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L’AVALEUR DE SABRES

usure ; éducation ébauchée, métier appris, voyage au Brésil, coup de foudre quand on est venu vous dire : vous allez voir votre mère.

Il sauta sur le trottoir et tendit la main à Guite, qui dit, en descendant à son tour lestement :

— Après ça, au petit bonheur ! on fera de son mieux pour être idolâtrée par la dame, et, si on ne parvient pas à lui plaire, on s’en frotte l’œil !

— Admirable ! fit Saladin, qui mit en branle la sonnette de l’hôtel.

« Ah ! diable ! reprit-il au moment où la porte roulait sur ses gonds, un détail, mais très important. Vous aimez les arbres, la verdure, vous demanderez un petit réduit donnant sur les jardins. N’oubliez pas cela ! c’est tout à fait indispensable.

La duchesse, qui attendait depuis le matin en proie à une impatience fiévreuse, vit enfin le ciel s’ouvrir, quand sa femme de chambre, qui était prévenue, annonça sans en avoir demandé la permission :

— Monsieur le marquis de Rosenthal et mademoiselle Justine.

— Mademoiselle Justine ! répéta la duchesse qui se leva chancelante ; il m’avait dit…

Elle fut interrompue par l’entrée de monsieur le marquis, dont la première parole répondit à sa pensée.

— Madame la duchesse, murmura-t-il en s’inclinant respectueusement, il n’y a ici que votre fille. Je n’abdique pas des droits qui me sont plus chers que la vie, mais je m’efface complètement, entendez-moi bien, complètement devant votre grande joie de mère, et je sens que je serais de trop ici aujourd’hui. Je reviendrai, madame, seulement quand vous me rappellerez.

La duchesse, pendant qu’il parlait, avait traversé toute la chambre en s’appuyant aux meubles. Elle était violemment émue et ressentait dans son cœur une reconnaissance immense.

Ne trouvant point de paroles pour répondre, elle jeta ses deux bras autour du cou de Saladin et l’attira vers elle pour déposer un baiser sur son front.

Saladin balbutia, les larmes aux yeux, ou du moins en essuyant ostensiblement ses paupières :

— Merci, madame, du fond de mon cœur, merci !

Puis il s’effaça, et, prenant mademoiselle Guite par la main, il la présenta à la duchesse en ajoutant :

— Vous ne serez jamais si heureuse que je le souhaite !

Mme de Chaves s’empara de la jeune fille et la pressa contre sa poitrine en sanglotant.

Saladin avait disparu. Elles étaient seules.


XIII

Mademoiselle Guite ronfle


Le système de Saladin pouvait passer pour adroit, non pas peut-être d’une manière absolue, mais, à tout le moins, dans une mesure assez considérable.

Il est certain que l’ignorance vaut toutes les préparations du monde, dans certains cas et vis-à-vis de certaines personnes.