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CINQUIÈME PARTIE

force de perdre des nôtres, il manquait de personnel. Un certain jour le combat fut terrible, deux d’entre eux des soldats aguerris devinrent fous.

J’ai dans ces jours-là accompli des tours de force, dont je ne me serais jamais cru capable ; l’excitation nerveuse poussée au suprême degré transforme l’être ; soutenues par une idée, les forces se multiplient extraordinairement. Manquant de voiture d’ambulance, notre commandant avait réquisitionné deux omnibus, j’avais peu d’aides, j’ai pu seule traîner un pauvre blessé, un homme grand et fort, le tenant avec force sous les bras, le monter en arrière avec peine il est vrai, car je craignais d’augmenter sa souffrance, je parvins à le hisser et le faire entrer dans le véhicule, je l’installai sur la paille et je lui mis un oreiller sous la tête ; il me remercia par un doux sourire. C’était tout ce qu’il pouvait faire.

Pendant qu’un ambulancier était allé à un autre blessé, je préparai une place pour le recevoir, puis nous les conduisîmes à l’ambulance.

Je dois dire que je suis petite de taille, plutôt faible. Chose surprenante, toute ma vie j’ai été timide et souvent malade, ne sortant presque jamais, mais pendant huit mois de lutte, exposée à toutes les misères, aux intempéries, manquant de nécessaire, jamais je ne me suis aussi bien portée que pendant cette période.

Le 20 et 21 mai 1871. Tous nos morts avaient été déposés au parvis de Notre-Dame. Ceux de notre bataillon qui étaient décédés dans l’ambulance de Passy, avaient été dirigés sur Paris. Il y avait, je crois,