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Advis pour dresser une bibliotheque.
 
Presenté à monseigneur le president
Présenté à monseigneur le president de mesme.
de mesme.
 
Je croy, monseigneur,
Je croy, monseigneur, qu’il ne vous semblera point hors de raison, que je donne le titre et la qualité de chose inoüye à ce discours, lequel je vous présente avec autant d’affection que vostre bienveillance et le service que je vous dois m’obligent : puis qu’il est vray qu’entre le nombre presque infini de ceux qui ont jusques aujourd’huy mis la main à la plume, aucun n’est encore venu à ma connoissance sur l’advis duquel on se puisse regler au choix des livres, au moyen de les recouvrer, et à la disposition qu’il faut leur donner pour les faire paroistre avec profit et honneur dans une belle et somptueuse bibliotheque.
qu’il ne vous
 
semblera point hors
Car encore bien que nous ayons le conseil que donna Jean Baptiste Cardone evesque de Tortose pour dresser et entretenir la royale bibliotheque de Lescurial, si est-ce toutessois qu’il a si legerement passé sur ce sujet, que si on ne le compte pour nul, au moins ne doit-il point retarder le bon dessein de ceux qui veulent bien entreprendre d’en donner quelque plus grande lumiere et esclaircissement aux autres, sous esperance que s’ils ne rencontrent mieux, la difficulté de l’entreprise ne les rendra pas moins qu’iceluy excusables, et affranchis de toute sorte de blasme et de calomnie.
de raison, que je donne
 
le titre et la qualité de chose
Aussi est-il vray qu’il n’appartient pas à un chacun de bien rencontrer en cette matiere, et que la peine et la difficulté qu’il y a de s’acquerit une cognoissance superficielle de tous les arts et sciences, de se delivrer de la servitude et esclavage de certaines opinions qui nous font regler et parler de toutes choses à nostre fantaisie, et de juger à propos et sans passion du merite et de la qualité des autheurs, sont des difficultez plus que suffisantes pour nous persuader qu’il est vray d’un bibliothecaire ce que Juste Lipse disoit elegamment et fort à propos de deux autres sortes de personnes, (…).
inoüye à ce discours, lequel je
 
vous presente avec autant d’affection
Et si je prends la hardiesse, m. De vous présenter ces memoires et instructions, ce n’est pas que j’aye si bonne estime de mon jugement, que de le vouloir interposer en cette affaire qui est si difficile, ou que la philautie me chatoüille jusques à ce poinct qu’elle me face reconnoistre en moy ce qui ne se trouve que rarement és autres : mais l’affection que j’ay de faire chose qui vous soit agreable, est la seule cause qui m’excite à joindre les sentimens communs de beaucoup de personnes sçavantes et versées en la connoissance des livres, et les moyens divers pratiquez par les plus fameux bibliothecaires, à ce que le peu d’industrie et d’experience que j’ay me pourra fournir pour vous représenter en cét advis les preceptes et moyens sur lesquels il est à propos de se regler afin d’avoir un heureux succez de cette belle et genereuse entreprise.
que vostre bienveillance et
 
le service que je vous dois m’obligent :
C’est pourquoy, m. Apres vous avoir tres-humblement requis d’attribüer plustost ce long discours à la candeur et sincerité de mon affection, que non pas à quelque presomption de m’en pouvoir plus dignement acquitter qu’un autre ; je vous diray librement que si vous n’avez dessein d’esgaler la bibliotheque vaticane ou l’ambrosienne du cardinal Borrommée, vous avez de quoy mettre vostre esprit en repos, vous satisfaire et contenter d’avoir une telle quantité de livres, et si bien choisis, que demeurant hors de ces termes elle est plus que suffisante non seulement de servir à vostre contentement particulier, et à la curiosité de vos amis ; mais aussi de se conserver le nom d’une des meilleures et mieux fournies bibliotheques de France ; puis que vous avez tous les principaux és facultez principales, et un tres-grand nombre d’autres qui peuvent servir aux diverses rencontres des sujets particuliers et non communs.
puis qu’il est vray qu’entre
 
le nombre presque infini de ceux
Mais si vous ambitionnez de faire esclatter vostre nom par celuy de vostre bibliotheque, et de joindre ce moyen à ceux que vous pratiquez en toutes les occasions par l’eloquence de vos discours, solidité de vostre jugement, et l’esclat des plus belles charges et magistratures que vous avez si heureusement exercées, pour donner un lustre perdurable à vostre memoire, et vous asseurer pendant vostre vie de pouvoir facilement vous desvelopper des divers replis et roulemens des ssectes, pour vivre et dominer dans le souvenir des hommes ; il est besoin d’augmenter et de perfectionner tous les jours ce que vous avez si bien commencé, et donner insensiblement un tel et si avantageux progrez à vostre bibliotheque, qu’elle soit aussi bien que vostre esprit sans pair, sans esgale, et autant belle, parfaite et accomplie qu’il se peut faire par l’industrie de ceux qui ne font jamais rien sans quelque manque ou defaut, '' adeo nihil est ab omni parte beatum ''.
qui ont jusques aujourd’huy mis
la main à la plume, aucun n’est
encore venu à ma connoissance
sur l’advis duquel on se puisse
regler au choix des livres, au moyen
de les recouvrer, et à la disposition
qu’il faut leur donner pour
les faire paroistre avec profit et
honneur dans une belle et somptueuse
bibliotheque.
Car encore bien que nous ayons
le conseil que donna Jean Baptiste
Cardone evesque de Tortose
pour dresser et entretenir la
royale bibliotheque de Lescurial,
si est-ce toutesfois qu’il a si
legerement passé sur ce sujet, que
si on ne le compte pour nul, au
moins ne doit-il point retarder
le bon dessein de ceux qui veulent
bien entreprendre d’en donner
quelque plus grande lumiere et
esclaircissement aux autres, sous
esperance que s’ils ne rencontrent
mieux, la difficulté de l’entreprise
ne les rendra pas moins qu’iceluy
excusables, et affranchis de toute
sorte de blasme et de calomnie.
Aussi est-il vray qu’il n’appartient pas
à un chacun de bien rencontrer
en cette matiere, et que la
peine et la difficulté qu’il y a de
s’acquerir une cognoissance superficielle
de tous les arts et sciences,
de se delivrer de la servitude
et esclavage de certaines opinions
qui nous font regler et parler de
toutes choses à nostre fantaisie,
et de juger à propos et sans passion
du merite et de la qualité des
autheurs, sont des difficultez plus
que suffisantes pour nous persuader
qu’il est vray d’un bibliothecaire
ce que Juste Lipse disoit
elegamment et fort à propos de
deux autres sortes de personnes,
(…).
Et si je prends la hardiesse, m.
De vous presenter ces memoires
et instructions, ce n’est pas que
j’aye si bonne estime de mon jugement,
que de le vouloir interposer
en cette affaire qui est si difficile,
ou que la philautie me chatoüille
jusques à ce poinct qu’elle
me face reconnoistre en moy ce
qui ne se trouve que rarement és
autres : mais l’affection que j’ay
de faire chose qui vous soit agreable,
est la seule cause qui m’excite
à joindre les sentimens communs
de beaucoup de personnes sçavantes
et versées en la connoissance des livres,
et les moyens divers
pratiquez par les plus fameux
bibliothecaires, à ce que le
peu d’industrie et d’experience
que j’ay me pourra fournir pour
vous representer en cét advis les
preceptes et moyens sur lesquels
il est à propos de se regler afin
d’avoir un heureux succez de cette
belle et genereuse entreprise.
C’est pourquoy, m. Apres vous
avoir tres-humblement requis
d’attribüer plustost ce long discours
à la candeur et sincerité de
mon affection, que non pas à
quelque presomption de m’en
pouvoir plus dignement acquitter
qu’un autre ; je vous diray
librement que si vous n’avez dessein
d’esgaler la bibliotheque
vaticane ou l’ambrosienne du
cardinal Borrommée, vous avez de
quoy mettre vostre esprit en repos,
vous satisfaire et contenter
d’avoir une telle quantité de livres,
et si bien choisis, que demeurant hors de ces
termes elle est plus
que suffisante non seulement
de servir à vostre contentement
particulier, et à la curiosité
de vos amis ; mais aussi de se
conserver le nom d’une des meilleures
et mieux fournies bibliotheques
de France ; puis que vous
avez tous les principaux és facultez
principales, et un tres-grand
nombre d’autres qui peuvent servir
aux diverses rencontres des
sujets particuliers et non communs.
Mais si vous ambitionnez de
faire esclatter vostre nom par celuy
de vostre bibliotheque, et de
joindre ce moyen à ceux que vous
pratiquez en toutes les occasions
par l’eloquence de vos discours,
solidité de vostre jugement, et
l’esclat des plus belles charges et
magistratures que vous avez si
heureusement exercées, pour donner
un lustre perdurable à vostre
memoire, et vous asseurer pendant
vostre vie de pouvoir facilement
vous desvelopper des divers
replis et roulemens des siecles,
pour vivre et dominer dans le
souvenir des hommes ; il est besoin
d’augmenter et de perfectionner
tous les jours ce que
vous avez si bien commencé, et
donner insensiblement un tel et
si avantageux progrez à vostre
bibliotheque, qu’elle soit aussi
bien que vostre esprit sans pair,
sans esgale, et autant belle, parfaite
et accomplie qu’il se peut
faire par l’industrie de ceux qui ne
font jamais rien sans quelque
manque ou defaut,'' adeo nihil est ab omni parte beatum ''
.
 
==CHAPITRE 1==
Ligne 154 ⟶ 21 :
'' on doit estre curieux de dresser des bibliotheques, et pourquoy. ''
 
or d’autant, m. Que toute la difficulté de ce dessein consiste à ce que le pouvant exécuter avec farrière, vous jugiez qu’il soit à propos de l’entreprendre ; il est nécessaire auparavant que de venir aux preceptes qui peuvent servir à cette exécution, de vous deduire et expliquer les raisons qui doivent vraysemblablement vous persuader qu’elle est à vostre advantage, et que vous ne la devez en aucune façon negliger. Car pour ne point nous esloigner de la nature de cette entreprise, le sens commun nous dicte que c’est une chose tout à fait loüable, genereuse et digne d’un courage qui ne respire que l’immortalité, de tirer de l’oubly, conserver et redresser comme un autre Pompée toutes ces images, non des corps, mais des esprits de tant de galands hommes qui n’ont espargné ny leur temps ny leurs veilles pour nous laisser les plus vifs traicts de ce qui estoit le plus excellent en eux. Aussi est-ce une pratique à laquelle Pline Le Jeune, qui n’estoit pas des moins ambitieux d’entre les romains, semble nous vouloir particulierement encourager par ces beaux mots du cinquiesme de ses epistres, (…).
or d’autant, m. Que toute
 
la difficulté de ce dessein
Joint que cette recherche curieuse et non triviale et commune peut legitimement passer pour un de ces bons présages desquels parle Cardan au chapitre '' de signas eximiae potentiae '', parce qu’estant extraordinaire, difficile et de grande despence, il ne se peut faire autrement qu’elle ne donne sujet à un chacun de parler en bons termes et quasi avec admiration de celuy qui la pratique, (…).
consiste à ce que le pouvant executer
 
avec facilité, vous jugiez
Et à la verité si nous ne trouvons point estrange que Demetrius ait fait monstre et parade de ses instrumens de guerre et machines vastes et prodigieuses, Alexandre Le Grand de sa façon de camper, les roys d’Egypte de leurs pyramides, voire mesme Salomon de son temple, et les autres de choses semblables ; d’autant que Tybere remarque fort bien dans Tacite, (…) : combien d’estime devons-nous faire de ceux qui n’ont point recherché ces inventions superfluës et inutiles pour la pluspart, croyans et jugeans bien qu’il n’y avoit aucun moyen plus honneste et asseuré pour s’acquerit une grande renommée parmy les peuples, que de dresser de belles et magnifiques bibliotheques, pour puis apres les voüer et consacrer à l’usage du public ? Aussi est-il vray que cette entreprise n’a jamais trompé ny deceu ceux qui l’ont bien sceu mesnager, et qu’elle a tousjours esté jugée de telle consequence, que non seulement les particuliers l’ont fait reüssir à leur avantage, comme Richard De Bury. Bessarion, Vincent Pinelli, Sirlette, vostre grand père messire Henry De Mesme de tres-heureuse memoire, le chevalier anglois Bodlevi, feu m. Le president De Thou, et un grand nombre d’autres, mais que les plus ambitieux mesmes ont tousjours voulu se servir d’icelle pour couronner et perfectionner toutes leurs belles actions, comme l’on fait de la clef qui ferme la voulte et sert de lustre et d’ornement à tout le reste de l’edifice. Et ne veux point d’autres preuves et tesmoins de mon dire que ces grands roys d’Egypte et de Pergame, ce Xerces, cet Auguste, Luculle, Charlemagne, Alphonse D’Arragon, Matthieu Corvin, et ce grand roy François Premier, qui ont tous affectionné et recherché particulierement (entre le nombre presque infini de beaucoup de monarques et potentats qui ont aussi pratiqué cette ruse et stratageme) d’amasser grand nombre de livres, et faire dresser des bibliotheques tres-curieuses et bien fournies : non point qu’ils manquassent d’autres sujets de loüange et recommandation, s’en estant assez acquis dans les triomphes de leurs grandes et signalées victoires ; mais parce qu’ils n’ignoroient pas que les personnes (…), ne doivent rien negliger de ce qui les peut facilement eslever au supreme et souverain degré d’estime et de reputation. Et de plus si on demandoit à Seneque quelles doivent estre les actions de ces forts et puissans genies qui semblent n’estre mis au monde que pour operer des miracles, il respondroit infailliblement, (…). C’est pourquoy, m. Il semble estre à propos, puis que vous dominez et tenez le dessus en toutes les actions signalées, que vous ne demeuriez jamais dans la mediocrité es choses bonne et loüable ; et puis que vous n’avez rien de bas et de commun, que vous encherissiez aussi pardessus tous les autres l’honneur et la reputation d’avoir une bibliotheque la plus parfaite et la mieux fournie et entretenuë qui soit de vostre temps.
qu’il soit à propos de l’entreprendre ;
 
il est necessaire auparavant
Finalement si ces raisons n’ont assez de pouvoir pour vous disposer à cette entreprise, je me persuade au moins que celle de vostre contentement particulier sera seule assez capable et puissante pour vous y faire resoudre : car s’il est possible d’avoir en ce monde quelque souverain bien, quelque felicité parfaite et accomplie, je croy certainement qu’il n’y en a point qui soit plus à désirer que l’entretien et le divertissement fructueux et agreable que peut recevoir d’une telle bibliotheque un homme docte, et qui n’est point tant curieux d’avoir des livres, (…), puis qu’il se peut à bon droit nommer au moyen d’icelle cosmopolite ou habitant de tout le monde, qu’il peut tout sçavoir, tout voir, et ne rien ignorer, bref puis qu’il est maistre absolu de ce contentement, qu’il le peut mesnager à sa fantaisie, le prendre quand il veut, le quitter quand il luy plaist, l’entretenir tant que bon luy semble, et que sans contredit, sans travail et sans peine il se peut instruire, et connoistre les particularitez plus precises de '' tout ce qui est, qui fut, et qui peut estre en terre, en mer, au plus caché des cieux ''.
que de venir aux preceptes qui
Je diray donc pour le résultat de ces raisons, et de beaucoup d’autres, qu’il vous est plus facile de concevoir qu’à nul autre de les exprimer, que je ne pretends point par scelles vous engager à une despence superfluë et grandement extraordinaire, n’estant point de l’opinion de ceux qui croyent que l’or et l’argent sont les principaux nerfs d’une bibliotheque, et qui se persuadent (n’estimans les livres qu’au prix qu’ils ont cousté que l’on ne peut rien avoir de bon s’il n’est bien cher.
peuvent servir à cette execution,
 
de vous deduire et expliquer les
Combien que ce ne soit pas aussi mon intention de vous persuader que ce grand amas se puisse faire sans frais ny bourse deslier, sçachant bien que le dire de Plaute est aussi veritable en cette occasion qu’en beaucoup d’autres. (…) : mais bien de vous faire voir par ce présent discours, qu’il y a une infinité d’autres moyens desquels on se peut servir avec beaucoup plus de farrière et moins de despence pour parvenir et toucher finalement au but que je vous propose.
raisons qui doivent vraysemblablement
vous persuader qu’elle
est à vostre advantage, et que
vous ne la devez en aucune façon
negliger. Car pour ne point
nous esloigner de la nature de
cette entreprise, le sens commun
nous dicte que c’est une chose
tout à fait loüable, genereuse
et digne d’un courage qui ne respire
que l’immortalité, de tirer de
l’oubly, conserver et redresser
comme un autre Pompée toutes
ces images, non des corps, mais
des esprits de tant de galands
hommes qui n’ont espargné ny
leur temps ny leurs veilles pour
nous laisser les plus vifs traicts de
ce qui estoit le plus excellent en
eux. Aussi est-ce une pratique à
laquelle Pline Le Jeune, qui
n’estoit pas des moins ambitieux
d’entre les romains, semble nous
vouloir particulierement encourager
par ces beaux mots du cinquiesme
de ses epistres, (…).
Joint que cette recherche curieuse
et non triviale et commune
peut legitimement passer pour
un de ces bons presages desquels
parle Cardan au chapitre '' de signis eximiae potentiae ''
, parce
qu’estant extraordinaire, difficile et
de grande despence, il ne se peut
faire autrement qu’elle ne donne
sujet à un chacun de parler en
bons termes et quasi avec admiration
de celuy qui la pratique, (…).
Et à la verité si
nous ne trouvons point estrange
que Demetrius ait fait monstre
et parade de ses instrumens
de guerre et machines vastes et
prodigieuses, Alexandre Le Grand
de sa façon de camper, les roys
d’Egypte de leurs pyramides,
voire mesme Salomon de son
temple, et les autres de choses
semblables ; d’autant que Tybere
remarque fort bien dans Tacite, (…) :
combien d’estime
devons-nous faire de ceux
qui n’ont point recherché ces
inventions superfluës et inutiles
pour la pluspart, croyans et jugeans
bien qu’il n’y avoit aucun
moyen plus honneste et asseuré
pour s’acquerir une grande
renommée parmy les peuples, que
de dresser de belles et magnifiques
bibliotheques, pour puis
apres les voüer et consacrer à l’usage
du public ? Aussi est-il vray
que cette entreprise n’a jamais
trompé ny deceu ceux qui l’ont
bien sceu mesnager, et qu’elle a
tousjours esté jugée de telle
consequence, que non seulement les
particuliers l’ont fait reüssir à leur
avantage, comme Richard De
Bury. Bessarion, Vincent Pinelli,
Sirlette, vostre grand pere
messire Henry De Mesme de
tres-heureuse memoire, le chevalier
anglois Bodlevi, feu m. Le president
De Thou, et un grand nombre
d’autres, mais que les plus ambitieux
mesmes ont tousjours
voulu se servir d’icelle pour
couronner et perfectionner toutes
leurs belles actions, comme l’on
fait de la clef qui ferme la voulte
et sert de lustre et d’ornement à
tout le reste de l’edifice. Et ne
veux point d’autres preuves et
tesmoins de mon dire que ces
grands roys d’Egypte et de Pergame,
ce Xerces, cet Auguste, Luculle,
Charlemagne, Alphonse
D’Arragon, Matthieu Corvin, et
ce grand roy François Premier,
qui ont tous affectionné et recherché
particulierement (entre
le nombre presque infini de beaucoup
de monarques et potentats
qui ont aussi pratiqué cette ruse
et stratageme) d’amasser grand
nombre de livres, et faire dresser
des bibliotheques tres-curieuses
et bien fournies : non point qu’ils
manquassent d’autres sujets de
loüange et recommandation,
s’en estant assez acquis dans les
triomphes de leurs grandes et signalées
victoires ; mais parce
qu’ils n’ignoroient pas que les
personnes (…), ne doivent
rien negliger de ce qui les peut
facilement eslever au supreme et
souverain degré d’estime et de
reputation. Et de plus si on demandoit
à Seneque quelles doivent
estre les actions de ces forts et
puissans genies qui semblent n’estre
mis au monde que pour operer
des miracles, il respondroit
infailliblement, (…). C’est pourquoy,
m. Il semble estre à propos, puis
que vous dominez et tenez le
dessus en toutes les actions signalées,
que vous ne demeuriez jamais
dans la mediocrité es choses
bonne et loüable ; et puis que
vous n’avez rien de bas et de
commun, que vous encherissiez
aussi pardessus tous les autres
l’honneur et la reputation d’avoir
une bibliotheque la plus parfaite
et la mieux fournie et entretenuë
qui soit de vostre temps.
Finalement si ces raisons n’ont
assez de pouvoir pour vous disposer
à cette entreprise, je me persuade
au moins que celle de
vostre contentement particulier
sera seule assez capable et puissante
pour vous y faire resoudre :
car s’il est possible d’avoir en ce
monde quelque souverain bien,
quelque felicité parfaite et
accomplie, je croy certainement
qu’il n’y en a point qui soit plus à
desirer que l’entretien et le divertissement
fructueux et agreable
que peut recevoir d’une telle
bibliotheque un homme docte, et
qui n’est point tant curieux
d’avoir des livres, (…), puis qu’il
se peut à
bon droit nommer au moyen d’icelle
cosmopolite ou habitant
de tout le monde, qu’il peut tout
sçavoir, tout voir, et ne rien
ignorer, bref puis qu’il est maistre
absolu de ce contentement,
qu’il le peut mesnager à sa fantaisie,
le prendre quand il veut, le
quitter quand il luy plaist,
l’entretenir tant que bon luy semble,
et que sans contredit, sans travail
et sans peine il se peut instruire,
et connoistre les particularitez
plus precises de
'' tout ce qui est, qui fut, et qui peut estre en terre, en mer, au plus caché des cieux ''
.
Je diray donc pour le resultat de
ces raisons, et de beaucoup d’autres,
qu’il vous est plus facile de
concevoir qu’à nul autre de les
exprimer, que je ne pretends
point par icelles vous engager à
une despence superfluë et grandement
extraordinaire, n’estant
point de l’opinion de ceux qui
croyent que l’or et l’argent sont
les principaux nerfs d’une bibliotheque,
et qui se persuadent (n’estimans
les livres qu’au prix qu’ils
ont cousté que l’on ne peut rien
avoir de bon s’il n’est bien cher.
Combien que ce ne soit pas aussi
mon intention de vous persuader
que ce grand amas se puisse faire
sans frais ny bourse deslier, sçachant
bien que le dire de Plaute
est aussi veritable en cette occasion
qu’en beaucoup d’autres. (…) :
mais bien de vous faire
voir par ce present discours, qu’il
y a une infinité d’autres moyens
desquels on se peut servir avec
beaucoup plus de facilité et moins
de despence pour parvenir et toucher
finalement au but que je
vous propose.
 
==CHAPITRE 2==
Ligne 363 ⟶ 36 :
'' la façon de s’instruire et sçavoir comme il faut dresser une bibliotheque. ''
 
or entre sceux : m. J’estime qu’il n’y en a point de plus utile et nécessaire que de se bien instruire auparavant que de rien advancer en cette entreprise, de l’ordre et de la methode qu’il faut precisément garder pour en venir à bout. Ce qui se peut faire par deux moyens assez faciles et asseurez : le premier desquels est de prendre l’advis et conseil de ceux qui nous le peuvent donner, concerter et animer de vive voix, soit qu’ils le puissent faire, ou pour estre personnes de lettres, bon sens et jugement, qui par ce moyen sont en possession de parler à propos et bien discourir et raisonner sur toutes choses : ou bien parce qu’ils poursuivent la mesme entreprise avec estime et reputation d’y mieux rencontrer et d’y proceder avec plus d’industrie, de precaution et de jugement, que ne font pas les autres, tels que sont aujourd’huy Messieurs De Fontenay, Halé, Du Puis, Riber, Des Cordes, et Moreau, l’exemple desquels on ne peut manquer de suivre ; puis que suivant le dire de Pline Le Jeune.
or entre iceux : m. J’estime
 
qu’il n’y en a point de plus
(…) : et que pour ce qui est de vostre particulier, la diversité de leur procedé vous pourra tousjours fournir quelque nouvelle addresse et lumiere qui ne sera, peut estre, pas inutile au progrez et à l’avancement de vostre bibliotheque, par la recherche des bons livres, et de ce qui est le plus curieux dans chacune des leurs.
utile et necessaire que de se bien
 
instruire auparavant que de rien
Le second est de consulter et recueillir soigneusement le peu de preceptes qui se peuvent tirer des livres de quelques autheurs qui ont escrit legerement et quasi par maniere d’acquit sur cette matiere, comme par exemple, du conseil de Baptiste Cardone, du '' philobiblion '' de Richard De Bury, de la vie de Vincent Pinelli, du livre de Possevin '' de cultura ingeniorum '',
advancer en cette entreprise, de
de celuy que Lipse a fait sur les bibliotheques, et de toutes les diverses tables, indices et catalogues : et se regler aussi sur les plus grandes et renommées bibliotheques que l’on ait jamais dressées, veu que si l’on veut suivre l’advis et le precepte de Cardan, (…). En suitte dequoy il ne faut point obmettre et negliger de faire transcrire tous les catalogues, non seulement des grandes et renommées bibliotheques, soit qu’elles soient vieilles ou modernes, publiques ou particulieres, et en la possession des nostres ou des estrangers : mais aussi des estudes et cabinets, qui pour n’estre cognus ny hantez demeurent ensevelis dans un perpetuel silence. Ce qui ne semblera point estrange et nouveau si on considere quatre ou cinq raisons principales qui m’ont fait avancer cette proposition. La première desquelles est qu’on ne peut rien faire à l’imitation des autres bibliotheques si l’on ne sçait par le moyen des catalogues qui en sont dressez ce qu’elles contiennent : la seconde, parce qu’ils nous peuvent instruire des livres, du lieu, du temps et de la forme de leur impression : la troisiesme, d’autant qu’un esprit genereux et bien nay doit avoir le désir et l’ambition d’assembler, comme en un blot tout ce que les autres possedent en particulier, '' ut quae divis a beatos efficiunt, in se mixta fluant ''
l’ordre et de la methode qu’il faut
precisément garder pour en venir
à bout. Ce qui se peut faire par
deux moyens assez faciles et
asseurez : le premier desquels est de
prendre l’advis et conseil de ceux
qui nous le peuvent donner, concerter
et animer de vive voix, soit
qu’ils le puissent faire, ou pour
estre personnes de lettres, bon sens
et jugement, qui par ce moyen
sont en possession de parler à propos
et bien discourir et raisonner
sur toutes choses : ou bien parce
qu’ils poursuivent la mesme
entreprise avec estime et reputation
d’y mieux rencontrer et d’y proceder
avec plus d’industrie, de
precaution et de jugement, que
ne font pas les autres, tels que
sont aujourd’huy Messieurs De
Fontenay, Halé, Du Puis, Riber,
Des Cordes, et Moreau,
l’exemple desquels on ne peut
manquer de suivre ; puis que
suivant le dire de Pline Le Jeune.
(…) : et
que pour ce qui est de vostre
particulier, la diversité de leur
procedé vous pourra tousjours
fournir quelque nouvelle
addresse et lumiere qui ne sera, peut
estre, pas inutile au progrez et à
l’avancement de vostre bibliotheque,
par la recherche des
bons livres, et de ce qui est le plus
curieux dans chacune des leurs.
Le second est de consulter et
recueillir soigneusement le peu de
preceptes qui se peuvent tirer des
livres de quelques autheurs qui
ont escrit legerement et quasi par
maniere d’acquit sur cette matiere,
comme par exemple, du conseil
de Baptiste Cardone, du
'' philobiblion ''
de Richard De Bury, de
la vie de Vincent Pinelli, du
livre de Possevin '' de cultura ingeniorum ''
,
de celuy que Lipse a fait sur
les bibliotheques, et de toutes les
diverses tables, indices et catalogues :
et se regler aussi sur les
plus grandes et renommées
bibliotheques que l’on ait jamais
dressées, veu que si l’on veut
suivre l’advis et le precepte de
Cardan, (…). En suitte
dequoy il ne faut point obmettre et
negliger de faire transcrire tous
les catalogues, non seulement des
grandes et renommées bibliotheques,
soit qu’elles soient vieilles
ou modernes, publiques ou
particulieres, et en la possession
des nostres ou des estrangers :
mais aussi des estudes et cabinets,
qui pour n’estre cognus ny hantez
demeurent ensevelis dans un
perpetuel silence. Ce qui ne semblera
point estrange et nouveau
si on considere quatre ou cinq
raisons principales qui m’ont fait
avancer cette proposition. La premiere
desquelles est qu’on ne peut
rien faire à l’imitation des autres
bibliotheques si l’on ne sçait par
le moyen des catalogues qui en
sont dressez ce qu’elles contiennent :
la seconde, parce qu’ils
nous peuvent instruire des livres,
du lieu, du temps et de la forme
de leur impression : la troisiesme,
d’autant qu’un esprit genereux et
bien nay doit avoir le desir et
l’ambition d’assembler, comme
en un blot tout ce que les autres
possedent en particulier,'' ut quae divis a beatos efficiunt, in se mixta fluant ''
:
la quatriesme, parce que c’est faire plaisir et service à un amy quand on ne luy peut fournir le livre duquel il est en peine, de luy monstrer et designer au vray le lieu où il en pourroit trouver quelque copie, comme l’on peut faire facilement par le moyen de ces catalogues : finalement à cause que nous ne pouvons pas par nostre seule industrie sçavoir et connoistre les qualitez d’un si grand nombre de livres qu’il est besoin d’avoir ; il n’est pas hors de propos de suivre le jugement des plus versez et entendus en cette matiere, et d’inferer en cette sorte. Puis que ces livres ont esté recueillis et achetez par tels et tels, il y a bien de l’apparence qu’ils meritent de l’estre, pour quelque circonstance qui nous est incognuë.
la quatriesme, parce que c’est faire
 
plaisir et service à un amy quand
Et en effect je puis dire avec verité, que pendant l’espace de deux ou trois ans que j’ay eu l’honneur de me rencontrer avec Monsieur De F chez les libraires, je luy ay veu souvent acheter de si vieux livres et si mal couverts et imprimez, qu’ils me faisoient soustice et esmerveiller tout ensemble, jusques à ce que prenant la peine de me dire le sujet et les circonstances pour lesquelles il les achetoit, ses causes et raisons me sembloient si pertinentes, que je ne seray jamais diverti de croire qu’il est plus versé en la cognoissance des livres, et qu’il en parle avec plus d’experience et de jugement qu’homme qui soit non seulement en France, mais en tout le reste du monde.
on ne luy peut fournir le livre
duquel il est en peine, de luy monstrer
et designer au vray le lieu où
il en pourroit trouver quelque
copie, comme l’on peut faire facilement
par le moyen de ces catalogues :
finalement à cause que
nous ne pouvons pas par nostre
seule industrie sçavoir et connoistre
les qualitez d’un si grand
nombre de livres qu’il est besoin
d’avoir ; il n’est pas hors de propos
de suivre le jugement des plus versez
et entendus en cette matiere,
et d’inferer en cette sorte. Puis
que ces livres ont esté recueillis
et achetez par tels et tels,
il y a bien de l’apparence qu’ils
meritent de l’estre, pour quelque
circonstance qui nous est incognuë.
Et en effect je puis dire avec
verité, que pendant l’espace de
deux ou trois ans que j’ay eu
l’honneur de me rencontrer avec
Monsieur De F chez les libraires, je
luy ay veu souvent acheter de si
vieux livres et si mal couverts et
imprimez, qu’ils me faisoient
sousrire et esmerveiller tout
ensemble, jusques à ce que prenant
la peine de me dire le sujet et les
circonstances pour lesquelles il
les achetoit, ses causes et raisons
me sembloient si pertinentes, que
je ne seray jamais diverti de croire
qu’il est plus versé en la cognoissance
des livres, et qu’il en parle
avec plus d’experience et de jugement
qu’homme qui soit non
seulement en France, mais en tout
le reste du monde.
 
==CHAPITRE 3==
Ligne 506 ⟶ 51 :
'' la quantité de livres qu’il y faut mettre. ''
 
cette difficulté première estant ainsi deduite et expliquée, celle qui la doit suivre et costoyer de plus prés nous oblige à rechercher s’il est à propos de faire un grand amas de livres, et rendre une bibliotheque célèbre, sinon par la qualité, au moins par la nompareille et prodigieuse quantité de ses volumes. Car il est vray que c’est l’opinion de beaucoup, que les livres sont semblables aux loix et sentences des jurisconsultes, lesquelles (…), et qu’il appartient à celuy là seul de discourir à propos sur quelque poinct de doctrine qui s’est le moins occupé à la diverse lecture de ceux qui en ont escrit. Et en effect il semble que ces beaux preceptes et advertissemens moraux de Seneque, (…), et plusieurs autres semblables qu’il nous donne en cinq ou six endroits de ses oeuvres puissent aucunement favoriser et fortifier cette opinion par l’auctorité de ce grand personnage. Mais si nous la voulons renverser entierement pour establir la nostre, comme plus probable, il ne faut que se fonder sur la diffèrence qu’il y a entre le travail d’un particulier et l’ambition de celuy qui veut paroistre par le moyen de sa bibliotheque, ou entre celuy qui ne veut satisfaire qu’à soy mesme, et celuy qui ne cherche qu’à contenter et obliger le public. Car il est certain que toutes ces raisons precedentes ne butent qu’à l’instruction de ceux qui veulent judicieusement et avec ordre et methode faire quelque progrez en la faculté qu’ils suivent, ou plustost à la condamnation de ceux qui tranchent des sçavans et contrefont les capables, encore s qu’ils ne voyent non plus ce grand amas de livres qu’ils ont fait, que les bossus (ausquels le Roy Alphonse avoit coustume de les comparer) cette grosse masse qu’ils portent derrière eux. Ce qui est à bon droict blasmé par Seneque és lieux alleguez cy-dessus, et plus ouvertement encore quand il dit, (…) ? Comme aussi par cet epigramme qu’Ausone avec beaucoup de grace et naïfveté addressé '' ad philomusum, (…) ''.
cette difficulté premiere
Mais vous, m. Qui estes en reputation de plus sçavoir que l’on ne vous a peu enseigner, et qui vous privez de toute sorte de contentement pour jouyr et vous plonger tout à fait dans celuy que vous prenez à courtiser les bons autheurs, c’est à vous proprement à qui il appartient d’avoir une bibliotheque des plus augustes et des plus amples qui ait jamais esté à celle fin qu’il ne soit dit à l’advenir qu’il n’a tenu qu’au peu de soin que vous aurez eu de donner cette piece au public et à vous mesme, que toutes les actions de vostre vie n’ayent surpassé les faits heroïques de tous les plus grands personnages. C’est pourquoy j’estimeray tousjours qu’il est tres à propos de recueillir pour cet effect toutes sortes de livres, (sous quelques precautions neantmoins que je deduiray cy-apres) puis qu’une bibliotheque dressée pour l’usage du public doit estre universelle, et qu’elle ne peut pas estre telle si elle ne contient tous les principaux autheurs qui ont escrit sur la grande diversité des sujets particuliers, et principalement sur tous les arts et sciences, desquels si on vient à considerer le grand nombre dans le '' panepistemon ''
estant ainsi deduite et
expliquée, celle qui la doit suivre et
costoyer de plus prés nous oblige
à rechercher s’il est à propos de
faire un grand amas de livres, et
rendre une bibliotheque celebre,
sinon par la qualité, au moins par la
nompareille et prodigieuse quantité
de ses volumes. Car il est vray
que c’est l’opinion de beaucoup,
que les livres sont semblables aux
loix et sentences des jurisconsultes,
lesquelles (…), et qu’il
appartient à celuy là seul de discourir
à propos sur quelque poinct
de doctrine qui s’est le moins
occupé à la diverse lecture de ceux
qui en ont escrit. Et en effect il
semble que ces beaux preceptes
et advertissemens moraux de
Seneque, (…), et plusieurs
autres semblables qu’il nous donne
en cinq ou six endroits de ses
œuvres puissent aucunement
favoriser et fortifier cette opinion
par l’auctorité de ce grand personnage.
Mais si nous la voulons
renverser entierement pour
establir la nostre, comme plus
probable, il ne faut que se fonder
sur la difference qu’il y a entre le
travail d’un particulier et l’ambition
de celuy qui veut paroistre
par le moyen de sa bibliotheque,
ou entre celuy qui ne veut satisfaire
qu’à soy mesme, et celuy qui
ne cherche qu’à contenter et obliger
le public. Car il est certain que
toutes ces raisons precedentes ne
butent qu’à l’instruction de ceux
qui veulent judicieusement et avec
ordre et methode faire quelque
progrez en la faculté qu’ils suivent,
ou plustost à la condamnation
de ceux qui tranchent des
sçavans et contrefont les capables,
encores qu’ils ne voyent non
plus ce grand amas de livres
qu’ils ont fait, que les bossus
(ausquels le Roy Alphonse avoit coustume
de les comparer) cette grosse
masse qu’ils portent derriere
eux. Ce qui est à bon droict blasmé
par Seneque és lieux alleguez
cy-dessus, et plus ouvertement
encore quand il dit, (…) ? Comme
aussi par cet
epigramme qu’Ausone avec
beaucoup de grace et naïfveté
addressé '' ad philomusum, (…) ''
.
Mais vous, m. Qui estes en reputation
de plus sçavoir que l’on ne
vous a peu enseigner, et qui vous
privez de toute sorte de contentement
pour jouyr et vous plonger
tout à fait dans celuy que
vous prenez à courtiser les bons
autheurs, c’est à vous proprement
à qui il appartient d’avoir une
bibliotheque des plus augustes et
des plus amples qui ait jamais esté
à celle fin qu’il ne soit dit à
l’advenir qu’il n’a tenu qu’au peu de
soin que vous aurez eu de donner
cette piece au public et à vous
mesme, que toutes les actions de
vostre vie n’ayent surpassé les
faits heroïques de tous les plus
grands personnages. C’est pourquoy
j’estimeray tousjours qu’il
est tres à propos de recueillir pour
cet effect toutes sortes de livres,
(sous quelques precautions neantmoins
que je deduiray cy-apres)
puis qu’une bibliotheque dressée
pour l’usage du public doit estre
universelle, et qu’elle ne peut pas
estre telle si elle ne contient tous
les principaux autheurs qui ont
escrit sur la grande diversité des
sujets particuliers, et principalement
sur tous les arts et sciences,
desquels si on vient à considerer
le grand nombre dans le '' panepistemon ''
 
d’Ange Politian, ou dans un autre catalogue fort exact qui en a esté dressé depuis peu ; je ne fay aucun doute qu’on ne juge par la grande quantité de livres qui se rencontre ordinairement dans les bibliotheques sur dix ou douze d’icelles, du plus grand nombre qu’il en faudroit avoir pour contenter la curiosité des lecteurs sur toutes les autres. D’où je ne m’estonne point si Ptolomée roy d’Egypte avoit amassé pour cet effet non cent mil volumes, comme veut sectenus, non quatre cens mille, comme dit Seneque, non cinq cens mille, comme l’asseure Josephe, mais sept cens mille, comme tesmoignent et demeurent d’accord Aulugelle, Ammian Marcellin, Sabellic, et Volaterran : ou si Eumenes fils d’Attalus en avoit recueilly deux cens mille, Constantin six vingts mille, Samonique precepteur de l’empereur Gordian Le Jeune soixante et deux mille, Epaphroditus simple grammairien trente mille ; et si Richard De Bury, M De Thou, et le chevalier Bodlevi en ont fait si bonne provision, que le seul catalogue de chacune de leurs bibliotheques peut faire un juste volume.
d’Ange Politian, ou dans
 
un autre catalogue fort exact
Aussi faut-il confesser qu’il n’y a rien qui rende une bibliotheque plus recommandable que lors qu’un chacun y trouve ce qu’il cherche, ne l’ayant peu trouver ailleurs, estant nécessaire de poser pour maxime, qu’il n’y a livre tant soit-il mauvais ou descrié qui ne soit recherché de quelqu’un avec le temps, parce que suivant le dire du poëte satyrique, (…). Et de plus il faut encore croire que tout homme qui recherche un livre le juge bon, et le jugeant tel sans le pouvoir trouver, est contraint de l’estimer curieux et grandement rare, de sorte, que venant en fin à le rencontrer en quelque bibliotheque, il se persuade facilement que le maistre d’icelle le cognoissoit aussi bien que luy, et l’avoit acheté pour les mesmes intentions qui l’excitoient à le rechercher, et en suitte de ce conçoit une estime nompareille et du maistre et de la bibliotheque, laquelle venant puis apres à estre publiée, il ne faut que peu de rencontres semblables, jointe à la commune opinion du vulgaire, (…), pour satisfaire et recompenser un homme qui a tant soit peu l’honneur et la gloire en recommendation de tous ses frais et de toute sa peine. Et de plus si on veut entrer en consideration des temps, des lieux, et des inventions nouvelles, personne de jugement ne peut douter qu’il ne nous soit maintenant plus facile d’avoir des milliers de livres qu’il n’estoit aux anciens d’en avoir des centaines, et que par consequent ce nous seroit une honte et un reproche eternel si nous leur estions inferieurs en ce point, où ils peuvent estre surmontez avec tant d’avantage et de farrière. Finalement comme la qualité des livres augmente de beaucoup l’estime d’une bibliotheque envers ceux qui ont le moyen et le loisir de la reconnoistre, aussi faut-il advoüer que la seule quantité d’iceux la met en lustre et en credit, tant envers les estrangers et passans, que beaucoup d’autres qui n’ont pas le temps ny la commodité de la sueilleter aussi curieusement en particulier, comme il leur est facile de juger promptement par le grand nombre de ses volumes qu’il y en doit avoir une infinité de bons, signalez et remarquables.
qui en a esté dressé depuis peu ; je
 
ne fay aucun doute qu’on ne juge
Toutessois pour ne laisser cette quantité infinie ne l’a definissant point, et aussi pour ne jetter les curieux hors d’esperance de pouvoir accomplir et venir à bout de cette belle entreprise, il me semble qu’il est à propos de faire comme les medecins, qui ordonnent la quantité des drogues suivant la qualité d’icelles, et de dire que l’on ne peut manquer de recueillir tous ceux qui auront les qualitez et conditions requises pour estre mis dans une bibliotheque. Ce que pour connoistre il se faut servir de plusieurs diorismes et precautions, qui peuvent estre beaucoup plus facilement pratiquées à la rencontre des occasions par ceux qui ont une grande routine des livres, et qui jugent sainement et sans passion de toutes choses, que deduites et couchées par escrit, veu qu’elles sont presque infinies, et que pour le confesser ingenuëment quelqu’unes d’icelles combattent les opinions communes, et tiennent du paradoxe.
par la grande quantité de livres
qui se rencontre ordinairement
dans les bibliotheques sur dix ou
douze d’icelles, du plus grand
nombre qu’il en faudroit avoir
pour contenter la curiosité des
lecteurs sur toutes les autres. D’où
je ne m’estonne point si Ptolomée
roy d’Egypte avoit amassé
pour cet effet non cent mil
volumes, comme veut Cedrenus,
non quatre cens mille, comme dit
Seneque, non cinq cens mille,
comme l’asseure Josephe, mais
sept cens mille, comme tesmoignent
et demeurent d’accord
Aulugelle, Ammian Marcellin,
Sabellic, et Volaterran : ou si
Eumenes fils d’Attalus en avoit
recueilly deux cens mille, Constantin
six vingts mille, Samonique
precepteur de l’empereur Gordian
Le Jeune soixante et deux
mille, Epaphroditus simple
grammairien trente mille ; et si Richard
De Bury, M De Thou, et le
chevalier Bodlevi en ont fait si bonne
provision, que le seul catalogue
de chacune de leurs bibliotheques
peut faire un juste volume.
Aussi faut-il confesser qu’il
n’y a rien qui rende une bibliotheque
plus recommandable que
lors qu’un chacun y trouve ce
qu’il cherche, ne l’ayant peu trouver
ailleurs, estant necessaire de
poser pour maxime, qu’il n’y a livre
tant soit-il mauvais ou descrié
qui ne soit recherché de quelqu’un
avec le temps, parce que
suivant le dire du poëte satyrique, (…).
Et de plus il faut encore croire
que tout homme qui recherche
un livre le juge bon, et le jugeant
tel sans le pouvoir trouver, est
contraint de l’estimer curieux et
grandement rare, de sorte, que
venant en fin à le rencontrer en
quelque bibliotheque, il se persuade
facilement que le maistre
d’icelle le cognoissoit aussi bien
que luy, et l’avoit acheté pour les
mesmes intentions qui l’excitoient
à le rechercher, et en suitte de ce
conçoit une estime nompareille
et du maistre et de la bibliotheque,
laquelle venant puis apres à
estre publiée, il ne faut que peu de
rencontres semblables, jointe à
la commune opinion du vulgaire, (…),
pour satisfaire
et recompenser un homme
qui a tant soit peu l’honneur
et la gloire en recommendation
de tous ses frais et de toute sa
peine. Et de plus si on veut entrer en
consideration des temps, des
lieux, et des inventions nouvelles,
personne de jugement ne
peut douter qu’il ne nous soit
maintenant plus facile d’avoir
des milliers de livres qu’il n’estoit
aux anciens d’en avoir des centaines,
et que par consequent ce
nous seroit une honte et un
reproche eternel si nous leur estions
inferieurs en ce point, où ils peuvent
estre surmontez avec tant
d’avantage et de facilité. Finalement
comme la qualité des livres
augmente de beaucoup l’estime
d’une bibliotheque envers ceux
qui ont le moyen et le loisir de la
reconnoistre, aussi faut-il advoüer
que la seule quantité d’iceux
la met en lustre et en credit, tant
envers les estrangers et passans,
que beaucoup d’autres qui n’ont
pas le temps ny la commodité de
la fueilleter aussi curieusement en
particulier, comme il leur est facile
de juger promptement par le
grand nombre de ses volumes
qu’il y en doit avoir une infinité
de bons, signalez et remarquables.
Toutesfois pour ne laisser
cette quantité infinie ne l’a definissant
point, et aussi pour ne jetter les
curieux hors d’esperance
de pouvoir accomplir et venir à
bout de cette belle entreprise, il
me semble qu’il est à propos de
faire comme les medecins, qui
ordonnent la quantité des drogues
suivant la qualité d’icelles,
et de dire que l’on ne peut manquer
de recueillir tous ceux qui
auront les qualitez et conditions
requises pour estre mis dans une
bibliotheque. Ce que pour connoistre
il se faut servir de plusieurs
diorismes et precautions,
qui peuvent estre beaucoup plus
facilement pratiquées à la rencontre
des occasions par ceux qui
ont une grande routine des livres,
et qui jugent sainement et sans
passion de toutes choses, que deduites
et couchées par escrit, veu
qu’elles sont presque infinies, et
que pour le confesser ingenuëment
quelqu’unes d’icelles combattent
les opinions communes,
et tiennent du paradoxe.
 
==CHAPITRE 4==
Ligne 736 ⟶ 64 :
'' de quelle qualité et condition ils doivent estre. ''
 
je diray neantmoins pour ne point obmettre ce qui nous doit servir de guide et de phanal en cette recherche, que la première regle que l’on y doit observer est de fournir premièrement une bibliotheque de tous les premiers et principaux autheurs vieux et modernes, choisis des meilleures editions, en corps ou en parcelles, et accompagnez de leurs plus doctes et meilleurs interpretes et commentateurs qui se trouvent en chaque faculté, sans oublier celles qui sont le moins communes, et par consequent plus curieuses, comme par exemple des diverses bibles, des pères et des conciles, pour le gros de la théologie, de Lyra, Hugo, Tostat, Salmeron, pour la positive ; de Sainct Thomas, Occham, Durand, Pierre Lombart, Henry de Gand Alexandre de Ales, Gilles de Rome, Albert Le Grand, Aureolus, Burlée, Capreolus, Major, Vasquez, Suarez, pour la scholastique ; des cours civil et canon ; Balde, Barthole, Cujas, Alciat, Du Moulin, pour le droict ; d’Hipocrate, Galien, Paul Eginete, Oribase, Aece, Traillian, Avicenne, Avenzoar ; Fernel, pour la medecine, Ptolomée, Firmicus, Haly, Cardan, Stofler, Gauric, Justctin, pour l’astrologie ; Halhazen, Vitellio, Baccon, Aguillonius, pour l’optique ; Diophante, Boece, Jordan, Tartaglia, Siliseus, Luc De Burgo, Villefranche, pour l’arithmetique ; Artemidore, Apomazar, Synesius, Cardon, pour les songes : et ainsi de tous les autres qu’il seroit trop long et ennuyeux de specifier et nommer precisément.
je diray neantmoins pour ne
 
point obmettre ce qui nous
Secondement d’y mettre tous les vieux et nouveaux autheurs dignes de consideration, en leur propre langue et en l’idiome duquel ils se sont servis, les bibles et rabias en hebrieu, les pères en grec et en latin, Avicenne en arabe, Bocace, Dante, Petrarque, en italien ; et aussi leurs meilleures versions latines, françoises, ou telles qu’on les pourra trouver : ce dernier pour l’usage de plusieurs qui n’ont pas la cognoissance des langues estrangères, et le premier d’autant qu’il est bien à propos d’avoir les sources d’où tant de ruisseaux couleur en leur propre nature sans art ny desguisement, et que de plus certaine efficace et richesse de conceptions se rencontre d’ordinaire en ; ceux qui ne peut retenir et conserver son lustre que dans sa propre langue, comme les peintures en leur propre jour : pour ne rien dire de la nécessité que l’on en peut avoir à la verification des textes et passages qui sont ordinairement controversez ou revoquez en doute.
doit servir de guide et de phanal
 
en cette recherche, que la premiere
Tiercement, ceux qui ont le mieux traicté les parties de quelque science ou faculté telle qu’elle soit, comme Bellarmin les controverses, Tolete et Navarre les cas de conscience, Vesale l’anatomie, Mathiole l’histoire des plantes, Gesner et Aldroandus celle des animaux, Rondelet et Salvianus celles des poissons, Vicomercat les meteores, etc.
regle que l’on y doit observer
 
est de fournir premierement une
En quatriesme lieu, tous ceux qui ont mieux commenté ou expliqué quelque autheur ou livre particulier, comme Pererius la genese, Villalpandus Ezechiel, Maldonat les evangiles, Monlorius et Zabarella les analytiques, Scaliger l’histoire des plantes de Théophraste, Proclus et Marsile Ficin le Platon, Alexandre et Themistius l’Aristote, Flurance Rivault l’Archimede, Théon et Campanus l’Euclide, Cardan Ptolomée : ce qui se doit observer en toutes sortes de livres et traictez vieux ou modernes qui auront rencontré des interpretes et commentateurs.
bibliotheque de tous les premiers
 
et principaux autheurs vieux et
Puis apres tous ceux qui ont escrit et fait des livres et traictez sur quelque sujet particulier, soit qu’il concerne l’espèce ou l’individu, comme Sanchez qui a traicté amplement '' de matrimonio '',
modernes, choisis des meilleures
de Sainctes et Du Perron de l’eucharistie, Gilbert de l’aimant, Majer '' de volucri arborea '', Scortia, Vendefaims, Nugarola, du Nil : ce qui se doit entendre de toutes sortes de traictez particuliers en matiere de droict, théologie, histoire, medecine, ou quelque autre que ce puisse estre, avec cette discrétion neantmoins que celle qui approche le plus de la profession que l’on suit soit preferée aux autres.
editions, en corps ou en parcelles,
 
et accompagnez de leurs plus
En suitte tous ceux qui ont escrit le plus heureusement contre quelque science, ou qui se sont opposez avec plus de doctrine et d’animosité (sans toutessois rien innover ou changer des principes) aux livres de quelques autheurs des plus célèbres et renommez.
doctes et meilleurs interpretes et
 
commentateurs qui se trouvent
C’est pourquoy on ne doit pas negliger Sextus Empiricus, Sanchez, et Agrippa, qui ont fait profession de renverser toutes les sciences, Pic De La Mirande qui a si doctement refusé les astrologues, Eugubinus qui a foudroyé l’impieté des salmonées et irreligieux, Morisotus qui a renversé l’abus des chymistes, Scaliger qui a si bien rencontré contre Cardan qu’il est aujourd’huy plus suivy en quelques endroits d’Allemagne qu’Aristote, Casaubon qui a bien osé attaquer les annales de ce grand cardinal Baronius, argentier qui a pris Galien à tasche, Thomas Eraste qui a pertinemment refusé Paracelse, charpentier qui s’est vigoureusement opposé à Ramus ; et finalement tous ceux qui se sont exercez en pareille escrime, et qui sont tellement enchaisnez les uns avec les autres, qu’il y auroit autant de faute à les lire séparément, comme à juger et entendre une partie sans l’autre, ou un contraire sans celuy qui luy est opposé.
en chaque faculté, sans oublier
 
celles qui sont le moins communes,
Il ne faut aussi obmettre tous ceux qui ont innové ou changé quelque chose és sciences, car c’est proprement flatter l’esclavage et la foiblesse, de nostre esprit, que de couvrir le peu de connoissance que nous avons de ces autheurs sous le mespris qu’il en faut faire, à cause qu’ils se sont opposez aux anciens, et qu’ils ont doctement examiné ce que les autres avoient coustume de recevoir comme par tradition : c’est pourquoy veu que depuis peu plus de trente ou quarante autheurs de nom se sont declarez contre Aristote, que Coopernic, Kepler et Galilaeus ont tout changé l’astronomie ; Paracelse, Severin le danois, du Chesne et Crollius la medecine ; et que plusieurs autres ont introduit de nouveaux principes, et basty sur sceux des ratiocinations estranges, inouyës et non jamais preveuës ; je dis que tous ces autheurs sont tres-necessaires dans une bibliotheque, puis que suivant le dire commun, (…) et que pour n’en demeurer à cette raison si foible, il est certain que la cognoissance de ces livres est tellement utile et fructueuse à celuy qui sçait faire restexion et tirer profit de tout ce qu’il voit, qu’elle luy fournit une milliace d’ouvertures et de nouvelles conceptions, lesquelles estans têteuës dans un esprit docile, universel et desgagé de tous interests, (…), elles le font parler à propos de toutes choses, luy ostent l’admiration, qui est le vray signe de nostre foiblesse, et le façonnent à raisonner sur tout ce qui se présente, avec beaucoup plus de jugement, prevoyance et resolution, que ne fait pas le commun des autres personnes de lettres et de merite.
et par consequent plus
 
curieuses, comme par exemple des
On doit pareillement avoir cette consideration au choix des livres, de regarder s’ils sont les premiers qui ayent esté composez sur la matiere de laquelle ils traictent, parce qu’il est de la doctrine des hommes comme de l’eau, qui n’est jamais plus belle, plus claire et plus nette qu’à sa source, toute l’invention venant des premiers, et l’imitation avec les redites des autres : comme l’on voit par effet que Reuchlin qui a le premier escrit de la langue hebraïque et de la cabale, Budée de la grecque et des monnoyes, Bodin de la republique, Cocles de la physiognomie, Pierre Lombart et S Thomas de la théologie scholastique, ont mieux rencontré que beaucoup d’autres qui se sont messez d’en escrire depuis eux.
diverses bibles, des peres et des
 
conciles, pour le gros de la theologie,
De plus il faut aussi prendre garde si les matieres qu’ils traictent sont triviales ou peu communes, curieuses ou negligées, espineuses ou faciles, d’autant que l’on peut bien appliquer aux livres curieux et nouveaux, ce que l’on dit de toutes les choses non vulgaires, (…).
de Lyra, Hugo, Tostat, Salmeron,
 
pour la positive ; de Sainct
Sous l’adveu doncques de ce precepte on doit ouvrir les bibliotheques, et recevoir en scelles ceux là, premièrement qui ont escrit sur des matieres peu cognuës, et qui n’avoient esté traictées auparavant sinon par fragments et à bastons rompus, comme Licetus qui a escrit '' de spontaneo viventium ossu, de lucernis antiquoi um '',
Thomas, Occham, Durand,
Tagliacotius de la façon de refaire les nez coupez, Libavius et Goclin de l’onguent magnetique.
Pierre Lombart, Henry de Gand
 
Alexandre de Ales, Gilles de
Secondement tous les curieux et non vulgaires, comme sont les livres de Cardan, Pomponace, Brunus, et tous ceux qui traictent de la caballe, mémoire artificielle, art de Lulle, pierre philosophale, divinations, et autres matieres semblables : car encore bien que la plus-part d’icelles n’enseignent rien que des choses vaines et inutiles, et que je les tienne pour des pierres d’achopement à tous ceux qui s’y amusent ; si est-ce neantmoins que pour avoir de quoy contenter les foibles esprits aussi bien que les forts, et satisfaire au moins à ceux qui les veulent voir pour les refuser, il faut recueillir ceux qui en traictent, deussent-ils estre parmy les autres livres d’une bibliotheque, comme les serpens et vipères entre les autres animaux, comme l’ivroye dans le bon bled, comme les espines entre les roses ; et ce à l’exemple du monde où ces choses inutiles et dangereuses accomplissent le chef-d’oeuvre et la fabrique de sa composition.
Rome, Albert Le Grand, Aureolus,
 
Burlée, Capreolus, Major, Vasquez,
Cette maxime nous doit faire passer à une autre de pareille consequence, qui est de ne point negliger toutes les oeuvres des principaux heresiarques ou fauteurs de religions nouvelles et diffèrentes de la nostre plus commune et reverée, comme plus juste et veritable. Car il y a bien de l’apparence, puis que les premiers d’iceux (pour ne parler que des nouveaux) ont esté choisis et tirez d’entre les plus doctes personnages du ssecte precedent, qui par je ne sçay qu’elle fantaisie et trop grand amour de la nouveauté quittoient, leur froc et la banniere de l’eglise romaine pour s’enroller sous celle de Lustrer et Calvin, et que ceux d’aujourd’huy ne sont admis à l’exercice de leur ministère qu’apres un long et rude examen sur les trois langues de la saincte escriture, et les principaux poincts de la philosophie et théologie : il y a bien de l’apparence, dy-je, qu’excepté les passages controversez ils peuvent quelque fois bien rencontrer sur les autres, comme en beaucoup de traictez indifferents sur lesquels ils travaillent souvent avec beaucoup d’industrie et de felicité.
Suarez, pour la scholastique ;
 
des cours civil et canon ;
C’est pourquoy puis qu’il est nécessaire que nos docteurs les trouvent en quelques lieux pour les refuser, que M De T n’a point fait difficulté de les recueillir, que les anciens pères et docteurs les avoient chez eux, que beaucoup de religieux les gardent en leurs bibliotheques, qu’on ne fait point scrupule d’avoir un thalmud ou un alcoran qui vomissent mille blasphemes contre {{sc|Jésus-Christ}} et nostre religion, beaucoup plus dangereux que ceux des heretiques, que Dieu nous permet de tirer profit de nos ennemis, suivant ce qui est dit par le psalmiste, (…), qu’ils ne peuvent estre prejudiciables qu’à ceux qui estans destituez d’une bonne conduitte se laissent emporter au premier vent qui souffle, et s’ombragent de chenevotes ; et pour conclure en un mot, puis que l’intention qui determine toutes nos actions au bien ou mal n’est point vicieuse ny causerisée ; je croy qu’il n’y a point d’extravagances ou de danger d’avoir dans une bibliotheque (sous la caution neantmoins d’une licence et permission prise de qui il appartiendra) toutes les oeuvres des plus doctes et fameux heretiques, tels qu’ont esté Lustrer, Melancthon, Pomeran, Bucer, Calvin, Beze, Daneau, Gaultier, Hospinian, Paré, Bulenger, Marlorat, Chemnitius, Bernard Occhim, Pierre mative, Illuscus, Osiander, Musculus, les centuriateurs, Du Jong, Mornay, Du Moulin, voire mesmes plusieurs autres de moindre consequence, (…).
Balde, Barthole, Cujas, Alciat, Du
 
Moulin, pour le droict ; d’Hipocrate,
Il faut pareillement tenir pour maxime, que tous les corps et assemblages des divers autheurs qui ont escrit sur un mesme sujet, tels que sont le thalmud, les conciles, la bibliotheque des pères, (…), tous ceux qui contiennent de semblables recueils, doivent nécessairement estre mis dans les bibliotheques : d’autant qu’ils nous sauvent en premier lieu la peine de rechercher une infinité de livres grandement rares et curieux ; secondement parce qu’ils font place à beaucoup d’autres, et soulagent une bibliotheque ; tiercement parce qu’ils nous ramassent en un volume et commodément ce qu’il nous faudroit chercher avec beaucoup de peine en plusieurs lieux ; et finalement pour ce qu’ils tirent apres eux une grande espargne, estant certain qu’il ne faut pas tant de testons pour les acheter, qu’il faudroit d’escus si on vouloit avoir séparément tous ceux qu’ils contiennent.
Galien, Paul Eginete, Oribase,
 
Aece, Traillian, Avicenne,
Je tiens encore pour un precepte autant nécessaire que les precedents, qu’il faut trier et choisir d’entre le grand nombre de ceux qui ont escrit et escrivent journellement, ceux qui paroissent comme un aigle dans les nuées, ou comme un astre brillant et lumineux parmy les tenebres, j’entends ces esprits qui ne sont pas du commun, (…), et desquels on se peut servir comme de maistres tres-parfaicts en la cognoissance de toutes choses, et de leurs oeuvres comme d’une pepiniere de toute sorte de suffisance, pour enrichir une bibliotheque non seulement de tous leurs livres, mais mesme de leurs moindres fragments, papiers descousus, et mots qui leur eschappent. Car tout ainsi que ce seroit mal employer le lieu et l’argent que de vouloir ramasser toutes les oeuvres, et je ne sçay quels fatras de certains autheurs vulgaires et mesprisez : aussi seroit-ce une inexcusable à ceux qui font profession d’avoir tous les meilleurs livres, d’en negliger aucun, par exemple d’Erasme, Chiaconus, Onuphre, Turnebe, Lipse, Genebrard, Antonius Augustinus, Casaubon, Saumaise, Bodin, Cardan, Patrice, Scaliger, Mercurial, et autres, les oeuvres desquels il faut prendre à yeux clos et sans aucun choix, le reservant pour ne point nous tromper és livres rampans de ces autheurs qui sont beaucoup plus rudes et grossiers : d’autant que tout ainsi que l’on ne peut trop avoir de ce qui est bon et choisi à l’eslite, de mesme aussi ne sçauroit-on avoir trop peu de ce qui est mauvais, et de quoy l’on ne doit esperer aucune urrière ou profit manifeste.
Avenzoar ; Fernel, pour la medecine,
 
Ptolomée, Firmicus, Haly,
Il ne faut aussi oublier toutes sortes de lieux communs, dictiennises, meslanges, diverses leçons, recueils de sentences, et telles autres sortes de repertoires, parce que c’est autant de chemin fait et de matiere preparée pour ceux qui ont l’industrie d’en user avec advantage, estant certain qu’il y en a beaucoup qui font merveille de parler et d’escrire sans qu’ils ayent guere veu d’autres volumes que ces mentionnés ; d’où vient que l’on dit communément que le calepin, qui se prend pour toutes sortes de dictiennises, est le gaignepain des regens, et quand je diray de beaucoup d’entre les plus fameux personnages, ce ne sera pas sans raison, puis qu’un des plus célèbres entre les derniers en avoit plus d’une cinquantaine où il estudioit perpetuellement, et que le mesme ayant trouvé un mot difficile à l’ouverture du livre des equivoques, comme il luy fut présenté, il eut incontinent recours à l’un de ces dictiennises, et transcrivit d’iceluy plus d’une page d’escriture sur la marge dudit livre, et ce en présence de l’un de mes amis et des siens, auquel il ne se peut garder de dire que ceux qui verroient cette remarque croiroient facilement qu’il auroit esté plus de deux jours à la faire, combien qu’il n’eust eu que la peine de la descrire. Et pour moy je tiens ces collections grandement utiles et nécessaires, eu esgard que la briefveté de nostre vie et la multitude des choses qu’il faut aujourd’huy sçavoir pour estre mis au rang des hommes doctes ne nous permettent pas de pouvoir tout faire de nous mesme : joint que n’estant permis à un chacun ny en tous ssectes de pouvoir travailler à ses propres frais et despens, et sans rien emprunter d’autruy, quel mal y a-il si ceux qui ont l’industrie d’imiter la nature et de tellement diversifier et approprier à leur sujet ce qu’ils tirent des autres, (…), empruntent de ceux qui semblent n’estre faicts que pour prester, et puisent dans les reservoirs et magasins destinez à cet effet, puis que nous voyons d’ordinaire que les peintres et les architectes font des ouvrages excellens et admirables par le moyen des couleurs et materiaux que les autres leur broyent et leur preparent.
Cardan, Stofler, Gauric, Junctin,
 
pour l’astrologie ; Halhazen,
Finalement il faut pratiquer en cette occasion l’aphorisme d’Hipocrate, qui nous advertit de donner quelque chose au temps, au lieu et à la coustume, c’est à dire, que certaine sorte de livres ayant quelque fois le bruit et la vogue en un pays qui ne l’a pas en d’autres, et au ssecte présent qui ne l’avoit pas au passé, il est bien à propos de faire plus grande provision d’i ceux que non pas des autres, ou au moins d’en avoir une telle quantité, qu’elle puisse tesmoigner que l’on s’accommode au temps, et que l’on n’est pas ignorant de la mode et de l’inclination des hommes. Et de là vient que l’on trouve ordinairement dans les bibliotheques de Rome, Naples et Florance beaucoup de positive, dans celles de Milan et Pavie beaucoup de jurisprudence, dans celles d’Espagne et les vieilles de Cambrige et Oxfort en Angleterre beaucoup de scholastiques, et dans celles de France beaucoup d’histoires et controverses. Pareille diversité s’estant fait aussi remarquer en la suitte des ssectes, à raison de la vogue qu’ont eu consecutivement la philosophie de Platon, celle d’Aristote, la scholastique, les langues et la controverse, qui ont toutes chacunes à leur tour dominé en divers temps, comme nous voyons que l’estude des morales et politiques occupe maintenant la plus-part des meilleurs et plus forts esprits de celuy-cy, pendant que les plus foibles s’amusent apres les fictions et romans, desquels je ne diray rien autre chose, sinon ce qui fut dit autrefois par Symmaque de semblables narrations, (…).
Vitellio, Baccon, Aguillonius, pour
 
l’optique ; Diophante, Boece,
Ces preceptes et maximes communes estans si amplement expliquées, il ne reste plus pour accomplir ce titre de la qualité des livres, que d’en proposer deux ou trois autres, lesquelles seront indubitablement têteuës comme extravagantes et tres-propres à heurter l’opinion commune et inveterée dans les esprits de beaucoup, qui n’estiment les autheurs que par le nombre ou la grosseur de leurs volumes, et ne jugent de leur merite et valeur que par ce qui a coustume de nous faire mespriser toutes les autres choses, sçavoir leur grande vieillesse et caducité, semblables en cela au vieillard d’Horace, lequel nous est représenté dans ses oeuvres, (…) : la nature de ces esprits dominez estant pour l’ordinaire si esprise et amoureuse de ces images et pieces antiques, qu’ils ne voudroient pas regarder de bien loing quelque livre que se puisse estre si son autheur n’est beaucoup plus vieil que la mère d’Evandre, ou que les ayeuls de Carpentra, ny croire que le temps puisse estre bien employé à la lecture des modernes, parce que suivant leur dire ils ne sont que des rapl’odeurs, copistes ou plagiaires, et n’approchent en rien de l’esloquence, de la doctrine et des belles conceptions des anciens, ausquels pour cette cause ils se tiennent aussi fermement attachez comme le poulpe fait à la roche, sans se partir en aucune façon de leurs livres ou de leur doctrine, qu’ils n’estiment jamais comprendre qu’apres l’avoir remaschée tout le temps de leur vie : d’où ce n’est point chose extraordinaire si au bout du compte et apres avoir bien sué et travaillé ils ressemblent à cet ignorant Marcellus qui se vantoit par tout d’avoir leu huict fois Thucidide, ou à ce Nonnus duquel parle Suidas qui avoit leu dix fois tout son Demosthene, sans avoir jamais sceu plaider ou discourir de chose quelconque. Et à vray dire il n’y a rien si propre à faire devenir un homme pedant et l’esloigner du sens commun, que de mespriser tous les autheurs modernes, pour courtiser seulement quelques-uns des anciens, comme s’ils estoient seuls paisibles gardiens des plus grandes faveurs que peut esperer l’esprit de l’homme, ou que la nature, jalouse de l’honneur et du credit de ses fils aisnez, eust voulu pousser sa puissance jusques à l’extrémité pour les combler de ses graces et liberalitez à nostre prejudice : certes je ne croy pas qu’autres que ces messieurs les antiquaires se puissent arrester à telles opinions, ou se repaistre de telles fables, veu que tant de nouvelles inventions, tant de nouveaux dogmes et principes, tant de changemens divers et inopinez, tant de livres doctes, de fameux personnages, de nouvelles conceptions, et finalement tant de merveilles que nous voyons tous les jours naistre, tesmoignent assez que les esprits sont plus forts, polis et deliez qu’ils ne furent jamais, et que l’on peut dire et jourd’huy avec toute asseurance et verité, (…).
Jordan, Tartaglia, Siliseus, Luc
 
De Burgo, Villefranche, pour
D’où l’on peut inferer que ce seroit une grande faute à celuy qui fait profession d’assembler une bibliotheque, de ne point mettre en scelle Piccolument, Zabarelle, Achillin, Niphus, Pomponace, Licetus, Cremonin, aupres des vieux interpretes d’Aristote, Alciat, Tiraqueau, Cuias, Du Moulin, aupres le code et le digeste ; la somme d’Alexandre De Ales et de Henry De Gandavo, aupres de celle de S Thomas ; Clavius, Maurolic et Viette, aupres d’Euclide et Archimede ; Montagne, Charon, Verulam, aupres de Seneque et Plutarque Fernel, Sylvius, Fusth, Cardan, aupres de Galien et d’Avicenne ; Erasme, Casaubon, Scaliger, Saumaise, aupres de Varron ; Commines, Guitciardin, Sleidan, aupres de Tite-Live et Corneille Tacite, l’Arioste, Tasso, Du Bertas, aupres Homère et Virgile, et ainsi consecutivement de tous les modernes plus fameux et renommez : veu que si le capricieux Boccalini avoit entrepris de les balancer avec les anciens, peut-estre en trouveroit-il beaucoup de plus foibles, et fort peu qui les surpassent.
l’arithmetique ; Artemidore,
 
Apomazar, Synesius, Cardon,
La seconde maxime, qui ne semblera, peut-estre, moins tenir du paradoxe que cette première, est directement contre l’opinion de ceux qui n’estiment les livres qu’au prix et à la grosseur, et qui sont bien aises et se croyent bien honorez d’avoir un Tostat dans leurs bibliotheques, parce qu’il y a quatorze volumes, ou un Salmeron, parce qu’il y en a huict, negligeans de recueillir et ramasser une infinité de petits livrets parmy lesquels il s’en trouve souvent de si bien faicts et doctement composez, qu’il y a plus de profit et de contentement à les lire, que non pas beaucoup d’autres de ces rudes et pesantes masses indigestes et mal polies, au moins pour la plus-part ; le dire de Seneque estant tres-veritable, (…), ne pouvant estre appliqué à ces livres monstrueux et gigantins : comme en effet il est presque impossible que l’esprit demeure tousjours tendu à ces grands labeurs, et que le ramas et la grande confusion des choses que l’on veut dire n’estouffent la fantaisie et n’embroüillent trop la raciocination ; où au contraire ce qui nous doit faire estimer les petits livres, qui traictent, neantmoins de choses serieuses ou de quelque beau point relevé, c’est que l’autheur d’iceux domine entierement à son sujet, comme l’ouvrier et l’artisan fait à sa matiere, et qu’il peut mieux le remascher, cuire, digerer, polir et former à sa fantaisie, que non pas les vastes collections de ces grands et prodigieux volumes, qui pour cette cause sont le plus souvent des panspermies, des cahos et abysmes de confusion, (…).
pour les songes : et ainsi de tous
 
les autres qu’il seroit trop long et
Et de là vient un succez si inegal qui se fait remarquer entre les uns et les autres, comme par exemple entre les satyres de Perse et de Philelphe, l’examen des esprits de Huarto et celuy de Zara, l’arithemetique de Ramus et celle de Forcadel, le prince de Machiavel et celuy de plus de cinquante pedants, la logique de Du Moulin et celle de Vallius, les annales de Volusius et l’histoire de Saluste, le manuël d’Epictete et les société moraux de Loriot, les oeuvres de Fracastor et celles d’une infinité de philosophes et medecins ; tant est veritable ce qu’a fort bien dit S Thomas, (…), et ce que Cornelius Gallus avoit aussi coustume de se promettre de ses petites elegies, (…).
ennuyeux de specifier et nommer
 
precisément.
Mais ce qui me fait le plus estonner en cette rencontre, c’est que tel negligera les oeuvres et opuscules de quelque autheur, pendant qu’elles sont esparses et séparées, qui brusle par apres du désir de les avoir quand elles sont recueillies et ramassées en un volume : et tel negligera, par exemple, les oraisons de Jacques Criton, parce qu’elles ne se trouvent qu’imprimées séparément, qui aura dans sa bibliotheque celles de Raymond, Gallutius, Nigronius, Bencius, Perpinian, et de beaucoup d’autres autheurs, non pas qu’elles soient meilleures ou plus disertes et esloquentes que celles de ce docte escossois, mais parce qu’elles se trouvent reserrées et contenuës dans de certains volumes. Certes si tous les petits livres devoient estre negligez, il ne faudroit tenir compte des opuscules de S Augustin, des morales de Plutarque, des livres de Galien, ny de la plus-part de ceux d’Erasme, de Lipse, Turnebe, Mizault, Sylvius, Calcagnin, François Pic, et de beaucoup d’autheurs semblables, non plus que de trente ou quarante petits autheurs en medecine et philosophie des meilleurs et plus anciens d’entre les grecs, et de beaucoup d’avantage d’entre les théologiens, parce qu’ils ont tous esté divulguez à part et séparément les uns apres les autres, et en si petit volume, que les plus grands d’iceux n’excedent pas souvent un demy alphabet. C’est pourquoy, puis que l’on peut assembler par la relieure ce qui ne l’a point esté par l’impression, conjoindre avec d’autres ce qui se perdroit s’il estoit seul, et qu’il se rencontre en effet une infinité de matieres qui n’ont esté traictées que dans ces petits livres, desquels on peut dire à bon droict comme Virgile des abeilles, (…) : il me semble qu’il est tres à propos de les tirer des estalages, des vieux magazins, et de tous les lieux où ils se rencontrent, pour les faire relier avec ceux qui sont ou de mesme autheur, ou de pareille matiere, et puis apres les mettre dans une bibliotheque, où je m’asseure qu’ils feront admirer l’industrie et la diligence des Esculapes qui ont si bien sceu rejoindre et rassembler les membres désunis et séparez de ces pauvres Hippolites.
Secondement d’y mettre tous
 
les vieux et nouveaux autheurs
La troisiesme, que l’on jugeroit de prime face estre contraire à la première, combat particulierement l’opinion de ceux qui sont tellement coiffez et embeguinez de tous les nouveaux livres, qu’ils negligent et ne tiennent compte non de tous les anciens, mais des autheurs qui ont eu la vogue et qui ont paru fleurissans et renommez depuis six ou sept cens ans, c’est à dire, depuis le ssecte de Boece, Symmaque, Sydonius et Cassiodore, jusques à celuy de Picus. Politian, Hermolaus, Gaza, Philelphe, Poge et Trapezonce, comme sont beaucoup de philosophes, théologiens, jurisconsultes, medecins, et astrologues, que leur seule impression noire et gothique met dans le dégoust des plus delicats estudians de ce ssecte, et ne permet pas qu’ils les puissent regarder qu’à la honte et au mespris de ceux qui les ont composez. Ce qui vient proprement de ce que les ssectes ou les esprits qui paroissent en sceux ont des genies divers et des inclinations du tout diffèrentes, ne demeurans gueres dans un mesme ton de pareille estude ou affection aux sciences, et n’ayans rien si asseuré que leur vicissitude ou changement. Comme en effet nous voyons qu’incontinent apres la naissance de la religion chrestienne (pour ne prendre les choses de plus haut) la philosophie de Platon estoit universellement suivie dans les escholes, et que la pluspart des pères estoient platoniciens : ce qui dura jusques à ce qu’Alexandre Aphrodisée luy donna puissamment du coulde pour installer celle des peripatericiens, et tracer le chemin aux interpretes grecs et latins, qui demeurerent tellement attachez à l’explication du texte d’Aristote, que l’on y croit encore sans beaucoup de fruitt, si les questionnaires et scholastiques, induits par Abelard, ne se fussent mis sur les rangs pour dominer par tout, avec une approbation la plus grande et la plus universelle qui ait jamais esté donnée à chose quelconque, et ce par l’espace d’environ cinq ou six ssectes, apres lesquels les heretiques nous rappellerent à l’interprétation des sainctes lettres, et furent occasion de nous faire lire la bible et les saincts pères, qui avoient tousjours esté negligez parmy ces ergotismes : en suitte de quoy la controverse a maintenant lieu pour ce qui est de la théologie, et les questionnaires avec les novateurs, qui bastissent sur de nouveaux principes, ou restablissent ceux des anciens Empedocle, Epicure, Philolaus, Pithagore, et Democrite, pour la philosophie ; les autres facultez n’ayans esté exemptes de pareils changemens, parmy lesquels c’est tousjours l’ordinaire des esprits qui suivent ces fougues et changemens, comme le poisson fait la marée, de ne se plus soucier de ce qu’ils ont une fois quitté, et de dire semerairement avec le poëte Calphurne, (…).
dignes de consideration, en leur
 
propre langue et en l’idiome duquel
De façon que la pluspart des bons autheurs demeurent parce moyen sur la greve abandonnez et negligez d’un chacun, pendant que de nouveaux censeurs ou plagiaires s’introduisent en leur place et s’enrichissent de leurs despoüilles. Et à la verité c’est une chose estrange et peu raisonnable, que nous suivions et approuvions, par exemple, le collège des Conimbres et Suarez en ce qui est de la philosophie, et que nous venions à negliger les oeuvres d’Albert Le Grand, Niphus, Aegidius, Saxonia, Pomponace, Achillin, Hervié, Durand, Zimare, Buccaferre, et d’un grand nombre de semblables, desquels tous ces gros livres que nous suivons maintenant sont compilez et transcrits mot pour mot : que nous faisions une estime nompareille d’Amatus, Thrivier, Capivacce, Montanus, Valescus, et de presque tous les medecins modernes, et que nous ayons honte de fournir une bibliotheque des livres de Hugo Senensis, Jacobus De sortirio, Jacques Des Parts, Valescus, Gordon, Thomas, Dinus, et de tous les aviceunisses, qui ont veritablement suivy le genie de leur ssecte, rude et grossier en ce qui estoit de la barbarie de la langue latine, mais qui ont tellement penetré le fonds de la medecine, au recit mesme de Cardan, que beaucoup de nos modernes n’ayans pas assez de resolution, de constance et d’assiduité pour les suivre et imiter, sont contraints de prendre quelques de leurs raisons pour les revestir à la mode, et en faire parade et jactance, demeurans tousjours sur la superficie des fleurs et du langage, où sans penetrer plus avant, (…).
ils se sont servis, les bibles et
 
rabias en hebrieu, les peres en
Quoy doncques sera-il dit que Scaliger et Cardan, les deux plus grands personnages du dernier ssecte, s’accordent en un seul poinct, qui concerne les loüanges de Richard Suisset, autrement nommé Calculator, qui vivoit il n’y a que trois cens ans, pour le mettre au rang des dix plus grands esprits qui ayent jamais esté, sans que nous puissions trouver ses oeuvres dans toutes les plus fameuses bibliotheques ? Et qu’elle apparence y a-il que les sectateurs d’Occham prince des nominaux soient eternellement privez de voir ses oeuvres, aussi bien que tous les philosophes celles de ce grand et renommé Avicenne ? Certes, il me semble que c’est apporter peu de jugement au choix et à la cognoissance des livres, que de negliger tous ces autheurs qui devroient estre tant plus recherchez que plus ils sont rares, et qu’ils pourront d’oresnavant tenir la place des manuscripts, puis que l’esperance est comme perduë qu’on les remette jamais sous la presse.
grec et en latin, Avicenne en
 
arabe, Bocace, Dante, Petrarque,
Finalement la quatriesme et derniere de ces maximes n’a pour but que le choix et triage que l’on doit faire des manuscripts, pour s’opposer à cette façon introduitte et têteuë de beaucoup par la grande vogue qu’ont maintenant les critiques, qui nous ont appris et accoustumez à faire plus d’estat de quelques manuscripts de Virgile, Suetone, Perse, Terence, ou quelques autres d’entre les vieux autheurs, que non pas de ceux des galands hommes qui n’ont jamais esté veus ny imprimez : comme s’il y avoit quelque apparence de suivre tousjours le caprice ou les imaginations et tromperies de ces nouveaux censeurs et grammairiens, qui employent inutilement le meilleur de leur âge à forger des conjectures et mandier les corrections du Vatican, pour changer, corriger ou suppléer le texte de quelque autheur qui aura, peut-estre, des-ja consommé le labeur de dix ou douze hommes, quoy qu’on s’en peut passer facilement à un besoin : ou que ce ne fust pas une chose miserable et digne de commiseration de laisser perdre et pourrir entre les mains de quelques possesseurs ignorans les veilles et les labeurs d’une infinité de grands personnages qui ont sué et travaillé, peut estre, tout le temps de leur vie pour nous donner la cognoissance de ce qui estoit auparavant incognu, ou esclaircir quelque matiere utile et nécessaire. Et ce neantmoins l’exemple de ces censeurs a esté telle, et leur auctorité si forte et puissante, que nonobstant le dégoust que nous ont donné Robortel et quelques autres d’entre eux, mesme de ces manuscripts, ils ont tellement neantmoins ensorcelé le monde à leur recherche, qu’il n’y a qu’eux aujourd’huy qui soient en vogue et jugez dignes d’estre mis dans les bibliotheques, (…) ! C’est pourquoy puis qu’il est de l’essence d’une bibliotheque d’avoir grand nombre de manuscripts, parce qu’ils sont maintenant les plus estimez et les moins communs ; j’estime, m. Sous le respect de votre meilleur advis, qu’il seroit tres à propos de poursuivre comme vous avez commencé, en fournissant la vostre de ceux qui ont esté composez à pur et à plein sur quelque belle matiere, pareils à ceux-là que vous avéz des-ja fait rechercher non seulement roy, mais à Constantinople, et tous ceux que l’on peut avoir de beaucoup d’autheurs anciens et nouveaux, specifiez par Neander, Cardan, Gesner, et par tous les catalogues des meilleures bibliotheques ; que non pas de toutes ces copies de livres qui ont des-ja esté imprimez, et qui ne peuvent tout au plus nous soulager que de quelques et vaines legères conjectures. Combien toutessois que ce ne soit pas mon intention de mettre dans le mespris et faire negliger totalement cette sorte de livres, sçachant bien par l’exemple de Ptolomée qu’elle estime on doit tousjours faire des autographes ; ou de ces deux sortes de manuscripts que Robortel, pour ce qui est de la critique, prefere à tous les autres.
en italien ; et aussi leurs meilleures
 
versions latines, françoises, ou
J’adjouste en fin pour étoffe et fermer ce poinct de la qualité des livres, que pour ce qui est tant de cette sorte que des imprimez, il ne faut pas seulement observer les circonstances susdites, et les choisir suivant scelle, comme par exemple, s’il est question de la republique de Bodin, inferer qu’on la doit prendre, parce que l’autheur a esté des plus fameux et renommez de son ssecte, et qui a le premier entre les modernes traicté de ce sujet, que la matiere en est grandement nécessaire, et recherchée au temps où nous sommes, que le livre est commun, traduit en plusieurs langues, et imprimé presque tous les cinq ou six ans. Mais qu’il faut encore observer celle-cy, sçavoir, d’acheter un livre quand l’autheur en est bon, quoy que la matiere en soit commune et triviale, ou bien quand la matiere en est difficile et peu cognuë, quoy que l’autheur ne soit pas estimé ; et en pratiquer ainsi une infinité d’autres qui se rencontrent dans les occasions, sans qu’on les puisse facilement reduire en art ou methode.
telles qu’on les pourra trouver : ce
 
dernier pour l’usage de plusieurs
Ce qui me fait croire que celuy-là se peut dignement acquitter de cette charge qui n’a point le jugement fourbe, semeraire, rempli d’extravagances, et preoccupé de ces opinions pueriles, qui excitent beaucoup de personnes à mespriser et rebuter promptement tout ce qui n’est pas à leur goust, comme si chacun se devoit regler suivant les caprices de leurs fantaisies, ou que ce ne fust pas le devoir d’un homme sage et prudent de parler de toutes choses avec indifference, et n’en juger jamais suivant l’estime qu’en font les uns ou les autres, mais plustost suivant le jugement qu’il en faut faire eu esgard à leur propre usage et nature.
qui n’ont pas la cognoissance des
langues estrangeres, et le premier
d’autant qu’il est bien à propos
d’avoir les sources d’où tant de
ruisseaux coulent en leur propre
nature sans art ny desguisement,
et que de plus certaine efficace et
richesse de conceptions se
rencontre d’ordinaire en iceux qui
ne peut retenir et conserver son
lustre que dans sa propre langue,
comme les peintures en leur propre
jour : pour ne rien dire de la
necessité que l’on en peut avoir à
la verification des textes et passages
qui sont ordinairement controversez
ou revoquez en doute.
Tiercement, ceux qui ont le
mieux traicté les parties de quelque
science ou faculté telle qu’elle soit,
comme Bellarmin les controverses,
Tolete et Navarre les
cas de conscience, Vesale l’anatomie,
Mathiole l’histoire des plantes,
Gesner et Aldroandus celle
des animaux, Rondelet et
Salvianus celles des poissons, Vicomercat
les meteores, etc.
En quatriesme lieu, tous ceux
qui ont mieux commenté ou
expliqué quelque autheur ou livre
particulier, comme Pererius la
genese, Villalpandus Ezechiel,
Maldonat les evangiles, Monlorius
et Zabarella les analytiques,
Scaliger l’histoire des plantes de
Theophraste, Proclus et Marsile
Ficin le Platon, Alexandre et
Themistius l’Aristote, Flurance
Rivault l’Archimede, Theon et
Campanus l’Euclide, Cardan
Ptolomée : ce qui se doit observer
en toutes sortes de livres et
traictez vieux ou modernes qui
auront rencontré des interpretes
et commentateurs.
Puis apres tous ceux qui ont
escrit et fait des livres et traictez
sur quelque sujet particulier,
soit qu’il concerne l’espece ou
l’individu, comme Sanchez qui a
traicté amplement '' de matrimonio ''
,
de Sainctes et Du Perron de
l’eucharistie, Gilbert de l’aimant,
Majer '' de volucri arborea ''
, Scortia,
Vendelinus, Nugarola, du Nil : ce
qui se doit entendre de toutes sortes
de traictez particuliers en matiere
de droict, theologie, histoire,
medecine, ou quelque autre
que ce puisse estre, avec cette
discretion neantmoins que celle qui
approche le plus de la profession
que l’on suit soit preferée aux
autres.
En suitte tous ceux qui ont escrit
le plus heureusement contre
quelque science, ou qui se sont
opposez avec plus de doctrine et
d’animosité (sans toutesfois rien
innover ou changer des principes)
aux livres de quelques autheurs
des plus celebres et renommez.
C’est pourquoy on ne
doit pas negliger Sextus Empiricus,
Sanchez, et Agrippa, qui ont
fait profession de renverser toutes
les sciences, Pic De La Mirande
qui a si doctement refuté les
astrologues, Eugubinus qui a foudroyé
l’impieté des salmonées et
irreligieux, Morisotus qui a
renversé l’abus des chymistes, Scaliger
qui a si bien rencontré contre
Cardan qu’il est aujourd’huy plus
suivy en quelques endroits d’Allemagne
qu’Aristote, Casaubon
qui a bien osé attaquer les annales
de ce grand cardinal Baronius,
argentier qui a pris Galien
à tasche, Thomas Eraste qui a pertinemment
refuté Paracelse, charpentier
qui s’est vigoureusement
opposé à Ramus ; et finalement
tous ceux qui se sont exercez en
pareille escrime, et qui sont tellement
enchaisnez les uns avec les
autres, qu’il y auroit autant de
faute à les lire separément, comme
à juger et entendre une partie
sans l’autre, ou un contraire sans
celuy qui luy est opposé.
Il ne faut aussi obmettre tous
ceux qui ont innové ou changé
quelque chose és sciences, car c’est
proprement flatter l’esclavage et
la foiblesse, de nostre esprit, que
de couvrir le peu de connoissance
que nous avons de ces autheurs
sous le mespris qu’il en faut faire,
à cause qu’ils se sont opposez aux
anciens, et qu’ils ont doctement
examiné ce que les autres avoient
coustume de recevoir comme par
tradition : c’est pourquoy veu
que depuis peu plus de trente ou
quarante autheurs de nom se
sont declarez contre Aristote, que
Coopernic, Kepler et Galilaeus
ont tout changé l’astronomie ;
Paracelse, Severin le danois, du
Chesne et Crollius la medecine ;
et que plusieurs autres ont introduit
de nouveaux principes, et basty
sur iceux des ratiocinations
estranges, inouyës et non jamais
preveuës ; je dis que tous ces
autheurs sont tres-necessaires dans
une bibliotheque, puis que suivant
le dire commun, (…)
et que pour n’en demeurer à cette
raison si foible, il est certain que
la cognoissance de ces livres est
tellement utile et fructueuse à celuy
qui sçait faire reflexion et
tirer profit de tout ce qu’il voit,
qu’elle luy fournit une milliace
d’ouvertures et de nouvelles
conceptions, lesquelles estans receuës
dans un esprit docile, universel et
desgagé de tous interests, (…),
elles le font parler à propos de
toutes choses, luy ostent l’admiration,
qui est le vray signe de nostre
foiblesse, et le façonnent à
raisonner sur tout ce qui se presente,
avec beaucoup plus de jugement,
prevoyance et resolution,
que ne fait pas le commun des
autres personnes de lettres et de
merite.
On doit pareillement avoir
cette consideration au choix des
livres, de regarder s’ils sont les
premiers qui ayent esté composez
sur la matiere de laquelle ils
traictent, parce qu’il est de la
doctrine des hommes comme de
l’eau, qui n’est jamais plus belle,
plus claire et plus nette qu’à sa
source, toute l’invention venant
des premiers, et l’imitation avec
les redites des autres : comme l’on
voit par effet que Reuchlin qui a
le premier escrit de la langue
hebraïque et de la cabale, Budée de
la grecque et des monnoyes,
Bodin de la republique, Cocles de
la physiognomie, Pierre Lombart
et S Thomas de la theologie
scholastique, ont mieux
rencontré que beaucoup d’autres qui
se sont meslez d’en escrire depuis
eux.
De plus il faut aussi prendre
garde si les matieres qu’ils traictent
sont triviales ou peu communes,
curieuses ou negligées,
espineuses ou faciles, d’autant que
l’on peut bien appliquer aux
livres curieux et nouveaux, ce que
l’on dit de toutes les choses non
vulgaires, (…).
Sous l’adveu doncques de ce precepte
on doit ouvrir les bibliotheques,
et recevoir en icelles
ceux là, premierement qui ont
escrit sur des matieres peu
cognuës, et qui n’avoient esté traictées
auparavant sinon par fragments
et à bastons rompus, comme
Licetus qui a escrit '' de spontaneo viventium ortu, de lucernis antiquorum ''
,
Tagliacotius de la façon de refaire
les nez coupez, Libavius et
Goclin de l’onguent magnetique.
Secondement tous les curieux et
non vulgaires, comme sont les
livres de Cardan, Pomponace,
Brunus, et tous ceux qui traictent
de la caballe, mémoire artificielle,
art de Lulle, pierre philosophale,
divinations, et autres matieres
semblables : car encore bien
que la plus-part d’icelles n’enseignent
rien que des choses vaines
et inutiles, et que je les tienne
pour des pierres d’achopement à
tous ceux qui s’y amusent ; si est-ce
neantmoins que pour avoir de
quoy contenter les foibles esprits
aussi bien que les forts, et satisfaire
au moins à ceux qui les veulent
voir pour les refuter, il faut
recueillir ceux qui en traictent,
deussent-ils estre parmy les autres
livres d’une bibliotheque, comme
les serpens et viperes entre les
autres animaux, comme l’ivroye
dans le bon bled, comme les
espines entre les roses ; et ce à l’exemple
du monde où ces choses inutiles
et dangereuses accomplissent
le chef-d’œuvre et la fabrique
de sa composition.
Cette maxime nous doit faire
passer à une autre de pareille consequence,
qui est de ne point negliger toutes les œuvres des
principaux heresiarques ou fauteurs
de religions nouvelles et differentes
de la nostre plus commune
et reverée, comme plus juste et
veritable. Car il y a bien de l’apparence,
puis que les premiers
d’iceux (pour ne parler que des
nouveaux) ont esté choisis et tirez
d’entre les plus doctes personnages
du siecle precedent, qui par je
ne sçay qu’elle fantaisie et trop
grand amour de la nouveauté
quittoient, leur froc et la banniere
de l’eglise romaine pour s’enroller
sous celle de Luther et Calvin,
et que ceux d’aujourd’huy ne
sont admis à l’exercice de leur
ministere qu’apres un long et rude
examen sur les trois langues de la
saincte escriture, et les principaux
poincts de la philosophie
et theologie : il y a bien de l’apparence,
dy-je, qu’excepté les passages
controversez ils peuvent
quelque fois bien rencontrer sur
les autres, comme en beaucoup de
traictez indifferents sur lesquels
ils travaillent souvent avec beaucoup
d’industrie et de felicité.
C’est pourquoy puis qu’il est
necessaire que nos docteurs les
trouvent en quelques lieux pour
les refuter, que M De T n’a point
fait difficulté de les recueillir, que
les anciens peres et docteurs les
avoient chez eux, que beaucoup
de religieux les gardent en leurs
bibliotheques, qu’on ne fait
point scrupule d’avoir un thalmud
ou un alcoran qui vomissent
mille blasphemes contre
Jesus-Christ et nostre religion,
beaucoup plus dangereux que
ceux des heretiques, que Dieu
nous permet de tirer profit de nos
ennemis, suivant ce qui est dit par
le psalmiste, (…),
qu’ils ne peuvent estre prejudiciables qu’à
ceux qui estans destituez
d’une bonne conduitte se
laissent emporter au premier vent
qui souffle, et s’ombragent de
chenevotes ; et pour conclure en
un mot, puis que l’intention qui
determine toutes nos actions au
bien ou mal n’est point vicieuse
ny cauterisée ; je croy qu’il n’y a
point d’extravagances ou de danger
d’avoir dans une bibliotheque
(sous la caution neantmoins
d’une licence et permission prise
de qui il appartiendra) toutes les
œuvres des plus doctes et fameux
heretiques, tels qu’ont esté
Luther, Melancthon, Pomeran,
Bucer, Calvin, Beze, Daneau,
Gaultier, Hospinian, Paré, Bulenger,
Marlorat, Chemnitius, Bernard
Occhim, Pierre martyr, Illiricus,
Osiander, Musculus, les centuriateurs,
Du Jong, Mornay, Du
Moulin, voire mesmes plusieurs
autres de moindre consequence, (…).
Il faut pareillement tenir pour
maxime, que tous les corps et
assemblages des divers autheurs
qui ont escrit sur un mesme sujet,
tels que sont le thalmud, les conciles,
la bibliotheque des peres, (…),
tous ceux qui contiennent
de semblables recueils, doivent
necessairement estre mis dans les
bibliotheques : d’autant qu’ils
nous sauvent en premier lieu la
peine de rechercher une infinité
de livres grandement rares et
curieux ; secondement parce qu’ils
font place à beaucoup d’autres, et
soulagent une bibliotheque ;
tiercement parce qu’ils nous ramassent
en un volume et commodément
ce qu’il nous faudroit chercher
avec beaucoup de peine en
plusieurs lieux ; et finalement
pource qu’ils tirent apres eux une
grande espargne, estant certain
qu’il ne faut pas tant de testons
pour les acheter, qu’il faudroit
d’escus si on vouloit avoir separément
tous ceux qu’ils contiennent.
Je tiens encore pour un precepte
autant necessaire que les
precedents, qu’il faut trier et choisir
d’entre le grand nombre de
ceux qui ont escrit et escrivent
journellement, ceux qui paroissent
comme un aigle dans les
nuées, ou comme un astre brillant
et lumineux parmy les tenebres,
j’entends ces esprits qui ne
sont pas du commun, (…),
et desquels on se peut servir comme
de maistres tres-parfaicts en
la cognoissance de toutes choses,
et de leurs œuvres comme d’une
pepiniere de toute sorte de suffisance,
pour enrichir une bibliotheque
non seulement de tous
leurs livres, mais mesme de leurs
moindres fragments, papiers
descousus, et mots qui leur eschappent.
Car tout ainsi que ce seroit
mal employer le lieu et l’argent
que de vouloir ramasser toutes les
œuvres, et je ne sçay quels fatras
de certains autheurs vulgaires et
mesprisez : aussi seroit-ce une
inexcusable à ceux qui font profession
d’avoir tous les meilleurs
livres, d’en negliger aucun, par
exemple d’Erasme, Chiaconus,
Onuphre, Turnebe, Lipse,
Genebrard, Antonius Augustinus,
Casaubon, Saumaise, Bodin,
Cardan, Patrice, Scaliger, Mercurial,
et autres, les œuvres desquels il
faut prendre à yeux clos et sans
aucun choix, le reservant pour ne
point nous tromper és livres rampans
de ces autheurs qui sont
beaucoup plus rudes et grossiers :
d’autant que tout ainsi que l’on
ne peut trop avoir de ce qui est
bon et choisi à l’eslite, de mesme
aussi ne sçauroit-on avoir trop
peu de ce qui est mauvais, et de
quoy l’on ne doit esperer aucune
utilité ou profit manifeste.
Il ne faut aussi oublier toutes
sortes de lieux communs, dictionaires,
meslanges, diverses
leçons, recueils de sentences, et
telles autres sortes de repertoires,
parce que c’est autant de chemin
fait et de matiere preparée pour
ceux qui ont l’industrie d’en user
avec advantage, estant certain
qu’il y en a beaucoup qui font
merveille de parler et d’escrire
sans qu’ils ayent guere veu d’autres
volumes que ces mentionnés ;
d’où vient que l’on dit communément
que le calepin, qui se
prend pour toutes sortes de
dictionaires, est le gaignepain des
regens, et quand je diray de
beaucoup d’entre les plus fameux
personnages, ce ne sera pas sans
raison, puis qu’un des plus celebres
entre les derniers en avoit
plus d’une cinquantaine où il
estudioit perpetuellement, et que
le mesme ayant trouvé un mot
difficile à l’ouverture du livre des
equivoques, comme il luy fut presenté,
il eut incontinent recours à
l’un de ces dictionaires, et transcrivit
d’iceluy plus d’une page
d’escriture sur la marge dudit livre,
et ce en presence de l’un de
mes amis et des siens, auquel
il ne se peut garder de dire que
ceux qui verroient cette remarque
croiroient facilement qu’il
auroit esté plus de deux jours à la
faire, combien qu’il n’eust eu que
la peine de la descrire. Et pour
moy je tiens ces collections grandement
utiles et necessaires, eu
esgard que la briefveté de nostre
vie et la multitude des choses
qu’il faut aujourd’huy sçavoir
pour estre mis au rang des hommes
doctes ne nous permettent
pas de pouvoir tout faire de nous
mesme : joint que n’estant permis
à un chacun ny en tous siecles de
pouvoir travailler à ses propres
frais et despens, et sans rien
emprunter d’autruy, quel mal y a-il si
ceux qui ont l’industrie d’imiter
la nature et de tellement diversifier
et approprier à leur sujet ce
qu’ils tirent des autres, (…),
empruntent de ceux qui
semblent n’estre faicts que pour
prester, et puisent dans les reservoirs
et magasins destinez à cet
effet, puis que nous voyons d’ordinaire
que les peintres et les
architectes font des ouvrages
excellens et admirables par le
moyen des couleurs et materiaux
que les autres leur broyent et leur
preparent.
Finalement il faut pratiquer
en cette occasion l’aphorisme
d’Hipocrate, qui nous advertit de
donner quelque chose au temps,
au lieu et à la coustume, c’est à dire,
que certaine sorte de livres ayant
quelque fois le bruit et la vogue
en un pays qui ne l’a pas en d’autres,
et au siecle present qui ne l’avoit
pas au passé, il est bien à propos
de faire plus grande provision
d’iceux que non pas des autres,
ou au moins d’en avoir une
telle quantité, qu’elle puisse
tesmoigner que l’on s’accommode
au temps, et que l’on n’est pas
ignorant de la mode et de l’inclination
des hommes. Et de là vient
que l’on trouve ordinairement
dans les bibliotheques de Rome,
Naples et Florance beaucoup de
positive, dans celles de Milan et
Pavie beaucoup de jurisprudence,
dans celles d’Espagne et les
vieilles de Cambrige et Oxfort
en Angleterre beaucoup de scholastiques,
et dans celles de France
beaucoup d’histoires et controverses.
Pareille diversité s’estant
fait aussi remarquer en la suitte
des siecles, à raison de la vogue
qu’ont eu consecutivement
la philosophie de Platon, celle
d’Aristote, la scholastique, les
langues et la controverse, qui
ont toutes chacunes à leur tour
dominé en divers temps, comme
nous voyons que l’estude des
morales et politiques occupe maintenant
la plus-part des meilleurs
et plus forts esprits de celuy-cy,
pendant que les plus foibles
s’amusent apres les fictions et
romans, desquels je ne diray rien
autre chose, sinon ce qui fut dit
autrefois par Symmaque de
semblables narrations, (…).
Ces preceptes et maximes
communes estans si amplement
expliquées, il ne reste plus pour
accomplir ce titre de la qualité
des livres, que d’en proposer
deux ou trois autres, lesquelles
seront indubitablement receuës
comme extravagantes et tres-propres
à heurter l’opinion commune
et inveterée dans les esprits
de beaucoup, qui n’estiment les
autheurs que par le nombre ou la
grosseur de leurs volumes, et ne
jugent de leur merite et valeur
que par ce qui a coustume de
nous faire mespriser toutes les
autres choses, sçavoir leur grande
vieillesse et caducité, semblables
en cela au vieillard d’Horace, lequel
nous est representé dans ses
œuvres, (…) :
la nature de ces esprits dominez
estant pour l’ordinaire si esprise
et amoureuse de ces images et
pieces antiques, qu’ils ne voudroient
pas regarder de bien
loing quelque livre que se puisse
estre si son autheur n’est beaucoup
plus vieil que la mere d’Evandre,
ou que les ayeuls de Carpentra,
ny croire que le temps
puisse estre bien employé à la
lecture des modernes, parce que
suivant leur dire ils ne sont que
des rapsodeurs, copistes ou plagiaires,
et n’approchent en rien
de l’esloquence, de la doctrine et
des belles conceptions des anciens,
ausquels pour cette cause
ils se tiennent aussi fermement
attachez comme le poulpe fait à
la roche, sans se partir en aucune
façon de leurs livres ou de leur
doctrine, qu’ils n’estiment jamais
comprendre qu’apres l’avoir
remaschée tout le temps de leur vie :
d’où ce n’est point chose extraordinaire
si au bout du compte et
apres avoir bien sué et travaillé ils
ressemblent à cet ignorant Marcellus
qui se vantoit par tout d’avoir
leu huict fois Thucidide, ou
à ce Nonnus duquel parle Suidas
qui avoit leu dix fois tout son
Demosthene, sans avoir jamais sceu
plaider ou discourir de chose
quelconque. Et à vray dire il n’y
a rien si propre à faire devenir un
homme pedant et l’esloigner du
sens commun, que de mespriser
tous les autheurs modernes, pour
courtiser seulement quelques-uns
des anciens, comme s’ils estoient
seuls paisibles gardiens des plus
grandes faveurs que peut esperer
l’esprit de l’homme, ou que la
nature, jalouse de l’honneur et du
credit de ses fils aisnez, eust voulu
pousser sa puissance jusques à
l’extremité pour les combler de ses
graces et liberalitez à nostre
prejudice : certes je ne croy pas
qu’autres que ces messieurs les antiquaires
se puissent arrester à telles
opinions, ou se repaistre de telles
fables, veu que tant de nouvelles
inventions, tant de nouveaux
dogmes et principes, tant de changemens
divers et inopinez, tant
de livres doctes, de fameux personnages,
de nouvelles conceptions,
et finalement tant de merveilles que nous
voyons tous les jours
naistre, tesmoignent
assez que les esprits sont plus
forts, polis et deliez qu’ils ne furent
jamais, et que l’on peut dire
et jourd’huy avec toute asseurance
et verité, (…).
D’où l’on peut inferer
que ce seroit une grande faute à
celuy qui fait profession d’assembler
une bibliotheque, de ne point
mettre en icelle Piccolomini,
Zabarelle, Achillin, Niphus, Pomponace,
Licetus, Cremonin, aupres
des vieux interpretes d’Aristote,
Alciat, Tiraqueau, Cuias, Du
Moulin, aupres le code et le
digeste ; la somme d’Alexandre De
Ales et de Henry De Gandavo,
aupres de celle de S Thomas ;
Clavius, Maurolic et Viette,
aupres d’Euclide et Archimede ;
Montagne, Charon, Verulam,
aupres de Seneque et Plutarque
Fernel, Sylvius, Fusth, Cardan,
aupres de Galien et d’Avicenne ;
Erasme, Casaubon, Scaliger,
Saumaise, aupres de Varron ; Commines,
Guicciardin, Sleidan, aupres
de Tite-Live et Corneille
Tacite, l’Arioste, Tasso, Du
Bertas,
aupres Homere et Virgile, et
ainsi consecutivement de tous les
modernes plus fameux et renommez :
veu que si le capricieux Boccalini
avoit entrepris de les balancer
avec les anciens, peut-estre en
trouveroit-il beaucoup de plus
foibles, et fort peu qui les
surpassent.
La seconde maxime, qui ne
semblera, peut-estre, moins tenir
du paradoxe que cette premiere,
est directement contre l’opinion
de ceux qui n’estiment les livres
qu’au prix et à la grosseur, et qui
sont bien aises et se croyent bien
honorez d’avoir un Tostat dans
leurs bibliotheques, parce qu’il y
a quatorze volumes, ou un Salmeron,
parce qu’il y en a huict,
negligeans de recueillir et ramasser
une infinité de petits livrets
parmy lesquels il s’en trouve souvent
de si bien faicts et doctement
composez, qu’il y a plus de profit
et de contentement à les lire, que
non pas beaucoup d’autres de ces
rudes et pesantes masses indigestes
et mal polies, au moins pour
la plus-part ; le dire de Seneque
estant tres-veritable, (…), ne pouvant
estre appliqué à ces livres monstrueux
et gigantins : comme en
effet il est presque impossible
que l’esprit demeure tousjours
tendu à ces grands labeurs, et que
le ramas et la grande confusion
des choses que l’on veut dire
n’estouffent la fantaisie et
n’embroüillent trop la raciocination ;
où au contraire ce qui nous doit
faire estimer les petits livres, qui
traictent, neantmoins de choses
serieuses ou de quelque beau
point relevé, c’est que l’autheur
d’iceux domine entierement à
son sujet, comme l’ouvrier et
l’artisan fait à sa matiere, et qu’il peut
mieux le remascher, cuire, digerer,
polir et former à sa fantaisie, que
non pas les vastes collections de
ces grands et prodigieux volumes,
qui pour cette cause sont le
plus souvent des panspermies, des
cahos et abysmes de confusion, (…).
Et de là vient un succez si inegal
qui se fait remarquer entre les uns
et les autres, comme par exemple
entre les satyres de Perse et de
Philelphe, l’examen des esprits
de Huarto et celuy de Zara,
l’arithemetique de Ramus et celle de
Forcadel, le prince de Machiavel
et celuy de plus de cinquante pedants,
la logique de Du Moulin
et celle de Vallius, les annales de
Volusius et l’histoire de Saluste,
le manuël d’Epictete et les secrets
moraux de Loriot, les œuvres
de Fracastor et celles d’une
infinité de philosophes et medecins ;
tant est veritable ce qu’a fort
bien dit S Thomas, (…), et ce
que Cornelius Gallus avoit aussi
coustume de se promettre de ses
petites elegies, (…).
Mais ce qui me fait le plus
estonner en cette rencontre, c’est
que tel negligera les œuvres et
opuscules de quelque autheur,
pendant qu’elles sont esparses et
separées, qui brusle par apres du
desir de les avoir quand elles sont
recueillies et ramassées en un volume :
et tel negligera, par exemple,
les oraisons de Jacques Criton,
parce qu’elles ne se trouvent
qu’imprimées separément, qui
aura dans sa bibliotheque celles
de Raymond, Gallutius, Nigronius,
Bencius, Perpinian, et de
beaucoup d’autres autheurs, non
pas qu’elles soient meilleures ou
plus disertes et esloquentes que
celles de ce docte escossois, mais
parce qu’elles se trouvent reserrées
et contenuës dans de certains
volumes. Certes si tous les petits
livres devoient estre negligez, il
ne faudroit tenir compte des
opuscules de S Augustin, des
morales de Plutarque, des livres
de Galien, ny de la plus-part de
ceux d’Erasme, de Lipse, Turnebe,
Mizault, Sylvius, Calcagnin,
François Pic, et de beaucoup
d’autheurs semblables, non plus
que de trente ou quarante petits
autheurs en medecine et philosophie
des meilleurs et plus anciens
d’entre les grecs, et de beaucoup
d’avantage d’entre les theologiens,
parce qu’ils ont tous esté
divulguez à part et separément
les uns apres les autres, et en si
petit volume, que les plus grands
d’iceux n’excedent pas souvent
un demy alphabet. C’est pourquoy,
puis que l’on peut assembler
par la relieure ce qui ne l’a
point esté par l’impression,
conjoindre avec d’autres ce qui se
perdroit s’il estoit seul, et qu’il
se rencontre en effet une infinité de
matieres qui n’ont esté traictées
que dans ces petits livres, desquels
on peut dire à bon droict comme
Virgile des abeilles, (…) :
il me semble qu’il est tres à propos
de les tirer des estalages, des
vieux magazins, et de tous les
lieux où ils se rencontrent, pour
les faire relier avec ceux qui sont
ou de mesme autheur, ou de
pareille matiere, et puis apres les
mettre dans une bibliotheque,
où je m’asseure qu’ils feront admirer
l’industrie et la diligence
des Esculapes qui ont si bien sceu
rejoindre et rassembler les membres
desunis et separez de ces pauvres
Hippolites.
La troisiesme, que l’on jugeroit
de prime face estre contraire
à la premiere, combat particulierement
l’opinion de ceux qui sont
tellement coiffez et embeguinez
de tous les nouveaux livres, qu’ils
negligent et ne tiennent compte
non de tous les anciens, mais des
autheurs qui ont eu la vogue et
qui ont paru fleurissans et renommez
depuis six ou sept cens ans,
c’est à dire, depuis le siecle de Boece,
Symmaque, Sydonius et
Cassiodore, jusques à celuy de Picus.
Politian, Hermolaus, Gaza,
Philelphe, Poge et Trapezonce,
comme sont beaucoup de philosophes,
theologiens, jurisconsultes,
medecins, et astrologues,
que leur seule impression noire et
gothique met dans le dégoust
des plus delicats estudians de ce
siecle, et ne permet pas qu’ils les
puissent regarder qu’à la honte et
au mespris de ceux qui les ont
composez. Ce qui vient proprement
de ce que les siecles ou les
esprits qui paroissent en iceux ont
des genies divers et des inclinations
du tout differentes, ne
demeurans gueres dans un mesme
ton de pareille estude ou
affection aux sciences, et n’ayans
rien si asseuré que leur vicissitude
ou changement. Comme en effet
nous voyons qu’incontinent
apres la naissance de la religion
chrestienne (pour ne prendre les
choses de plus haut) la philosophie
de Platon estoit universellement
suivie dans les escholes, et
que la pluspart des peres estoient
platoniciens : ce qui dura jusques
à ce qu’Alexandre Aphrodisée luy
donna puissamment du coulde
pour installer celle des peripateticiens,
et tracer le chemin aux
interpretes grecs et latins, qui
demeurerent tellement attachez à
l’explication du texte d’Aristote,
que l’on y croit encore sans beaucoup
de fruict, si les questionnaires
et scholastiques, induits
par Abelard, ne se fussent mis sur
les rangs pour dominer par tout,
avec une approbation la plus
grande et la plus universelle qui
ait jamais esté donnée à chose
quelconque, et ce par l’espace
d’environ cinq ou six siecles,
apres lesquels les heretiques nous
rappellerent à l’interpretation des
sainctes lettres, et furent occasion
de nous faire lire la bible et
les saincts peres, qui avoient tousjours
esté negligez parmy ces
ergotismes : en suitte de quoy la
controverse a maintenant lieu
pource qui est de la theologie, et
les questionnaires avec les novateurs,
qui bastissent sur de nouveaux
principes, ou restablissent
ceux des anciens Empedocle,
Epicure, Philolaus, Pithagore, et
Democrite, pour la philosophie ;
les autres facultez n’ayans esté
exemptes de pareils changemens,
parmy lesquels c’est tousjours
l’ordinaire des esprits qui suivent
ces fougues et changemens, comme
le poisson fait la marée, de ne
se plus soucier de ce qu’ils ont une
fois quitté, et de dire temerairement
avec le poëte Calphurne, (…).
De façon que la pluspart des
bons autheurs demeurent parce
moyen sur la greve abandonnez
et negligez d’un chacun, pendant
que de nouveaux censeurs ou
plagiaires s’introduisent en leur
place et s’enrichissent de leurs
despoüilles. Et à la verité c’est une
chose estrange et peu raisonnable,
que nous suivions et approuvions,
par exemple, le college des
Conimbres et Suarez en ce qui
est de la philosophie, et que nous
venions à negliger les œuvres
d’Albert Le Grand, Niphus,
Aegidius, Saxonia, Pomponace,
Achillin, Hervié, Durand, Zimare,
Buccaferre, et d’un grand nombre de
semblables, desquels tous ces gros
livres que nous suivons maintenant
sont compilez et transcrits
mot pour mot : que nous faisions
une estime nompareille d’Amatus,
Thrivier, Capivacce, Montanus,
Valescus, et de presque tous
les medecins modernes, et que
nous ayons honte de fournir une
bibliotheque des livres de Hugo
Senensis, Jacobus De Forlivio, Jacques
Des Parts, Valescus, Gordon,
Thomas, Dinus, et de tous
les avicennistes, qui ont veritablement
suivy le genie de leur siecle,
rude et grossier en ce qui estoit
de la barbarie de la langue latine,
mais qui ont tellement penetré le
fonds de la medecine, au recit
mesme de Cardan, que beaucoup
de nos modernes n’ayans
pas assez de resolution, de
constance et d’assiduité pour les suivre
et imiter, sont contraints de prendre
quelques de leurs raisons
pour les revestir à la mode, et en
faire parade et jactance, demeurans
tousjours sur la superficie
des fleurs et du langage, où sans
penetrer plus avant, (…).
Quoy doncques sera-il dit que
Scaliger et Cardan, les deux plus
grands personnages du dernier
siecle, s’accordent en un seul
poinct, qui concerne les loüanges
de Richard Suisset, autrement
nommé Calculator, qui vivoit il
n’y a que trois cens ans, pour le
mettre au rang des dix plus grands
esprits qui ayent jamais esté, sans
que nous puissions trouver ses
œuvres dans toutes les plus fameuses
bibliotheques ? Et qu’elle
apparence y a-il que les sectateurs
d’Occham prince des nominaux
soient eternellement privez de
voir ses œuvres, aussi bien que
tous les philosophes celles de ce
grand et renommé Avicenne ?
Certes, il me semble que c’est
apporter peu de jugement au choix
et à la cognoissance des livres,
que de negliger tous ces autheurs
qui devroient estre tant plus
recherchez que plus ils sont rares, et
qu’ils pourront d’oresnavant
tenir la place des manuscripts, puis
que l’esperance est comme perduë
qu’on les remette jamais sous la
presse.
Finalement la quatriesme et
derniere de ces maximes n’a pour
but que le choix et triage que l’on
doit faire des manuscripts, pour
s’opposer à cette façon introduitte
et receuë de beaucoup par la
grande vogue qu’ont maintenant
les critiques, qui nous ont
appris et accoustumez à faire plus
d’estat de quelques manuscripts
de Virgile, Suetone, Perse,
Terence, ou quelques autres d’entre les
vieux autheurs, que non pas de
ceux des galands hommes qui
n’ont jamais esté veus ny imprimez :
comme s’il y avoit quelque
apparence de suivre tousjours le
caprice ou les imaginations et
tromperies de ces nouveaux censeurs
et grammairiens, qui
employent inutilement le meilleur
de leur âge à forger des conjectures
et mandier les corrections
du Vatican, pour changer, corriger
ou suppléer le texte de quelque
autheur qui aura, peut-estre,
des-ja consommé le labeur de dix
ou douze hommes, quoy qu’on
s’en peut passer facilement à un
besoin : ou que ce ne fust pas une
chose miserable et digne de commiseration
de laisser perdre et
pourrir entre les mains de quelques
possesseurs ignorans les veilles
et les labeurs d’une infinité de
grands personnages qui ont sué
et travaillé, peut estre, tout le temps
de leur vie pour nous donner la
cognoissance de ce qui estoit auparavant
incognu, ou esclaircir quelque matiere utile
et necessaire. Et
ce neantmoins l’exemple de ces
censeurs a esté telle, et leur
auctorité si forte et puissante, que
nonobstant le dégoust que nous
ont donné Robortel et quelques
autres d’entre eux, mesme de ces
manuscripts, ils ont tellement
neantmoins ensorcelé le monde à
leur recherche, qu’il n’y a qu’eux
aujourd’huy qui soient en vogue
et jugez dignes d’estre mis
dans les bibliotheques, (…) !
C’est pourquoy puis qu’il est de
l’essence d’une bibliotheque d’avoir
grand nombre de manuscripts,
parce qu’ils sont maintenant
les plus estimez et les moins
communs ; j’estime, m. Sous le
respect de votre meilleur advis,
qu’il seroit tres à propos de poursuivre
comme vous avez commencé,
en fournissant la vostre
de ceux qui ont esté composez à
pur et à plein sur quelque belle
matiere, pareils à ceux-là que vous
avéz des-ja fait rechercher non
seulement icy, mais à Constantinople,
et tous ceux que l’on peut
avoir de beaucoup d’autheurs
anciens et nouveaux, specifiez
par Neander, Cardan, Gesner, et
par tous les catalogues des meilleures
bibliotheques ; que non pas
de toutes ces copies de livres qui
ont des-ja esté imprimez, et qui ne
peuvent tout au plus nous soulager
que de quelques et vaines legeres
conjectures. Combien toutesfois
que ce ne soit pas mon intention
de mettre dans le mespris et
faire negliger totalement cette
sorte de livres, sçachant bien par
l’exemple de Ptolomée qu’elle
estime on doit tousjours faire des
autographes ; ou de ces deux sortes
de manuscripts que Robortel,
pour ce qui est de la critique,
prefere à tous les autres.
J’adjouste en fin pour clorre et
fermer ce poinct de la qualité des
livres, que pour ce qui est tant de
cette sorte que des imprimez, il
ne faut pas seulement observer
les circonstances susdites, et les
choisir suivant icelle, comme par
exemple, s’il est question de la
republique de Bodin, inferer qu’on
la doit prendre, parce que l’autheur
a esté des plus fameux et renommez
de son siecle, et qui a le
premier entre les modernes traicté
de ce sujet, que la matiere en
est grandement necessaire, et
recherchée au temps où nous sommes,
que le livre est commun, traduit
en plusieurs langues, et imprimé
presque tous les cinq ou six
ans. Mais qu’il faut encore observer
celle-cy, sçavoir, d’acheter un
livre quand l’autheur en est bon,
quoy que la matiere en soit commune
et triviale, ou bien quand
la matiere en est difficile et peu
cognuë, quoy que l’autheur ne
soit pas estimé ; et en pratiquer
ainsi une infinité d’autres qui se
rencontrent dans les occasions,
sans qu’on les puisse facilement
reduire en art ou methode.
Ce qui me fait croire que
celuy-là se peut dignement acquitter
de cette charge qui n’a point
le jugement fourbe, temeraire,
rempli d’extravagances, et preoccupé
de ces opinions pueriles, qui
excitent beaucoup de personnes à
mespriser et rebuter promptement
tout ce qui n’est pas à leur
goust, comme si chacun se devoit
regler suivant les caprices de leurs
fantaisies, ou que ce ne fust pas le
devoir d’un homme sage et prudent
de parler de toutes choses
avec indifference, et n’en juger
jamais suivant l’estime qu’en font
les uns ou les autres, mais plustost
suivant le jugement qu’il en faut
faire eu esgard à leur propre usage
et nature.
 
==CHAPITRE 5==
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'' par quels moyens on les peut recouvrer. ''
 
or, m. Apres avoir monstré par ces trois premiers poincts la façon qu’il faut suivre pour s’instruire à dresser une bibliotheque, de combien de livres il est à propos qu’elle soit fournie, et de qu’elle qualité il les convient prendre et choisir ; celuy qui suit maintenant doit rechercher par quels moyens on les peut avoir, et ce qu’il faut faire pour le progrez et l’augmentation d’iceux. Sur quoy je diray veritablement que le premier precepte qu’on peut donner sur ce poinct est de conserver soigneusement ceux qui sont acquis et que l’on acquiert tous les jours, sans permettre qu’aucun se perde ou déposisse en aucune façon. (…). Joint que ce ne seroit pas le moyen de beaucoup augmenter si ce qui s’amasse avec peine et diligence venoit à se perdre et déposit faute d’en avoir le soin : suivant quoy Ovide et les plus sages ont eu raison de dire que ce n’estoit pas une moindre vertu de bien conserver que d’acquerit, (…).
or, m. Apres avoir monstré
 
par ces trois premiers
Le second est de ne rien negliger de tout ce qui peut entrer en ligne de compte et avoir quelque usage, soit à l’esgard de vous ou des autres : comme sont les libelles, placarts, theses, fragments, espreuves, et autres choses semblables, que l’on doit estre soigneux de joindre et assembler suivant les diverses sortes et matieres qu’ils traictent, parce que c’est le moyen de les mettre en consideration, et faire en sorte, (…) : autrement il arrive d’ordinaire que pour avoir mesprisé ces petits livres qui ne semblent que bagatelles et pieces de nulle consequence, on vient à perdre une infinité de beaux recueils qui sont quelquefois des plus curieuses pieces d’une bibliotheque.
poincts la façon qu’il faut suivre
 
pour s’instruire à dresser une
Le troisiesme se peut tirer des moyens qui furent pratiquez par Richard De Bury evesque de Dunelme et grand chancelier et thresorier d’Angleterre, qui consistent à publier et faire cognoistre à un chacun l’affection que l’on porte aux livres, et le grand désir que l’on a de dresser une bibliotheque : car cette chose estant commune et divulguée, il est indubitable que si celuy qui a ce dessein est en assez grand credit et auctorité pour faire plaisir à ses amis ; il n’y aura aucun d’i ceux qui ne tienne à faveur de luy faire présent des plus curieux livres qui tomberont entre ses mains, qui ne luy donne tres-volontiers entrée dans sa bibliotheque, ou en celles de ses amis, bref qui n’ayde et ne contribuë à son dessein tout ce qui luy sera possible : comme il est fort bien remarqué par ledit Richard De Bury en ces propres termes, que je transcris ; d’autant plus volontiers que son livre est fort rare, et du nombre de ceux qui se perdent par nostre negligence, (…).
bibliotheque, de combien de livres
 
il est à propos qu’elle soit
à quoy il adjouste encore les divers voyages qu’il fit en qualité d’ambassadeur, et le grand nombre de personnes doctes et curieuses, du labeur et de l’industrie desquelles il se servoit en cette recherche. Et ce qui m’induit encore davantage à croire que ces pratiques auroient quelque efficace, c’est que je cognois un homme lequel estant curieux de medailles, peintures, statuës, camayeux, et autres pieces et solivetez de cabinet, en amassa par cette seule industrie pour plus de douze mille livres, sans en avoir jamais desboursé quatre. Et à la verité je tiens pour maxime que toute personne courtoise et de bon naturel doit tousjours seconder les intentions loüables de ses amis, pourveu qu’elles ne prejudicient point aux siennes. De sorte que celuy qui a des livres, medailles ou peintures qui luy sont plustost venuës par hazard que non pas qu’il en affectionne la joüyssance, ne fera point de difficulté d’en accommoder celuy de ses amis qu’il cognoistra les désirer et en estre curieux. Je rapporterois volontiers à ce troisiesme precepte la ruse que pourroient pratiquer et exercer les magistrats et personnes auctorisées par le moyen de leurs charges : mais je ne veux point l’expliquer plus ouvertement que par le simple narré du stratageme duquel se servirent les venitiens pour avoir les meilleurs manuscripts de Pinellus incontinent apres qu’il fut decedé ; car sur l’advis qu’ils eurent que l’on estoit apres pour transporter sa bibliotheque de Padouë à Naples, ils envoyerent soudain un de leurs magistrats qui saisit cent balles de livres, entre lesquelles il y en avoit quatorze qui contenoient les manuscripts, et deux d’icelles plus de trois cens commentaires sur toutes les affaires d’Italie, alleguant pour leurs raisons qu’encore bien qu’on eust permis au defunct seigneur Pinelli, eu esgard à sa condition, son dessein, sa vie loüable et sans reproche, et principalement à l’amitié qu’il avoit tousjours tesmoignée à la republique, de faire copier les archives et registres de leurs affaires ; il n’estoit pas neantmoins à propos ny expedient pour eux que telles pieces vinssent à estre divulguées, descouvertes et communiquées apres sa mort. Sur quoy les heritiers et exécuteurs testamentaires qui estoient puissants et auctorisez, ayans fait instance, on retint seulement deux cens de ces commentaires, qui furent mis dans une chambre particuliere, avec cette inscription, (…).
fournie, et de qu’elle qualité il les
 
convient prendre et choisir ; celuy
Le quatriesme est de retrancher la despense superfluë que beaucoup prodiguent mal à propos à la relieure et à l’ornement de leurs volumes, pour l’employer à l’achapt de ceux qui manquent, afin de n’estre point sujets à la censure de Seneque, qui se moque plaisamment de ceux-là, (…) ; et ce d’autant plus volontiers que la relieure n’est rien qu’un accident et maniere de paroistre sans laquelle, au moins si belle et somptueuse, les livres ne laissent pas d’estre utiles, commodes et recherchez, n’estant jamais arrivé qu’à des ignorans de faire cas d’un livre à cause de sa couverture, parce qu’il n’est pas des volumes comme des hommes, qui ne sont cognus et respectez que par leur robe et vestement : de maniere qu’il est bien plus utile et nécessaire d’avoir, par exemple, grande quantité de livres fort bien reliez à l’ordinaire, que d’en avoir seulement plein quelque petite chambre ou cabinet de lavez, dorez, reglez, et enrichis avec toute sorte de mignardise, de luxe et de superfluité.
qui suit maintenant doit rechercher par
 
quels moyens on les peut
Le cinquiesme concerne l’achapt que l’on doit faire d’iceux, et se peut diviser en quatre ou cinq articles, suivant les divers moyens que l’on peut tenir pour le pratiquer. Or entre sceux je merrière volontiers pour le premier le plus prompt, facile et avantageux de tous les autres, celuy qui se fait par l’acquisition de quelque autre bibliotheque entiere et non dissipée. Je l’appelle prompt, parce qu’en moins d’un jour vous pouvez avoir un grand nombre de livres doctes et curieux, qui ne se pourroient pas quelque fois ramasser pendant la vie d’un homme. Je le dis facile, parce que l’on espargne toute la peine et le temps qu’il faudroit consommer à les achepter séparément.
avoir, et ce qu’il faut faire pour le
 
progrez et l’augmentation
Je le nomme en fin avantageux, parce que si les bibliotheques qu’on achepte sont bonnes et curieuses, elles servent à augmenter le credit et la reputation de celles qui en sont enrichies.
d’iceux. Sur quoy je diray veritablement
 
que le premier precepte
D’où nous voyons que Possevin fait beaucoup d’estat de celle du cardinal de Joyeuse, parce qu’elle estoit composée de trois autres, l’une desquelles avoit esté à Mr Pithou, et que toutes les plus renommées bibliotheques ont pris leur accroissement de cette sorte, comme par exemple, celle de S Marc à Venise par le don qu’y fit le cardinal Bessarion de la sienne ; celle de Lescurial par la grande qu’avoit amassée Hurtado De Mendoze ; l’ambroisienne de Milan par nonante balles qui y ont esté mises pour une seule fois du naufrage et de la ruine de celle de Pinelli ; celle de Leyde par plus de deux cens manuscripts és langues orientales que Scaliger y laissa par son testament ; et finalement celle d’Ascagne Colomne par la tres-belle qu’a laissée le cardinal Sirlette. D’où je conjecture, m. Que la vostre ne peut manquer d’estre un jour tres-fameuse et renommée entre les plus grandes, à l’occasion de celle de m. Vostre père, laquelle est des-ja si célèbre et cognuë par le recit qu’en ont fait à la posterité la Croix, Fauchet, Massisse, Turnebe, Passerat, Lambin, et presque tous les galands hommes de cette volée, qui n’ont point esté mescognoissans du plaisir et de l’instruction qu’ils en ont têteu.
qu’on peut donner sur ce poinct
 
est de conserver soigneusement
Apres quoy il me semble que le moyen qui approche le plus de ce premier, est de foüiller et revisiter souvent toutes les boutiques des libraires frippiers et les vieux fonds et magazins, tant de livres reliez que de ceux qui ont tousjours esté réservez en blanc depuis une si longue suitte d’années, que beaucoup de personnes peu entenduës et versées en cette recherche ne jugent pas qu’ils puissent avoir d’autre usage sinon que d’empescher, (…).
ceux qui sont acquis et que l’on
 
acquiert tous les jours, sans
Combien qu’il s’y rencontre ordinairement de tres-bons livres, et que leur emploitre estant bien mesnagée, il y ait moyen d’en avoir plus pour dix escus que l’on n’en pourroit acheter pour quarante ou cinquante si on les prenoit en divers endroits et pieces apres autres ; pourveu neantmoins que l’on se vueille garnir de soin et de patience, et considerer que l’on ne peut pas dire d’une bibliotheque ce que certains poëtes flatteurs ont dit de nostre ville, (…) : estant impossible de pouvoir venir à bout si promptement d’une chose où Salomon dit qu’il n’y aura jamais de fin, (…) ; et à l’accomplissement de laquelle, combien que M De Thou ait travaillé vingt ans, Pinelli cinquante, et beaucoup d’autres tout le temps de leur vie ; il ne faut pas croire toutessois qu’ils soient venus à la derniere perfection, que l’on peut bien souhaitter sans la pouvoir atteindre en fait de bibliotheque.
permettre qu’aucun se perde ou
 
deperisse en aucune façon. (…). Joint
Mais parce qu’il est encore nécessaire pour l’accroissement et augmentation d’une telle piece, de la fournir soigneusement de tous les livres nouveaux de quelque merite et consideration qui s’impriment en toutes les parties de l’Europe, et que Pinellus et les autres ont entretenu pour ce faire des correspondances avec une infinité d’amis estrangers et marchands forains ; il seroit bien à propos de pratiquer le mesme, ou au moins de choisir et faire election de deux ou trois marchands riches, sçachans et pratiquez en leur vatation, qui par leurs diverses intelligences et voyages pourroient fournir toutes sortes de nouveautez, et faire diligente recherche et perquisition de ceux qu’on leur demanderoit par catalogues. Ce qu’il n’est pas nécessaire de pratiquer pour les vieux livres, d’autant que le plus seur moyen d’en recouvrer beaucoup et à bon compte c’est de les rechercher indifferemment chez tous les libraires, où la longueur du temps et les diverses occasions ont coustume de les disperser et respandre.
que ce ne seroit pas le moyen de
 
beaucoup augmenter si ce qui s’amasse
Je ne veux toutessois inferer par tout le bon mesnage proposé cy-dessus, qu’il ne soit quelquefois nécessaire de franchir les bornes de cette oeconomie pour acheter à prix extraordinaire certains livres qui sont si rares, qu’à peine les peut-on tirer d’entre les mains de ceux qui les cognoissent que par cette seule invention. Mais le temperament qu’il convient apporter à cette difficulté est de considerer que les bibliotheques ne sont dressées ny estimées qu’en consideration du service et de l’urrière que l’on en peut recevoir, et que par consequent il faut negliger tous ces livres et manuscripts qui ne sont prisez que pour le respect de leur antiquité, figures, peintures, relieures, et autres foibles considerations, comme sont le froissard que certains marchands vouloient vendre il n’y a pas long-temps trois cens escus, le bocace des nobles malheureux qui en estoit estimé cent, le missel et la bible de Guinart, les heures que l’on dit bien souvent n’avoir point de prix à cause de leurs figures et vignettes, les Tite-Live et autres historiens manuscripts et en luminez, les livres de la Chine et du Japon, ceux qui sont tirez en parchemin, papier de couleur, de coton extremement fin, et avec de grandes marges, et plusieurs autres de pareille estoffe, pour employer ces grandes sommes qu’ils cousteroient à des volumes qui soient plus utiles dans une bibliotheque que non pas tous ces precedens ou ceux qui leur ressemblent, qui ne feront jamais tant estimer ceux qui se passionnent à les recouvrer, comme l’ont esté Ptolomée Philadelphe pour avoir donné quinze talents des oeuvres d’Euripide, Tarquin qui acheta les trois livres de la sibylle autant qu’il eust fait tous les neuf ensemble, Aristote qui donna soixante et douze mille sesterces des oeuvres de Speusippe, Platon qui employa mille deniers pour celles de Philolaus, Bessarion qui acheta pour trente mille escus de livres grecs, Hurtado De Mendoze qui en fit venir de Levant la charge d’un grand navire, Pic De La Mirande qui despensa sept mille escus en manuscripts hebreux, chaldaïques et autres, et bref ce roy de France qui mit en dépost sa vaisselle d’or et d’argent pour avoir la copie d’un livre qui estoit dans la bibliotheque des medecins de cette ville, comme il est amplement tesmoigné par les vieilles pancartes et registres de leur faculté.
avec peine et diligence
 
venoit à se perdre et deperir faute
J’adjouste qu’il seroit aussi besoin de sçavoir des parens et heritiers de beaucoup de galands hommes s’ils n’ont point laissé quelques manuscripts desquels ils se veulent dessaire, parce qu’il arrive souvent que la pluspart d’iceux ne font pas imprimer la moitié de leurs oeuvres, soit qu’ils soient prevenus par la mort, ou empeschez de ce faire par la despence, l’apprehension des diverses censures et jugemens, la crainte de n’avoir pas bien rencontré ; la liberté de leurs discours, le peu d’envie de paroistre, et autres raisons semblables qui nous ont privé d’avoir beaucoup de livres de Postel, Bodin, Massisse, Passerat, Maldenat, etc. Les manuscripts desquels se rencontrent assez souvent dans les estudes des particuliers, ou en la boutique des libraires. De mesme, aussi faudroit-il avoir le soin de sçavoir d’années en autres quels traictez les plus doctes regens des université z prochaines doivent lire tant en leurs classes publiques que particulieres, pour estre soigneux d’en faire escrire des copies, et avoir par ce moyen facile un grand nombre de pieces aussi bonnes et autant estimées que beaucoup de manuscripts que l’on achete bien cher pour estre vieux et antiques, tesmoin le traicté des druides de M Massisse, l’histoire et le traicté des magistrats françois de M Grangier, la geographie de M Belurgey, les divers escrits de Messieurs Dautruy, Isambert, Seguin, du Val, D’Assis, et en un mot des plus renommez professeurs de toute la France.
d’en avoir le soin : suivant quoy
 
Ovide et les plus sages ont eu raison
Finalement celuy qui auroit autant d’affection envers les livres qu’avoit le Sieur Vincent Pinelli, pourroit aussi bien que luy faire visiter les boutiques de ceux qui achetent souvent des vieux papiers ou parchemins, pour voir s’il ne leur tombe rien par mesgarde ou autrement entre les mains qui soit digne d’estre recueilli pour une bibliotheque. Et à la verité nous devrions bien estre excitez à cette recherche par l’exemple de Pogius qui trouva le quintilian sur le comptoir d’un charcutier pendant qu’il estoit au concile de Constance, comme aussi par celuy de Papire Masson qui rencontra l’agobardus chez un relieur qui en vouloit endosser ses livres, et de l’asconjus qui nous a esté donné par semblable rencontre. Mais d’autant neantmoins que ce moyen est aussi extraordinaire que l’affection de ceux qui s’en servent, j’ayme mieux le laisser à la discrétion de ceux qui en voudront user, que non pas de le prescrire comme une regle générale et nécessaire.
de dire que ce n’estoit pas une
moindre vertu de bien conserver
que d’acquerir, (…).
Le second est de ne rien negliger
de tout ce qui peut entrer en
ligne de compte et avoir quelque
usage, soit à l’esgard de vous ou
des autres : comme sont les libelles,
placarts, theses, fragments,
espreuves, et autres choses
semblables, que l’on doit estre
soigneux de joindre et assembler
suivant les diverses sortes et matieres
qu’ils traictent, parce que
c’est le moyen de les mettre en
consideration, et faire en sorte, (…) :
autrement il arrive d’ordinaire
que pour avoir mesprisé ces petits
livres qui ne semblent que bagatelles
et pieces de nulle consequence,
on vient à perdre une infinité
de beaux recueils qui sont
quelquefois des plus curieuses
pieces d’une bibliotheque.
Le troisiesme se peut tirer des
moyens qui furent pratiquez par
Richard De Bury evesque de
Dunelme et grand chancelier et
thresorier d’Angleterre, qui
consistent à publier et faire cognoistre
à un chacun l’affection que
l’on porte aux livres, et le grand
desir que l’on a de dresser une
bibliotheque : car cette chose estant
commune et divulguée, il est
indubitable que si celuy qui a ce
dessein est en assez grand credit et
auctorité pour faire plaisir à ses
amis ; il n’y aura aucun d’iceux qui
ne tienne à faveur de luy faire present
des plus curieux livres qui
tomberont entre ses mains, qui
ne luy donne tres-volontiers entrée
dans sa bibliotheque, ou en
celles de ses amis, bref qui n’ayde
et ne contribuë à son dessein tout
ce qui luy sera possible : comme
il est fort bien remarqué par ledit
Richard De Bury en ces propres
termes, que je transcris ; d’autant
plus volontiers que son livre est
fort rare, et du nombre de ceux
qui se perdent par nostre negligence,
(…).
à quoy il adjouste
encore les divers voyages qu’il fit
en qualité d’ambassadeur, et le
grand nombre de personnes
doctes et curieuses, du labeur et de
l’industrie desquelles il se servoit
en cette recherche. Et ce qui m’induit
encore davantage à croire
que ces pratiques auroient quelque
efficace, c’est que je cognois
un homme lequel estant curieux
de medailles, peintures, statuës,
camayeux, et autres pieces et
jolivetez de cabinet, en amassa par
cette seule industrie pour plus de
douze mille livres, sans en avoir
jamais desboursé quatre. Et à la
verité je tiens pour maxime que
toute personne courtoise et de
bon naturel doit tousjours seconder
les intentions loüables de ses
amis, pourveu qu’elles ne prejudicient
point aux siennes. De sorte
que celuy qui a des livres,
medailles ou peintures qui luy sont
plustost venuës par hazard que
non pas qu’il en affectionne la
joüyssance, ne fera point de difficulté
d’en accommoder celuy de
ses amis qu’il cognoistra les desirer
et en estre curieux. Je rapporterois
volontiers à ce troisiesme
precepte la ruse que pourroient
pratiquer et exercer les magistrats
et personnes auctorisées
par le moyen de leurs charges :
mais je ne veux point l’expliquer
plus ouvertement que par le simple
narré du stratageme duquel se
servirent les venitiens pour avoir
les meilleurs manuscripts de
Pinellus incontinent apres qu’il fut
decedé ; car sur l’advis qu’ils eurent
que l’on estoit apres pour transporter
sa bibliotheque de Padouë
à Naples, ils envoyerent soudain
un de leurs magistrats qui saisit
cent balles de livres, entre lesquelles
il y en avoit quatorze qui
contenoient les manuscripts, et
deux d’icelles plus de trois cens
commentaires sur toutes les affaires
d’Italie, alleguant pour leurs
raisons qu’encore bien qu’on eust
permis au defunct seigneur Pinelli,
eu esgard à sa condition, son
dessein, sa vie loüable et sans
reproche, et principalement à l’amitié
qu’il avoit tousjours tesmoignée
à la republique, de faire copier
les archives et registres de
leurs affaires ; il n’estoit pas
neantmoins à propos ny expedient
pour eux que telles pieces vinssent
à estre divulguées, descouvertes et
communiquées apres sa mort. Sur
quoy les heritiers et executeurs
testamentaires qui estoient puissants
et auctorisez, ayans fait
instance, on retint seulement deux
cens de ces commentaires, qui
furent mis dans une chambre particuliere,
avec cette inscription, (…).
Le quatriesme est de retrancher
la despense superfluë que beaucoup
prodiguent mal à propos à
la relieure et à l’ornement de leurs
volumes, pour l’employer à
l’achapt de ceux qui manquent,
afin de n’estre point sujets à
la censure de Seneque, qui se
moque plaisamment de ceux-là,
(…) ;
et ce d’autant
plus volontiers que la relieure
n’est rien qu’un accident et
maniere de paroistre sans laquelle, au
moins si belle et somptueuse, les
livres ne laissent pas d’estre utiles,
commodes et recherchez, n’estant
jamais arrivé qu’à des ignorans
de faire cas d’un livre à cause de sa
couverture, parce qu’il n’est pas
des volumes comme des hommes,
qui ne sont cognus et
respectez que par leur robe et
vestement : de maniere qu’il est bien
plus utile et necessaire d’avoir, par
exemple, grande quantité de livres
fort bien reliez à l’ordinaire, que
d’en avoir seulement plein quelque
petite chambre ou cabinet de
lavez, dorez, reglez, et enrichis
avec toute sorte de mignardise,
de luxe et de superfluité.
Le cinquiesme concerne l’achapt
que l’on doit faire d’iceux,
et se peut diviser en quatre ou
cinq articles, suivant les divers
moyens que l’on peut tenir pour
le pratiquer. Or entre iceux je
mettrois volontiers pour le premier
le plus prompt, facile et
avantageux de tous les autres,
celuy qui se fait par l’acquisition de
quelque autre bibliotheque
entiere et non dissipée. Je l’appelle
prompt, parce qu’en moins d’un
jour vous pouvez avoir un grand
nombre de livres doctes et curieux,
qui ne se pourroient pas
quelque fois ramasser pendant la
vie d’un homme. Je le dis facile,
parce que l’on espargne toute la
peine et le temps qu’il faudroit
consommer à les achepter separément.
Je le nomme en fin avantageux,
parce que si les bibliotheques
qu’on achepte sont bonnes
et curieuses, elles servent à
augmenter le credit et la reputation
de celles qui en sont enrichies.
D’où nous voyons que Possevin
fait beaucoup d’estat de celle
du cardinal de Joyeuse, parce
qu’elle estoit composée de trois
autres, l’une desquelles avoit esté
à Mr Pithou, et que toutes les plus
renommées bibliotheques ont
pris leur accroissement de cette
sorte, comme par exemple, celle
de S Marc à Venise par le don
qu’y fit le cardinal Bessarion de
la sienne ; celle de Lescurial par la
grande qu’avoit amassée Hurtado
De Mendoze ; l’ambroisienne
de Milan par nonante balles qui
y ont esté mises pour une seule
fois du naufrage et de la ruine de
celle de Pinelli ; celle de Leyde
par plus de deux cens manuscripts
és langues orientales que Scaliger
y laissa par son testament ; et
finalement celle d’Ascagne Colomne
par la tres-belle qu’a laissée
le cardinal Sirlette. D’où je
conjecture, m. Que la vostre ne peut
manquer d’estre un jour tres-fameuse
et renommée entre les plus
grandes, à l’occasion de celle de
m. Vostre pere, laquelle est des-ja
si celebre et cognuë par le recit
qu’en ont fait à la posterité la
Croix, Fauchet, Marsille, Turnebe,
Passerat, Lambin, et presque
tous les galands hommes de cette
volée, qui n’ont point esté mescognoissans
du plaisir et de l’instruction
qu’ils en ont receu.
Apres quoy il me semble que
le moyen qui approche le plus de
ce premier, est de foüiller et revisiter
souvent toutes les boutiques
des libraires frippiers et les vieux
fonds et magazins, tant de livres
reliez que de ceux qui ont tousjours
esté reservez en blanc depuis
une si longue suitte d’années, que
beaucoup de personnes peu
entenduës et versées en cette recherche
ne jugent pas qu’ils puissent
avoir d’autre usage sinon que
d’empescher, (…).
Combien qu’il s’y rencontre
ordinairement de tres-bons livres,
et que leur emploitte estant bien
mesnagée, il y ait moyen d’en
avoir plus pour dix escus que l’on
n’en pourroit acheter pour quarante
ou cinquante si on les prenoit
en divers endroits et pieces
apres autres ; pourveu neantmoins
que l’on se vueille garnir de soin
et de patience, et considerer que
l’on ne peut pas dire d’une bibliotheque
ce que certains poëtes flatteurs
ont dit de nostre ville, (…) :
estant impossible de pouvoir venir
à bout si promptement d’une
chose où Salomon dit qu’il n’y
aura jamais de fin, (…) ;
et à l’accomplissement
de laquelle, combien que M De
Thou ait travaillé vingt ans,
Pinelli cinquante, et beaucoup
d’autres tout le temps de leur vie ;
il ne faut pas croire toutesfois
qu’ils soient venus à la derniere
perfection, que l’on peut bien
souhaitter sans la pouvoir atteindre
en fait de bibliotheque.
Mais parce qu’il est encore
necessaire pour l’accroissement et
augmentation d’une telle piece,
de la fournir soigneusement de
tous les livres nouveaux de quelque
merite et consideration qui
s’impriment en toutes les parties
de l’Europe, et que Pinellus et les
autres ont entretenu pour ce faire
des correspondances avec une
infinité d’amis estrangers et marchands
forains ; il seroit bien à
propos de pratiquer le mesme, ou
au moins de choisir et faire election
de deux ou trois marchands
riches, sçachans et pratiquez en
leur vacation, qui par leurs diverses
intelligences et voyages pourroient
fournir toutes sortes de
nouveautez, et faire diligente
recherche et perquisition de ceux
qu’on leur demanderoit par catalogues.
Ce qu’il n’est pas necessaire
de pratiquer pour les vieux
livres, d’autant que le plus seur
moyen d’en recouvrer beaucoup
et à bon compte c’est de les
rechercher indifferemment chez
tous les libraires, où la longueur
du temps et les diverses occasions
ont coustume de les disperser et
respandre.
Je ne veux toutesfois inferer
par tout le bon mesnage proposé
cy-dessus, qu’il ne soit quelquefois
necessaire de franchir les bornes
de cette oeconomie pour acheter
à prix extraordinaire certains livres
qui sont si rares, qu’à peine
les peut-on tirer d’entre les mains
de ceux qui les cognoissent que
par cette seule invention. Mais le
temperament qu’il convient apporter
à cette difficulté est de considerer
que les bibliotheques ne
sont dressées ny estimées qu’en
consideration du service et de
l’utilité que l’on en peut recevoir,
et que par consequent il faut negliger
tous ces livres et manuscripts
qui ne sont prisez que pour
le respect de leur antiquité, figures,
peintures, relieures, et autres
foibles considerations, comme
sont le Froissard que certains marchands
vouloient vendre il n’y a
pas long-temps trois cens escus,
le bocace des nobles malheureux
qui en estoit estimé cent, le missel
et la bible de Guinart, les heures
que l’on dit bien souvent n’avoir
point de prix à cause de leurs figures
et vignettes, les Tite-Live et
autres historiens manuscripts et
en luminez, les livres de la Chine
et du Japon, ceux qui sont tirez
en parchemin, papier de couleur,
de coton extremement fin, et avec
de grandes marges, et plusieurs
autres de pareille estoffe, pour
employer ces grandes sommes qu’ils
cousteroient à des volumes qui
soient plus utiles dans une bibliotheque
que non pas tous ces precedens
ou ceux qui leur ressemblent,
qui ne feront jamais tant
estimer ceux qui se passionnent à
les recouvrer, comme l’ont esté
Ptolomée Philadelphe pour
avoir donné quinze talents des
œuvres d’Euripide, Tarquin qui
acheta les trois livres de la sibylle
autant qu’il eust fait tous les neuf
ensemble, Aristote qui donna soixante
et douze mille sesterces des
œuvres de Speusippe, Platon qui
employa mille deniers pour celles
de Philolaus, Bessarion qui acheta
pour trente mille escus de livres
grecs, Hurtado De Mendoze qui
en fit venir de Levant la charge
d’un grand navire, Pic De La
Mirande qui despensa sept mille
escus en manuscripts hebreux,
chaldaïques et autres, et bref ce
roy de France qui mit en depost
sa vaisselle d’or et d’argent pour
avoir la copie d’un livre qui estoit
dans la bibliotheque des medecins
de cette ville, comme il est
amplement tesmoigné par les
vieilles pancartes et registres de
leur faculté.
J’adjouste qu’il seroit aussi besoin
de sçavoir des parens et heritiers
de beaucoup de galands hommes
s’ils n’ont point laissé quelques
manuscripts desquels ils se
veulent deffaire, parce qu’il arrive
souvent que la pluspart d’iceux
ne font pas imprimer la moitié de
leurs œuvres, soit qu’ils soient
prevenus par la mort, ou empeschez
de ce faire par la despence, l’apprehension
des diverses censures et
jugemens, la crainte de n’avoir
pas bien rencontré ; la liberté de
leurs discours, le peu d’envie de
paroistre, et autres raisons
semblables qui nous ont privé d’avoir
beaucoup de livres de Postel,
Bodin, Marsille, Passerat, Maldenat,
etc. Les manuscripts desquels
se rencontrent assez souvent dans
les estudes des particuliers, ou en
la boutique des libraires. De
mesme, aussi faudroit-il avoir le
soin de sçavoir d’années en autres
quels traictez les plus doctes regens
des universitez prochaines
doivent lire tant en leurs classes
publiques que particulieres, pour
estre soigneux d’en faire escrire
des copies, et avoir par ce moyen
facile un grand nombre de pieces
aussi bonnes et autant estimées
que beaucoup de manuscripts
que l’on achete bien cher pour
estre vieux et antiques, tesmoin le
traicté des druides de M Marsille,
l’histoire et le traicté des
magistrats françois de M Grangier,
la geographie de M Belurgey,
les divers escrits de Messieurs
Dautruy, Isambert, Seguin, du
Val, D’Artis, et en un mot des plus
renommez professeurs de toute
la France.
Finalement celuy qui auroit
autant d’affection envers les livres
qu’avoit le Sieur Vincent Pinelli,
pourroit aussi bien que luy
faire visiter les boutiques de ceux
qui achetent souvent des vieux
papiers ou parchemins, pour voir
s’il ne leur tombe rien par mesgarde
ou autrement entre les
mains qui soit digne d’estre
recueilli pour une bibliotheque. Et
à la verité nous devrions bien
estre excitez à cette recherche par
l’exemple de Pogius qui trouva le
quintilian sur le comptoir d’un
charcutier pendant qu’il estoit
au concile de Constance, comme
aussi par celuy de Papire Masson
qui rencontra l’agobardus chez
un relieur qui en vouloit endosser
ses livres, et de l’asconius qui
nous a esté donné par semblable
rencontre. Mais d’autant neantmoins
que ce moyen est aussi
extraordinaire que l’affection de
ceux qui s’en servent, j’ayme
mieux le laisser à la discretion de
ceux qui en voudront user, que
non pas de le prescrire comme
une regle generale et necessaire.
 
==CHAPITRE 6==
Ligne 2 323 ⟶ 160 :
'' la disposition du lieu où on les doit garder. ''
 
cette consideration du lieu qu’il faut choisir pour dresser et establir une bibliotheque, devroit bien estre d’aussi long discours comme les precedentes, si les preceptes que l’on en peut donner pouvoient estre aussi facilement exécutez comme ceux que nous avons deduits et expliquez cy-dessus. Mais d’autant qu’il n’appartient qu’à ceux-là qui veulent bastir des lieux exprés pour cet effet d’y observer precisément toutes les regles et circonstances qui dépendent de l’architecture, beaucoup de particuliers estans contraints de se regler sur la diverse façon de leurs logemens pour placer leurs bibliotheques au moins mal qu’il leur est possible, il sembleroit quasi superflu d’en prescrire aucuns : et à dire vray je croy que c’est la seule occasion qui a meu tous les architectes à ne rien adjouster à ce qu’en avoit dit Vitrure. Toutessois pour ne donner cet advis manque et imparfait, j’en diray briefvement mon opinion, afin qu’un chacun s’en puisse servir suivant qu’il en aura le pouvoir, ou qu’il la jugera veritable et conforme à sa volonté.
cette consideration du lieu
 
qu’il faut choisir pour dresser
Pour ce qui est donc de la siennison et de la place où l’on doit bastir ou choisir un lieu propre pour une bibliotheque, il semble que ce commun dire, (…), nous doive obliger à le prendre dans une partie de la maison plus reculée du bruit et du tracas, non seulement de ceux de dehors, mais aussi de la famille et des domestiques, en l’éloignant des ruës, de la cuisine, sale du commun, et lieux semblables, pour la mettre s’il est possible entre quelque grande court et un beau jardin où elle ait son jour libre, ses veuës bien estenduës et agreables, son air pur, sans infection de marets, cloaques, fumiets, et toute la disposition de son bastiment si bien conduitte et ordonnée, qu’elle ne participe aucune disgrace ou incommodité manifeste.
et establir une bibliotheque,
 
devroit bien estre d’aussi long
Or pour en venir à bout avec plus de plaisir et moins de peine, il sera tousjours à propos de la placer dans des estages du milieu, afin que la fraischeur de la terre n’engendre point le remugle, qui est une certaine pourriture qui s’attache insensiblement aux livres ; et que les greniers et chambres d’enhaut servent pour l’empescher d’estre aussi susceptible des intemperies de l’air, comme sont celles qui pour avoir leurs couvertures basses ressentent facilement l’incommodité des pluyes, neiges et grandes chaleurs. Ce que s’il n’est pas autrement facile d’observer, au moins faut-il prendre garde qu’elles soient élevées de la hauteur de quatre ou cinq degrez, comme j’ay remarqué que l’estoit l’ambroisienne à Milan, et le plus haut exaucées que l’on pourra, tant à raison de la beauté que pour obvier aux incommodités susdites : sinon le lieu se trouvant humide et mal-situé, il faudra avoir recours ou à la natte, ou aux tapisseries pour garnir les murailles, et au poisse ou bien à la cheminée, dans laquelle on ne bruslera que du bois qui fume peu pour l’eschauffer et desseicher pendant l’hyver et les jours des autres saisons qui seront plus humides.
discours comme les precedentes, si
 
les preceptes que l’on en peut
Mais il semble que toutes ces difficultez et circonstances ne soient rien au prix de celles qu’il faut observer pour donner jour et percer bien à propos une bibliotheque, tant à cause de l’importance qu’il y a qu’elle soit bien esclairée jusques à ses coins plus éloignez, qu’aussi pour la diverse nature des vents qui doivent y souffler d’ordinaire, et qui produisent des effects aussi diffèrents que le sont leurs qualitez et les lieux par où ils passent. Sur quoy je dis que deux choses sont à observer ; la première, que les croisées et fenestres de la bibliotheque (quand elle sera percée des deux costez) ne se regardent diametralement, sinon celles qui donneront jour à quelque table ; d’autant que par ce moyen les jours ne s’esvanoüyssant au dehors, le lieu en demeure beaucoup mieux esclairé. La seconde, que les principales ouvertures soient tousjours vers l’orient, tant à cause du jour que la bibliotheque en pourra recevoir de bon malin, qu’à l’occasion des vents qui soufflent de ce costé, lesquels estans chauds et secs de leur nature rendent l’air grandement tempesé, fortifient les sens, subtilisent les humeurs, esputent les esprits, conservent nostre bonne disposition ; corrigent la mauvaise, et pour dire en un mot sont tres-sains et salubres : où au contraire ceux qui soufflent du costé de l’occident sont plus fascheux et nuisibles, et les meridionaux plus dangereux que tous les autres, parce qu’estans chauds et humides ils disposent toutes choses à pourriture, grossissent l’air, nourrissent les vers, engendrent la vermine, fomentent et entretiennent les maladies, et nous disposent à en recevoir de nouvelle ; aussi sont-ils appellez par Hippocrate, (…), parce qu’ils remplissent la teste de certaines vapeurs et humiditez qui espaississent les esprits, relaschent les nerfs, bouschent les conduits, offusquent les sens, et nous rendent paresseux et presque inhabiles à toutes sortes d’actions. C’est pourquoy au defaut des premiers il faudra avoir recours à ceux qui soufflent du septentrion, et qui par le moyen de leurs qualitez froide et seiche n’engendrent aucune humidité, et conservent assez bien les livres et papiers.
donner pouvoient estre aussi facilement
executez comme ceux que
nous avons deduits et expliquez
cy-dessus. Mais d’autant qu’il
n’appartient qu’à ceux-là qui
veulent bastir des lieux exprés pour
cet effet d’y observer precisément
toutes les regles et circonstances
qui dependent de l’architecture,
beaucoup de particuliers estans
contraints de se regler sur la diverse
façon de leurs logemens pour
placer leurs bibliotheques au
moins mal qu’il leur est possible,
il sembleroit quasi superflu d’en
prescrire aucuns : et à dire vray je
croy que c’est la seule occasion qui
a meu tous les architectes à ne
rien adjouster à ce qu’en avoit dit
Vitruve. Toutesfois pour ne donner
cet advis manque et imparfait,
j’en diray briefvement mon
opinion, afin qu’un chacun s’en
puisse servir suivant qu’il en aura
le pouvoir, ou qu’il la jugera
veritable et conforme à sa volonté.
Pour ce qui est donc de la
situation et de la place où l’on
doit bastir ou choisir un lieu propre
pour une bibliotheque, il semble
que ce commun dire, (…),
nous doive obliger à le prendre
dans une partie de la maison plus
reculée du bruit et du tracas, non
seulement de ceux de dehors, mais
aussi de la famille et des domestiques,
en l’éloignant des ruës, de
la cuisine, sale du commun, et lieux
semblables, pour la mettre s’il est
possible entre quelque grande
court et un beau jardin où elle ait
son jour libre, ses veuës bien estenduës
et agreables, son air pur, sans
infection de marets, cloaques,
fumiets, et toute la disposition de
son bastiment si bien conduitte
et ordonnée, qu’elle ne participe
aucune disgrace ou incommodité
manifeste.
Or pour en venir à bout avec
plus de plaisir et moins de peine,
il sera tousjours à propos de la
placer dans des estages du milieu, afin
que la fraischeur de la terre n’engendre
point le remugle, qui est
une certaine pourriture qui s’attache
insensiblement aux livres ;
et que les greniers et chambres
d’enhaut servent pour l’empescher
d’estre aussi susceptible des
intemperies de l’air, comme sont
celles qui pour avoir leurs couvertures
basses ressentent facilement
l’incommodité des pluyes, neiges
et grandes chaleurs. Ce que
s’il n’est pas autrement facile d’observer,
au moins faut-il prendre
garde qu’elles soient élevées de
la hauteur de quatre ou cinq degrez,
comme j’ay remarqué que
l’estoit l’ambroisienne à Milan,
et le plus haut exaucées que l’on
pourra, tant à raison de la beauté
que pour obvier aux incommodités
susdites : sinon le lieu se trouvant
humide et mal-situé, il faudra
avoir recours ou à la natte, ou aux
tapisseries pour garnir les murailles,
et au poisle ou bien à la cheminée, dans
laquelle on ne bruslera
que du bois qui fume peu pour
l’eschauffer et desseicher pendant
l’hyver et les jours des autres
saisons qui seront plus humides.
Mais il semble que toutes ces
difficultez et circonstances ne
soient rien au prix de celles qu’il
faut observer pour donner jour
et percer bien à propos une
bibliotheque, tant à cause de
l’importance qu’il y a qu’elle soit bien
esclairée jusques à ses coins plus
éloignez, qu’aussi pour la diverse
nature des vents qui doivent y
souffler d’ordinaire, et qui produisent
des effects aussi differents
que le sont leurs qualitez et les
lieux par où ils passent. Sur quoy
je dis que deux choses sont à
observer ; la premiere, que les croisées
et fenestres de la bibliotheque
(quand elle sera percée des deux
costez) ne se regardent diametralement,
sinon celles qui donneront
jour à quelque table ; d’autant
que par ce moyen les jours
ne s’esvanoüyssant au dehors, le
lieu en demeure beaucoup mieux
esclairé. La seconde, que les principales
ouvertures soient tousjours
vers l’orient, tant à cause
du jour que la bibliotheque en
pourra recevoir de bon matin,
qu’à l’occasion des vents qui soufflent
de ce costé, lesquels estans
chauds et secs de leur nature rendent
l’air grandement temperé,
fortifient les sens, subtilisent les
humeurs, espurent les esprits,
conservent nostre bonne disposition ;
corrigent la mauvaise, et pour
dire en un mot sont tres-sains et
salubres : où au contraire ceux qui
soufflent du costé de l’occident
sont plus fascheux et nuisibles, et
les meridionaux plus dangereux
que tous les autres, parce qu’estans
chauds et humides ils disposent
toutes choses à pourriture, grossissent
l’air, nourrissent les vers,
engendrent la vermine, fomentent
et entretiennent les maladies,
et nous disposent à en recevoir
de nouvelle ; aussi sont-ils
appellez par Hippocrate, (…),
parce qu’ils remplissent la teste de
certaines vapeurs et humiditez qui
espaississent les esprits, relaschent
les nerfs, bouschent les conduits,
offusquent les sens, et nous rendent
paresseux et presque inhabiles
à toutes sortes d’actions. C’est
pourquoy au defaut des premiers
il faudra avoir recours à ceux qui
soufflent du septentrion, et qui
par le moyen de leurs qualitez
froide et seiche n’engendrent aucune
humidité, et conservent assez
bien les livres et papiers.
 
==CHAPITRE 7==
Ligne 2 483 ⟶ 172 :
'' l’ordre qu’il convient leur donner. ''
 
le septiesme poinct qui semble absolument devoir estre traicté apres les precedens, est celuy de l’ordre et de la disposition que doivent garder les livres dans une bibliotheque : car il n’y a point de doute que sans scelle toute nostre recherche seroit vaine et nostre labeur sans fruitt, puis que les livres ne sont mis et réservez en cet endroit que pour en tirer service aux occasions qui se présentent. Ce que toutessois il est impossible de faire s’ils ne sont rangez et disposez suivant leurs diverses matieres, ou en telle autre façon qu’on les puisse trouver facilement et à point nommé. Je dis davantage, que sans cét ordre et disposition tel amas de livres que ce peut-estre, fust-il de cinquante mille volumes, ne meriteroit pas le nom de bibliotheque, non plus qu’une assemblée de trente mille hommes le nom d’armée, s’ils n’estoient rangez en divers quarrière sous la conduitte de leurs chefs et capitaines, ou une grande quantité de pierres et materiaux celuy de palais ou maison, s’ils n’estoient mis et posez suivant qu’il est requis pour en faire un bastiment parfait et accomply. Et tout ainsi que nous voyons la nature, (…), gouverner, entretenir et conserver par cette unique ''Voyez'' une si grande diversité de choses, sans l’usage desquelles nous ne pourrions pas sustenter et maintenir nostre corps ; aussi faut-il croire que pour entretenir nostre esprit il est besoin que ses objets et les choses desquelles il se sert soient disposées de telle sorte, qu’il puisse toutessois et quand il luy plaira les discerner les uns d’avec les autres, et les trier et séparer à sa fantaisie, sans labeur, sans peine et sans confusion. Ce que neantmoins il ne feroit jamais en fait de livres si on les vouloit ranger suivant le dessein de cent bufets que propose La Croix du Maine sur la fin de sa bibliotheque françoise, ou les caprices que Jules Camille expose en l’idée de son theatre, et beaucoup moins encore si on vouloit suivre la triple division que Jean Mabun tire de ces mots du psalmiste, (…), pour distribuer tous les livres en trois classes et chefs principaux, de la morale, des sciences, et de la devotion. Car tout ainsi que pour trop presser l’anguille elle eschappe, que la memoire artificielle gaste et pervertit la naturelle, et que l’on manque souvent de venir à bout de beaucoup d’affaires pour y avoir trop apporté de circonstances et precautions ; aussi est-il certain qu’il seroit grandement difficile à un esprit de se pouvoir regler et accoustumer à cet ordre, lequel semble n’avoir autre but que de gesner et crucifier eternellement la memoire sous les espines de ces vaines poinctilleries et subttissez chymeriques, tant s’en faut qu’il la puisse soulager en aucune façon, et verifier ce dire de Ciceron, (…). C’est pourquoy ne faisant autre estime d’un ordre qui ne peut estre suivi que d’un autheur qui ne veut estre entendu, je croy que le meilleur est tousjours celuy qui est le plus facile, le moins iassigné, le plus naturel, usité, et qui suit les facultez de théologie, medecine, jurisprudence, histoire, philosophie, mathematiques, humanitez, et autres, lesquelles il faut subdiviser chacune en particulier, suivant leurs diverses parties, qui doivent pour cet effet mediocrement connuës par celuy qui a la charge de la bibliotheque ; comme en théologie, par exemple, il faut mettre toutes les bibles les premières suivant l’ordre des langues, par apres les conciles, synodes, decrets, canons, et tout ce qui est des constitutions de l’eglise, d’autant qu’elles tiennent le second lieu d’auctorité parmy nous : en suitte les pères grecs et latins, et apres eux les commentateurs, scholastiques, docteurs messez, historiens ; et finalement les heretiques.
le septiesme poinct qui semble
 
absolument devoir estre
En philosophie, commencer par celle de Trismegiste qui est la plus ancienne, poursuivre par celle de Platon, d’Aristote, de Raymond Lulle, Ramus, et achever par les novateurs Telesius, Patrice, Campanella, Verulam, Gilbert, Jordan Brun, Gassand, Basson, Gomesius, Charpentier, Gorlée, qui sont les principaux d’entre une milliace d’autres ; et faire ainsi de toutes les facultez : avec ces cautions qu’il faut observer soigneusement, la première que les plus universels et anciens marchent tousjours en teste, la seconde que les interpretes et commentateurs soient mis à part et rangez suivant l’ordre des livres qu’ils expliquent, la troisiesme que les traictez particuliers suivent le rang et la disposition que doivent tenir leur matiere et sujets dans les arts et sciences, et la quatriesme et derniere que tous les livres de pareil sujet et mesme matiere soient precisément reduits et placez au lieu qui leur est destiné, parce qu’en ce faisant la memoire est tellement soulagée, qu’il seroit facile en un moment de trouver dans une bibliotheque plus grande que n’estoit celle de Ptolomée, tel livre que l’on en pourroit choisir ou désirer.
traicté apres les precedens, est
 
celuy de l’ordre et de la disposition
Ce que pour faire encore avec moins de peine et plus de contentement, il faut bien prendre garde que les livres qui sont trop menus pour estre reliez seuls ne soient mis et conjoints qu’avec ceux qui ont traicté de tout pareil et mesme sujet, estant plus à propos en tout cas de les faire relier seuls que d’apporter une confusion extreme en une bibliotheque, les joignant avec d’autres d’un sujet si extravagant et si éloigné, que l’on ne s’adviseroit jamais de les chercher en telles compagnies. Je sçay bien que l’on me pourra représenter deux incommoditez assez notables qui accompagnent cet ordre, sçavoir la difficulté de pouvoir bien reduire et placer certains livres messez à quelque classe et faculté principale, et le travail continuel qu’il y a de tousjours remuer une bibliotheque quand il faut placer une trentaine de volumes en divers endroits d’icelle.
que doivent garder les livres dans
 
une bibliotheque : car il n’y a
Mais je responds pour le premier, qu’il n’y a gueres de livres qui ne se puissent reduire à quelque ordre, principalement quand on en a beaucoup, que lors qu’ils sont une fois placez il n’est besoin que d’un peu de memoire pour se souvenir où on les aura mis ; et qu’au pis aller il ne gist qu’à destiner un certain endroit pour les reduire tous ensemble.
point de doute que sans icelle
 
toute nostre recherche seroit
Et quant à ce qui est du second, il est bien vray que l’on pourroit eviter un peu de peine en ne pressant point les livres, ou en laissant quelque peu de place à l’extrémité des tablettes ou des lieux où finit chaque faculté : mais neantmoins il seroit plus à propos ce me semble de choisir quelque lieu pour mettre tous les livres que l’on acheteroit pendant six mois, au bout desquels on les rangeroit avec les autres chacun en leurs places ; d’autant que par ce moyen ils s’en porteroient tous beaucoup mieux estans espoudrez et maniez deux fois l’an. Et en tout cas je croy que cet ordre qui est le plus usité sera tousjours pareillement estimé plus beau et plus facile que celuy de la bibliotheque ambroisienne, et de quelques autres, où tous les livres sont peslemeslez et indifferemment rangez suivant l’ordre des volumes et des chiffres, et distinguez seulement dans un catalogue où chaque piece se trouve sous le nom de son autheur : d’autant que pour eviter les incommoditez precedentes il en traisne apres soy une iliade d’autres, à beaucoup desquelles on pourroit toutessois remedier par un catalogue fidelement dressé suivant toutes les classes et facultez subdivisez jusques aux plus precises et particulieres de leurs parties.
vaine et nostre labeur sans fruict, puis
 
que les livres ne sont mis et reservez
Maintenant il ne reste plus qu’à parler des manuscripts, qui ne peuvent estre mieux ny plus à propos placez qu’en quelque endroit de la bibliotheque, n’y ayant nulle apparence de les séparer et sequestrer d’icelle, puis qu’ils en font la meilleure partie et la plus curieuse et estimée : joint que plusieurs se persuadent facilement quand ils ne les voyent point parmy les autres livres, que toutes les chambres où l’on a coustume de dire qu’ils sont enfermez ne sont qu’imaginaires, et destinées seulement pour servir d’excuse à ceux qui n’en ont point. Aussi voyons-nous qu’il y a un costé tout entier de la bibliotheque ambroisienne rempli de neuf mille manuscripts qui ont esté assemblez par le soin et la diligence du Sieur Jean Antoine Olgiati, et que dans celle de m.
en cet endroit que pour en
 
tirer service aux occasions qui se
Le president De Thou il y a une chambre de pareil pied et d’aussi facile entrée que les autres destinée pour cet effet. C’est pourquoy en prescrivant l’ordre que l’on y peut observer, il faut prendre garde qu’il y a deux sortes de manuscripts, et que pour ce qui est de ceux qui sont de juste volume et grosseur ils peuvent estre rangez comme les autres livres, avec cette precaution neantmoins, que s’il y en a quelqu’un de grande consequence, ou prohibitez et defendus, ils soient mis aux tablettes plus hautes, et sans aucun titre extérieur, pour estre plus éloignez tant de la main que de la veuë, afin qu’on ne les puisse connoistre ny manier que suivant la volonté et à la discrétion de celuy qui en aura la charge. Ce qu’il faut aussi pratiquer pour l’autre sorte de manuscripts qui consistent en cahiers et petites pieces séparées, lesquelles il faut assembler par liaces et pacquets suivant les matieres, et les placer encore plus haut que les precedentes, d’autant qu’à cause de leur petitesse et du peu de temps qu’il faudroit à les transcrire elles seroient tous les jours sujettes à estre prises ou empruntées si on venoit à les mettre en un endroit où elles peussent estre veuës et maniées d’un chacun, comme il arrive souvent aux livres arrangez sur des pulpitres dans les vieilles bibliotheques. Ce qui doit suffire pour ce poinct, sur lequel il n’est pas besoin de s’estendre davantage, puis que l’ordre de la nature qui est tousjours egal et semblable à soy-mesme n’y pouvant estre observé, à cause de l’extravagance et de la diversité des livres, il ne reste que celuy de l’art, lequel un chacun d’ordinaire veut establir à sa fantaisie, suivant qu’il le trouve plus à propos par son bon sens et jugement tant pour satisfaire à soy-mesme, que pour ne vouloir pas suivre la trace et les opinions des autres.
presentent. Ce que toutesfois il est
impossible de faire s’ils ne sont
rangez et disposez suivant leurs
diverses matieres, ou en telle autre
façon qu’on les puisse trouver
facilement et à point nommé. Je dis
davantage, que sans cét ordre et
disposition tel amas de livres que
ce peut-estre, fust-il de cinquante
mille volumes, ne meriteroit
pas le nom de bibliotheque, non
plus qu’une assemblée de trente
mille hommes le nom d’armée,
s’ils n’estoient rangez en divers
quartiers sous la conduitte de
leurs chefs et capitaines, ou
une grande quantité de pierres
et materiaux celuy de palais ou
maison, s’ils n’estoient mis et
posez suivant qu’il est requis pour
en faire un bastiment parfait et
accomply. Et tout ainsi que
nous voyons la nature, (…),
gouverner, entretenir et
conserver par cette unique voye
une si grande diversité de choses,
sans l’usage desquelles nous ne
pourrions pas sustenter et maintenir
nostre corps ; aussi faut-il
croire que pour entretenir nostre
esprit il est besoin que ses objets
et les choses desquelles il se sert
soient disposées de telle sorte,
qu’il puisse toutesfois et quand il
luy plaira les discerner les uns
d’avec les autres, et les trier et separer
à sa fantaisie, sans labeur, sans
peine et sans confusion. Ce que
neantmoins il ne feroit jamais en
fait de livres si on les vouloit
ranger suivant le dessein de cent
bufets que propose La Croix du Maine
sur la fin de sa bibliotheque
françoise, ou les caprices que
Jules Camille expose en l’idée de
son theatre, et beaucoup moins
encore si on vouloit suivre la
triple division que Jean Mabun tire
de ces mots du psalmiste, (…),
pour distribuer tous les livres
en trois classes et chefs principaux,
de la morale, des sciences,
et de la devotion. Car tout ainsi
que pour trop presser l’anguille
elle eschappe, que la memoire
artificielle gaste et pervertit la
naturelle, et que l’on manque souvent
de venir à bout de beaucoup
d’affaires pour y avoir trop
apporté de circonstances et precautions ;
aussi est-il certain qu’il seroit
grandement difficile à un
esprit de se pouvoir regler et
accoustumer à cet ordre, lequel
semble n’avoir autre but que de
gesner et crucifier eternellement
la memoire sous les espines de
ces vaines poinctilleries et subtilitez
chymeriques, tant s’en faut
qu’il la puisse soulager en aucune
façon, et verifier ce dire de Ciceron,
(…). C’est pourquoy ne
faisant autre estime d’un
ordre qui ne peut estre suivi que
d’un autheur qui ne veut estre
entendu, je croy que le meilleur
est tousjours celuy qui est le plus
facile, le moins intrigué, le plus
naturel, usité, et qui suit les
facultez de theologie, medecine,
jurisprudence, histoire,
philosophie, mathematiques,
humanitez, et autres, lesquelles
il faut subdiviser chacune en
particulier, suivant leurs diverses
parties, qui doivent pour cet
effet mediocrement connuës par
celuy qui a la charge de la bibliotheque ;
comme en theologie,
par exemple, il faut mettre toutes
les bibles les premieres suivant
l’ordre des langues, par apres les
conciles, synodes, decrets,
canons, et tout ce qui est des
constitutions de l’eglise, d’autant
qu’elles tiennent le second lieu
d’auctorité parmy nous : en suitte
les peres grecs et latins, et apres
eux les commentateurs, scholastiques,
docteurs meslez, historiens ;
et finalement les heretiques.
En philosophie, commencer
par celle de Trismegiste qui
est la plus ancienne, poursuivre
par celle de Platon, d’Aristote,
de Raymond Lulle, Ramus, et
achever par les novateurs Telesius,
Patrice, Campanella, Verulam,
Gilbert, Jordan Brun, Gassand,
Basson, Gomesius, Charpentier,
Gorlée, qui sont les
principaux d’entre une milliace
d’autres ; et faire ainsi de toutes
les facultez : avec ces cautions
qu’il faut observer soigneusement,
la premiere que les plus
universels et anciens marchent
tousjours en teste, la seconde que
les interpretes et commentateurs
soient mis à part et rangez suivant
l’ordre des livres qu’ils
expliquent, la troisiesme que les
traictez particuliers suivent le
rang et la disposition que
doivent tenir leur matiere et sujets
dans les arts et sciences, et la
quatriesme et derniere que tous
les livres de pareil sujet et mesme
matiere soient precisément
reduits et placez au lieu qui leur est
destiné, parce qu’en ce faisant la
memoire est tellement soulagée,
qu’il seroit facile en un moment
de trouver dans une bibliotheque
plus grande que n’estoit celle
de Ptolomée, tel livre que l’on
en pourroit choisir ou desirer.
Ce que pour faire encore avec
moins de peine et plus de
contentement, il faut bien prendre
garde que les livres qui sont trop
menus pour estre reliez seuls ne
soient mis et conjoints qu’avec
ceux qui ont traicté de tout pareil
et mesme sujet, estant plus à propos
en tout cas de les faire relier
seuls que d’apporter une confusion
extreme en une bibliotheque,
les joignant avec d’autres
d’un sujet si extravagant et si
éloigné, que l’on ne s’adviseroit
jamais de les chercher en telles
compagnies. Je sçay bien que l’on
me pourra representer deux
incommoditez assez notables qui
accompagnent cet ordre, sçavoir
la difficulté de pouvoir bien
reduire et placer certains livres
meslez à quelque classe et faculté
principale, et le travail
continuel qu’il y a de tousjours
remuer une bibliotheque quand il
faut placer une trentaine de volumes
en divers endroits d’icelle.
Mais je responds pour le premier,
qu’il n’y a gueres de livres
qui ne se puissent reduire à
quelque ordre, principalement
quand on en a beaucoup, que lors
qu’ils sont une fois placez il n’est
besoin que d’un peu de memoire
pour se souvenir où on les aura
mis ; et qu’au pis aller il ne gist
qu’à destiner un certain endroit
pour les reduire tous ensemble.
Et quant à ce qui est du second,
il est bien vray que l’on pourroit
eviter un peu de peine en ne pressant
point les livres, ou en laissant
quelque peu de place à l’extremité
des tablettes ou des lieux
où finit chaque faculté : mais
neantmoins il seroit plus à
propos ce me semble de choisir quelque
lieu pour mettre tous les
livres que l’on acheteroit pendant
six mois, au bout desquels on les
rangeroit avec les autres chacun
en leurs places ; d’autant que par
ce moyen ils s’en porteroient tous
beaucoup mieux estans espoudrez
et maniez deux fois l’an. Et
en tout cas je croy que cet ordre
qui est le plus usité sera tousjours
pareillement estimé plus beau et
plus facile que celuy de la bibliotheque
ambroisienne, et de
quelques autres, où tous les livres
sont peslemeslez et indifferemment
rangez suivant l’ordre
des volumes et des chiffres, et
distinguez seulement dans un catalogue
où chaque piece se trouve
sous le nom de son autheur :
d’autant que pour eviter les
incommoditez precedentes il en
traisne apres soy une iliade d’autres,
à beaucoup desquelles on
pourroit toutesfois remedier par
un catalogue fidelement dressé
suivant toutes les classes et facultez
subdivisez jusques aux plus
precises et particulieres de leurs
parties.
Maintenant il ne reste plus
qu’à parler des manuscripts, qui
ne peuvent estre mieux ny plus à
propos placez qu’en quelque endroit
de la bibliotheque, n’y
ayant nulle apparence de les
separer et sequestrer d’icelle, puis
qu’ils en font la meilleure partie
et la plus curieuse et estimée :
joint que plusieurs se persuadent
facilement quand ils ne les voyent
point parmy les autres livres, que
toutes les chambres où l’on a
coustume de dire qu’ils sont enfermez
ne sont qu’imaginaires, et
destinées seulement pour servir
d’excuse à ceux qui n’en ont
point. Aussi voyons-nous qu’il y
a un costé tout entier de la bibliotheque
ambroisienne rempli de
neuf mille manuscripts qui ont
esté assemblez par le soin et la
diligence du Sieur Jean Antoine
Olgiati, et que dans celle de m.
Le president De Thou il y a une
chambre de pareil pied et d’aussi
facile entrée que les autres destinée
pour cet effet. C’est pourquoy
en prescrivant l’ordre que
l’on y peut observer, il faut prendre
garde qu’il y a deux sortes de
manuscripts, et que pour ce qui
est de ceux qui sont de juste volume
et grosseur ils peuvent
estre rangez comme les autres
livres, avec cette precaution
neantmoins, que s’il y en a
quelqu’un de grande consequence,
ou prohibitez et defendus,
ils soient mis aux tablettes plus
hautes, et sans aucun titre exterieur,
pour estre plus éloignez
tant de la main que de la veuë,
afin qu’on ne les puisse connoistre
ny manier que suivant la volonté
et à la discretion de celuy
qui en aura la charge. Ce qu’il
faut aussi pratiquer pour l’autre
sorte de manuscripts qui consistent
en cahiers et petites pieces
separées, lesquelles il faut assembler
par liaces et pacquets suivant
les matieres, et les placer encore
plus haut que les precedentes,
d’autant qu’à cause de leur petitesse
et du peu de temps qu’il faudroit
à les transcrire elles seroient
tous les jours sujettes à estre prises
ou empruntées si on venoit à
les mettre en un endroit où elles
peussent estre veuës et maniées
d’un chacun, comme il arrive souvent
aux livres arrangez sur des
pulpitres dans les vieilles bibliotheques.
Ce qui doit suffire pour
ce poinct, sur lequel il n’est pas
besoin de s’estendre davantage,
puis que l’ordre de la nature qui
est tousjours egal et semblable à
soy-mesme n’y pouvant estre observé,
à cause de l’extravagance et
de la diversité des livres, il ne
reste que celuy de l’art, lequel un
chacun d’ordinaire veut establir à
sa fantaisie, suivant qu’il le trouve
plus à propos par son bon sens
et jugement tant pour satisfaire à
soy-mesme, que pour ne vouloir
pas suivre la trace et les opinions
des autres.
 
==CHAPITRE 8==
 
'' l’ornement et la decorationdecotation que l’on y doit apporter. ''
 
je passerois volontiers de ce dernier poinct à celuy qui doit étoffe et fermer cet advis, si je n’estois adverti par ce dire tres-veritable de Typotius, (…), de dire quelque mot en passant de la monstre extérieure et de l’ornement que l’on doit apporter à une bibliotheque, puis que ce fard et cette decotation semblent nécessaires, veu que suivant le dire du mesme autheur, (…).
je passerois volontiers de ce
 
dernier poinct à celuy qui
Et dire vray, ce qui me fait plus facilement excuser la passion de ceux qui recherchent aujourd’huy cette pompe avec beaucoup de frais et despences inutiles ; c’est que les anciens y ont encore esté moins retenus que nous : car si nous voulons en premier lieu considerer quelle estoit la structure et le bastiment de leurs bibliotheques, Isidore nous apprendra qu’elles estoient toutes quarrelées de marbre verd, et couvertes d’or par les lambris, Boece que les murailles estoient revestuës de verre et d’yvoire, Seneque que les armoires et pulpitres estoient d’ebene et de cedre.
doit clorre et fermer cet advis, si
 
je n’estois adverti par ce dire tres-veritable
Si nous recherchons quelles pieces rares et exquises ils y mettoient, les deux Plines, Suetone, Martial et Vopiscus tesmoignent par toutes leurs oeuvres qu’ils n’espargnoient ny or ny argent pour y mettre les images et statuës représentées au vif de tous les galands hommes. Et finalement s’il est question de sçavoir quel estoit l’ornement de leurs volumes, Seneque ne fait autre chose que reprendre le luxe et la trop grande despense qu’ils faisoient à les peindre, dorer, enluminer, et faire couvrir et relier avec toute sorte de bombance, mignardise et superfluité.
de Typotius, (…),
 
de dire quelque mot
Mais pour tirer quelque instruction de ce désordre, il nous faut eslire et trier de ces extrémité z ce qui est tellement requis à une bibliotheque, qu’on ne puisse en aucune façon le negliger sans avarice, ou l’exceder sans prodigalité, je dis premièrement qu’il n’est point besoin pour ce qui est des livres de faire une despense extraordinaire à leur relieure, estant plus à propos de réserver l’argent qu’on y despenseroit pour les avoir tous du volume plus grand et de la meilleure edition qui se pourra trouver ; si ce n’est qu’on vueille pour contenter de quelque apparence les yeux des spectateurs, faire couvrir tous les dos de ceux qui seront reliez tant en bazane qu’en veau ou marroquin, de filets d’or et de quelques fleurons, avec le nom des autheurs : pourquoy faire on aura recours au doreur qui aura coustume de travailler pour la bibliotheque, comme aussi au relieur pour refaire les dos et couvertures escorchées, reprendre les transchefils, accommoder les transpositions, recoler les cartes et figures, nettoyer les sueilles gastées et bref entretenir tout en l’estat nécessaire à l’ornement du lieu et à la conservation des volumes.
en passant de la monstre exterieure
 
et de l’ornement que l’on doit
Il n’est point aussi question de rechercher et entasser dans une bibliotheque toutes ces pieces et fragments des vieilles statuës, (…) ; nous estant assez d’avoir des copies bien faictes et tirées de ceux qui ont esté les plus célèbres en la profession des lettres, pour juger en un mesme temps de l’esprit des autheurs par leurs livres, et de leur corps, figure et physiognomie par ces tableaux et images, lesquelles jointes aux discours que plusieurs ont fait de leur vie, servent à mon advis d’un puissant esguillon pour exciter une ame genereuse et bien-née à suivre leurs pistes, et à demeurer ferme et stable dans les airs et sentiers battus de quelque belle entreprise et resolution.
apporter à une bibliotheque,
 
puis que ce fard et cette decoration
Encore moins faut-il employer l’or à ses lambris, l’yvoire et le verre à ses parois, le cedre à ses tablettes, et le marbre à ses fonds et planchers, puis que telle façon de paroistre n’est plus en usage, que les livres ne se mettent plus sur des pulpitres à la mode ancienne, mais sur des tablettes qui cachent toutes les murailles ; et qu’au lieu de telles dorures et paremens l’on peut faire vicarier les instruments de mathematiques, globes, mappemonde, sphères, peintures, animaux, pierres, et autres curiositez tant de l’art que de la nature, qui s’amassent pour l’ordinaire de temps en temps et quasi sans rien mettre et desbourser.
semblent necessaires, veu
 
que suivant le dire du mesme autheur,
Finalement ce seroit une grande oubliance, si apres avoir fourny une bibliotheque de toutes ces choses, elle n’avoit point ses tablettes garnies de quelque petite serge, bougran ou canevas accommodé à l’ordinaire avec des cloux dorez ou argentez, tant pour conserver les livres de la poudre, que pour donner une grace nompareille à tout le lieu ; et aussi si elle venoit à manquer et estre despourveuë de tables, tapis, sièges, espousettes, boules jaspées, conserves, horloges, plumes, papier, ancre, canif, pouldre, almanach, et autres petits meubles et instruments semblables, qui sont de si petite valleur et tellement nécessaires, qu’il n’y a point d’excuse capable de mettre à couvert ceux qui negligent d’en faire provision.
(…).
Et dire vray,
ce qui me fait plus facilement excuser
la passion de ceux qui
recherchent aujourd’huy cette
pompe avec beaucoup de frais et
despences inutiles ; c’est que les
anciens y ont encore esté moins
retenus que nous : car si nous
voulons en premier lieu considerer
quelle estoit la structure et le
bastiment de leurs bibliotheques,
Isidore nous apprendra
qu’elles estoient toutes quarrelées
de marbre verd, et couvertes
d’or par les lambris, Boece
que les murailles estoient revestuës
de verre et d’yvoire, Seneque
que les armoires et pulpitres
estoient d’ebene et de cedre.
Si nous recherchons quelles
pieces rares et exquises ils y
mettoient, les deux Plines, Suetone,
Martial et Vopiscus tesmoignent
par toutes leurs œuvres
qu’ils n’espargnoient ny or
ny argent pour y mettre les images
et statuës representées au vif
de tous les galands hommes. Et
finalement s’il est question de
sçavoir quel estoit l’ornement de
leurs volumes, Seneque ne fait
autre chose que reprendre le luxe
et la trop grande despense qu’ils
faisoient à les peindre, dorer,
enluminer, et faire couvrir et
relier avec toute sorte de bombance,
mignardise et superfluité.
Mais pour tirer quelque instruction
de ce desordre, il nous faut
eslire et trier de ces extremitez ce
qui est tellement requis à une
bibliotheque, qu’on ne puisse en
aucune façon le negliger sans
avarice, ou l’exceder sans prodigalité,
je dis premierement qu’il
n’est point besoin pour ce qui est
des livres de faire une despense
extraordinaire à leur relieure,
estant plus à propos de reserver
l’argent qu’on y despenseroit
pour les avoir tous du volume
plus grand et de la meilleure edition
qui se pourra trouver ; si ce
n’est qu’on vueille pour contenter
de quelque apparence les yeux
des spectateurs, faire couvrir tous
les dos de ceux qui seront reliez
tant en bazane qu’en veau ou
marroquin, de filets d’or et de
quelques fleurons, avec le nom
des autheurs : pourquoy faire on
aura recours au doreur qui aura
coustume de travailler pour la bibliotheque,
comme aussi au relieur
pour refaire les dos et couvertures
escorchées, reprendre les
transchefils, accommoder les transpositions,
recoler les cartes et figures,
nettoyer les fueilles gastées
et bref entretenir tout en l’estat
necessaire à l’ornement du lieu et
à la conservation des volumes.
Il n’est point aussi question de
rechercher et entasser dans une
bibliotheque toutes ces pieces et
fragments des vieilles statuës,
(…) ;
nous estant assez d’avoir des copies
bien faictes et tirées de ceux
qui ont esté les plus celebres en la
profession des lettres, pour juger
en un mesme temps de l’esprit des
autheurs par leurs livres, et de
leur corps, figure et physiognomie
par ces tableaux et images,
lesquelles jointes aux discours que
plusieurs ont fait de leur vie,
servent à mon advis d’un puissant
esguillon pour exciter une ame
genereuse et bien-née à suivre
leurs pistes, et à demeurer ferme
et stable dans les airs et sentiers
battus de quelque belle entreprise
et resolution.
Encore moins faut-il employer
l’or à ses lambris, l’yvoire et le
verre à ses parois, le cedre à ses tablettes,
et le marbre à ses fonds et
planchers, puis que telle façon de
paroistre n’est plus en usage, que
les livres ne se mettent plus sur
des pulpitres à la mode ancienne,
mais sur des tablettes qui cachent
toutes les murailles ; et qu’au lieu
de telles dorures et paremens l’on
peut faire vicarier les instruments
de mathematiques, globes,
mappemonde, spheres, peintures,
animaux, pierres, et autres
curiositez tant de l’art que
de la nature, qui s’amassent
pour l’ordinaire de temps en
temps et quasi sans rien mettre et
desbourser.
Finalement ce seroit une
grande oubliance, si apres avoir
fourny une bibliotheque de
toutes ces choses, elle n’avoit point
ses tablettes garnies de quelque
petite serge, bougran ou canevas
accommodé à l’ordinaire avec
des cloux dorez ou argentez, tant
pour conserver les livres de la
poudre, que pour donner une
grace nompareille à tout le lieu ;
et aussi si elle venoit à manquer
et estre despourveuë de tables,
tapis, sieges, espousettes, boules
jaspées, conserves, horloges, plumes,
papier, ancre, canif, pouldre,
almanach, et autres petits meubles
et instruments semblables, qui
sont de si petite valleur et tellement
necessaires, qu’il n’y a point
d’excuse capable de mettre à couvert
ceux qui negligent d’en faire
provision.
 
==CHAPITRE 9==
Ligne 2 949 ⟶ 208 :
'' quel doit estre le but principal de cette bibliotheque. ''
 
toutes ces choses estans ainsi disposées, il ne reste plus pour l’accomplissement de ces discours, qu’à sçavoir quel doit estre leur fin et usage principal : car de s’imaginer qu’il faille apres tant de peine et de despense cacher toutes ces lumieres sous le boisseau, et condamner tant de braves esprits à un perpetuel silence et solitude, c’est mal recognoistre le but d’une bibliotheque, laquelle ne plus ne moins que la nature, (…).
toutes ces choses estans
 
ainsi disposées, il ne reste
C’est pourquoy je vous diray, m. Avec autant de liberté comme j’ay d’affection pour vostre service, qu’en vain celuy-là s’efforce il de pratiquer aucun des moyens susdits, ou de faire quelque despense notable apres les livres, qui n’a dessein d’en voüer et consacrer l’usage au public, et de n’en desnier jamais la communication au moindre des hommes qui en pourra avoir besoin, le dire du poëte estant tres-veritable, (…).
plus pour l’accomplissement de
 
ces discours, qu’à sçavoir quel
Aussi estoit-ce une des principales maximes des plus somptueux d’entre les romains, ou de ceux qui affectionnoient plus le bien du public, que de faire dresser beaucoup de ces librairies, pour puis apres les voüer et destiner à l’usage de tous les hommes de lettres ; jusques là mesmes que suivant le calcul de Pierre Victor il y en avoit vingt-neuf à Rome, et suivant celuy de Passadius trente-sept, qui estoient des marques si certaines de la grandeur, magnificence et somptuosité des romains, que Pancirol a eu raison d’attribuer à nostre negligence, et de ranger entre les choses memorables de l’antiquité qui ne sont venuës jusques à nous ce tesmoignage tres-asseuré de la richesse et de la bonne affection des anciens envers ceux qui faisoient profession des lettres ; et ce avec d’autant plus de raison qu’il n’y a maintenant, au moins suivant ce que j’en ay peu sçavoir, que celles du Chevalier Bodlevi à Oxfort, du cardinal Borromée à Milan, et de la maison des augustins à Rome, où l’on puisse entrer librement et sans difficulté ; toutes les autres, comme celles de Muret, Fulvius Ursinus, Montalte, et du vatican ; des Medicis, et de Pierre Victor à Florence ; de Bessarion à Venise de S Anthoine à Padouë ; des jacobins à Boulogne ; des augustins à Cremone ; du cardinal Siripand à Naples ; du duc Federic à Urbain ; de Nonnesius à Barcelonne ; de Ximenes à Complute ; de Renzovius à Bradeberk ; des Foulcres à Ausbourg ; et finalement du roy, S Victor, et de M De T à Paris, qui sont toutes belles et admirables, n’estans si communes, ouvertes à un chacun, et de facile entrée, comme sont les trois precedentes. Car pour ne parler que de l’ambroisienne de Milan, et monstrer par mesme moyen comme elle surpasse tant en grandeur et magnificence que en obligeant le public beaucoup de celles d’entre les romains, n’est-ce pas une chose du tout extraordinaire qu’un chacun y puisse entrer à toute heure presque que bon luy semble, y demeurer tant qu’il luy plaist, voir, lire, extraire tel autheur qu’il aura agreable, avoir tous les moyens et commoditez de ce faire, soit en public ou en particulier, et ce sans autre peine que de s’y transporter és jours et heures ordinaires, se placer dans des chaires destinées pour cét effet, et demander les livres qu’il voudra sueilleter au bibliothecaire ou à trois de ses serviteurs, qui sont fort bien stipendiez et entretenus, tant pour servir à la bibliotheque qu’à tous ceux qui viennent tous les jours estudier en sceller.
doit estre leur fin et usage principal :
 
car de s’imaginer qu’il faille
Mais pour regler cét usage avec la bienséance et toutes les precautions requises, j’estime qu’il seroit à propos de faire premièrement choix et election de quelque honneste homme docte et bien entendu en faict de livres, pour luy donner avec la charge et les appoinctemens requis le tiltre et la qualité de bibliothecaire, suivant que nous voyons avoir est pratiqué en toutes les plus fameuses librairies, où beaucoup de galands hommes se sont tousjours tenus bien honorez d’avoir cette charge, et l’ont renduë plus illustre et recommandable par leur grande doctrine et capacité, comme par exemple, Demetrius Phalereus, Callimachus, Apollonius Alexandrins, Aristoxenus, et Zenodotus, qui ont eu autrefois la charge de celle d’Alexandrie ; Varro et Hyginus qui ont gouverné celle du mont Palatin à Rome ; Leidrat et Agobard celle de l’isle Barbe auprés Lyon sous Charlemagne ; Petrus Diaconus celle du mont Cassin ; Platine, Eugubinus et Sirlette celle du vatican ; Sabellius celle de Venise ; Uvolphius de Basse ; Gruterus de Heidelberc ; Douza et Paulus Merula de Leide, ausquels le docte Heinsius a succedé ; comme apres Budé, Gosselin et Casaubon M.
apres tant de peine et de despense
 
cacher toutes ces lumieres sous le
Rigault gouverne aujourd’huy la Royale establie par le roy François I et augmentée de beaucoup par son industrie et la diligence extreme qu’il y apporte.
boisseau, et condamner tant de
 
braves esprits à un perpetuel silence
Apres quoy le plus nécessaire seroit de faire deux catalogues de tous les livres contenus dans la bibliotheque, en l’un desquels ils fussent si precisément disposez suivant les diverses matieres et facultez, que l’on peust voir et sçavoir en un clin d’oeil tous les autheurs qui s’y rencontrent sur le premier sujet qui viendra en fantaisie ; et dans l’autre ils fussent fidelement rangez et reduits sous l’ordre alphabetic de leurs autheurs, tant afin de n’en point acheter deux fois, que pour sçavoir ceux qui manquent, et satisfaire à beaucoup de personnes qui sont quelquefois curieuses de lire particulierement toutes les oeuvres de certains autheurs. Ce qu’estant estably de la sorte, l’usage que l’on en peut tirer est à mon jugement tres-advantageux, soit qu’on regarde au profit particulier qu’en peuvent recevoir le maistre et le bibliothecaire, soit qu’on ait esgard à la renommée qu’il se peut acquerit par la communication d’iceux à toute sorte de personnes ; afin de ne point ressembler à ces avaricieux qui n’ont jamais de contentement de leurs richesses, où à cét envieux serpent qui empeschoit que personne ne peust aborder et cueillir les fruitts du jardin des Hesperides ; veu principalement que les choses ne se doivent estimer qu’à l’esgal du profit et de l’usage que l’on en tire : et que pour ce qui est particulierement des livres ils sont semblables à celuy d’Horace, duquel il disoit en ses epistres, (…). Toutessois d’autant qu’il ne seroit pas raisonnable de profaner avec indiscrétion ce qui doit estre mesnagé avec jugement, il faudroit premièrement observer que toutes les bibliotheques ne pouvant tousjours estre ouvertes comme l’ambroisienne, il fust au moins permis à tous ceux qui y auroient affaire d’aborder librement le bibliothecaire pour y estre introduits par sceluy sans aucune ditation ny difficulté : secondement que ceux qui seroient totalement incognus, et tous autres qui n’auroient affaire que de quelques passages, peussent veoir chercher et extraire de toutes sortes de livres imprimez ce dont ils auroient besoin : tiercement que l’on permist aux personnes de merite et de cognoissance d’emporter à leurs logis les livres communs et de peu de volumes ; avec ces cautions neantmoins, que ce ne fust que pour quinze jours ou trois semaines tout au plus, et que le bibliothecaire fust soigneux de faire escrire dans un livre choisi pour cet effet et divisé par les lettres de l’alphabet tout ce que l’on presteroit aux uns et aux autres, avec la datte du jour, la forme du volume, et le lieu et l’annee de l’impression, le tout souscrit par celuy à qui on aura presté : ce qu’il faudroit biffer apres le livre rendu, et marquer en marge le jour de la reddition, pour voir combien on les auroit gardé : et ceux qui auroient merité par leur diligence et le soin apporté à la conservation des livres, qu’on leur en prestast d’autres. Vous asseurant, m. Que s’il vous plaist poursuivre comme vous avez commancé, et augmenter vostre bibliotheque pour vous en servir en cette sorte, ou en telle autre que vous jugerez meilleure, vous en recevrez des loüanges nompareilles, des semefermens infinis, des avantages non communs, et bref un contentement indicible, lors que vous recognoistrés en parcourant ce catalogue les courtoisies que vous aurez faictes, les galands hommes que vous aurez obligez, les personnes qui vous auront veu, les nouveaux amis et serviteurs que vous vous serez acquis, et pour dire en un mot lors que vous jugerez au doigt et à l’oeil combien de gloire et de recommendation vous aura apporté vostre bibliotheque. Pour le progrez et augmentation de laquelle je proteste vouloir tout le temps de ma vie contribuer tout ce qui me sera possible, comme j’ay pris des maintenant la hardiesse de vous en donner quelque tesmoignage par cét advis, lequel j’espère bien avec le temps polir et augmenter de telle sorte, qu’il n’apprehendera point de sortir en lumiere pour discourir et parler amplement d’un sujet lequel n’a point encore esté traicte, faisant voir sous le titre de '' bibliotheca memmiana '',
et solitude, c’est mal recognoistre
ce qu’il y a si long-temps que l’on souhaite sçavoir, l’histoire tres-ample et particuliere des lettres et des livres, le jugement et censure des autheurs, le nom des meilleurs et plus nécessaires en chaque faculté, le fleau des plagiaires, le progrez des sciences, la diversité des sectes, la revolution des arts et disciplines, la decadence des anciens, les divers principes des novateurs, et le bon droict des pyrrheniens fondé sur l’ignorance de tous les hommes : sous le voile de laquelle je vous supplie tres-humblement, m. D’excuser la mienne, et de recevoir ce petit advis, quoy que grossier et mal tissu, pour des arres de ma bonne volonté, et de celuy que je vous promets et feray voir un jour avec plus grande suitte et meilleur equipage. (…).
le but d’une bibliotheque, laquelle
ne plus ne moins que la
nature, (…).
C’est pourquoy je vous
diray, m. Avec autant de liberté
comme j’ay d’affection pour
vostre service, qu’en vain celuy-là
s’efforce il de pratiquer aucun des
moyens susdits, ou de faire quelque
despense notable apres les
livres, qui n’a dessein d’en voüer
et consacrer l’usage au public,
et de n’en desnier jamais la
communication au moindre des
hommes qui en pourra avoir besoin,
le dire du poëte estant tres-veritable,
(…).
Aussi estoit-ce une des principales
maximes des plus somptueux
d’entre les romains, ou de ceux
qui afféctionnoient plus le bien
du public, que de faire dresser
beaucoup de ces librairies, pour
puis apres les voüer et destiner à
l’usage de tous les hommes de
lettres ; jusques là mesmes que
suivant le calcul de Pierre Victor
il y en avoit vingt-neuf à Rome,
et suivant celuy de Palladius
trente-sept, qui estoient des marques
si certaines de la grandeur,
magnificence et somptuosité des
romains, que Pancirol a eu raison
d’attribuer à nostre negligence,
et de ranger entre les choses
memorables de l’antiquité qui ne
sont venuës jusques à nous ce
tesmoignage tres-asseuré de la
richesse et de la bonne affection
des anciens envers ceux qui
faisoient profession des lettres ; et
ce avec d’autant plus de raison
qu’il n’y a maintenant, au moins
suivant ce que j’en ay peu sçavoir,
que celles du Chevalier Bodlevi à
Oxfort, du cardinal Borromée à
Milan, et de la maison des augustins
à Rome, où l’on puisse entrer
librement et sans difficulté ; toutes
les autres, comme celles de Muret,
Fulvius Ursinus, Montalte, et du
vatican ; des Medicis, et de
Pierre Victor à Florence ; de
Bessarion à Venise de S Anthoine à
Padouë ; des jacobins à Boulogne ;
des augustins à Cremone ;
du cardinal Siripand à Naples ; du
duc Federic à Urbain ; de Nunnesius
à Barcelonne ; de Ximenes à
Complute ; de Renzovius à
Bradeberk ; des Foulcres à Ausbourg ;
et finalement du roy, S Victor,
et de M De T à Paris, qui sont
toutes belles et admirables,
n’estans si communes, ouvertes à un
chacun, et de facile entrée, comme
sont les trois precedentes. Car
pour ne parler que de l’ambroisienne
de Milan, et monstrer par
mesme moyen comme elle surpasse
tant en grandeur et magnificence
que en obligeant le public
beaucoup de celles d’entre les
romains, n’est-ce pas une chose du
tout extraordinaire qu’un chacun
y puisse entrer à toute heure
presque que bon luy semble, y
demeurer tant qu’il luy plaist, voir,
lire, extraire tel autheur qu’il
aura agreable, avoir tous les moyens
et commoditez de ce faire, soit en
public ou en particulier, et ce sans
autre peine que de s’y transporter
és jours et heures ordinaires, se
placer dans des chaires destinées
pour cét effet, et demander les
livres qu’il voudra fueilleter au
bibliothecaire ou à trois de ses
serviteurs, qui sont fort bien
stipendiez et entretenus, tant pour
servir à la bibliotheque qu’à tous
ceux qui viennent tous les jours
estudier en iceller.
Mais pour regler cét usage avec
la bienseance et toutes les precautions
requises, j’estime qu’il seroit
à propos de faire premierement
choix et election de quelque
honneste homme docte et bien entendu
en faict de livres, pour luy
donner avec la charge et les
appoinctemens requis le tiltre et la
qualité de bibliothecaire, suivant
que nous voyons avoir est pratiqué
en toutes les plus fameuses
librairies, où beaucoup de
galands hommes se sont tousjours
tenus bien honorez d’avoir cette
charge, et l’ont renduë plus illustre
et recommandable par leur
grande doctrine et capacité, comme
par exemple, Demetrius Phalereus,
Callimachus, Apollonius
Alexandrins, Aristoxenus, et
Zenodotus, qui ont eu autrefois
la charge de celle d’Alexandrie ;
Varro et Hyginus qui ont gouverné
celle du mont Palatin à
Rome ; Leidrat et Agobard celle
de l’isle Barbe auprés Lyon sous
Charlemagne ; Petrus Diaconus
celle du mont Cassin ; Platine,
Eugubinus et Sirlette celle du
vatican ; Sabellius celle de Venise ;
Uvolphius de Basle ; Gruterus de
Heidelberc ; Douza et Paulus Merula
de Leide, ausquels le docte
Heinsius a succedé ; comme apres
Budé, Gosselin et Casaubon M.
Rigault gouverne aujourd’huy
la Royale establie par le roy
François I et augmentée de beaucoup
par son industrie et la diligence
extreme qu’il y apporte.
Apres quoy le plus necessaire
seroit de faire deux catalogues
de tous les livres contenus dans
la bibliotheque, en l’un desquels
ils fussent si precisément disposez
suivant les diverses matieres et
facultez, que l’on peust voir et
sçavoir en un clin d’œil tous les
autheurs qui s’y rencontrent sur
le premier sujet qui viendra en
fantaisie ; et dans l’autre ils fussent
fidelement rangez et reduits
sous l’ordre alphabetic de leurs
autheurs, tant afin de n’en point
acheter deux fois, que pour sçavoir
ceux qui manquent, et satisfaire
à beaucoup de personnes qui
sont quelquefois curieuses de lire
particulierement toutes les œuvres
de certains autheurs. Ce
qu’estant estably de la sorte, l’usage
que l’on en peut tirer est à mon
jugement tres-advantageux, soit
qu’on regarde au profit particulier
qu’en peuvent recevoir
le maistre et le bibliothecaire,
soit qu’on ait esgard à la renommée
qu’il se peut acquerir par la
communication d’iceux à toute
sorte de personnes ; afin de ne
point ressembler à ces avaricieux
qui n’ont jamais de contentement
de leurs richesses, où à cét envieux
serpent qui empeschoit que personne
ne peust aborder et cueillir
les fruicts du jardin des Hesperides ;
veu principalement que les
choses ne se doivent estimer qu’à
l’esgal du profit et de l’usage que
l’on en tire : et que pour ce qui est
particulierement des livres ils
sont semblables à celuy d’Horace,
duquel il disoit en ses epistres, (…).
Toutesfois d’autant qu’il ne seroit
pas raisonnable de profaner
avec indiscretion ce qui doit estre
mesnagé avec jugement, il faudroit
premierement observer que
toutes les bibliotheques ne pouvant
tousjours estre ouvertes
comme l’ambroisienne, il fust au
moins permis à tous ceux qui y
auroient affaire d’aborder librement
le bibliothecaire pour y
estre introduits par iceluy sans
aucune dilation ny difficulté : secondement
que ceux qui seroient
totalement incognus, et tous autres
qui n’auroient affaire que de quelques
passages, peussent veoir
chercher et extraire de toutes sortes
de livres imprimez ce dont ils
auroient besoin : tiercement que
l’on permist aux personnes de merite
et de cognoissance d’emporter
à leurs logis les livres communs
et de peu de volumes ; avec
ces cautions neantmoins, que ce
ne fust que pour quinze jours ou
trois semaines tout au plus, et que
le bibliothecaire fust soigneux de
faire escrire dans un livre choisi
pour cet effet et divisé par les lettres
de l’alphabet tout ce que l’on
presteroit aux uns et aux autres,
avec la datte du jour, la forme du
volume, et le lieu et l’annee de
l’impression, le tout souscrit par
celuy à qui on aura presté : ce qu’il
faudroit biffer apres le livre rendu,
et marquer en marge le jour
de la reddition, pour voir combien
on les auroit gardé : et ceux
qui auroient merité par leur diligence
et le soin apporté à la conservation
des livres, qu’on leur en
prestast d’autres. Vous asseurant,
m. Que s’il vous plaist poursuivre
comme vous avez commancé, et
augmenter vostre bibliotheque
pour vous en servir en cette sorte,
ou en telle autre que vous jugerez
meilleure, vous en recevrez des
loüanges nompareilles, des
remercimens infinis, des avantages
non communs, et bref un contentement
indicible, lors que
vous recognoistrés en parcourant
ce catalogue les courtoisies que
vous aurez faictes, les galands
hommes que vous aurez obligez,
les personnes qui vous auront
veu, les nouveaux amis et serviteurs
que vous vous serez acquis,
et pour dire en un mot lors que
vous jugerez au doigt et à l’œil
combien de gloire et de recommendation
vous aura apporté
vostre bibliotheque. Pour le progrez
et augmentation de laquelle
je proteste vouloir tout le temps
de ma vie contribuer tout ce qui
me sera possible, comme j’ay pris
dés maintenant la hardiesse de
vous en donner quelque tesmoignage
par cét advis, lequel j’espere
bien avec le temps polir et augmenter
de telle sorte, qu’il
n’apprehendera point de sortir en
lumiere pour discourir et parler
amplement d’un sujet lequel n’a point
encore esté traicte, faisant voir
sous le titre de '' bibliotheca memmiana ''
,
ce qu’il y a si long-temps
que l’on souhaite sçavoir, l’histoire
tres-ample et particuliere des
lettres et des livres, le jugement
et censure des autheurs, le nom
des meilleurs et plus necessaires
en chaque faculté, le fleau des
plagiaires, le progrez des sciences,
la diversité des sectes, la revolution
des arts et disciplines, la
decadence des anciens, les divers
principes des novateurs, et le
bon droict des pyrrheniens fondé
sur l’ignorance de tous les hommes :
sous le voile de laquelle je
vous supplie tres-humblement,
m. D’excuser la mienne, et de
recevoir ce petit advis, quoy que
grossier et mal tissu, pour des
arres de ma bonne volonté, et de
celuy que je vous promets et feray
voir un jour avec plus grande
suitte et meilleur equipage. (…).
 
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