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blanc de craie dans les oiseaux, cet ambre blanc, qui est le plus mauvais de tous, pourrait bien être celui qu’ils rendent avec leur excréments, et de même l’ambre noir serait celui que rendent les cétacés et les grands poissons dont les déjections sont communément noires.

Et, comme l’on a trouvé de l’ambre gris dans l’estomac et les intestins de quelques cétacés[1], ce seul indice a suffi pour faire naître l’opinion que c’était une matière animale qui se produisait particulièrement dans le corps des baleines[2], et que peut-être c’était leur sperme, etc. ; d’autres ont imaginé que l’ambre gris était de la cire et du miel tombés des côtes dans les eaux de la mer, et ensuite avalés par les grands poissons, dans l’estomac desquels ils se convertissaient en ambre, ou devenaient tels par le seul mélange de l’eau marine ; d’autres ont avancé que c’était une plante comme les champignons ou les truffes, ou bien une racine qui croissait dans le terrain du fond de la mer ; mais toutes ces opinions ne sont fondées que sur de petits rapports ou de fausses analogies : l’ambre gris, qui n’a pas été connu des Grecs ni des anciens Arabes, a été dans ce siècle reconnu pour un véritable bitume, par toutes ses propriétés ; seulement il est probable, comme je l’ai insinué, que ce bitume, qui diffère de tous les autres par la consistance et l’odeur, est mêlé de quelques parties gélatineuses ou mucilagineuses des animaux et des végétaux qui lui donnent cette qualité particulière ; mais l’on ne peut douter que le fond et même la majeure partie de sa substance ne soit un vrai bitume.

Il paraît que l’ambre gris mou et visqueux tient ferme sur le fond de la mer, puisqu’il ne s’en détache que par force, dans le temps de la plus grande agitation des eaux : la quantité jetée sur les rivages, et qui reste après la déprédation qu’en font les animaux, démontre que c’est une production abondante de la nature, et non pas le sperme de la baleine, ou le miel des abeilles, ou la gomme de quelque arbre particulier ; ce bitume rejeté, ballotté par la mer, remplit quelquefois les fentes des rochers contre lesquels les flots viennent se briser. Robert Lade décrit l’espèce de pêche qu’il en a vu faire sur les côtes des îles Lucayes ; il dit que l’ambre gris se trouve toujours en beaucoup plus grande quantité dans la saison où les vents règnent avec le plus de violence, et que les plus grandes richesses en ce genre se trouvaient entre la petite île d’Éleuthère et celle de Harbour, et que l’on ne doutait pas que les Bermudes n’en continssent encore plus : « Nous commençâmes, dit-il, notre recherche par l’île d’Éleuthère dans un jour fort calme, le 14 de mars, et nous rapportâmes ce même jour douze livres d’ambre gris : cette pêche ne nous

  1. « Kæmpfer dit qu’on le tire principalement des intestins d’une baleine assez commune dans la mer du Japon et nommée fiaksiro : il y est mêlé avec les excréments de l’animal, qui sont comme de la chaux, et presque aussi durs qu’une pierre. C’est par leur dureté qu’on juge s’il s’y trouvera de l’ambre gris ; mais ce n’est pas de là qu’il tire son origine. De quelque manière qu’il croisse au fond de la mer ou sur les côtes, il paraît qu’il sert de nourriture à ces baleines, et qu’il ne fait que se perfectionner dans leurs entrailles : avant qu’elles l’aient avalé, ce n’est qu’une substance assez difforme, plate, gluante, semblable à la bouse de vache, et d’une odeur très désagréable : ceux qui le trouvent dans cet état, flottant sur l’eau ou jeté sur le rivage, le divisent en petits morceaux, qu’ils pressent pour lui donner la forme de boule ; à mesure qu’il durcit, il devient plus solide et plus pesant ; d’autres le mêlent et le pétrissent avec de la farine de cosses de riz, qui en augmente la quantité et relève la couleur. Il y a d’autres manières de le falsifier ; mais, si l’on en fait brûler un morceau, le mélange se découvre aussitôt par la couleur, l’odeur et les autres qualités de la fumée. Les Chinois, pour le mettre à l’épreuve, en râclent un peu dans de l’eau de thé bouillante : s’il est véritable, il se dissout et se répand avec égalité, ce que ne fera pas celui qui est sophistiqué. Les Japonais n’ont appris que des Chinois et des Hollandais la valeur de l’ambre gris : à l’exemple de la plupart des nations orientales de l’Asie, ils lui préfèrent l’ambre jaune. » Histoire générale des Voyages, t. X, p. 657.
  2. Voyez les Transactions philosophiques, nos 385 et 387, et la réfutation de cette opinion dans les nos 433, 434 et 435.