« Page:Revue des Deux Mondes - 1832 - tome 8.djvu/545 » : différence entre les versions

AkBot (discussion | contributions)
Pywikibot touch edit
 
État de la page (Qualité des pages)État de la page (Qualité des pages)
-
Page corrigée
+
Page validée
En-tête (noinclude) :En-tête (noinclude) :
Ligne 1 : Ligne 1 :
{{nr||POÈTES MODERNES.|535}}
Contenu (par transclusion) :Contenu (par transclusion) :
Ligne 1 : Ligne 1 :
La postérité, elle, a moins d’embarras et se crée moins de soucis. Son accent est haut, son œil scrutateur, son indiscrétion inexorable et presque insolente. Le grand homme a rendu l’ame à peine, qu’elle arrive là, au chevet du mort, comme les gens de loi. Elle dépouille, elle verbalise, elle inventorie ; on vide les tiroirs ; les liasses des correspondances sortent de la poussière, les indications abondent, les témoignages ne font faute. Quelquefois un testament olographe, c’est-à-dire les mémoires du grand homme, écrits par lui-même, viennent couper court aux nombreuses versions qui déjà circulent. Tout cela veut dire qu’après la mort des grands hommes, des grands écrivains particulièrement, l’on sait et l’on débite sur leur compte une infinité de détails authentiques ou officieux, qu’eux vivans, on garde pour soi ou que même on ignore. Rien donc ne saurait valoir ni devancer pour l’instruction de la postérité les lumières de ce dépouillement posthume, et telle n’a jamais été notre prétention, relativement aux contemporains dont nous anticipons l’histoire. Mais comme nous croyons aussi que, dans l’inventaire posthume, si les contemporains les plus immédiats et les mieux informés ne s’en mêlent promptement pour y mettre ordre, il s’introduit bien du faux qui s’enregistre et finit par s’accréditer, il nous semble qu’il y a lieu à l’avance, et sous les regards mêmes de l’objet, dans l’observation secrète et l’atmosphère intelligente de sa vie, d’exprimer la pensée générale qui l’anime, de saisir la loi de sa course et de la tracer dès l’origine, ne fût-ce que par une ligne non colorée, avec ses inflexions fidèles toutefois et les accidens précis de son développement. Un jugement même implicite, même privé des motifs particuliers qu’il suppose, mais porté en plein sur un point de caractère par un proche témoin circonspect et véridique, peut démentir décidément et ruiner bien des anecdotes futures, que de gauches récits voudraient autoriser. Quand je me dis combien de manières il y a de mal observer un homme qu’on croit bien connaître, de mal regarder, de mal entendre un fait qui se passe presque sous les yeux ; quand je songe combien d’arrivans béats et de Brossettes apprentis j’ai vu rôder, le calepin en poche, autour de nos quatre ou cinq poètes ;
La postérité, elle, a moins d’embarras et se crée moins de soucis.
Son accent est haut, son œil scrutateur, son indiscrétion inexorable et presque insolente. Le grand homme a rendu l’ame à peine, qu’elle arrive là, au chevet du mort, comme les gens de loi.
Elle dépouille, elle verbalise, elle inventorie ; on vide les tiroirs ;
les liasses des correspondances sortent de la poussière, les indications abondent, les témoignages ne font faute. Quelquefois
un testament olographe, c’est-à-dire les mémoires du grand
homme, écrits par lui-même, viennent couper court aux nombreuses versions qui déjà circulent. Tout cela veut dire qu’après
la mort des grands hommes, des grands écrivains particulièrement, l’on sait et l’on débite sur leur compte une infinité de détails authentiques ou officieux, qu’eux vivans, on garde pour soi ou que même on ignore. Rien donc ne saurait valoir ni devancer
pour l’instruction de la postérité les lumières de ce dépouillement posthume, et telle n’a jamais été notre prétention, relativement aux contemporains dont nous anticipons l’histoire. Mais comme nous croyons aussi que, dans l’inventaire posthume, si
les contemporains les plus immédiats et les mieux informés ne
s’en mêlent promptement pour y mettre ordre, il s’introduit bien
du faux qui s’enregistre et finit par s’accréditer, il nous semble
qu’il y a lieu à l’avance, et sous les regards mêmes de l’objet,
dans l’observation secrète et l’atmosphère intelligente de sa vie,
d’exprimer la pensée générale qui l’anime, de saisir la loi de
sa course et de la tracer dès l’origine, ne fût-ce que par une ligne
non colorée, avec ses inflexions fidèles toutefois et les accidens
précis de son développement. Un jugement même implicite,
même privé des motifs particuliers qu’il suppose, mais porté en
plein sur un point de caractère par un proche témoin circonspect et véridique, peut démentir décidément et ruiner bien des
anecdotes futures, que de gauches récits voudraient autoriser.
Quand je me dis combien de manières il y a de mal observer un
homme qu’on croit bien connaître, de mal regarder, de mal
entendre un fait qui se passe presque sous les yeux ; quand je
songe combien d’arrivans béats et de Brossettes apprentis j’ai vu
rôder, le calepin en poche, autour de nos quatre ou cinq poètes ;