« Albertus » : différence entre les versions
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{{titre|Albertus,<br><small>ou L’âme et le péché</small><br><br><small>''Légende théologique''</small>|[[Auteur:Théophile Gautier|Théophile Gautier]]|1832<br><small>(Édition de 1890, avec les ''[[Premières Poésies (Gautier)|Premières Poésies]]'')</small>}}
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<small><poem> ▼
You shall see anon, ’tis a knavish
Piece of work.
''HAMLET'', III, 7
</poem></small>
▲<poem>
<poem>
I
Sur le bord
Dorment, de nénufars et de bateaux couvertes,
Avec ses toits aigus, ses immenses greniers,
Ses tours au front
Ses cabarets bruyants qui regorgent
Est un vieux bourg flamand tel que les peint Teniers.
— Vous reconnaissez-vous ? — Tenez, voilà le saule,
De ses cheveux blafards inondant son épaule
Comme une fille au bain ;
Il ne manque vraiment au tableau que le cadre
Avec le clou pour
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Confort et far-niente ! — toute une poésie
De calme et de bien-être, à donner fantaisie
De
La pipe culottée et la cruche à fleurs peintes,
Le vidrecome large à tenir quatre pintes,
Comme en ont les buveurs de Brauwer, et le soir
Près du poêle qui siffle et qui détonne, au centre
Suivre une idée en
Chanter un vieux refrain, porter quelque rasade,
Au fond
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Frileuse, se souvient, et parle à son Wilhem ;
Ce pays du soleil où les citrons mûrissent,
Où de nouveaux jasmins toujours
Naples pour Amsterdam, le lorrain pour Berghem ;
À vous faire donner pour ces murs verts de mousses
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Les beaux palais de marbre aux blanches colonnades,
Les femmes au teint brun, les molles sérénades,
Et tout
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Une méchante femme ayant nom Véronique ;
Chacun la redoutait, et répétait tout bas
Autour de sa demeure, et que de mauvais anges
Venaient pendant la nuit y prendre leurs ébats.
—
Comme la voix
Une évocation ; de sourds vagissements
Sortant de dessous terre, et des rumeurs lointaines,
Des chants, des cris, des pleurs, des cliquetis de chaînes,
V
Même dame Gertrude avait un jour
Vu de ses propres yeux, du milieu
À cheval sur la foudre un démon noir sortir,
Traverser le ciel rouge, et dans la cheminée,
De bleuâtres vapeurs soudain environnée,
La tête la première en hurlant
La grange du fermier Justus Van Eyck
Sans
Avalanche de feu, quatre des travailleurs.
Des gens dignes de foi jurent que Véronique
Se trouvait là, riant
Et grommelant des mots railleurs !
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VI
La femme du brasseur Cornelis met au monde,
Avant terme, un enfant couvert
Et si laid que son père eût voulu le voir mort.
— On dit que Véronique avait sur
Depuis ce temps malade, et dans son lit couchée,
Par un mystère noir jeté ce mauvais sort.
Au reste, tous ces bruits, son air sauvage et louche
Les justifiait bien. —
Dents noires, front coupé de rides, doigts noueux,
Dos voûté, pied tortu sous une jambe torse,
Voix rauque, âme plus laide encor que son écorce,
Le diable
VII
Cette vieille sorcière habitait une hutte,
Accroupie au penchant
Le chardon aux longs dards,
Par les fentes du toit, par les brèches des voûtes
Sans obstacle passant, la pluie à larges gouttes
Inonde les planchers moisis et vermoulus.
À peine si
Une vitre sur trois qui ne soit pas brisée,
Et la porte ne ferme plus.
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VIII
La limace baveuse argente la muraille
Dont la pierre se gerce et dont
Les lézards verts et gris se logent dans les trous,
Et
Coasser tout auprès la grenouille qui saute,
Et râler aigrement les crapauds à
— Aussi, pendant les soirs
Surtout quand du croissant une ouateuse nue
Emmaillotte la corne en un flot de vapeur,
Personne, — non pas même Eisenbach le ministre, —
Sans trembler et blêmir de peur.
IX
De ces dehors riants
Un pandémonium ! Où sur la même ligne,
Se heurtent mille objets fantasquement mêlés.
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Alambics contournés en spirales bizarres,
Vieux manuscrits ouverts sur un fauteuil bancal,
Foetus mal conservés saisissant
Contre le verre du bocal !
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Où la cruche hydropique, avec ses flancs énormes,
Semble un hippopotame, et la fiole au grand cou,
De quelque pharaon ou
Ivresse
Où les récipients, matras, siphons et pompes,
Allongés en phallus ou tortillés en trompes,
Prennent
Où les monstres tracés autour du zodiaque,
Portant écrit au front leur nom en syriaque,
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XI
Poudreux entassement de machines baroques
Dont
Et de bouquins, sans titre en langage chrétien !
Tohu-bohu ! Chaos où tout fait la grimace,
Se déforme, se tord, et prend une autre face ;
Glace vue à
Car tout est transposé. Le rouge y devient fauve,
Le blanc noir, le noir bleu ; jamais sous une alcôve
Smarra
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Que du sépulcre à peine ont désertés les hôtes,
Jette son ombre au mur en linéaments droits.
En entrant là, Satan, bien
Ferait le signe de la croix.
XIII
Et pourtant cet enfer est un ciel pour
Teniers à cette source a pris son
Callot bien des motifs de sa
Goethe a tiré de là la scène tout entière
Où Méphistophélès mène chez la sorcière
Faust, qui veut rajeunir, boire la potion.
—
(Jedediah Cleishbotham) y puisa plus
— Ce type
Meg de ''Guy Mannering'', ressemble à
À notre Véronique, — il
Et déguiser le vêtement.
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Le plaid bariolé de tartan et la toque
Dissimulent la jupe et le béguin à coque.
Ensuite il
Cette description (voyez son
Le chat noir, — Marius sur ces restes debout ! —
Et mille autres détails. Je le jurerais presque,
Celui que fit
Créa Bug, Han, Cromwell,
Dans cette hutte même a ciselé ces masques
Que
De Benvenuto Cellini.
XV
Le matou dont il est parlé dans
Était le bisaïeul de Murr, ce philosophe,
Dont
Prenait en
Et que minuit sonnait et que
Mon pauvre Childebrand à
Le meilleur cœur de chat et
Qui se puissent trouver sous des poils aussi noirs,
Cet ami dont la mort
Que depuis ce temps-là
Était aussi
XVI
Ce digne chat était du reste
Admis dans ce repaire, et pour qui Véronique
Eût de
Était-il seul au monde à
Et pauvre, qui
Ceux
— Il fait nuit, tout se tait ; une lumière rouge,
Intermittente, oscille aux vitrages du bouge ;
— Notre matou, couché sur le fauteuil boiteux,
Regarde
La vieille qui
Pour quelque mystère honteux ;
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XVII
Ou bien, frottant sa patte à sa moustache raide,
Lustre son poil soyeux comme
De sa langue âpre et dure, et frileux, pour dormir
Entre les deux chenets, près des tisons, en boule,
La tête sous la queue artistement se roule.
— La bise cependant continue à gémir,
Mêle ses cris ; le toit craque, la bûche pète,
La flamme tourbillonne, et dans un grand chaudron,
Sous des flocons
Danse en accompagnant de son bruit la bouilloire
Et le matou qui fait ron ron.
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XVIII
Minuit est le moment voulu pour
Minuit sonne. — aussitôt
Trace de sa baguette un rond sur le plancher,
Et se place au milieu ; — des milliers de fantômes
Hors du cercle magique, ainsi que des atomes
Tremblent, points lumineux sur la tenture noire.
— La vieille cependant murmure son grimoire,
Pousse des cris aigus, dit des mots dont le son,
Pareil au bruit que font les marteaux
Vous écorche
Comme une mauvaise boisson.
XIV
Mais ce
Elle jette un par un ses vêtements à terre
Et se met toute nue ; — oh !
Le squelette blanchi dont la bise se joue,
Et qui depuis six mois fait aux corbeaux la moue
Du haut
Près de cette carcasse aux mamelles arides,
Au ventre jaune et plat, coupé de larges rides,
Aux bras rouges pareils à des bras de homard.
''Horror ! Horror ! Horror !'' comme dirait Shakspeare,
— Une chose sans nom, — impossible à décrire,
Un idéal de cauchemar !
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XX
Dans le creux de sa main elle prend cette eau brune
Et
Langue humaine ne peut conter exactement
Ce qui se fit alors ! — cette mamelle flasque,
Qui
Se gonfle et
Se dissipe : on dirait une boule
Coupée en deux, à voir sa forme et sa blancheur.
Le sang en fils
De manière à pouvoir, même avec une fille
De quinze ans, lutter de fraîcheur.
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XXI
Elle se frotte
— La rose y reparaît, le moindre pli
Comme les plis de
Un diamant de feu nage dans sa prunelle ;
Ses cheveux sont de jais, son corps
— Elle est belle à présent, mais belle à faire envie.
Plus
Seulement pour toucher sa main du bout du doigt,
Et
Si charmante, ce corps, cette taille parfaite,
À quels moyens elle les doit.
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XXII
Une perle
Parfois
Parfois illuminés
Deux beaux miroirs de jais, à vous donner
De vous y regarder pendant toute la vie,
— Un son de voix plus doux
Sontag et Malibran, dont chaque note vibre,
Et dans le cœur se noue à quelque intime fibre ;
La malice de Puck, la grâce
Une bouche mutine où la petite moue
— Un miracle, un rêve du ciel ! —
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XXIII
Lecteur, sans hyperbole elle était vraiment belle,
— Très-belle ! —
Et
Soient trompés, et toujours ils le sont quand on aime.
— Le bonheur qui nous vient
Que
Priant Dieu
Car la foi seule peut nous faire voir le ciel
Dans
Où la félicité sur le néant se fonde,
Et le malheur sur le réel.
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XXIV
La flamme qui dormait
Sort du cercle, revêt une blanche tunique,
Une robe de pourpre, — au lieu du béguin noir
Un chaperon
La lune en ce moment, par une déchirure
De nuage, dardait sa clarté faible et pure ;
— La porte était ouverte, en sorte
Du dehors distinguer le dedans, et sans doute
Si
Il aurait pensé
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À la place du chat paraît un beau jeune homme,
Nez aquilin, front haut, moustache noire, comme
La jeune fille en voit dans ses songes
— Avec son manteau rouge et son pourpoint de soie,
Sa dague de Tolède au pommeau qui chatoie,
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XXVI
—
Au jeune cavalier qui, le poing sur la hanche,
En silence attendait ; — Don Juan, conduisez-moi.
— Juan
La dame se pencha sur son oreille ; à peine
Deux syllabes, — Don Juan comprit. — Holà donc! Toi,
Leporello, dit-il
Madame veut sortir, prends une torche, éclaire
Madame. — A
Leporello paraît amenant la voiture ;
Ils y montent, — le fouet claque, le cocher jure,
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XXVII
Mais quel chemin encor ? —
— Il faisait nuit ;
Qui diable eût pu les voir ? — personne ; tout dormait ;
La lune avait bandé ses yeux bleus
De peur
Sans que nul se doutât de ce
La voiture parvint. — pas un seul grain de boue
À ses larges panneaux armoriés ; — la roue,
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De soie et de velours, roulait muette et sourde
À travers champs, toujours tout droit, et si peu lourde
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Leurs bonnets à carcasse élevés de six toises,
Les beautés à la mode et les Vénus bourgeoises
De
Von Altenhorff, — celui de la comtesse anglaise
Cecilia Wilmot est vide ; on est à
Chez la landgrave de Gotha !
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XXIX
Jeunes et vieux, — robins en perruque poudrée,
Fats portant autour
Militaires en beaux uniformes, traînant
Sur le parquet sonore une épée incongrue ;
Peintres, musiciens, — tout le monde se rue
Chez
Au dire
Surtout lorsque
Et la beauté du diable, — on
Entretien de la ville était sur Véronique :
Jamais nom ne fut plus prôné !
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XXX
Des battements de mains, des bravos, un tapage,
Quand elle paraissait, à ne
— Jamais dilettanti
Sur la prima dona fait pleuvoir plus
De bouquets et de vers, certes,
La belle Véronique-aux bals, dans les théâtres,
Partout, —
— Les poëtes faisaient des sonnets sur ses yeux
Et
Les peintres barbouillaient son image, — et les riches
Se ruinaient à qui mieux mieux.
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XXXI
Elle donnait le ton, et, reine de la mode,
Elle était adorée ainsi
— Personne
La forme des chapeaux, et la coupe des manches,
Lequel fait mieux, des fleurs ou bien des plumes blanches ?
Quelle parure sied ? — quelle couleur va bien ?
Elle décidait tout. —
Tielemanus Van Horn, la fille du vieux duc,
Avaient beau protester par leur mise hérétique,
— A peine voyait-on dans leur salon gothique
Un laid
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XXXII
Young fût devenu gai, le pleureur Héraclite,
Au spectacle plaisant des efforts que faisaient
Les dames de
Pour
— Des ingénuités dont les moindres pesaient
Trois ou quatre quintaux ; — des faces rubicondes
Avec des fleurs, des nœuds de rubans, et des blondes,
— Des montagnes de chair à la Rubens, — au lieu
De bons velours
Portant de fins tissus, des gazes, des nuages !
Quel travestissement, bon dieu !
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— Une brise à propos faisait onder ses franges,
Ses plumes palpitaient ainsi que des oiseaux
Qui vont prendre
— Une invisible main soutenait ses dentelles
Et se jouait dans leurs réseaux.
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Tout était de bon goût, et (qualité bien rare)
Quel que fût son habit, galant, riche ou bizarre,
On
Faisaient des diamants pâlir les étincelles.
Les perles de ses dents paraissaient les plus belles,
La blancheur de sa peau ternissait le satin.
— ''Désinvolture'', esprit lutin, grâce câline, —
Tour à tour Camargo, Manon Lescaut, Philine,
Une ravissante catin !
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— Le conseiller aulique Hans et Meister Philippe
Pour elle avaient laissé le genièvre et la pipe ;
—
Types complets, — gros, courts, la face réjouie,
Négligeant leur tulipe enfin épanouie,
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Ne lui ménageaient pas les critiques amères,
Mais elle allait toujours son train, — sans en perdre un,
Et,
Accueillait tout le monde et recevait
Et les rixdales de chacun.
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Deux mois sont écoulés. — capricieuse reine,
Ce jour-là Véronique avait une migraine,
Ou prétendait
Les courtisans faisaient en grand nombre antichambre.
— Dans un riche boudoir où des pastilles
Jettent un doux parfum, où tous les bruits de pas
Sur de beaux tapis turcs, comme sur
Où le timbre qui chante et les bûches qui pleurent
Troublent seuls le silence avec leurs grêles voix.
Notre belle, — en peignoir du matin, pâle et blanche
Comme une perle, — au bord
Froissant un papier sous ses doigts.
XXXVII
Elle boude ! — mon dieu,
A de grâces ! La main sous le menton, le coude,
Tel
Sur un genou, — le corps qui
Ainsi
— Les cheveux débouclés qui cachent par moment
Ou laissent voir, selon que le zéphyr
Ou que les doigts mutins les peignent, une joue
Transparente et nacrée, un front veiné
Comme dans les jardins font les branches des arbres,
De leurs réseaux voilant ou découvrant les marbres
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XXXVIII
Qui cause ce chagrin ? En se levant,
Dans sa glace trouvée ou vieillie ou moins belle ?
— A-t-elle découvert dans ses boucles de jais
Un pâle fil
Les deux bouts du ruban, sous la main qui
Seraient-ils donc trop courts pour son corps plus épais ?
— Cette robe attendue et sur laquelle on compte
Pour enlever à miss Wilmot le cœur du comte,
Son épagneul est-il malade ? — quelque fièvre,
Après trois nuits de bal, a-t-elle de sa lèvre
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XXXIX
Son
De son visage grec moins pur ? — quelque rivale,
Avec plus de jeunesse ou plus de diamants,
A-t-elle au dernier ''raoût'' fait tourner plus de têtes ?
Non, — elle est bien toujours la déesse des fêtes ; —
Tout ploie à ses genoux. — hier,
Pris
Ludwig De Siegendorff en duel
Son adversaire est mort, — lui blessé ; — voilà certe
Un beau succès ! — tout Leyde est en
Pourquoi donc ce front abattu ?
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Comme Lawrence en peint ? — cette gorge agitée
Dans sa prison de crêpe et sous les réseaux clairs
Ondant comme la neige au vent
Quelle pensée étrange à cette folle tête
Donne un air si rêveur ? — est-ce le souvenir
De son premier amour et de ses jours
— Regret
— Est-ce la peur de
XLI
Ce
Pour ne pas oublier, et la chaîne est rompue
Qui liait son présent à son passé. —
Je ne crois pas
Un de ces souvenirs qui, dans tout cœur de femme,
Si dépravé
Et se gardent sans tache au fond de sa mémoire,
Comme fait une perle au creux
— Ce
Le bal, un souper fin, quelque soirée à rendre,
Le plaisir
La voix de son cœur comprimé.
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XLII
Voici le fait : — la veille on jouait au théâtre
Le ''Don Juan'' de Mozart. Avec sa cour folâtre
De jeunes merveilleux, papillons de boudoir,
Dont quelque Staub De Leyde a découpé les ailes,
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XLIII
Les acteurs avaient beau
Filer les plus beaux sons, ils y perdaient leur peine.
— En vain Leporello pas à pas suivait Juan ;
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Zerline gazouillait jouant avec les notes,
Dona Anna pleurait. — ils auraient bien un an
Continué ce jeu sans que
— Le parterre est distrait, —
Regarde, mais
Braqués au même point le désir étincelle ;
Véronique sourit ; — le bonheur
La fait dix fois plus belle encor.
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XLIV
Seul un homme debout auprès
Sans que ce grand fracas le dérange ou
À la scène oubliée attachant son regard,
Dans une extase sainte enivre ses oreilles.
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Ton génie avait pris le sien, et de ses ailes
Le poussait par delà les sphères éternelles.
Il
Palpitait et chantait avec une voix pure,
Et lui seul te comprenait bien.
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XLV
Tout au plus dans
Jeté
Eût été se briser. — pourtant, comme une balle,
Cette
Au cœur de Véronique arrivant
Y fit sans le vouloir une blessure grave,
— Une blessure à mort. — ainsi
Être tué sans gloire à
Par le coup de fusil tiré sur quelque lièvre,
Par la tuile qui tombe, ou mourir de la fièvre
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XLVI
Celle qui,
Froide au milieu des feux, daignait à peine rendre
Pour une passion un caprice en retour,
Et se faisait un jeu (
De torturer les cœurs et de damner les âmes,
Celle qui sans pitié se jouait
Comme un enfant cruel de son hochet
Et rejette bien loin aussitôt
Souffre
Elle faisait aimer, et maintenant elle aime !
Il est vaincu ce cœur si fier !
XLVII
Quand au timbre fatal
Nul ne peut retarder sa défaite
— Quelle vertu
Tout cède à ce pouvoir infernal ou céleste :
On ne saurait tromper ni son sort ni
— Amour, joie et fléau du monde, — douce peine,
Misère
— Rire qui touche aux pleurs, — souci pâle et charmant,
Mal que
Commencé dans le ciel, que sur terre on prolonge,
Mystérieux enchantement !
Ligne 743 ⟶ 751 :
XLVIII
Poignante volupté, — plaisir qui fait peut-être
Et si longs et si courts qui valent une vie,
Et que voudrait payer
De son éternité de bonheur dans les cieux ! —
Mer de félicité, — ravissement, — extase,
Dont ne saurait donner
Soit en vers soit en prose ! — heures du rendez-vous,
Belles nuits sans sommeils, râles, sanglots
Soupirs, mots inconnus
Baisers enragés, désirs fous !
XLIX
Amour ! Le seul péché qui vaille
— En vain dans ses sermons le prêtre te condamne ;
En vain dans son fauteuil, besicles sur le nez,
Ligne 773 ⟶ 781 :
L
Moi, ce fut
Me vint
Je
À compasser des mots : — adorer mon idole,
La parer, admirer sa chevelure folle,
Mer
Quand elle souriait,
Ses désirs dans ses yeux ; sur son front endormi
Guetter ses rêves ; boire à sa bouche de rose
Ligne 788 ⟶ 796 :
LI
Sans cela
En mil huit cent vingt-neuf, et beaucoup plus tôt même ;
Mais, comme je
Dans un cordon. —
Avec elle aux grands bois ; —
Elle, comme un enfant, courait dans la rosée
Après les papillons, et la jambe arrosée
Chaque fleur sous ses pas inclinait son ombrelle.
— Moi, je la regardais ; —
Et riait comme nos amours.
Ligne 805 ⟶ 813 :
LII
Mai dans le gazon vert faisait rougir la fraise :
— Dès
Elle accourait bien vite et voulait partager ;
Moi, je ne voulais pas ; —
Et de mon autre main je la faisais manger.
Elle me résistait
Promettant de payer en baisers sa rançon.
— Alors, comme un oiseau dont on ouvre la cage,
Ligne 819 ⟶ 827 :
LIII
Et puis je
De me tromper ainsi. — quelque abeille éveillée
Sortant
Arpentant son col blanc avec ses pattes grêles,
Une chenille prise aux plis de ses dentelles,
Ligne 829 ⟶ 837 :
Ses beaux seins effarés, au tic tac de son cœur
Tremblaient et palpitaient comme deux tourterelles
Surprises dans le nid, qui font un grand bruit
Entre les doigts de
LIV
Tout en la rassurant,
Je saisissais le monstre, et de sa peur guérie
Elle recommençait à rire, et
Sur un de mes genoux se moquant
Et
Puis le baiser rendu, rêveuse, elle appuyait
Sa tête à mon épaule, et fermait sa paupière
Comme pour
Traversant les rameaux, dorait son front charmant ;
— Le rossignol chantait et perlait ses roulades,
Ligne 850 ⟶ 858 :
LV
Nous ne nous disions rien, et nous avions
Et pourtant, ô mon dieu ! Si le bonheur existe
Quelque part ici-bas, nous étions bien heureux.
—
Nous arrêtions les mots, nous savions les pensées ;
Nous
— Comme emparadisés dans les bras
Nous ne concevions pas
Nos artères, nos cœurs vibraient à
Dans les ravissements
Nous avions oublié
Nos yeux étaient notre horizon.
Ligne 866 ⟶ 874 :
LVI
Tout ce bonheur
Comme des étrangers
Sont ainsi ; — leur toujours ne passe pas six mois. —
Comme un beau papillon qui
Pour ne plus revenir a déployé son aile,
Ne laissant dans mon cœur, plus que le sien fidèle,
Que doutes du présent et souvenirs amers.
Que voulez-vous ? — la vie est une chose étrange ;
En ce temps-là
Mes beaux amours en méchants vers.
LVII
Bénévole lecteur,
Fidèlement contée, autant que ma mémoire,
Registre mal en ordre, a pu me rappeler
Ces riens qui furent tout, dont
Et dont on rit ensuite. — excusez cette pause :
La bulle que
Et qui flottait en
En une goutte
Elle
— En heurtant le réel, ma riante chimère
Tout autre amour en moi
Ligne 899 ⟶ 907 :
Excepté cependant le tien, ô poésie,
Qui parles toujours haut dans une âme choisie !
— Poésie, ô bel ange à
Qui, passant
Sans crainte de salir tes pieds blancs sur le nôtre,
Dans notre nuit suspends un moment ton essor,
Nous dis des mots tout bas, et du bout de ton aile
Sèches nos pleurs amers ; — et toi, sa sœur jumelle,
Peinture, la rivale et
Déception sublime, admirable imposture,
Qui redonnes la vie et doubles la nature,
Ligne 914 ⟶ 922 :
— Revenons au sujet. — Le jeune enthousiaste
Était beau cavalier, et certe une plus chaste
Que Véronique eût pu
Avant
Le dedans. — un soleil étranger avait lui
Sur sa tête et doré
Sa peau
Ses cheveux, sous ses doigts, en désordre jetés,
Tombaient autour
Aurait palpé six mois, et
LX
Un front impérial
Occupant à lui seul la moitié de la tête,
Large et plein, se courbant sous
Qui cache en chaque ride avant
Un espoir surhumain, une grande pensée,
Et porte écrit ces mots : — force et conviction. —
Ligne 937 ⟶ 945 :
Répondait. — cependant il avait quelque chose
Qui déplaisait à voir, et, quoique sans défaut,
On
Le sarcasme y brillait plutôt que le génie ;
Le bas semblait railler le haut.
Ligne 943 ⟶ 951 :
LXI
Cet ensemble faisait
Un enfer sous un ciel. —
De longs sourcils
Se glissant sur la peau comme un serpent qui rampe,
Une frange de cils palpitants et soyeux,
Ligne 953 ⟶ 961 :
Vous faisaient frissonner et pâlir malgré vous.
— Les plus hardis auraient abaissé la paupière
Devant cet
Ligne 960 ⟶ 968 :
LXII
Sur sa lèvre sévère à chaque coin ombrée
Un sourire moqueur quelquefois se posait ;
Mais son expression la plus habituelle
Était un grand dédain. — vainement notre belle,
Tout ce
Pour en grossir sa cour : — chose extraordinaire !
Rien ne put entamer ce cœur de diamant.
Coups
Aveux à mots couverts, vives agaceries,
— Elle échoua totalement !
Ligne 974 ⟶ 982 :
LXIII
Ce
Aux lacs que Véronique essayait de lui tendre.
— Le grand aigle à la glu, qui retient le moineau,
Laisse à peine une plume ; — une mouche étourdie
À la toile en un coin par
Se prend
Gulliver
Des lilliputiens. Une si belle proie
Valait bien cependant
Excepté de lui dire en propres mots : je
Elle essaya de tout ; — mais lui, toujours le même,
LXIV
Était fermée à tous. En effet, eh !
À son cœur occupé cette cour qui la suit ?
Ces beaux fils, ces dandys qui
Lui semblent maintenant ou guindés ou vulgaires ;
Leurs madrigaux musqués la fatiguent ; le bruit
Et le jour lui font mal ; tout
Sur sa petite main son front penche et
Son bras potelé pend au bord de son fauteuil,
La pauvre enfant ! Voyez, sa joue est toute pâle.
Le dépit a changé ses roses en opale,
Une larme luit à son
LXV
Le papier que la belle, avec un air
Dans sa petite main aux ongles roses froisse,
Indubitablement est un billet
— Un vélin azuré qui par toute la chambre
Jette une fashionable et suave odeur
— je
Ont quelque chose en soi qui trahissent la femme.
— Est-ce un billet surpris de rivale, ou la dame
Ligne 1 024 ⟶ 1 032 :
Et poussant en arrière une boucle défaite,
Elle quitta sa pose indolente, et se prit,
Avant de demander la bougie et
La cire et le cachet, à relire sa lettre
Tout bas, — comme ayant peur que
— Je ne
Dit-elle déchirant la feuille ; elle mérite,
Comme celle
— Il faisait un grand froid, la flamme était ardente ;
Le papier se tordit comme un damné du Dante
Ligne 1 037 ⟶ 1 045 :
LXVII
Et disparut-pendant que brûle cette feuille,
Et commence. — sa main rapide en son essor,
Comme un cheval de course à New-Market, à peine
Effleure le papier, — la page est toute pleine
Que
— Don Juan ! — le chapeau bas, Don Juan devant la dame
Est debout. — Véronique agitée, une flamme
Ligne 1 052 ⟶ 1 060 :
LXVIII
Albertus, je
Est le fin ''cortejo'' que je viens de décrire
Quelques stances plus haut. —
Aimant tout à la fois
La peinture et les vers autant que la musique.
Il
Dieu lui laissant le choix, il eût souhaité
Mais moi qui le connais comme lui, mieux peut-être,
Je crois en vérité
Car entre ces trois sœurs égales en mérite
Dans le fond la peinture était sa favorite
Ligne 1 067 ⟶ 1 075 :
LXIX
Il voyait
— pour son opinion sur
Quatre maravédis des deux. — la créature
Le réjouissait peu, si ce
—
Du pourquoi, du comment, il était pessimiste
Comme
Quoique bien jeune encor, depuis longues années
Il
Sonnaient bien des heures
Ligne 1 084 ⟶ 1 092 :
LXX
Il prenait cependant son mal en patience.
—
Elle change un bambin en Géronte ; elle fait
Que, dès les premiers pas dans la vie, on ne trouve,
Novice, rien de neuf dans ce que
Lorsque la cause vient,
— Le piment est sans goût pour un palais malade.
Un odorat blasé sent à peine
Comme un citron pressé le cœur devient aride.
Don Juan arrive après Werther.
Ligne 1 098 ⟶ 1 106 :
LXXI
Notre héros avait, comme ève sa
Poussé par le serpent, mordu la pomme amère,
Il voulait être dieu. — quand il se vit tout nu,
Et possédant à fond la science de
Il désira mourir. — il
On
Il tenta de
Le monde
En cherchant il avait usé les passions,
Levé le coin du voile et regardé derrière.
— A vingt ans
Cadavre sans illusions.
Ligne 1 115 ⟶ 1 123 :
LXXII
Malheur, malheur à qui dans cette mer profonde
Du cœur de
Car le plomb bien souvent, au lieu de sable
De coquilles de nacre aux beaux reflets de moire,
— Oh ! Si je pouvais vivre une autre vie encor !
Certes, je
Comme
Soit triste, si
— Jouissons, faisons-nous un bonheur de surface ;
Un beau masque vaut mieux
— Pourquoi
LXXIII
Si de sa destinée il eût été
Il eût, vous croyez bien, sauté plus
Du roman de la vie, et passé tout
À la conclusion de cette sotte histoire.
— Incertain
Ou demander le mot de
Comme un duvet au vent, avec indifférence
Il laissait au hasard aller son existence
— Les choses
Et celles de là-haut encor moins. — pour son âme,
Je vous dirai, dussé-je encourir votre blâme,
Ligne 1 146 ⟶ 1 154 :
LXXIV
Il était ainsi fait. — singulière nature !
Son âme,
— Il voulait le néant et
À la suppression de
Il avait les vertus dont il riait, et
Qui là-haut sur son livre écrivait indigné
Une grosse hérésie, un sophisme damnable,
Venant à
Et pesant dans sa main le bien avec le mal,
Pour cette fois encor retenait
— Une larme tombée à
LXXV
La décoration change. — pour le quart
Nous sommes à
Du signor Albertus, et dans son atelier.
Savez-vous ce que
Lecteur bourgeois ? — un jour discret tombant du cintre
Y donne à chaque chose un aspect singulier.
Laisse à travers le noir luire une blanche étoile.
— Au milieu de la salle, auprès du chevalet,
Sous le rayon brillant où vient valser
Se dresse un mannequin
Tout est clair-obscur et reflet.
Ligne 1 176 ⟶ 1 184 :
LXXVI
Que sous les vieux arceaux
Un univers à part qui ne ressemble en rien
À notre monde à nous ; — un monde fantastique,
Où tout parle aux regards, où tout est poétique,
Où
— Le beau de chaque époque et de chaque contrée,
Feuille
Armes, meubles, dessins, plâtres, marbres, tableaux,
Giotto, Cimabué, Ghirlandaio, que sais-je ?
Ligne 1 192 ⟶ 1 200 :
LXVII
Laques, pots du Japon, magots et porcelaines,
Pagodes toutes
Beaux éventails de Chine, à décrire trop longs,
— Cuchillos, kriss malais à lames ondulées,
Kandjiars, yataghans aux gaînes ciselées,
Arquebuses à mèche, espingoles, tromblons,
Heaumes et corselets, masses
Faussés, criblés à jour, rouillés, rongés de taches,
Mille objets-bons à rien, admirables à voir ;
Caftans orientaux, pourpoints du moyen-âge,
Rebecs, psaltérions, instruments hors
Un antre, un musée, un boudoir !
Ligne 1 209 ⟶ 1 217 :
Autour du mur beaucoup de toiles accrochées,
Blanches pour la plupart, les autres ébauchées,
Un chaos de couleurs ne vivant
— La Lénore à cheval, Macbeth et les sorcières,
Les infants de Lara, Marguerite en prières,
Ligne 1 215 ⟶ 1 223 :
Lesquelles, dans son cadre, une de jeune fille,
Claire sur un fond brun, se détache et scintille,
Belle à ne savoir pas de quel nom
Péri, fée ou sylphide, être charmant et frêle,
Ange du ciel à qui
Pour
Ligne 1 224 ⟶ 1 232 :
On aurait dit, à voir cette tête inclinée,
Et son expression pensive et résignée,
Une
— Ce
La plus et mieux aimée, une vénitienne,
Un bravo poignarda. — le mari de la belle
Avait monté ce coup, la sachant infidèle
—
Albertus vint au corps, leva
Ébaucha ce portrait
Et puis jamais
Ligne 1 239 ⟶ 1 247 :
LXXX
Seulement quand ses yeux rencontraient cette toile,
Une larme furtive essuyée aussitôt
Il fronçait les sourcils, mais il ne disait mot.
— A Venise, un anglais osa faire des offres :
Pour avoir ce chef-
Mais
Et comme obstinément il grossissait la somme,
Albertus furieux voulut noyer son homme
Ligne 1 253 ⟶ 1 261 :
LXXXI
Albertus travaillait. —
Salvator eût signé cette ''selve selvagge''.
— Au premier plan des rocs, — au second les donjons
Un ciel ensanglanté, semé
— Les grands chênes pliaient comme de faibles joncs,
Les feuilles tournoyaient en
Comme les flots hurlants
Ondait sous la rafale, et de nombreux éclairs
De reflets rougeoyants incendiaient les cimes
Ligne 1 269 ⟶ 1 277 :
LXXXII
On entra. —
Éclaira
Ni cornes, ni pied-bot, —
Le soufre ou le bitume, à son regard oblique,
À sa lèvre que crispe un rire sardonique,
À son geste anguleux, à sa voix, à son pas,
Tout homme un peu prudent aurait couru bien vite
À sa bible et vous
— Albertus
Son âme avec ses yeux était à sa peinture.
— Signor,
En le tirant par son pourpoint.
LXXXIII
Notre artiste
Et ne la trouvant pas : — Infâme créature !
Dit-il entre ses dents. — Irez-vous ? — Oui,
— Quand ? Reprit Juan
— Vive Dieu !
À quatre pas
—
Un André Ferrara, — fine lame, trempée
Du sang de maints vaillants. — Je suis à vous. Pietro !
Une tête hâlée apparut à la porte
Et dit :
Ma cape avec mon sombrero. »
Ligne 1 308 ⟶ 1 316 :
Il avait vu bouger dans son cadre la tête
De la vénitienne, et sa bouche muette
Remuer et
— Eh bien ! Signor, fit Juan. — povera, dit
Caressant le portrait
Il est trop tard pour reculer.
Ligne 1 323 ⟶ 1 331 :
Une fille de joie attendait sur la borne.
— Albertus suivait Juan silencieux et morne ;
Certe, il
— Un larron
Un écolier qui va subir sa pénitence,
Ne marchent pas
LXXXVI
Il eût pu retourner chez lui, — mais
Était réellement bizarre et de nature
À piquer
Aussi notre héros voulut-il la poursuivre.
Des yeux noirs, des fronts blancs, sous les vitres flamboient,
La maison
Aux flancs sombres des murs. — de palier en palier
La lumière descend, — la porte en bronze
À
Ligne 1 348 ⟶ 1 356 :
Un petit négrillon qui tenait une torche
De cire parfumée, attendait sous le porche.
Sa livrée écarlate, avec des galons
Était riche et galante. — Allons, dit Juan, beau page
Conduisez ce seigneur par le secret passage.
Albertus le suivit. — Au bout
Une courtine rouge à demi relevée
Se referme sur lui ; — flairant son arrivée,
Deux grands lévriers blancs, couchés sur le tapis,
Hument
Poussent entre leurs dents une plainte inquiète,
Et puis retombent assoupis.
Ligne 1 362 ⟶ 1 370 :
LXXXVIII
Tout
— Sur un beau guéridon de bois de citronnier
Brillait, comme une étoile, une lampe
Qui jetait par la chambre un jour doux et bleuâtre.
— Des perles, de la soie, un coffre à clous
De blondes sépias, de fraîches aquarelles,
Des albums, des écrans aux découpures frêles,
Ligne 1 373 ⟶ 1 381 :
Un masque noir brisé, — mille riens fashionables,
Pêle-mêle jetés, jonchaient fauteuils et tables ;
—
LXXXIX
Notre ''innamorata'', couchée autant
Sur un moelleux divan, jeta, comme surprise,
Un petit cri
Puis, — prenant
Refit bouffer sa manche et remit à leur place
Quelques rubans mutins. —
En état
Autant que femme au monde, et même plus ; —
Noirs et brillants avaient, sous leurs longues paupières,
Tant de ''morbidezza'', son geste et ses manières
Un abandon si gracieux !
Ligne 1 394 ⟶ 1 402 :
XC
Albertus un instant crut voir sa vénitienne
— La coiffure bizarre ornée à
De grosses boules
Le collier de corail, la croix et
Les touffes de rubans et toute la toilette ;
La peau couleur
Le regard tout pareil et la même parole :
Elle lui ressemblait à faire illusion.
Ligne 1 409 ⟶ 1 417 :
XCI
Véronique sonna. — la portière dorée
Un petit page entra qui portait des plateaux,
— Un vrai page flamand, tête blonde et rosée,
Comme celle
— Il posa sur la table et flacons et gâteaux,
Plaça
Versa de haut le vin dans les verres à patte,
Salua nos galants et puis
—
Jaunissait de vieillesse, un vin mis en bouteille
Au moins depuis un siècle-ou deux !
Ligne 1 424 ⟶ 1 432 :
XCII
Il luisait comme
— Un seul verre eût suffi pour étourdir un homme :
Albertus au second
— A son
Tout flottait sans contour dans une vapeur trouble ;
Le plancher ondulait, les murs semblaient valser.
Ligne 1 439 ⟶ 1 447 :
XCIII
Albertus
— Quand même il
De la dame brillait un soleil dont le feu
Eût animé la pierre et fait fondre la glace :
Ligne 1 446 ⟶ 1 454 :
Eussent vendu leur stalle au paradis de Dieu.
— Oh ! Dit-il, mon cœur brûle à cette étrange flamme
Qui dans ton
Pour
— Un seul mot de ta bouche à la vie éternelle
Me ferait renoncer. —
Une minute de tes jours !
Ligne 1 456 ⟶ 1 464 :
XCIV
— Est-ce bien vrai cela ? Reprit la Véronique
Le sourire à la bouche et
Et répéteriez-vous ce que vous avez dit ?
— Que pour vous posséder je donnerais mon âme
Au diable, si le diable en voulait, oui, madame,
Je
Cria
Car tu
— Un nuage de soufre emplit la chambre, un rire
De Méphistophélès, que
Tout à coup dans
XCV
Comme ceux
Les yeux de Véronique un instant
Brillèrent ; — cependant Albertus
Certes,
À leur expression égarée et sauvage,
Il se serait signé de peur, — car
Un regard exprimant un mal irrémédiable,
Un regard de damné demandant
— On y lisait : — Toujours, jamais, éternité.
À de pareils éclairs, mourrait et fondrait comme
Fond le bitume au feu jeté.
Ligne 1 486 ⟶ 1 494 :
XCVI
Et ses lèvres tremblaient. — on eût dit
Allait
Dit-elle bondissant comme un tigre en fureur.
Mais sais-tu ce que
En demandant le mien, as-tu sondé ton âme ?
As-tu bien calculé les forces de ton cœur ?
Que te sens-tu dans toi de puissant et de large
À porter sans plier une pareille charge ?
Toujours ! Songes-y bien,
Il
Et cet être,
Ligne 1 505 ⟶ 1 513 :
Derrière les rideaux, tirés discrètement,
Fait deviner un lit. — Albertus, sans mot dire
(
Sur le bord de ce lit la pousse doucement...
Tout rouge
— Que ne fait-on pas dire à cet honnête point ?
Jamais comme immoral Basile ne le biffe,
Et dans un roman chaste il est
De ce qui ne
XCVIII
Moi qui ne suis pas prude, et qui
Ni de feuille de vigne à coller à ma phrase,
Je ne passerai rien. — les dames qui liront
Cette histoire morale auront de
Pour quelques chauds détails. — les plus sages, je pense,
Les verront sans rougir, et les autres crieront.
Ce que
Dont on coupe le pain en tartines. — mes vers
Sont des vers de jeune homme et non un catéchisme.
Je ne les châtre pas, — dans leur décent cynisme
Ils
XCIX
Peu
Leur maîtresse absolue, en a la fantaisie,
Et, chastes comme Adam avant
Ils marchent librement dans leur nudité sainte,
Enfants purs de tout vice et laissant voir sans crainte
Ce
— Je ne suis pas de ceux dont une gorge nue,
Un jupon un peu court, font détourner la vue. —
Mon
— Pourquoi donc tant crier sur
Ce
Ligne 1 549 ⟶ 1 557 :
C
— Le peintre avait coupé le corset. — Véronique
De
Laissant sous ses réseaux courir
— Tout ce que vous pourrez imaginer de fin.
Albertus eut bientôt brisé ce rempart frêle,
Et dans un tour de main déshabillé la belle.
— Il eut tort,
Hélas ! Car bien souvent avec le voile tombe
CI
Il
— Un poëte amoureux
Devant ton œuvre, à toi,
Titien, et tous ces noms
Ô Raphaël ! Crois-moi, jette là tes crayons ;
Ta palette, ô Titien ! — Dieu seul est le grand maître,
Il garde son secret et nul ne le pénètre,
Et vainement nous
Ligne 1 589 ⟶ 1 597 :
Son col blond et doré, sa bouche de corail,
Son pied de Cendrillon et sa jambe divine,
Et ce que
Seule elle valait un sérail. —
Ligne 1 597 ⟶ 1 605 :
Des cris de volupté, des râles extatiques,
De longs soupirs mourants, des sanglots et des pleurs :
— ''Idolo del mio cuor, anima mia'', mon ange,
Ma vie, — et tous les mots de ce langage étrange
Que
Voilà ce
Le lit tremble et se plaint, le plaisir devient rage ;
— Ce ne sont que baisers et mouvements lascifs ;
Les bras autour des corps se crispent et se tordent,
Les seins bondissent convulsifs.
Ligne 1 610 ⟶ 1 618 :
CIV
La lampe grésilla. — Dans le fond de
Passa, comme
Ce ne fut
Véronique, la peau
Pâle comme une morte, et si défigurée
Que le frisson le prit ; — puis tout redevint noir. —
La sorcière colla sa bouche sur la bouche
Du jeune cavalier, et de nouveau la couche
Sous des élans
— Minuit sonna. — le timbre au bruit sourd de la grêle
Qui cinglait les carreaux joignit son fausset grêle,
Ligne 1 627 ⟶ 1 635 :
Tout à coup, sous ses doigts, ô prodige à confondre
La plus haute raison ! Albertus sentit fondre
Les appas de sa belle, et
— Le prisme était brisé. — ce
Que tout Leyde adorait, mais une vieille infâme,
Sous
Et pour saisir sa proie, en manière de pinces,
De toute leur longueur ouvrant de grands bras minces.
Ligne 1 642 ⟶ 1 650 :
CVI
Quand il se vit si près de cette mort vivante,
Tout le sang
— Ses cheveux se dressaient sur son front, et ses dents
Choquaient à se briser ; — cependant le squelette
À sa joue appuyant sa lèvre violette,
Le poursuivait partout de ses rires stridents. —
Dans
Incubes, cauchemars, spectres lourds et difformes
Un cercueil de Callot et de Goya complet !
Ligne 1 656 ⟶ 1 664 :
CVII
Au lieu du lit doré,
Au lieu du boudoir rose une petite salle
Frissonnaient des carreaux étoilés ; où les voûtes,
Vertes
Et laissaient choir leurs pleurs sur les pavés noircis.
— Juan, redevenu chat, jetait mille étincelles,
Fascinait Albertus du feu de ses prunelles,
Et comme le barbet de Faust,
De magiques liens, avec sa noire queue,
Sur la dalle, où
Traçait un cercle rayonnant.
Ligne 1 678 ⟶ 1 686 :
Caracoles et sauts, voltes et pétarades,
Ainsi que des chevaux par leur maître appelés.
—
Dit la sorcière ouvrant ses griffes comme un crabe
Et flattant de la main ses balais sur le col.
— Un crapaud hydropique, aux longues pattes grêles,
Tint
Les deux balais prirent leur vol.
Ligne 1 690 ⟶ 1 698 :
— La terre sous leurs pieds file rayée et grise,
Le ciel nuageux court sur leur tête au galop ;
À
Passent. — Le moulin tourne et fait des pirouettes,
La lune en son plein luit rouge comme un fallot ;
Le donjon curieux de tous ses yeux regarde,
Montre le poing et fuit emportant son pendu ;
Le corbeau qui croasse et flaire la charogne,
Fouette
Le front du jeune homme éperdu.
Ligne 1 705 ⟶ 1 713 :
Chauves-souris, hiboux, chouettes, vautours chauves,
Grands-ducs, oiseaux de nuit aux yeux flambants et fauves,
Monstres de toute espèce et
Stryges au bec crochu, goules, larves, harpies,
Vampires, loups-garous, brucolaques impies,
Ligne 1 711 ⟶ 1 719 :
Cela grogne, glapit, siffle, rit et babille,
Cela grouille, reluit, vole, rampe et sautille ;
Le sol en est couvert,
— Des balais haletants la course est moins rapide,
Et de ses doigts noueux tirant à soi la bride,
La vieille cria : —
Ligne 1 720 ⟶ 1 728 :
Une flamme jetant une clarté bleuâtre,
Comme celle du punch, éclairait le théâtre.
—
Les nécromants en robe et les sorcières nues,
À cheval sur leurs boucs, par les quatre avenues,
Ligne 1 736 ⟶ 1 744 :
Squelettes conservés dans les amphithéâtres,
Animaux empaillés, monstres, foetus verdâtres,
Tout humides encor de leur bain
Culs-de-jatte, pieds-bots, montés sur des limaces,
Pendus tirant la langue et faisant des grimaces ;
Guillotinés blafards, un ruban rouge au col,
Soutenant
— Tous les suppliciés, foule morne et sanglante,
Parricides manchots couverts
Hérétiques vêtus de tuniques soufrées,
Roués meurtris et bleus, noyés aux chairs marbrées ;
—
Ligne 1 756 ⟶ 1 764 :
Faisait étinceler les mots en traits de feu.
— Pour commencer la fête on attendait le maître,
On
Et faisait sourde oreille à
— Albertus croyait voir une queue et des cornes,
Des pieds de bouc, des yeux tout ronds aux regards mornes
Ligne 1 765 ⟶ 1 773 :
CXIV
Enfin il arriva. — ce
Empoisonnant le soufre et
Un diable rococo. —
Portant
Faisant sonner sa botte et siffler sa cravache
Ainsi
— On eût dit
Ou la
— Boiteux comme Byron, mais pas plus ; — il eût fait
Avec son ton tranchant, son air aristocrate,
Ligne 1 786 ⟶ 1 794 :
Ni le gros Rossini, ce roi de la musique,
Ni le chevalier Karl Maria de Weber,
À coup sûr
Inventer et noter la grande symphonie
Que jouèrent
— Boucher et Bériot, Paganini lui-même,
De plus brillants pizzicati.
Ligne 1 807 ⟶ 1 815 :
Font ronfler et mugir quatre basses géantes.
Un gras soprano tord ses mâchoires béantes.
CXVII
Le concerto fini, les danses commencèrent.
Les mains avec les mains en chaîne
Dans le grand fauteuil noir le diable se plaça
Et donna le signal. — hurrah ! Hurrah ! La ronde
Fouillant du pied le sol, hurlante et furibonde,
Comme un cheval sans frein au galop se lança.
Pour ne rien voir, le ciel ferma ses yeux
Et la lune prenant deux nuages pour voiles,
Toute blanche de peur de
Se turent,
CXVIII
On eût cru voir tourner et flamboyer dans
Les signes monstrueux
Se dressait gauchement sur ses pattes massives
Et
— Le cul-de-jatte, avec ses moignons estropiés,
Sautait comme un crapaud, et les boucs, plus ingambes,
Battaient des entrechats, faisaient des ronds de jambes.
— Une tête de mort, à pattes de faucheux,
Trottait par terre, ainsi
Dans tous les coins grouillait quelque chose
— Des vers rayaient le sol gâcheux. —
Ligne 1 850 ⟶ 1 858 :
— Les prunelles jetaient des éclairs électriques,
Les bouches se fondaient en étreintes lubriques :
—
Non, Sodome jamais, jamais sa sœur immonde,
De plus hideux accouplements.
Ligne 1 859 ⟶ 1 867 :
CXX
Le diable éternua. — pour un nez fashionable
— Dieu vous bénisse, dit Albertus poliment.
— A peine eut-il lâché le saint nom, que fantômes,
Sorcières et sorciers, monstres follets et gnomes,
Tout disparut en
— Il sentit plein
Des dents qui se plongeaient dans ses chairs lacérées ;
Il cria ; mais son cri ne fut point entendu...
Et des contadini le matin, près de Rome,
Sur la voie Appia trouvèrent un corps
Les reins cassés, le col tordu.
Ligne 1 880 ⟶ 1 888 :
Le sujet paresseux marchait avec lenteur.
Se berçant à loisir sur leurs ailes vermeilles,
Les strophes se groupaient comme un essaim
Ou picoraient sans ordre aux sureaux du chemin.
— Les chiffres grossissaient. La page sur la page
Ligne 1 891 ⟶ 1 899 :
— Ce poëme homérique et sans égal au monde
Offre une allégorie admirable et profonde ;
Mais, — pour sucer la moelle il faut
Pour savourer
Du tableau que
Lever, le bal fini, le masque aux dominos.
—
Clouer à chaque mot une savante glose.
— Je vous crois, cher lecteur, assez spirituel
Pour me comprendre. — Ainsi, bonsoir. — Fermez la porte,
Donnez-moi la pincette, et dites
Un tome de Pantagruel.
</poem> [[Catégorie:
[[Catégorie:Poèmes]]
[[Catégorie:Théophile Gautier]]
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