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LES HABITS NOIRS

— C’est mon avis, appuya le Dr Samuel.

— Et le Gioja, ajouta le Prince avec zèle, est expressément chargé de faire le mort !

— Il ferait le mort au naturel, reprit Saladin dont la voix baissa, si, par hasard, fantaisie lui venait de désobéir à son chef… Veuillez me regarder, Annibal Gioja, s’interrompit-il. De ce qui s’est dit ici, ce soir, un mot répété par vous aux oreilles de M. de Chaves pourrait non seulement faire manquer l’affaire, mais encore mettre en péril toute la confrérie. En conséquence, on pourrait présentement vous ficeler comme un paquet et vous placer par précaution en lieu sûr. Ce serait peut-être de la prudence.

— Je jure…, voulut interrompre Gioja.

— Taisez-vous ! Je n’attache pas plus de prix que vous à vos serments. Ce qui m’arrête, c’est que, d’un autre côté, le duc, habitué à vous voir tous les jours, pourrait concevoir des soupçons ou des craintes, si vous disparaissiez ainsi subitement. Il y a une chose en laquelle je crois, c’est l’amour déréglé que vous avez pour votre peau. Cela vous sauve.

Il y eut un sourire sur toutes les lèvres. Gioja était livide.

— Vous êtes poltron, continua froidement Saladin, c’est là une garantie certaine et dont je me contente, en prenant soin de vous dire : il vous est enjoint par le conseil de laisser mademoiselle Saphir en repos, et je vous tuerai comme un chien si votre commerce nous barre la route !

Il y eut un silence. Le conseil approuvait évidemment, et le bon Jaffret exprima l’opinion générale en disant à ses deux voisins :

— Il a la sagesse précoce de Salomon, ce cher enfant.

Comayrol hocha la tête et murmura :

— Vayadioux ! il met de l’animation dans nos séances.

— C’est Dieu qui l’a envoyé, s’écria le Prince, pour régénérer une grande institution !

— Un point final ! dit Saladin. Gioja est réglé, n’en parlons plus. Docteur Samuel, je vais vous adresser une question scientifique : connaissez-vous les envies ?

— Il y en a de différentes sortes, en médecine, commença le praticien.

— Fort bien, interrompit Saladin, vous connaissez les envies. Je suppose, en effet, qu’il y en a de plus d’une sorte, car j’en ai vu, moi, de toutes les couleurs. La question scientifique est celle-ci : pensez-vous qu’il soit possible d’imiter une envie sur le corps d’une personne saine ? Je m’explique : vous voudriez, par exemple, reproduire, sur le sein d’une jeune femme, un de ces signes qui sont les plus habituels, à cause de la gourmandise des filles d’Ève, une moitié de pêche, une prune de reine-claude, une grappe de groseilles, le pourriez-vous ?

— Très certainement, répondit Samuel, nous avons des caustiques et des réactifs.

— Parfait ! et la légère différence de plan qui existe à la surface de ces envies ?

— Eh ! eh ! dit le docteur en souriant, vous êtes décidément un observateur. Ceci est peut-être plus difficile, mais néanmoins je puis affirmer que le moyen de produire cette légère extumescence, sans nuire à la santé, n’est pas introuvable.