béni soit l’orage ! Il nous a ramenés à cette côte d’où le beau temps
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nous eût éloignés ! Supposez un instant que nous eussions touché de notre proue (la proue d’un radeau ! ) les rivages méridionaux de la mer Lidenbrock, que serions-nous devenus ? Le nom de Saknussemm n’aurait pas apparu à nos yeux, et maintenant nous serions abandonnés sur une plage sans issue.
 
— Oui, Axel, il y a quelque chose de providentiel à ce que, voguant vers le sud, nous soyons précisément revenus au nord et au cap Saknussemm. Je dois dire que c’est plus qu’étonnant, et il y a là un fait dont l’explication m’échappe absolument.
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— Oui, mon garçon ; mais auparavant, examinons cette nouvelle galerie, afin de savoir s’il faut préparer nos échelles. »
 
Mon oncle mit son appareil de Ruhmkorff en activité ; le radeau, attaché au
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rivage, fut laissé seul ; d’ailleurs, l’ouverture de la galerie n’était pas à vingt pas de là, et notre petite troupe, moi en tête, s’y rendit sans retard.
 
L’orifice, à peu près circulaire, présentait un diamètre de cinq pieds environ ; le sombre tunnel était taillé dans le roc vif et soigneusement alésé par les matières éruptives auxquelles il donnait autrefois passage ; sa partie inférieure affleurait le sol, de telle façon que l’on put y pénétrer sans aucune difficulté.
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Voilà comment je parlais ! L’âme du professeur avait passé tout entière en moi. Le génie des découvertes m’inspirait. J’oubliais le passé, je dédaignais l’avenir. Rien n’existait plus pour moi à la surface de ce sphéroïde au sein duquel je m’étais engouffré, ni les villes, ni les campagnes, ni Hambourg, ni König-strasse, ni ma pauvre Graüben, qui devait me croire à jamais perdu dans les entrailles de la terre.
 
«
« Eh bien ! reprit mon oncle, à coups de pioche, à coups de pic, faisons notre route et renversons ces murailles !
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Eh bien ! reprit mon oncle, à coups de pioche, à coups de pic, faisons notre route et renversons ces murailles !
 
— C’est trop dur pour le pic, m’écriai-je.
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À six heures, nous étions sur pied. Le moment approchait de nous frayer par la poudre un passage à travers l’écorce de granit.
 
 
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Je sollicitai l’honneur de mettre le feu à la mine. Cela fait, je devais rejoindre mes compagnons sur le radeau qui n’avait point été déchargé ; puis nous prendrions au large, afin de parer aux dangers de l’explosion, dont les effets pouvaient ne pas se concentrer à l’intérieur du massif.
 
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Après un repas rapide, mon oncle et le chasseur s’embarquèrent, tandis que je restais sur le rivage. J’étais muni d’une lanterne allumée qui devait me servir à mettre le fou à la moche.
 
«
« Va, mon garçon, me dit mon oncle, et reviens immédiatement nous rejoindre.
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Va, mon garçon, me dit mon oncle, et reviens immédiatement nous rejoindre.
 
— Soyez tranquille, mon oncle, je ne m’amuserai point en route. »
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Je me sentis perdu.
 
Une heure, deux heures, que sais-je ! se passèrent ainsi. Nous nous serrions les coudes, nous nous tenions les mains afin de n’être pas précipités hors du radeau ; des
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chocs d’une extrême violence se produisaient, quand il heurtait la muraille. Cependant ces heurts étaient rares, d’où je conclus que la galerie s’élargissait considérablement. C’était, à n’en pas douter, le chemin de Saknussemm ; mais, au lieu de le descendre seul, nous avions, par notre imprudence, entraîné toute une mer avec nous.
 
Ces idées, on le comprend, se présentèrent à mon esprit sous une forme vague et obscure. Je les associais difficilement pendant cette course vertigineuse qui ressemblait à une chute. À en juger par l’air qui me fouettait le visage, elle devait surpasser celle des trains les plus rapides. Allumer une torche dans ces conditions était donc impossible, et notre dernier appareil électrique avait été brisé au moment de l’explosion.
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Cependant les heures s’écoulèrent. La situation ne changeait pas, mais un incident vint la compliquer.
 
En cherchant à mettre un peu d’ordre dans la cargaison, je vis que la plus grande partie des objets embarqués avaient disparu au moment de l’explosion, lorsque la mer nous assaillit si violemment ! Je voulus savoir exactement à quoi m’en tenir sur nos ressources, et, la lanterne à la main, je commençai mes recherches. De nos instruments, il ne restait plus que la boussole et le chronomètre. Les échelles
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et les cordes se réduisaient à un bout de câble enroulé autour du tronçon de mât. Pas une pioche, pas un pic, pas un marteau, et, malheur irréparable, nous n’avions pas de vivres pour un jour !
 
Je me mis à fouiller les interstices du radeau, les moindres coins formés par les poutres et la jointure des planches. Rien ! nos provisions consistaient uniquement en un morceau de viande sèche et quelques biscuits.
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Cependant, cette inondation soudaine ne dura pas. En quelques secondes je me trouvai a l’air libre que j’aspirai à pleins poumons. Mon oncle et Hans me serraient le bras à le briser, et le radeau nous portait encore tous les trois.
 
 
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Je suppose qu’il devait être alors dix heures du soir. Le premier de mes sens qui fonctionna après ce dernier assaut fut le sens de l’ouïe. J’entendis presque aussitôt, car ce fut acte d’audition véritable, j’entendis le silence se faire dans la galerie, et succéder à ces mugissements qui, depuis de longues heures, remplissaient mes oreilles. Enfin ces paroles de mon oncle m’arrivèrent comme un murmure :
 
«
« Nous montons !
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Nous montons !
 
— Que voulez-vous dire ? m’écriai-je.
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« Eh bien ! dis-je, croyez-vous encore que nous puissions être sauvés ? »
 
 
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Ma demande n’obtint aucune réponse.
 
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— Non ! répliqua fermement le professeur.
 
— Quoi ! vous croyez encore à quelque chance de salut ?
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Quoi ! vous croyez encore à quelque chance de salut ?
 
— Oui ! certes oui ! et tant que son cœur bat, tant que sa chair palpite, je n’admets pas qu’un être doué de volonté laisse en lui place au désespoir. »
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Cependant, après ce repas, chacun se laissa aller à ses réflexions. À quoi songeait Hans, cet homme de l’extrême Occident, que dominait la résignation fataliste des Orientaux ? Pour mon compte, mes pensées n’étaient faites que de souvenirs, et ceux-ci me ramenaient à la surface de ce globe que je n’aurais jamais dû quitter. La maison de König-strasse, ma pauvre Graüben, la bonne Marthe, passèrent comme des visions devant mes yeux, et, dans les grondements lugubres qui couraient à travers le massif, je croyais surprendre le bruit des cités de la terre.
 
Pour mon oncle, « toujours à son affaire », la torche à la main, il examinait avec attention la nature des terrains ; il cherchait à reconnaître sa situation par l’observation des couches superposées. Ce calcul, ou mieux cette estime, ne pouvait êtreê
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tre que fort approximative ; mais un savant est toujours un savant, quand il parvient à conserver son sang-froid, et certes, le professeur Lidenbrock possédait cette qualité à un degré peu ordinaire.
 
Je l’entendais murmurer des mots de la science géologique ; je les comprenais, et je m’intéressais malgré moi à cette étude suprême.
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Qui sait ? Il espérait toujours. De sa main il tâtait la paroi verticale, et, quelques instants plus tard, il reprenait ainsi :
 
«
« Voilà les gneiss ! voilà les micaschistes ! Bon ! à bientôt les terrains de l’époque de transition, et alors… »
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Voilà les gneiss ! voilà les micaschistes ! Bon ! à bientôt les terrains de l’époque de transition, et alors… »
 
Que voulait dire le professeur ? Pouvait-il mesurer l’épaisseur de l’écorce terrestre suspendue sur notre tête ? Possédait-il un moyen quelconque de faire ce calcul ? Non. Le manomètre lui manquait, et nulle estime ne pouvait le suppléer.
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Oui, affolée ! L’aiguille sautait d’un pôle à l’autre avec de brusques secousses, parcourait tous les points du cadran, et tournait, comme si elle eût été prise de vertige.
 
 
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Je savais bien que, d’après les théories les plus acceptées, l’écorce minérale du globe, n’est jamais dans un état de repos absolu ; les modifications amenées par la décomposition des matières internes, l’agitation provenant des grands courants liquides, l’action du magnétisme, tendent à l’ébranler incessamment, alors même que les êtres disséminés à sa surface ne soupçonnent pas son agitation. Ce phénomène ne m’aurait donc pas autrement effrayé, ou du moins il n’eût pas fait naître dans mon esprit une idée terrible.
 
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De plus heureux ! Mon oncle était-il donc devenu fou ? Que signifiaient ces paroles ? pourquoi ce calme et ce sourire ?
 
« Comment ! m’écriai-je, nous sommes pris dans une éruption ! la fatalité nous a jetés sur le chemin des laves incandescentes, des roches en feu, des eaux bouillonnantes,
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de toutes les matières éruptives ! nous allons être repoussés, expulsés, rejetés, vomis, lancés dans les airs avec les quartiers de rocs, les pluies de cendres et de scories, dans un tourbillon de flammes ! et c’est ce qui peut nous arriver de plus heureux !
 
— Oui, répondit le professeur en me regardant par-dessus ses lunettes, car c’est la seule chance que nous ayons de revenir à la surface de la terre ! »
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Vers huit heures du matin, un nouvel incident se produisit pour la première fois. Le mouvement ascensionnel cessa tout à coup. Le radeau demeura absolument immobile.
 
«
« Qu’est-ce donc ? demandais-je, ébranlé par cet arrêt subit comme par un choc.
== reste ==
Qu’est-ce donc ? demandais-je, ébranlé par cet arrêt subit comme par un choc.
 
— Une halte, répondit mon oncle.