« Revue littéraire - 30 septembre 1843 » : différence entre les versions

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C’est la même chose, c’est bien pis encore pour le roman. Le roman, qui, en faisant naguère les délices de nos loisirs, faisait aussi la gloire de notre littérature, se compromet de plus en plus par toute sorte de déportemens lesquels s’affichent avec d’autant plus d’impudence, qu’on les signale avec moins de rigueur. Ici, qu’on le remarque, ce ne sont plus seulement, comme pour la poésie, des instincts mauvais de l’esprit, des causes purement morales qui pervertissent le talent: il n’y a plus seulement à dénoncer la vanité qui traîne après elle la négligence, l’obstination que suit forcément la bizarrerie, tous les leurres enfin qui accompagnent le dédain des conseils et la substitution fatale de l’improvisation à la sobriété et aux patiens labeurs. D’autres et de plus fâcheux élémens de décadence, des raisons d’abaissement bien autrement intimes et beaucoup trop souvent personnelles, auraient besoin d’être signalés en détail aux sévères jugemens du public. C’est là, il en faut convenir une grande et très sérieuse difficulté pour ceux qui jugent: en mêlant de si près le faste et le bruit de leur vie au tumulte de leurs oeuvres, en confondant sans cesse l’homme avec l’écrivain, en faisant leurs compositions tout-à-fait solidaires de leur biographie, certains romanciers ont fait des appréciations littéraires et de l’art du critique une tâche véritablement délicate et épineuse. Si l’on voulait être tout-à-fait vrai, si on voulait chercher expressément la cause secrète de telle accumulation besogneuse de livres médiocres, le motif de tel avortement continu, de telle chute prématurée, il faudrait trop fréquemment toucher aux personnes et introduire dans la scrupuleuse exactitude des comptes rendus certaines insinuations bonnes pour les pamphlets. Avec les poètes, du moins on n’a pas à sortir des nobles sphères de l’esprit; le vertige de l’amour-propre peut les perdre, mais ce n’est là, après tout, que l’exagération d’une qualité réelle et qui n’est pas sans noblesse, le sentiment de la dignité. Ici, sans compter ces perfides suggestions de la vanité qui ont bien aussi leur part, il faudrait de plus accorder une place très notable à des motifs fort peu littéraires. Derrière l’orgueil, en effet, se cachent les intérêts du métier, et sous la fécondité de l’auteur je devine les calculs de l’industriel. Par leur nature même, on le comprend, ces sortes de remarques ne peuvent être que très générales : la politesse veut que chacun n’ait à se les appliquer que dans les monologues de sa conscience. C’est l’affaire du public d’ailleurs de faire les lots.
 
Il est arrivé au roman ce qui arrive aux conquérans: le succès l’a perdu. Quoi qu’on en puisse dire dans certaine préface, ce n’est pas encore un lieu commun de déplorer la pernicieuse influence exercée par la publicité quotidienne et fragmentaire des journaux sur les œuvres d’imagination; quand ce sera un lieu commun, comme il est évident que les lieux communs sont vrais, le public, par son indifférence, forcera bien les écrivains à abandonner cette forme mauvaise, ce gaspillage organisé, cette dilapidation régulière des facultés inventives. L’engouement une fois passé, on sera unanime à reconnaître que nos avertissemens, que nos redites, si l’on veut, étalentétaient légitimes. Mon Dieu! Cassandre n’avait la prétention d’être ni amusante ni variées, mais était-ce sa faute? On est bien forcé de se répéter devant l’aveuglement et l’obstination.
 
Devenu, à la longue et par l’abus, une sorte d’habitude pour le lecteur, autorisé d’ailleurs par le bon accueil qu’on lui faisait de toutes parts, le roman peu à peu s’est cru tout permis. Cette forme facile se prêtait à tous les caprices, à toutes les prétentions: toutes les prétentions, tous les caprices s’étalèrent à leur aise dans le roman. On se l’explique: chaque passion trouvait là un cadre commode pour se glisser, à l’aide du déguisement, jusqu’au public, et surprendre ainsi sa paresse. On eut donc tour à tour des romans socialistes et des romans néo-chrétiens; en un mot, la philosophie qui n’eût pas eu de lecteurs sous forme de livre, les religions qui n’eussent pas trouvé un adepte sous forme d’évangile, les prédications contre le mariage et la famille qui, à l’état de sermons, n’eussent pas rencontré un auditeur, tout cela se fit roman. - Est-ce que nos charmans héros d’autrefois auraient disparu pour jamais? - Il me semble vraiment que je n’en reconnais plus un seul. Panurge lui-même disserte sur la réforme pénitentiaire, Sancho raisonne à perte de vue sur l’émancipation de la femme, et Pangloss a quitté son rôle d’optimiste pour celui de poète incompris; voici Julie qui s’échappe des bras de Saint-Preux pour fonder une religion, et c’est Virginie, je crois, qui développe en personne devant Paul une théorie complète du divorce. Aspirations mystiques, déclamations humanitaires, amplifications sociales, rien n’y manque. Mais, par hasard, n’auriez-vous pas l’indignité de préférer à tout ce beau jargon le moindre couplet de la chansonnette de Mignon? Je soupçonnerais même volontiers que l’oncle Tobie vous en dit davantage à lui seul , rien que quand il siffle, devant les boulingrins de son fidèle Trim, son refrain de ''lili burello''.