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L’AVALEUR DE SABRES

Sur ce, monsieur le marquis de Rosenthal offrit son bras à mademoiselle Guite, et tous deux sortirent.

Languedoc resta un peu déconcerté, mais le Dr Samuel, entrant franchement dans son rôle, lui offrit un cigare et lui demanda des explications sur son travail de tout à l’heure avec un empressement si bien joué que Languedoc, heureux de montrer sa science, perdit toute inquiétude.

Une demi-heure après, ils s’asseyaient à table, en face l’un de l’autre, pour grignoter les hors-d’œuvre. La glace était rompue, et vous les eussiez pris pour les meilleurs amis du monde.

Pendant cela, mademoiselle Guite et son compagnon roulaient au grand trot vers le faubourg Saint-Honoré et l’hôtel de Chaves.

Mademoiselle Guite ne savait absolument rien de ce dont il s’agissait, sinon des choses très vagues et qui ressemblaient à des lambeaux de contes de fées. Les petites ouvrières de Paris, surtout quand elles ressemblent à mademoiselle Guite, la charmante fille, croient aux fées bien plus qu’en Dieu.

Saladin, au début de leurs relations, s’était approché d’elle sous prétexte de lui faire la cour, mais cela n’avait pas duré, et il lui avait laissé entendre presque tout de suite qu’elle était destinée à jouer un rôle dans une féerie à grand spectacle qui ferait son bonheur et sa fortune.

Saladin n’étant pas mal de sa personne, mademoiselle Guite, qui ne demandait pas mieux que de jouer la pièce, n’importe quelle pièce, aurait consenti volontiers à avoir un amant par-dessus le marché.

Mais telle n’était pas la vocation de Saladin. Il avait entretenu de son mieux l’imagination de la fillette, donnant à entendre que les circonstances étaient trop graves pour s’attarder à des frivolités.

Mademoiselle Guite n’y comprenait rien. Elle avait assez d’éducation pour savoir que tous les intrigants d’opéra-comique mènent de front l’amour et les affaires, mais comme, en somme, Paris n’est pas une île déserte et qu’on y trouve d’autres galants que Saladin, mademoiselle Guite laissait aller et prenait patience.

Seulement, monsieur le marquis de Rosenthal, ce beau garçon blanc et imberbe, était pour elle un problème vivant qui excitait sans cesse sa curiosité et un peu son dédain.

Au moment même où ils montaient tous deux en voiture, en quittant la maison du docteur, Saladin lui dit en souriant :

— Ma chère enfant, nous approchons de la crise ; vous vous rendez de ce pas chez votre maman.

Guite devint aussitôt sérieuse.

— Déjà ! murmura-t-elle.

Puis, après un silence :

— Comme ça, sans préparation, sans rien savoir ?

— Il faut se mettre dans le vrai des choses, répondit froidement Saladin. Plus vous serez déconcertée, troublée, ahurie, mieux cela vaudra, ma fille. C’est le vrai.

— Mais enfin…, voulut objecter la fillette.

— C’est le vrai, réfléchissez : vous avez bien deviné un peu ce qu’est notre drame, quoique je vous aie tenue dans une ignorance nécessaire, et