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L’AVALEUR DE SABRES

— Quel gaillard ! écoutez !

— En conséquence, reprit Saladin, quand je vous dis une chose, c’est qu’elle est vraie, à moins que je ne fasse erreur moi-même. Tout homme est sujet à s’égarer. Mais ici, comme il s’agit d’une charmante personne qui m’a confié le soin de son bonheur, comme je suis d’accord avec madame la duchesse et comme madame la duchesse est d’accord avec monsieur le duc, je crois pouvoir vous affirmer, messieurs et chers subordonnés, que je ne suis pas le jouet d’un rêve. Mademoiselle de Chaves vous sera présentée demain.

— Elle n’est donc pas à l’hôtel ? demanda Gioja.

— Mon brave, répondit Saladin, ouvrez vos deux oreilles, nous allons nous occuper de vous. Il n’y a pas de sot métier, je suis de cet avis-là ; mais votre industrie particulière auprès de cet honnête sauvage qu’on nomme M. de Chaves est une gêne pour nous dans le présent, et peut devenir un danger dans l’avenir.

— Écoutez ! fit le Prince qui avait dû habiter l’Angleterre et assister aux séances du Parlement.

— Le Maître, dit Gioja, ignore sans doute que cette industrie dont on parle a été le trait d’union entre le conseil et monsieur le duc.

— Je n’ignore rien, mon brave, et il y a du temps que je vous suis tous, à portée de voir et d’entendre. Les services d’un genre spécial que vous rendez à M. de Chaves ont pu entrouvrir une porte à nos respectables amis Jaffret et Comayrol ; c’est parfait, je vous en remercie au nom de l’association ; mais la porte est grande ouverte et je vous répète que vous nous gênez désormais. Vous marchez en aveugle le long d’une route où notre poule aux œufs d’or a coutume de pondre.

— Voyons, voyons, dit Comayrol, comprends pas !

— Le jeune maître est ami des métaphores, ajouta le bon Jaffret.

Mais le Dr Samuel murmura :

— Moi, je crois comprendre.

Le fil de Louis XVII ouvrait des yeux énormes.

— Il ne me plaît pas tout à fait, reprit Saladin, de mettre les points sur les « i ». Je pense que je n’excède pas les bornes de mon autorité en donnant au vicomte Annibal Gioja un avis paternel. Toute cette histoire de mademoiselle Saphir est mauvaise pour nous.

— Mademoiselle Saphir ! répétèrent quelques voix étonnées.

— Qu’est-ce que c’est que cela ? demanda Comayrol.

Le bon Jaffret caressait Saladin du regard.

— Il monte ses petits coups en perfection ! soupira-t-il. Quel joli jeune homme !

Gioja avait tressailli vivement.

— J’ignore qui a pu vous apprendre… commença-t-il.

— C’est peut-être le roi Louis XIX, répondit Saladin qui tendit la main en riant au Prince, enchanté de cet honneur. En tout cas, au nom du conseil qui m’écoute et qui m’approuve, je vous ordonne d’enrayer.

— Chacun de nous, objecta l’Italien, garde sa liberté d’action pour ses affaires particulières.

— Non pas ! dit Comayrol.

— Cette doctrine, ajouta Jaffret, est complètement subversive du grand principe d’association !