« Les Fredaines amoureuses d’Ange Dumoutiers/03 » : différence entre les versions

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Dernière version du 26 février 2021 à 17:15

Dans l’arrière-boutique de tous les libraires (Auguste Brancart) (p. 7-23).


LES FREDAINES AMOUREUSES

D’ANGE DUMOUTIERS




SCÈNE PREMIÈRE


 (Le théâtre représente un petit salon tendu de peluche gris ardoise avec cordes de soie rubis. — Rideaux et portières en satin rubis. — Fauteuils moelleux de formes variées. — Éclairage doux et mystérieux, jour tamisé par des stores bouillonnes en soie rose. Des fleurs dans tous les coins. — Dans l’atmosphère flotte un pénétrant parfum. — Paresseusement allongée sur une chaise longue, Madame de Regnette, en déshabillé de cachemire rose tout coquillé de dentelles, lit attentivement une lettre et monologue.)

madame de regnette

Ce pauvre Ange ! Comme si je n’avais pas depuis longtemps deviné qu’il grille d’envie de recevoir sa première leçon d’amour… Il m’aime… évidemment… Il m’adore… oui, oui, connu… Ce qu’il adore en ce moment, ce n’est pas une femme, ce sont les femmes en général. Ah ! cela lui serait indifférent une brune, une blonde… à la rigueur une femme en caoutchouc entretiendrait son zèle… Ah ! mon Dieu ! mais il est absolument fou. Ne propose-t-il pas de m’épouser ? pour avoir, dit-il, le droit de m’exprimer sans réserve les sentiments dont son cœur est oppressé, oh ! là là !… Comme si le mariage était nécessaire pour en arriver là… (Continuant à lire, Madame de Regnette interrompt son monologue, puis le reprend.) Tiens, il va venir. Attends, je viens !… Il veut savoir si je ne suis pas trop courroucée et se soumettre au châtiment dont je jugerai à propos de punir sa hardiesse. Ah ! mais certes, il va être malmené, ce gamin… Il a peut-être quinze ans ! Comme si une femme de mon âge ?… c’est absurde… En Angleterre on donne encore le fouet à ses contemporains… Nous avons perdu le sens commun chez nous de vouloir faire des hommes de ces moutards dès qu’ils sont sevrés.

(Madame de Regnette reste un moment silencieuse,
puis se met à rire toute seule.)
madame de regnette
(Reprenant son monologue.)

Ce doit être drôle cependant d’étudier les sensations d’un… novice… de l’initier… d’en faire un homme… un homme qui sache aimer… c’est rare… Actuellement… on aime… mais… on ne sait guère exprimer ses sentiments.

(On entend des pas dans l’antichambre et le
domestique introduit Ange Dumoutiers.)
ange
(Très ému, et fort embarrassé de son personnage, jette
un regard anxieux sur sa lettre gisant sur le tapis.)

Madame !… Oh ! vous m’en voulez de ma hardiesse !… Soyez indulgente.

madame de regnette
(Le regardant avec un air ni attentif ni railleur.)

Je devrais vous tenir rigueur, en effet. Mais vous êtes si jeune ! Mieux vaut parler raison.

ange
(Vivement.)

Si jeune !… J’ai dix-huit ans.

madame de regnette
(À la cantonade.)

Il se vieillit à présent… Comme cela changera dans vingt ans. Cette rage d’avancer dans la vie ! (Se retournant vers Ange.) Bien sûr ?

ange
(Très rouge.)

Cela se voit bien, je ne suis plus imberbe.

madame de regnette

Je vois effectivement une belle petite moustache !… Est-elle à vous ?

ange
(Suffoqué d’indignation.)

Pouvez-vous en douter !

madame de regnette

Je suis plus incrédule que St. Thomas. Il ne me suffit pas de voir, il faut que je touche… Approchez…

 (Elle caresse les petits poils follets qui décorent le menton d’Ange… Le jeune adolescent, absolument enivré, baise avec transport la menotte parfumée qui lui tapote le menton.)
ange

Ah ! vous n’êtes plus fâchée… vous êtes bonne !

 (Il se met à genoux près de la chaise longue et laisse tomber sa tête sur la poitrine de Madame de Regnette.)
madame de regnette

Voyez donc Bébé qui vient faire son câlin. (Elle le dodeline.)

 (Ange, qui est plus fort en théorie qu’en pratique, passe un bras autour de la taille de la belle paresseuse et l’enlace tendrement en la couvrant de baisers.)
madame de regnette

Bébé, vous serez puni.

ange

Tout ce qu’on voudra, mais quand j’aurai péché.

madame de regnette

Angelot ! je veux vous confesser… ne mentez pas… Jamais ?… jamais ?…

ange
(Très humilié de sa situation, mais loyal.)

Non, jamais !

madame de regnette

Pas même avec la femme de chambre de maman ou la cuisinière du collège ?

ange
(Véhémentement.)

Madame ! j’ai d’autres aspirations, croyez-le bien, que des amours d’office.

madame de regnette

Ah ! vraiment !… et comme nous voudrions bien ne pas conserver ad vitam æternam nos droits à une couronne de fleurs d’oranger, on s’avise d’en vouloir à la vertu de sa veille amie… Mais songe donc, Ange que quand tu es né j’étais d’âge à me marier.

ange
(Continuant à embrasser furieusement Madame de Regnette.)

Je vous aime ! bien vrai.

madame de regnette
(Qui ne rit plus et commence à ressentir un commencement d’énervement.)

Et moi aussi… je t’aime, bébé. Seulement…

(Elle caresse la chevelure du jeune homme.)
ange

Dites oui, ah dites ! voulez-vous ?

madame de regnette

Quoi ?… Je ne te comprends pas.

ange

Si, vous comprenez… heureusement, car je n’oserais jamais vous dire…

madame de regnette
(Railleuse, fredonne.)

Si vous n’avez rien à me dire, pourquoi venir auprès de moi ?

ange

Pour apprendre de vous à donner le bonheur à une femme, à le recevoir d’elle… pour savoir le sens caché dans ce mot magique : Volupté ! Pour devenir un homme, enfin !

madame de regnette

Mais je suis bien plus âgée que toi, je viens de te le faire remarquer, mon cher Ange.

ange
(Exalté.)

Et que font les années si vous êtes belle ! si je vous aime… Soyez mienne, je vous en supplie, jamais vous n’aurez eu d’esclave plus soumis, plus dévoué…

 (Madame de Regnette le regarde et se dit tout bas : Il est charmant ce gamin-là… Au fait… pourquoi pas… Si le hasard le jette dans les bras de quelque gourgandine, toute sa vie il sera un détestable amant, l’influence de la première maîtresse se conserve si longtemps. Dévouons-nous pour celles qui viendront plus tard.)
madame de regnette

Bébé, viens ici et parle-moi tout bas : Dis… tu voudrais… apprendre à aimer ?

ange
(Transporté de joie.)

Oh oui !

madame de regnette

Seras-tu bon élève ?

ange

Mettez-moi à l’épreuve.

madame de regnette

En ce cas, ferme le verrou.

 Ange obéit avec empressement. Madame de Regnette s’est levée silencieusement, elle soulève la portière d’une baie percée au fond du salon et passe dans sa chambre a coucher.



SCÈNE II.

(Chambre très élégante. Stores roses baissés. — Dans un coin une chaise longue de forme anglaise. Une glace lui fait face. Un lit majestueux et très bas est posé sur une marche de velours. Porte à droite ouvrant sur un cabinet de toilette. — Madame de Regnette, sans affectation, comme en jouant, a entraîné le jouvenceau près de la chaise longue ; elle lui passe le bras autour du cou. Ange, de plus en plus ému, mais aussi très intimidé, ne dit mot et ne bouge pas.)

madame de regnette

Et puis ?

ange
(Rappelé aux convenances.)

Ah ! je t’aime !

madame de regnette

Alors prouve-le-moi en ne restant pas là comme une statue.

ange

Ayez pitié de moi, et au lieu de me gronder, aidez-moi…

madame de regnette
(Décidée à se montrer de bonne composition.)

Au fait, c’est une leçon qu’il te faut… Mon chéri, viens la prendre… et commence par savoir déshabiller adroitement la femme qui se laisse faire. Tiens, on lui dénoue ainsi tout gentiment son corsage.

(Ange se précipite.)
madame de regnette

Oh ! le brusque garçon… ces choses-là se font entre deux baisers…, Allons, voyons… tes lèvres sur les miennes, là… pendant que tes mains repoussent les voiles.

 (Le peignoir glisse et laisse voir les bras et les épaules de Madame de Regnette, Ange en extase, contemple gauchement.)
madame de regnette

Mais je vais avoir froid si tu ne me réchauffes. Tes lèvres doivent me tisser une cuirasse de baisers pendant que tes mains enlèvent mon corset… Tiens… comme cela.

 (Elle lui montre a dégrafer le busc, le corset glisse, deux seins bondissent hors de la chemise de batiste. Un flot de sang monte au visage d’Ange.)
madame de regnette

Il n’y a pas si longtemps que tu as dit adieu à ta nourrice. Souviens-toi de ce que tu faisais… et agis de même.

 (Ange se précipite sur les seins et saisit le bout
d’un entre ses lèvres.)
madame de regnette

Doucement… roule-les sous ta langue, bien amoureusement, avec des lenteurs savantes.

(Pendant qu’Ange obéit, Madame de Regnette lui prend la main et la conduit vers la ceinture de son pantalon, dont elle fait sauter les boutons. Ange, de plus en plus rouge, se laisse diriger et bientôt l’inexpressible est rabattu sur ses talons, le pan de la chemise voltige et laisse voir deux juvéniles proéminences, dont la glace renvoie l’image à Madame de Regnette ; du doigt elle fait signe à Ange de se séparer de sa redingote et le garçonnet, fort confus d’être ainsi en chemise, se cache la figure dans le giron de Madame de Regnette, puis reste là n’osant pas aller plus loin, ne sachant peut-être pas comment s’y prendre. — Madame de Regnette, très indulgente, reprend la main d’Ange et la passe sous ses jupons de façon à les retrousser légèrement. L’apprenti amoureux frémit et promène ses mains sur des terrains pour lui inconnus. Le hasard, ce grand maître, le guide ; il touche le point délicat et sent Madame de Regnette tressaillir, puis, tout à coup, le saisir par la tête et fourrer celle-ci sous ses jupes.)
madame de regnette

Là… là… fait-elle. Ce petit bouton… suce-le, mon cher adoré, comme tu l’as fait pour mes seins.

 (Ange obéit avec conviction, pendant que Madame de Regnette, qui s’est emparée du priape très ardent du jeune adolescent, le caresse voluptueusement.)
madame de regnette

Assez… assez… dit-elle enfin. Viens… viens jouir avec moi… mon amour… nous mourrons ensemble… Je veux partager cette première sensation… viens.

 (Elle enfonce voluptueusement l’instrument au plus profond de son sein et donne quelques bons coups de fesses qui impriment au membre d’Ange un mouvement de va-et-vient dont le résultat se manifeste promptement. Un cri s’échappe des lèvres d’Ange, il tombe pâmé sur Madame de Regnette qui l’embrasse tendrement.)
ange
(Après un moment de silence.)

Ah !… je suis un homme.

madame de regnette
(Souriant.)

Oui, et même un homme qui donnera, quand il le voudra, du bonheur à l’aimée du moment.

ange

Et maintenant, au moins, je sais… comment on doit exprimer son amour !

madame de regnette

Tu sais… une façon de s’y prendre.

ange

Il y en a d’autres ?

madame de regnette

Trente-trois, mon ami ! une de plus que pour accomoder les pommes de terre, lesquelles façons cependant se réduisent à cinq bonnes.

ange
(Rêveur.)

Je voudrais savoir…

madame de regnette

Va dans mon cabinet un moment et nous en reparlerons.

(Ange obéit et sort à droite. Madame de Regnette ouvre une porte masquée dans la tenture et disparaît de son côté. Quelques minutes après, l’institutrice d’Ange, qui a jeté loin ses vêtements, rentre vêtue seulement d’un ample peignoir de batiste transparente, noué par des rubans ; elle fait entièrement déshabiller son élève et l’entraîne vers le lit.)
madame de regnette

Viens… couchons-nous.

 (Le couple se glisse sous les draps et s’enlace tendrement ; bientôt les draps et les couvertures sont rejetés et Ange voit sa belle amie qui se retourne, se met à genoux et lui présente une splendide croupe, pendant qu’elle indique du geste ce qu’il doit faire. Ange comprend et exécute le mouvement.)
madame de regnette
(Appuyée sur une de ses mains, pose le doigt sur son
clitoris, et seconde Ange.)

Va, mon chéri… va plus vite… là arrête, tu vois bien… comment mon doigt agit… suis son indication… Maintenant plus lentement… C’est ce petit monticule rose que je chatouille qui est le clef du spasme amoureux, il donnera le signal. Va… mais va donc plus vite… que diable !

(Ange obéit maladroitement et saute hors du chemin.)
madame de regnette
(Agacée.)

Allons, bon… j’étais au moment de partir… Remets-toi… Voyons, bébé, mieux que ça.

 (Ange reprend son poste et le voyage à Cythère se termine sans encombres. Un silence profond règne un moment dans l’appartement, puis une voix murmure : Et la troisième manière ?)

madame de regnette

Oh ! le gourmand qui veut tout apprendre d’un coup.

ange

Oui.

madame de regnette
(Se retourne et sans se lever ; présente les fesses à Ange,
dont elle saisit le priape déjà dressé, prêt à
expérimenter.)

Ne te lève pas, chéri, tiens comme cela… couché… à la paresseuse… Doucement… attends, quand je te dirai… Ah !… tiens, ça vient, va… va… je t’aime.

(La troisième expérience se consomme.)
ange
(Faisant ses réflexions, constate que lèvres contre lèvres
poitrine contre poitrine, c’est bien meilleur.)
madame de regnette

Tu as raison… Tiens, vois, comme ça.

 (Elle se place devant Ange et, sans se lever, lui fait répéter en sens inverse la manœuvre précédente)
ange
(Très entraîné)

Comme ça, à la bonne heure… C’est délicieux, exquis… Ah ! je meurs…

 (Très pâle, cette fois, presque pour tout de bon il se pâme dans les bras de sa voluptueuse initiatrice et reste longtemps sans bouger, malgré les quelques verres de vin d’Espagne dont on a entremêlé les joutes d’amour.
madame de regnette
(Reprenant plus vite ses esprits.)

Angelot, levons-nous, l’heure du dîner approche.

 (Ange obéit, saute à bas du lit et se montre dans toute la splendeur de sa juvénile beauté. Madame de Regnette, qui se préparait à se lever, reste assise sur le bord du matelas à le regarder. Le jeune homme, dont la satiété n’a pas éteint les désirs, s’approche pour l’embrasser et la renverse en arrière, les jambes en l’air. Des appas d’ordinaire cachés frappent ses regards. Il se baisse pour les mieux voir.)
ange

Que c’est joli, une femme.

madame de regnette
(Se met à rire.)

Est-ce si joli que cela !

ange
(Se courbe encore plus et dépose un baiser sur l’entrée
de la grotte de Cythère.)

Oui, oui… c’est joli, joli, et je t’aime… ah ! je t’aime !… Tiens, tiens, vois… si je ne t’adore pas.

 (Il dépose de petits baisers précipités sur le clitoris de Madame de Regnette, qui se tord sous cette délicieuse caresse. Un désir fou la saisit…)
madame de regnette
(D’une voix câline.)

Veux-tu connaître la cinquième ?

ange
(Qui ce jour-là eût trouvé les travaux d’Hercule un jeu
d’enfant, fait signe qu’il est prêt à tout.)
madame de regnette

En ce cas, reste debout.

 (Madame de Regnette lève les jambes et les croise sur les reins de son amant, de manière à lui faire une ceinture, puis saisissant le vit qui se redresse bravement, elle se l’enfonce jusqu’à la garde.)
madame de regnette

Va, maintenant. Là… enfonce… pénètre au plus profond de mon être… Sens-tu comme je te serre.

ange
(Affolé.)

Oui, oui… Oh ! je t’adore, ma belle maîtresse… Oh ! oh ! je meurs…

 (Ange, ayant appris la cinquième manière et absolument épuisé, passe dans le cabinet de toilette où il se rhabille. Dans sa chambre. Madame de Regnette en fait autant.)



SCÈNE III.


(Dans le même petit salon où se passe la première scène, les deux amoureux, qui ont bien dîné, devisent… Ils sont un peu pâles, mais très bons amis.)
ange

Sais-tu, ma chère aimée, que ta cinquième leçon a été bien douce.

madame de regnette

Et la quatrième ?

ange

Exquise.

madame de regnette

La troisième ne vaut-elle rien ?

ange

Elle a du bien bon.

madame de regnette

Et la deuxième ?

ange

Ne le cède en rien aux autres.

madame de regnette

La première t’a-t-elle déplu ?

ange

Elle m’a ouvert la porte du ciel.

madame de regnette

Pour les besoins des faiseurs de livres et de tableaux, il en a été inventé d’autres, mais souviens-toi, bébé, que la vraie science de la volupté les repousse pour la plupart, ainsi que toute pratique qui ne borne pas son action au terrain affecté par la nature aux exercices de l’amour. Le reste des raffinements vantés est l’expression d’un cerveau malade et non celle d’êtres jeunes, aimant physiquement et avides de jouir.


FIN.