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le château vert

que ne guide guère, comme un troupeau, lorsqu’il est livré à lui-même, que l’instinct.

À mesure qu’il exposait les motifs de sa résolution, Mariette tressaillait d’orgueil et de contentement. Son beau visage de brune au teint mat avait le brillant d’une soie que le reflet d’une lumière caresse, et dans ses grands yeux noirs aux longs cils passait par intermittences l’éclat d’une joie fervente.

Quand il eut achevé, tout frémissant de son audace à se mesurer seul avec toute une ville, sa femme, dont l’âme simple se flattait d’avoir un tel mari, doué de tant d’intelligence, laissa tomber sa tête entre ses mains et se mit à pleurer silencieusement. Mariette, après une seconde de béatitude, s’approcha de son père et l’embrassa, comme aux jours de fête, en lui disant :

— Quelle idée merveilleuse tu as eue, mon père !… Mais pourquoi nous l’as-tu cachée si longtemps !

— Vous auriez pu en parler à quelqu’un, y faire allusion. Or, je veux que ce soit une surprise pour tout le monde et qu’ainsi personne ne me soupçonne, aussi peu que ce soit, d’avoir sournoisement préparé le terrain de mon élection. Car je serai élu, cela n’offre aucun doute.

— Aucun, mon ami ! lui cria sa femme.

— Je resterai prisonnier ici, dans mon jardin, jusqu’au dimanche du grand événement… À présent, ne faisons plus les enfants. Dressez le couvert, c’est l’heure.

Le soir même, se propageait par la ville la grande nouvelle que M. Barrière, qui avait jusqu’à ce jour vécu à l’écart du monde, posait sa candidature au Cercle des Négociants. On la commenta partout, dans les familles, dans les cafés, dans les plus humbles cabarets. Ce geste d’altier défi déconcerta les aigris et les envieux, chez qui la médisance semble être une profession, et il imposa aux autres, sinon quelque réserve en leurs propos souvent légers, du moins l’obligation de réfléchir aux conséquences d’une calomnie aussi absurde que lâche.

Le lendemain, parmi les membres du cercle, plus nombreux le dimanche, il y eut des entretiens courtois, discrets, mais d’une passion croissante, au sujet de cette candidature. Personne ne pouvait rien reprocher à M. Barrière. Le plus riche des négociants en vins reconnut hautement que l’ami des Ravin était un homme d’ordre et de sagesse, qui avait gagné sa fortune uniquement par ses initiatives