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l’esprit satirique s’attaque à l’esprit chevaleresque. Le voilà qui réunit toutes ses forces pour produire une œuvre collective, immense par ses proportions et surtout par sa vogue, embrassant dans ses récits sans fin la vie humaine tout entière, en un mot une véritable épopée. Ainsi, rien ne manquera au parallélisme des deux inspirations diverses que nous avons signalées en commençant. L’enthousiasme avait enfanté l’épopée chevaleresque ; la moquerie produira l’épopée burlesque du ''Renart''. Pendant deux siècles au moins retentira, d’un bout de l’Europe à l’autre, cette comédie sans théâtre, sans héros, sans auteur, ouvrage d’un peuple et parodie d’un monde. Du reste, il ne faut pas croire que ce conte soit une âpre et haineuse satire. Plus violent, il eût été moins populaire, et par conséquent moins redoutable. C’est une mascarade plutôt qu’une invective : les prêtres et les moines, les nobles et les princes paraissent souvent sur la scène, mais jamais sous des traits odieux ; ils sont dupes quelquefois, jamais fripons ou méchans. Aussi les voit-on s’associer eux-mêmes au succès du poème : les ''provoires'' sont moins empressés de faire ''peindre l’image de Notre-Dame dans leurs moutiers'' que celle d’''Isengrin et de sa femme dans les chambres où ils reponnent''. C’est pourquoi maître Gorpil, né au XIIIe siècle de parens obscurs, méritera, pour avoir bien connu l’esprit de son temps et de son peuple, pour l’avoir gouverné avec finesse et modération, de laisser de son règne un bon et durable souvenir, d’imposer à la langue française le nom qu’il lui a plu de se forger, enfin d’être adopté par La Fontaine et de s’appeler toujours maître Renard.
l’esprit satirique s’attaque à l’esprit chevaleresque. Le voilà qui réunit toutes ses forces pour produire une œuvre collective, immense par ses proportions et surtout par sa vogue, embrassant dans ses récits sans fin la vie humaine tout entière, en un mot une véritable épopée. Ainsi, rien ne manquera au parallélisme des deux inspirations diverses que nous avons signalées en commençant. L’enthousiasme avait enfanté l’épopée chevaleresque ; la moquerie produira l’épopée burlesque du ''Renart''. Pendant deux siècles au moins retentira, d’un bout de l’Europe à l’autre, cette comédie sans théâtre, sans héros, sans auteur, ouvrage d’un peuple et parodie d’un monde. Du reste, il ne faut pas croire que ce conte soit une âpre et haineuse satire. Plus violent, il eût été moins populaire, et par conséquent moins redoutable. C’est une mascarade plutôt qu’une invective : les prêtres et les moines, les nobles et les princes paraissent souvent sur la scène, mais jamais sous des traits odieux ; ils sont dupes quelquefois, jamais fripons ou méchans. Aussi les voit-on s’associer eux-mêmes au succès du poème : les ''provoires'' sont moins empressés de faire ''peindre l’image de Notre-Dame dans leurs moutiers'' que celle d’''Isengrin et de sa femme dans les chambres où ils reponnent''. C’est pourquoi maître Gorpil, né au {{s|XIII}} de parens obscurs, méritera, pour avoir bien connu l’esprit de son temps et de son peuple, pour l’avoir gouverné avec finesse et modération, de laisser de son règne un bon et durable souvenir, d’imposer à la langue française le nom qu’il lui a plu de se forger, enfin d’être adopté par La Fontaine et de s’appeler toujours maître Renard.


Quelle est donc la tendance générale de ce poème ? quelle est l’idée à laquelle il répond ? Nous l’avons dit, c’est l’antithèse de l’esprit chevaleresque, c’est la ruse triomphant partout du droit et de la force. Et qu’on ne s’attende pas à voir cette ruse ou honnie ou moquée. Non ; les exploits de Renart provoquent partant un sourire d’approbation ; on admire la fécondité de son génie, on suit avec intérêt les aventures scabreuses de ce truand mangeur de poules ; on le voit traverser toute la société féodale sans y jeter ni ridicule ni malédictions, il se contente de la confisquer à son profit. Justice seigneuriale, combats en champ clos, sièges de châteaux-forts, batailles, hommages-liges, monastères, pèlerinages, tout passe sous nos yeux, sans autre dérision que le travestissement des personnages et l’éternel succès des intrigues de Renart, tour à tour jongleur, pèlerin, mire, chevalier, empereur, et toujours fripon. Il vieillit paisible et honoré dans son château de Maupertuis ; sa mort elle-même est une ruse.
Quelle est donc la tendance générale de ce poème ? quelle est l’idée à laquelle il répond ? Nous l’avons dit, c’est l’antithèse de l’esprit chevaleresque, c’est la ruse triomphant partout du droit et de la force. Et qu’on ne s’attende pas à voir cette ruse ou honnie ou moquée. Non ; les exploits de Renart provoquent partout un sourire d’approbation ; on admire la fécondité de son génie, on suit avec intérêt les aventures scabreuses de ce truand mangeur de poules ; on le voit traverser toute la société féodale sans y jeter ni ridicule ni malédictions, il se contente de la confisquer à son profit. Justice seigneuriale, combats en champ clos, sièges de châteaux-forts, batailles, hommages-liges, monastères, pèlerinages, tout passe sous nos yeux, sans autre dérision que le travestissement des personnages et l’éternel succès des intrigues de Renart, tour à tour jongleur, pèlerin, mire, chevalier, empereur, et toujours fripon. Il vieillit paisible et honoré dans son château de Maupertuis ; sa mort elle-même est une ruse.


Au profit de qui se fait cette satire ? Quelle idée sera l’héritière immédiate de la chevalerie ? Un fabliau va nous le dire.
Au profit de qui se fait cette satire ? Quelle idée sera l’héritière immédiate de la chevalerie ? Un fabliau va nous le dire.


Deux jeunes damoiselles se promènent dans une riante prairie par un de ces beaux jours de printemps si chers aux poètes du XIIIe siècle. A un tel âge, dans un tel lieu, de quoi parler, sinon d’amour ? Nos deux jouvencelles se font de réciproques confidences ; l’une aime un clerc, et l’autre un chevalier. Chacune défend avec chaleur la supériorité de son choix, et n’épargne pas à l’autre les plaisanteries les plus piquantes. L’amante du clerc se rit de la pauvreté du chevalier, qui met tout en gage pour aller au tournoi, et revient dans les bras de sa mie couvert de gloire… et sans manteau. Comme les deux amies ne peuvent tomber d’accord, elles portent la contestation à la cour du dieu d’amour, et là chacune choisit un défenseur. Le modeste et mélodieux rossignol combat pour la cause des clercs ; le perroquet, oiseau criard et disgracieux, soutient le parti
Deux jeunes damoiselles se promènent dans une riante prairie par un de ces beaux jours de printemps si chers aux poètes du {{s|XIII}}. A un tel âge, dans un tel lieu, de quoi parler, sinon d’amour ? Nos deux jouvencelles se font de réciproques confidences ; l’une aime un clerc, et l’autre un chevalier. Chacune défend avec chaleur la supériorité de son choix, et n’épargne pas à l’autre les plaisanteries les plus piquantes. L’amante du clerc se rit de la pauvreté du chevalier, qui met tout en gage pour aller au tournoi, et revient dans les bras de sa mie couvert de gloire… et sans manteau. Comme les deux amies ne peuvent tomber d’accord, elles portent la contestation à la cour du dieu d’amour, et là chacune choisit un défenseur. Le modeste et mélodieux rossignol combat pour la cause des clercs ; le perroquet, oiseau criard et disgracieux, soutient le parti