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le château vert

— Cela n’a rien de commun, bourdonna Benoît.

— Toi, tu n’acceptes jamais ce qui est simple.

Irène repoussa violemment sa chaise, et Thérèse, boudeuse, regarda une dernière fois de ses beaux yeux pleins de dédain son père qui poussa un gémissement, en se levant de table le dernier.

Dans la grande salle à manger de l’hôtel, les gens de la noce menaient force tapage, chantant, buvant, riant, vociférant. Au son du piano, ils se livrèrent à des danses effrénées, que par intermittences surexcitaient des beuveries de champagne. En véritables conquérants de l’hôtel, si paisible à l’ordinaire, ils dansèrent la farandole, comme au carnaval. Ah ! que ces gens-là étaient heureux ! Et sous le même toit, les Jalade, souffrant de leur joie ainsi que d’une injure, éprouvaient davantage l’amer sentiment de l’humiliation.

À l’aube seulement, le Château Vert recouvra sa tranquillité. Thérèse se réveilla tard, un peu avant midi. La journée parut interminable, chargée de détresse. Et quel affront nouveau d’apprendre que le père de Mariette en trait en triomphe chez les notables, dont pas un ne s’était même abstenu ! Tous en chœur lui avaient donné leurs suffrages.

Le soir, Benoît s’apprêta, dès la première ombre, à partir en auto pour Agde. Son âme était triste, dépourvue d’espérance. Irène, méchante qu’elle devenait dans la fureur de ses déceptions et aussi de ses craintes, ne daigna pas lui offrir le réconfort d’une parole caressante. Thérèse se déroba au désir qu’il avait de l’embrasser, comme d’habitude. Il se voyait affreusement seul dans sa misère, et une angoisse l’oppressait malgré tout, de constater qu’à une heure suprême de leur destinée commune sa femme et sa fille méconnaissaient leurs intérêts véritables et qu’elles manquaient de justice envers lui aussi bien qu’envers leur prochain.

Le ciel se couvrait de nuées. Un vent désagréable galopait par l’étendue immense, soulevant le sable, troublant la clarté des lampes électriques qui, de loin en loin, s’échelonnent le long du chemin, secouant çà et là les bouquets de roseaux et les champs d’amarines, sur le bord des vignobles. Toutes les forces hostiles de sa terre bien-aimée semblaient, ce soir, se liguer contre Benoît, qui opposait en vain le meilleur de sa volonté aux menaces du sort,