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le château vert

et son travail. Le président du Tribunal de commerce déclara que le maître horticulteur honorait par son art terrien la ville d’Agde, qu’il l’avait dotée d’un nouvel élément de prospérité ainsi que d’une parure. Et le président ne cacha point qu’il voterait pour M. Barrière.

Le soir même, alors que le soleil à la fin de sa course, touchait à peine le front des Cévennes, l’opinion des gens du peuple, aussi frêle que la voile dont s’amuse le vent du large, était retournée complètement, dans le bon sens, le sens de la clarté. Pardi ! quel était donc l’imbécile ou le goujat qui avait osé suspecter l’honneur de M. Barrière un homme si discret, si travailleur, qui jamais n’avait nui à son prochain et qui n’affichait aucune vanité de sa for tune ! Personne ne se souvenait plus ; on ne voulait plus se souvenir des injures qui avaient traîné partout, jusque sur les chemins du Grau.

Pour que s’effectuât une si rapide volte-face dans l’attitude d’une ville de onze mille habitants, il avait simplement suffi que la victime de ces bavardages, renonçant à une impassibilité dédaigneuse, dressât devant les assauts de tout le monde son front loyal et manifestât enfin une velléité de se défendre. Et puis, le scandale avait trop duré ; on en ressentait une lassitude, on éprouvait le besoin de changer le motif des commérages. Au bout de trois jours, non seulement chacun repoussait avec dégoût l’hypothèse d’un Barrière malhonnête, mais tous s’accordaient a célébrer ses louanges.

Barrière seul, toujours calme dans son jardin, ne se préoccupait pas plus des caprices de l’opinion que des variations de la température. Pourtant, sa femme, qui avait dû, à deux reprises, aller au centre de la ville, chez des fournisseurs, avait remarqué que, dans la rue, les passants l’épiaient avec sympathie, et dans les magasins les marchands l’entouraient de flatteries, parfois gênantes.

Aussi, le jeudi matin, invita-t-elle Mariette à l’accompagner au marché. Mariette accepta volontiers, curieuse qu’elle était d’observer elle-même l’humeur agréable du monde. Elles sortirent d’un pas allègre. Des boutiquiers qui flânaient sur leurs portes, les saluèrent bien bas.

À la Marine, où s’agitait déjà une foule de ménagères on s’écarta, non sans déférence, pour leur livrer passage. Des marchandes les appelèrent d’une voix complimenteuse :

— Madame Barrière, il ne vous faut rien aujourd’hui ?