« Page:Le Tour du monde - 08.djvu/347 » : différence entre les versions

(Aucune différence)

Version du 7 mai 2020 à 12:59

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fleuves sont des obstacles insurmontables pour le percement de canaux.

Les Laotiens ressemblent beaucoup aux Siamois ; une prononciation différente, une accentuation lente est la seule différence que je remarque dans leur langage. Les femmes portent les cheveux longs et une jupe pendante, ce qui leur va bien quand elles sont jeunes et qu’elles sont peignées. Elles sont mieux que celles des bords du Ménam ; mais à un âge un peu avancé, leur chignon négligemment jeté sur une tempe ou l’autre, et les goîtres d’une grosseur énorme dont elles sont affectées, les rendent d’une laideur repoussante.

Le commerce, dans toute cette partie du Lao, est peu considérable, les Chinois habitant Siam ne pouvant pénétrer chez eux, à cause des frais énormes que leur occasionnerait le transport de leurs marchandises en éléphant. À peu près chaque année, il vient une caravane du Yunnan et de Quanglee, composée d’une centaine d’individus et de quelques centaines de mulets. Les uns vont jusqu’à Kelme-Thae ; d’autres gagnent M. Nâne et Tchieng-Maïe. Ils arrivent en février et repartent en mars ou avril.

Le mûrier ne réussit pas dans ces montagnes ; mais, par contre, dans plusieurs localités on élève en quantité l’insecte qui produit la laque, et on cultive à cet effet l’arbuste dont les feuilles servent à sa nourriture.

C’est de l’extrémité nord de la principauté de Luang-Prabang, et d’un district tributaire de la Cochinchine comme de Siam, et peuplé par des Tonkinois plutôt que par des Laotiens, que vient toute la gomme benjoin qui est vendue à Bangkok.

Le 24 juin, j’arrivai à Paklaïe (lat. 19° 16’58”), qui est la première bourgade de cette principauté située sur le Mékong, que l’on rencontre en venant du sud. C’est un charmant village, très-riche, et plus grand et plus beau que ceux que j’ai rencontrés jusqu’ici dans ce pays ; les maisons y sont élégantes et spacieuses, et tout y annonce une aisance et un bien-être que depuis j’ai remarqués dans toutes les localités où je me suis arrêté. Le Mékong y est beaucoup plus large que le Ménam à Bangkok, et c’est avec un bruit pareil à celui de la mer et l’impétuosité d’un torrent qu’il se fraye un chemin entre de hautes montagnes qui semblent avoir peine à le contenir dans son lit.

Les rapides se succèdent de distance en distance depuis Paklaïe jusqu’à Luang-Prabang, que l’on n’atteint qu’après dix à quinze jours d’une marche pénible. La vue de ce beau fleuve fit sur moi le même effet que la rencontre d’un ami ; c’est que j’ai bu longtemps ses eaux ; c’est une vieille connaissance ; il m’a longtemps bercé et tourmenté. Aujourd’hui, il coule majestueux, à pleins bords, entre de hautes montagnes dont il a rongé la base pour creuser son lit ; ici, ses eaux sont boueuses et jaunâtres comme l’Arno à Florence, mais rapides comme un torrent ; c’est un spectacle vraiment grandiose.

J’étais fatigué de cette longue marche à dos d’éléphants, et je désirais prendre un bateau ; mais le chef et les habitants du village, craignant qu’il ne m’arrivât quelque malheur, me conseillèrent de continuer ma route de la même manière. J’allai donc par terre jusqu’à Thodua, quatre-vingt-dix milles plus au nord ; et pendant huit jours je passai comme précédemment de vallée en vallée, franchissant des montagnes de plus en plus élevées, et ou nous fûmes encore davantage tourmentés par les sangsues. Mais, au moins, je n’eus plus à coucher dans les jungles : tous les soirs, nous atteignions un hameau ou un village où nous trouvions pour abri le toit d’un caravansérail ou celui d’une pagode. Mais, hélas ! dans ce dernier et saint asile, nous ne pouvions goûter guère plus de repos qu’en rase campagne. Les prêtres laotiens sont continuellement en prières dans les cours de leurs pagodes ; ils font, jour et nuit, un charivari affreux en psalmodiant sur tous les tons. Si le salut de l’âme se conquiert par le bruit, ils doivent nécessairement aller directement en paradis.

Je n’ai rencontré qu’un village où les tigres commissent de sérieux ravages. Mais un autre danger, qui peut devenir sérieux quelquefois dans ces lieux escarpés, c’est que souvent il se trouve parmi les éléphants de la caravane une ou deux femelles suivies de leurs petits ; et comme ceux-ci trottent et courent de côté et d’autre pour brouter et folâtrer, s’il arrive quelquefois qu’un d’entre eux trébuche et tombe dans un ravin, aussitôt toute la troupe s’y jette après lui pour l’en retirer.

Dans le journal que j’ai tenu lors de mon voyage au Cambodge, j’ai dépeint le Mékong comme un fleuve imposant, mais monotone et manquant presque totalement de pittoresque. Ici, la différence est grande. Dans les endroits les plus resserrés, il a encore plus de mille mètres de largeur, et partout il se trouve encaissé entre de hautes montagnes d’où découlent des torrents qui, de cascade en cascade, lui apportent leur tribut : c’est comme un excès de grandeur et de richesse. Sur tout le parcours de ce fleuve immense, l’œil se repose constamment sur des monts couverts d’un riche et épais manteau de verdure.

Le 25 juillet, j’arrivai à Luang-Prabang, charmante petite ville qui, s’étendant sur un espace d’un mille carré, compte une population, non de quatre-vingt mille habitants, comme le dit Mgr Pallegoix dans son ouvrage sur Siam, mais de sept à huit mille seulement. La situation est des plus agréables ; les montagnes qui resserrent le Mékong au-dessus comme au-dessous de cette ville, forment une vallée circulaire, dessinant une arène de neuf milles de largeur, qui a dû être jadis un lac, et encadrent un tableau ravissant, qui rappelle les beaux lacs de Côme ou de Genève.

Si ce n’était le soleil de la zone torride qui brille constamment sur cette vallée, ou si une douce brise tempérait la chaleur accablante qui y règne pendant le jour, je l’appellerais un petit paradis.

La ville est bâtie sur les deux rives du fleuve ; mais la partie droite ne compte que quelques habitations. La partie la plus considérable entoure un mont isolé qui a cent et quelques mètres de hauteur, et au sommet duquel on a établi une pagode. Si ce n’était par crainte des