« Peau d’Âne et Don Quichotte/XIV » : différence entre les versions

Contenu supprimé Contenu ajouté
Aucun résumé des modifications
Phe-bot (discussion | contributions)
m Toto256: split
Balise : Contenu remplacé
Ligne 1 :
==[[Page:Leblanc et Maricourt - Peau d’Âne et Don Quichotte, paru dans Le Gaulois, 1927.djvu/86]]==
De l’autre côté de la rive, ils étaient tous deux dans la même attitude. Vêtu d’un costume de velours noir ajusté, qui moulait sa taille bien prise ; un béret orné d’une plume sur la tête, le Prince Charmant était assis sur un pliant devant un chevalet. Il était très jeune. Son profil fin et sa soyeuse moustache se détachaient sur le fond de verdure. Lorsque, sous les noirs sourcils bien arqués, il levait les yeux sur son modèle, on voyait son doux regard bleu pervenche éclairant la plus jolie carnation du monde. Il était beau comme le jour.
 
<pages index="Leblanc et Maricourt - Peau d’Âne et Don Quichotte, paru dans Le Gaulois, 1927.djvu" from=86 to=88 />
À quelques mètres de lui, Folette posait comme un modèle parfait.
 
Sans bouger, de sa voix frêle, elle appela :
 
— Petits ! petits ! petits !
 
Les enfants furetèrent partout du regard. Folette appelait-elle quelque nichée de canetons ou de poussins ? Sans doute.
 
— Petits ! petits ! petits !
 
Tout étonnés, les enfants continuèrent de ne rien voir.
 
Alors, mi-narquoise, mi-gracieuse, la voix reprit :
 
— Mais non ! mais non ! Ce n’est pas des bêtes que j’appelle. C’est vous, mes chérubins. Allons ! allons ! Déberlucoquez-vous bien vite. Allons, mes cœurs ! Oust ! Traversez la rivière et venez voir la belle dame qu’on peint. On vous attend.
 
Comme on le pense bien, les enfants obéirent.
 
Ils demeurèrent un peu saisis, car le spectacle n’était point ordinaire.
 
Folette avait revêtu une robe d’organdi rose, d’un âge imprécis et lointain. Un chapeau de bergère couvrait sa tête, et les roses qui l’ornaient à profusion projetaient de l’ombre sur son visage.
 
À la saignée de son bras, un gros oiseau bleu, vert et rouge, comme Pierre n’en avait jamais vu, était perché suivant la mode du dix-huitième siècle.
 
Cet animal singulier, dont les plumes s’étaient apparemment roulées dans un arc-en-ciel, roulait voluptueusement des yeux goulus. Il regardait, avec tendresse, une noix que Folette tenait de la main gauche en un geste un peu maniéré.
 
Parfois, il dodelinait de la tête en poussant de gros soupirs enfantins ; parfois, il fermait un œil, dont la taie blanche semblait un gros œuf de fourmi noyé dans la verdure.
 
— Drôle de spectacle, marmonna Pierre. Je n’ai jamais vu ça. Cette fois, c’est bien l’Oiseau Bleu.
 
Folette paraissait ravie jusqu’à l’extase. Sa jupe à paniers sortait de l’herbe comme une grosse cloche… Mais, tout à coup, cette cloche s’effondra pour rentrer dans le gazon.
==[[Page:Leblanc et Maricourt - Peau d’Âne et Don Quichotte, paru dans Le Gaulois, 1927.djvu/87]]==
En effet, de sa manière la plus suave, Folette, fatiguée de demeurer immobile, esquissait un de ces « plongeons à la royale » auxquels elle excellait. Et même il arriva ceci :
 
Cette étrange petite créature, prise à son jeu, exécuta quelques pas de menuet, s’entraîna, dansa toute seule, en agitant, suivant le vieux rite d’autrefois, un mouchoir de soie fine qui faisait des grâces au-dessus de sa tête. Elle chantait doucement, délicieusement, un air de lointaine romance, et, de ridicule qu’il était tout à l’heure, le spectacle devenait presque attendrissant, joliment désuet.
 
Au bout de quelques minutes, le peintre l’interrompit, d’une voix chaude et bien timbrée :
 
— Allons, madame… allons… le jour s’avance. Un peu d’immobilité, s’il vous plaît, pour la pose !
 
Folette sourit et devint bien sage.
 
— Elle sourit comme un enfant, remarqua la perspicace Violette. Regarde comme elle a l’air jeune.
 
— Tu sais, moi, sous le chapeau, je ne vois pas très bien…
 
— Mais si ! Mais si ! Regarde donc mieux.
 
— C’est vrai. Est-ce qu’elle se peint ? demanda Pierre.
 
— Comment ? se peindre… Mais ce n’est pas elle-même qui fait le tableau, c’est le rapin.
 
— Oh ! mais y a des dames qui se peignent la figure de toutes les couleurs. À Paris, maman en voit quelques-unes comme ça.
 
Non, Folette ne se peignait pas. Par quelle métamorphose un tel auréolement de jeunesse éclairait-il son fin visage ? Était-ce le simple sourire d’une âme pure qui se décelait sur ses lèvres et rayonnait autour d’elle ? Était-ce le lointain souvenir de joies abolies et de bonheurs envolés dont la fugitive vision opérait ce miracle ?… On ne sait… Mais le prodige semblait tel aux enfants qu’ils crurent presque à un enchantement nouveau.
 
____________
 
 
 
D’un air triomphant, le peintre, après les avoir salués, leur tendit à bout de bras la toile luisante, qui sentait bon l’huile fraîche.
 
— Est-ce ressemblant ? demanda-t-il.
 
Les enfants poussèrent un cri de saisissement. Oui, c’était bien Folette, mais – flatterie de peintre – elle paraissait avoir vingt ans. Le sourire de son visage découvrait des dents menues et nettes comme des grains de riz. Ses cheveux étaient blancs, mais peut-être étaient-ils poudrés comme au temps des marquises ! Ses grands yeux candides éclairaient un front si pur, si pur qu’on l’aurait cru frôlé par le battement d’aile d’un ange…
 
Il semblait que Folette, ce fût la Belle au Bois Dormant, dans l’instant qu’elle s’était piqué le doigt de son fuseau.
 
C’était si curieux que Pierre et Violette ne comprenaient rien à rien.
 
— C’est bien la Belle au Bois Dormant, disait Pierre… La vue du Prince Charmant l’a rajeunie… Elle l’attendait pour sûr !
 
— Hier, tu disais « la Vieille au Bois Dormant » ! objecta Violette en face du grand mystère troublant. Moi, je ne sais plus… Ma tête se brouille.
 
Sur ces entrefaites, des petits pas, trottinant menu comme ceux d’un alerte
==[[Page:Leblanc et Maricourt - Peau d’Âne et Don Quichotte, paru dans Le Gaulois, 1927.djvu/88]]==
<section begin="s1" />souriceau, attirèrent l’attention des enfants.
 
C’était Folette qui, relevant ses falbalas d’organdi, arrivait pour voir son portrait.
 
Longuement, avidement, elle le regarda. Puis, sous les roses de son chapeau, elle parut extrêmement pâle, ses traits se contractèrent, un crispement douloureux abaissa les commissures de ses lèvres. Des pieds à la tête elle tremblait comme une pauvre petite feuille morte balayée par les tempêtes.
 
Courbée, caduque, vieillaque, Folette, en un moment, venait de bondir à travers les âges comme si elle atteignait ses cent ans. D’une voix déchirante, elle cria :
 
— Marie-Claire ! Marie-Claire ! Oh ! Ma pauvre Marie-Claire !…
 
Mais qu’est-ce donc ? Sans aucun sens du respect, quelqu’un éclatait de rire auprès de Folette.
 
D’une voix discordante et suraiguë, on reprenait :
 
— Marie-Claire ! Marie-Claire ! Ma pauvre Marie-Claire !
 
Les termes manquent qui pourraient clairement ici exprimer l’effroi de Pierre et de Violette. Décidément, ils vivent en pleine fantasmagorie.
 
Savez-vous qui parle ? Eh bien, c’est l’oiseau couleur d’arc-en-ciel lui-même. Il a vilainement profité du désarroi de l’infortunée Folette. Abusant de la situation, il lui a dérobé la noix qu’il guettait. Il la tourne et retourne amoureusement dans sa patte crochue, couverte d’écailles comme une coquille d’huître.
 
Gloussant, toussant et ricanant, il glapit toujours comme pour ajouter à l’impudence du larcin :
 
— Marie-Claire ! Marie-Claire ! Ma pauvre Marie-Claire !
 
C’est affreux.
 
— Cet oiseau est certainement un enchanteur, balbutie Pierrot.
 
— Peut-être bien tout de même, reprend Violette, très intéressée.
 
<section end="s1" />
<section begin="s2" /><nowiki />
 
 
{{t3|'''{{uc|Le royaume de l’oiseau bleu}}'''|XV}}
 
 
 
… Ah ! mon Dieu ! Qu’est-ce qui se passe, là… à côté de Folette ?
 
Voilà que l’oiseau qui parle s’enfuit d’un vol maladroit et lourd en abandonnant sa noix. Tandis qu’il sautille sans grâce, la patte en l’air, un monstre s’avance à pas de velours, sorte de panthère noire qui surgit d’un massif de verdure. Il rase le sol. Petite bête de rapine et de proie, il se coule sur le sable, les épaules hautes, tendues pour le bond suprême, avançant avec une rare prudence son mufle avide sous les yeux d’or.
 
Tout à coup, il saute. Il saute sur l’oiseau voleur. En un clin d’œil, il le saisit et, la tête relevée maintenant, noble comme un lion qui enlève sa proie, au milieu du désert, il s’apprête à partir.
<section end="s2" />