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LE CRIME DE ROULETABILLE
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s’avança à la barre dans ses voiles de deuil, ce fut dans la salle, comme un immense gémissement. Elle était belle encore, avec une pâleur lumineuse, divine… Les tempes cependant avaient blanchi, les lèvres avaient pâli… au coin des yeux, à la naissance du nez, les douleurs avaient tracé le sillon de leurs larmes secrètes.

Le geste avec lequel elle jura de dire la vérité, toute la vérité fut d’une beauté auguste. Elle avait tourné la tête du côté de Rouletabille qui, lui, n’avait pas encore levé la sienne et restait enfermé dans ses bras. Et tout de suite, elle proclama sa conviction de l’innocence de l’accusé et sortit, au grand émoi de l’avocat général et pour la stupéfaction du public, le nom de Théodora Luigi !…

— Quand Rouletabille quitta, le mardi du drame, la maison de Passy, déclara-t-elle solennellement, les deux personnes qui s’y trouvaient étaient encore vivantes… une demi-heure plus tard quand Théodora Luigi qui y vint après lui en sortit, elles étaient mortes !…

L’avocat général s’était levé :

— C’est la première fois, s’écria-t-il, que nous entendons prononcer ce nom dans cette affaire… Nous avons trop de respect pour la douleur de Mme Roland Boulenger pour ne point comprendre les sentiments qui l’animent si… naturellement contre une femme…

— Monsieur l’avocat général ! interrompit Thérèse… il ne s’agit point ici de mes sentiments… Il s’agit de la vérité… je l’apporte, même si elle gêne quelques-uns !… je l’apporte et je la prouve !

— Prouvez donc, madame ! fit le président.

— Messieurs, fit alors Thérèse en sortant un papier de son sac… voici une lettre, lettre trouvée par Rouletabille et qu’il me confia avant son départ pour l’étranger, pour que je pusse m’en servir, si par hasard on ne le revoyait pas ! Cette lettre, adressée par mon mari à Théodora Luigi, lui donnait rendez-vous pour le mardi du crime, à la maison de Passy qu’elle connaissait bien !… Théodora était à ce moment au Havre… c’est là que Rouletabille à trouvé la lettre… Sans doute n’a-t-elle point répondu à mon mari comme celui-ci s’y attendait… et mon mari, croyant que cette femme ne viendrait pas… avait offert à Ivana une collation qui n’avait pas été préparée pour elle… et cela, j’en suis persuadée, en tout honneur ! Je n’ignorais rien du flirt sentimental et scientifique qui existait entre mon mari et Ivana… mais je n’ai jamais douté de cette dernière… Elle était audacieuse mais sûre d’elle et elle n’eut, pour rien au monde, trahi ni mon amitié ni surtout le seul être qu’elle aimât d’amour… l’homme qui est sur ce banc d’’infamie. (On s’attendait à voir se redresser Rouletabille… Je le poussai même du coude… mais il ne broncha pas son attitude continuait d’être déplorable… Ah ! il n’aidait certes pas ceux qui essayaient de le sauver !…) Or, continua Mme Boulenger (on eut entendu une mouche voler) Théodora Luigi est venue, a trouvé sa place prise et a frappé !…

— Pardon ! Celle lettre (l’huissier avait passé la lettre au président) ne prouve point qu’elle soit venue !… interrompit le président.

— Non monsieur… mais il est une autre chose qui le prouve, c’est ceci…

Et, puisant une seconde fois dans son sac, elle sortit l’anneau d’esclavage.

— C’est ce bijou qui ornait à l’ordinaire la cheville de Théodora Luigi… cet anneau qui s’est détaché dans la fuite de la coupable et que Rouletabille a retrouvé dans la petite maison de Passy devant des témoins que nous vous ferons entendre… Rouletabille m’avait confié cet anneau comme la lettre !… (Rumeur… l’huissier passe le bijou au président… la cour l’examine… puis l’avocat général… On a le plus grand mal à rétablir le silence.)

— Serait-il prouvé, émit l’avocat général, que ce bijou ait appartenu à Théodora Luigi… il resterait à établir que Théodora Luigi qui était venue souvent à la petite maison de Passy, l’aurait justement perdu ce jour-là !…

— Il y a un homme qui a vu ce jour-là et à cette heure-là Théodora Luigi sortant de la petite maison de Passy… cet homme, c’est le coiffeur dont la boutique était établie au coin de l’impasse La Roche… mais il est probable que l’on redoutait sa déposition… car on a fait quitter à cet homme, Paris d’abord, puis la France.

— Et l’on ne sait maintenant où il se trouve ? interrogea le président…

— C’est tout à fait dommage ! appuya l’avocat général… car, jusqu’à maintenant, le témoin n’a fait que nous apporter une hypothèse… une simple hypothèse… et, permettez-moi de le répéter, excusable de la part de Mme Boulenger, mais tout à fait invraisemblable pour qui veut bien réfléchir de sang-froid…

C’est alors que l’on vit se lever Roule-