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le château vert

réalité familière. Dans la douceur du gai soleil, la vue de tout ce monde insouciant apaisa son esprit. Afin d’utiliser ses deux heures de matinée, elle passa chez quelques-uns de ses fournisseurs.

Un peu avant midi, elle s’en retournait à son castel, lorsque, sur la place du pont suspendu, elle rencontra M. Barrière qui rentrait également chez lui.

— Tiens, cher monsieur, que faites-vous ici ?

— Ah ! madame, je viens d’accomplir ma prouesse.

— Votre prouesse ?… Ah ! oui, je sais : le secret dont vous nous parlez souvent.

— Oui, madame, le secret libérateur. À présent, je puis vous le révéler.

— Voyons ça.

Mme Ravin, cheminant à côté de M. Barrière, frémissait d’une impatience rieuse, et tous les passants, les boutiquiers sur leurs portes, les épiaient longuement, non sans sympathie.

— C’est bien simple, madame. Je veux que soit institué sur mon compte, aux sujets des calomnies qui me poursuivent, une sorte de referendum chez les hommes qui seuls importent dans la ville et qui gouvernent l’opinion publique. Je viens donc de la poste recommander une lettre que j’envoie au cercle des Négociants et par laquelle j’y sollicite mon admission.

— En effet, c’est très simple. Il fallait pourtant le trouver, ce moyen aussi ingénieux que décisif.

— Ces notables, dont personne ne conteste l’expérience et la probité, diront si je suis un honnête homme, digne de l’estime des honnêtes gens. J’ai pleine confiance en leur verdict. Et nous verrons si quelqu’un osera le discuter. Notez qu’on vote au scrutin secret. Chacun est tout à fait libre, par conséquent, d’exprimer son sentiment. Je n’ai pas besoin d’ajouter, madame, que je n’esquisserai pas le moindre geste pour obtenir un seul suffrage de complaisance.

— Je vous reconnais bien là, monsieur Barrière.

— Autre chose. Je veux l’unanimité des suffrages. Sinon je me retire dans la paix de mon jardin, d’où je ne sortais guère, et d’où alors je ne sortirais plus. Enfin, promettez-moi, madame, de ne rien répéter à qui que ce soit de mes intentions, que je ne modifierai pas pour un empire.

— Non, je ne dirai rien. Soyez tranquille. Cependant,