« Rapport de la Cour des comptes sur l’affaire des Avions renifleurs » : différence entre les versions

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Comme vous le savez, en 1982, à l'occasion d'un contrôle de votre Établissement, les vérificateurs ont constaté que l'entreprise avait transféré à l'étranger un demi-milliard de francs environ, comptabilisé comme « frais d'études, de recherches et de documentation technique » au titre des exercices 1978 et 1980. Les factures présentées étaient d'un extrême laconisme, et portaient sur un montant très inférieur aux transferts effectivement réalisés. Enfin, aucun contrat n'avait été produit aux fonctionnaires chargés de ce contrôle.
 
Devant cette situation insolite, le Directeur général des Impôts demanda en novembre 1982 à l'un de ses plus proches collaborateurs, M. Benard, alors Chef de la Mission de Coordination du Contrôle fiscal, de prendre l'attache des dirigeants de l’ERAP. Mais les conclusions de l'enquête à laquelle il se livra, et qui furent addressées par le Directeur général des Impôts au Ministre délégué chargé du Budget le 14 décembre 1982, ne permettaient pas de prendre une connaissance exhaustive des opérations de recherche concernées, ni par conséquent de déterminer avec certitude le statut fiscal auquel elles devaient être soumises.
 
Dans ces conditions, l’Administration fiscale notifie à l’ERAP le 27 décembre 1982 et le 11 janvier 1983 deux redressements fiscaux pour un montant total de 547 MF.
 
Lors de notre entretien du 13 septembre 1983, vous avez marqué votre souci d’apurer ce contentieux, et offert que des fonctionnaires habilités à connaître des documents « Secret Défense » effectuent une nouvelle enquête — en quelque sorte la troisième de l’Administration fiscale sur ce sujet.
 
Accédant à votre demande, j’ai donné instruction le 16 septembre au Directeur général des Impôts de faire vérifier la nature exacte de ces opérations par des fonctionnaires habilités de la Direction des vérifications nationales et internationales. Parallèlement, le 27 septembre, constatant que les responsables interrogés sur ce dossier replaçaient constamment ces opérations dans le cadre d'activités de Défense nationale, j'interrogeai le Ministre de la Défense sur ce point.
 
Le rapport de la Direction des vérifications nationales et internationales, qui m'a été addressé le 18 octobre dernier, n'apporte — bien qu'il ait été établi après une enquête minutieuse et sur la base des renseignements fournis par l'entreprise elle-même — aucune clarté réelle, ni sur le caractère militaire ou paramilitaire des opérations en cause, ni sur la destination définitive réelle des sommes en cause :
 
a) sur le premier point, le rapport conclut que si les Armées ont effectivement contribué de manière purement logistique à ces opérations en laissant se dérouler certains vols de prospection à partir de bases aériennes, la notion « d'opérations en rapport avec la Défense nationale » ne saurait être retenue dans son sens strict.
 
b) en ce qui concerne tant le montage juridique et financier conçu par l'ERAP, que l'organisation des expériences, le rapport laisse subsister nombre d'interrogations sur le déroulement exact de ces événements.
 
c) enfin, compte-tenu du montant exceptionnel des sommes versées, rapproché de la nullité scientifique des résultats obtenus, force est de s'interroger de nouveau sur la destination finale de ces fonds.
 
Je suis d'autre part en mesure de vous indiquer que laréponse que j'aie reçue du Minsitre de la Défense à ma lettre du 27 septembre précise que ce Département n'a pas eu à connaître des activités en cause.
 
Un dernier élément ajoute à ma perplexité devant ce dossier. Vous n'ignorez pas que la Cour des comptes avait confié en 1980 à l'un de ses magistrats la charge d'établir un rapport exhaustif sur ces opérations, dont l'arrêt venait d'être décidé. Ce rapport — qui était sans doute en fait le seul document complet existant sur l'exécution de ces contrats — n'existait qu'en un très petit nombre d'exemplaires. Deux d'entre eux, remis en mains propres par M. Beck, Premier Président de la Cour des comptes à M. Barre, Premier Ministre, en janvier 1981, ne figurent plus dans les dossiers de l'État. La totalité des autres, conservée par M. Beck, a été détruite par ses soins lors qu'il quitta la Première Présidence en novembre 1982.
 
Devant une situation aussi exceptionnelle, et que plusieurs enquêtes administratives n'ont pas élucidée, vous comprendrez que j'ai demandé à M. le Premier Président de la Cour des comptes, le 15 décembre dernier, de bien vouloir faire reconstituer selon les procédures ordinaires le rapport détruit par l'un de ses prédécesseurs.
 
Il ne m'est donc pas possible de prendre, sur la base des informations dont je dispose, une décision définitive sur le contentieux fiscal que vous évoquez.
 
J'ajoute que compte tenu de l'aspect très préoccupant de cette affaire, je vous serais obligé de bien vouloir donner communication intégrale de la présente correspondance au prochain Conseil d'administration de votre établissement.
 
Veuillez agréer, Monsieur le Président, l'assurance de ma considération la plus distinguée.
 
Henri EMMANUELLI