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le château vert

— Tiens !… s’écria Irène. Quelle rencontre ! Comment vas-tu, Eugénie ?… Il y a si longtemps !…

Eugénie avait soudain changé d’allure et, fronçant le sourcil, elle ne s’approcha qu’à regret de son amie, qui, contrainte de ne point quitter sa chaise, lui tendait la main.

— Il y a longtemps, en effet, répondit-elle.

Ayant du bout des doigts effleuré, la main qui lui était tendue, elle se détourna, aussitôt, indifférente. Le patron déjà s’empressait auprès de Mme Ravin, qui n’achetait que des chaussures à la dernière mode, les plus coûteuses. Mais elle s’inclinait vers la porte.

— Et ton mari ! Ton fils !… insista cependant Irène. Comment vont-ils ?

— Très bien ! répondit plus sèchement encore Eugénie, qui, s’adressant tout de suite au patron d’un peu haut, ajouta :

— Je reviendrai tout à l’heure, monsieur.

Et Mme Ravin sortit, lente, grave, sans accorder un regard à son amie d’autrefois, à la maman de Thérèse, qui devint rouge de honte et de colère.

C’était la rupture. Mme Ravin elle-même en éprouvait une douleur profonde, physique aussi bien que morale. Des larmes mouillaient ses yeux, une onde de feu parcourait son corps, qui un moment chancela de vertige. Heureusement, la rue était déserte.

Oui, c’était la rupture. Et, ma foi, par dignité, n’aurait-on pas dû la provoquer plus tôt avec ces bavards du Château Vert, dont les médisances finiraient par compromettre les plus innocentes de leurs victimes ? Car chez les Ravin ne subsistait plus aucun doute que la calamité qui frappait l’excellent M. Barrière, et par répercussion les deux fiancés et leurs familles, provenait des malices de cette petite vipère de Thérèse, sottement soutenue par sa mère. Néanmoins, on était liés depuis toujours avec les Jalade. Et les Ravin, en dénonçant de leur propre initiative les abominables défauts et les péchés de leurs anciens amis, n’eussent-ils pas manqué à la charité la plus élémentaire ?

Mme Ravin avait marché au long des rues d’un pas plus ardent qu’à l’ordinaire, sans trop savoir où elle allait. Sur la place de la Marine, les cris et les rires des marchands et des ménagères lui rendirent tout à coup le sens de la