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membres des classes supérieures, leurs palais splendides, leurs suites nombreuses, la finesse même de leur culture, n’ont-elles pas mission de signifier qu’ils ont du temps et de l’argent à revendre[1] ? N’est-ce pas pour « vivre noblement » qu’à leur tour les membres des classes inférieures tendent toutes leurs forces ? Au fur et à mesure qu’ils se rapprochent de leurs modèles, ceux-ci cherchent d’autres marques distinctives[2]. Et ainsi, par cette lutte perpétuellement renaissante entre inférieurs et supérieurs, les innovations tombent progressivement dans le domaine commun, le particulier s’universalise, et le superflu d’hier devenant le nécessaire d’aujourd’hui, le nombre des besoins qui aiguillonnent les hommes va sans cesse s’accroissant.

Dans la recherche de ces manières d’exister, il faut voir sans doute l’action d’une « volonté de puissance », mais celle aussi des sentiments de sympathie. Les hommes n’y apparaissent pas seulement, ni surtout désireux de dominer brutalement leurs semblables ; ils songent à l’effet qu’ils produisent sur l’opinion ; ils se surveillent pour être honorés, ils se révèlent soucieux de l’estime publique. Il est vraisemblable que cette concurrence pour l’estime entraînera d’autres effets que ceux du simple combat pour la survie. Et l’on pressent déjà qu’en utilisant adroitement ces tendances, la société, regagnant quelque chose sur l’égoïsme des individus, pourra leur donner peut-être l’habitude et leur inspirer le goût non plus seulement du bien-être, mais du bien-vivre.

Il est remarquable en effet que l’idéal des hommes n’est pas laissé à leur seule fantaisie individuelle ; il est au contraire guidé et comme bridé par la société qui les réunit. Vis-à-vis de chacun d’eux, celle-ci représente les intérêts de tous : au service de l’idéal commun elle mettra l’empire des

  1. V. Veblen, Leisure Class.
  2. V. Gurewitsch, Entwick. der Bedürfn..