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LE CRIME DE ROULETABILLE
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çât à soupçonner qu’elle avait été beaucoup plus mêlée au drame qu’on ne l’avait cru jusqu’alors, on ne pouvait ajouter foi aux divagations de Rouletabille.

Le président, tout d’abord, admonesta celui-ci. Il lui rappela qu’il était sur ce banc moins pour accuser que pour se défendre et que, dans tous les cas, s’il s’attaquait à une renommée jusqu’alors sans tache et qui avait toujours brillé du doux éclat de la vertu, il devait le faire dans des termes qui ne révoltassent point la conscience publique et surtout apporter dans son inattendu système de défense plus de preuves que d’imprécations !

Rouletabille inclina la tête en signe qu’il avait compris et reprit la parole sur un ton doux et mesuré qu’il n’aurait jamais dû quitter.

— Messieurs, dit-il, mon ami Sainclair me rappelait à l’instant qu’à l’heure du crime, cinq heures et demie, Mme Boulenger se trouvait avec lui, chez moi, dans mon salon. C’est bien cette coïncidence de l’heure du crime (sur laquelle tout le monde est d’accord maintenant) et de la présence de Mme Boulenger à mon domicile qui, dans le moment que je cherchais le quatrième personnage nécessaire au drame, tel que je le concevais après mes investigations, m’empêchait d’entreprendre « celui de Mme Boulenger », me le barrait en quelque sorte !… Et je me rappelai l’insistance avec laquelle, sans en avoir l’air, Mme Boulenger nous avait fait constater l’heure à ma pendule… Cela, déjà, ne me parut point naturel… D’après ce que m’avait dit mon ami Sainclair, c’était lui qui était arrivé le premier dans mon salon et il avait entendu Mme Boulenger sonner à la porte de l’appartement ; le domestique avait ouvert à la visiteuse et l’avait introduite dans la pièce où mon ami se trouvait. Sainclair ne l’avait pas quittée. En principe je devais abandonner l’idée que Mme Boulenger aurait pu se créer un alibi en retardant ma pendule d’une demi-heure, je dis en principe, mais non en fait, car en fait je découvris que la chose avait été tout à fait possible. Une enquête auprès de mon domestique m’apprit que Mme Boulenger était venue chez moi cinq minutes avant l’arrivée de Sainclair, avait été introduite dans le salon puis était sortie de chez moi en annonçant qu’elle allait revenir ; elle y revenait en effet, y trouvait Sainclair, en ressortait et y remontait avec moi. Pourquoi cette insistance à revenir chez moi ? à se faire voir chez moi ?.. Je dis qu’une personne qui aurait eu intérêt à se créer un alibi n’aurait pas agi autrement… rien de plus… mais tout de même… depuis que je savais que Mme Boulenger s’était trouvée seule dans mon salon en face de ma pendule, l’heure ne me gênait plus !…

C’est dans ces conditions, messieurs, que je partis pour le Havre.

Jusqu’alors poussé par mon idée absolue de l’innocence, c’est-à-dire de la parfaite honnêteté de ma femme, innocence qui ne pouvait se présenter à mon esprit qu’à la condition que ma femme n’eût rien caché à Mme Boulenger de son rendez-vous, avec le docteur, à Passy (ce qui, du coup, faisait entrer le personnage de Mme Boulenger dans le drame)… jusqu’alors, dis-je, je n’avais qu’une conviction morale de l’intervention de Mme Boulenger, mais nullement intellectuelle ni surtout matérielle… Je devais trouver bientôt ce qui me manquait encore… Ayant relevé les traces de Théodora Luigi, il me fallait déterminer son rôle dans cette affaire, d’après les traces mêmes ; enfin et surtout dans quelles conditions, elle qui se trouvait au Havre la veille du crime, en était partie pour accourir à Paris… C’est alors, messieurs, que je revis cette villa de la Falaise où s’était déroulé, l’été précédent, un drame qui avait été, en quelque sorte, le prélude de celui-ci et sur lequel vous ne savez encore rien !…

Ici l’avocat général ayant esquissé un mouvement pour se lever, le président le devança dans ses intentions en déclarant :

— Le drame de Sainte-Adresse a fait l’objet d’une instruction qui est close et j’estime qu’il est inutile d’en reparler ici !…

Aussitôt, en tant qu’avocat de Rouletabille, je protestai contre cette façon de restreindre les débats mais cette fois, ce fut Rouletabille qui me calma :

— Messieurs, dit-il, la présence en ces lieux de Madame {il désignait Théodora Luigi) qui a bien voulu m’y suivre pour vous aider à démêler ce criminel imbroglio, doit vous être un sûr garant qu’il n’y sera point prononcé de paroles gênantes pour qui que ce soit… L’ombre de Henri II d’Albanie peut reposer en paix… Ce prince n’a été mêlé en rien au drame de la Falaise ! Ceci posé, il me sera permis de dire, sans m’arrêter bien entendu au système de « l’accident » qui n’a trompé personne… il me sera permis de dire que nul n’a rien su de ce drame ! Ni les magistrats qui ont cru le soupçonner, ni ma femme qui