« Du Dandysme et de George Brummell » : différence entre les versions

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politique de l’Angleterre. Il y a touché par ses liaisons mais il n’y entre pas. Sa place est dans une histoire plus haute, plus générale et plus difficile à écrire — l’histoire des mœurs anglaises ―, car l’histoire politique ne contient pas toutes les nuances sociales, or toutes doivent être étudiées. Brummell a été l’expression d’une de ces tendances : autrement son action serait inexplicable. La décrire, la creuser, montrer que cette influence n’était pas seulement à fleur de terre, pourrait être le sujet d’un livre que Beyle (Stendhal) a oublié d’écrire et qui eût tenté Montesquieu.
 
« Malheureusement je ne suis ni Montesquieu ni Beyle, ni aigle ni lynx, mais j’ai tâché pourtant de voir clair dans ce que beaucoup de gens, sans doute, n’eussent pas daigné expliquer. Ce que j’ai vu, je vous l’offre, mon cher Daly. Vous qui sentez la grâce comme une femme et comme un artiste, et qui, comme un penseur, vous rendrez compte de son empire, j’aime à vous dédier cette étude sur un homme qui tira sa célébrité de son élégance. Je l’aurais faite sur un homme qui eût tiré la sienne de la force de sa raison, que, grâce à la richesse de vos facultés, j’aurais eu bon air de vous la dédier encore.
 
« Acceptez donc ceci comme une marque
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d’amitié et un souvenir des jours plus heureux que les jours actuels, où je vous voyais davantage.
 
« Votre dévoué.<br />J.-A. Barbey d’Aurevilly<br />Passy, villa Beauséjour, <br />19 septembre 1844
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Eh bien ! mon ami, cette dédicace d’il y a dix-sept ans, je n’en changerai pas un seul mot aujourd’hui, et c’est la première fois que dix-sept ans n’auront rien changé à quelque chose !
Qu’elle reste tout entière ici, comme l’amitié dont elle fut l’expression et qui est restée immuable en nous, sans vide et sans nuage ! Je n’ai pas toujours été aussi heureux qu’avec vous, colonne debout dans mes ruines ! Dix-sept ans ! Vous savez comme ce misérable Tacite, toujours insupportable parce qu’il est vrai toujours, appelle ce long espace de jours, dont il eût peut-être valu mieux se taire, si, dans la tristesse d’avoir vécu, je n’avais pas du moins cette joie, mon cher Daly, de pouvoir dire que je suis identiquement pour vous ce
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que j’étais il y a déjà tant d’années, et, puisque tout est fatuité en ce livre, de m’y vanter de mes sentiments éternels.
 
Paris, 29 septembre 1861
 
{{t2|Préface}}
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C’est à peine une seconde édition que ce livre. Tiré à quelques exemplaires, il fut donné, il y a plusieurs années, de la main à la main, à quelques personnes, et cette espèce de publicité intime et mystérieuse lui porta bonheur. La grande, qu’on ose aujourd’hui, lui sera-t-elle aussi favorable ?… Le bruit, cette chose légère, est comme les femmes : il vient quand on a l’air de fuir. Dans ce diable de monde, peut-être que le meilleur moyen de se faire du succès serait d’organiser des indiscrétions.
 
Mais l’auteur n’avait pas tant de profondeur quand il publia cette babiole. Alors, il se préoccupait assez peu de choses et de bruit littéraires. Ah ! bien oui ! il avait d’autres toilettes à faire que celle de sa pensée, et d’autres soucis
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que d’être lu ! les soucis de ce temps-là, du reste, il s’en moque très bien aujourd’hui, car voilà la vie. N’est-elle pas dans cet échange, qui recommence toujours, d’un souci contre une moquerie ?… L’auteur de Du dandysme et de George Brummell n’était pas un dandy (et la lecture de ce livre montrera suffisamment pourquoi), mais il était à cette époque de la jeunesse qui faisait dire à Lord Byron, avec sa mélancolique ironie : « Quand j’étais un beau aux cheveux bouclés… » et, à ce moment-là, la gloire elle-même ne pèserait pas une de ces boucles ! Il écrivit donc sans prétention d’auteur ― il en avait d’autres, soyez tranquille ! le diable n’y perdait rien ― ce tout petit livre, uniquement pour se faire plaisir à lui-même et aux trente personnes, ces amis inconnus, dont on n’est pas très sûr, et qu’on ne peut guère, sans fatuité, se vanter d’avoir à Paris. Comme il n’en manquait pas (de fatuité), il crut les avoir, et de fait il les eut. Qu’on lui permette de le dire, car il est devenu modeste, il eut sa trentaine de lecteurs pour sa trentaine d’exemplaires. Ce ne fut pas le Combat, mais la sympathie des Trente !
 
Si le livre en question avait été sur quelque grande chose ou sur quelque grand homme, pas de doute qu’il n’eût sombré net, avec ses
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Si le livre en question avait été sur quelque grande chose ou sur quelque grand homme, pas de doute qu’il n’eût sombré net, avec ses quelques exemplaires, dans ce silence de l’inattention, qui est dû et toujours payé à ce qui est grand par ce qui est petit, mais il était sur un homme frivole et qui avait passé pour le type le plus accompli de la frivolité élégante, dans une société difficile. Or tout le monde, dans le monde, se croit ou veut être élégant… Ceux mêmes qui y ont renoncé veulent au moins s’y connaître, et voilà pourquoi il fut lu. Des sots, que je ne nommerai pas, se vantèrent de l’avoir compris. Moi, j’affirme à mon éditeur qu’ils l’achèteront. Fatuité de partout ! La fatuité, qui a fait le premier succès, fera le second de cette chosette sur la première page de laquelle on a été tenté d’écrire cette impertinence : « D’un fat, par un fat, à des fats » ; car tout fait glace aux fats, et ceci est un miroir pour eux. Beaucoup viendront se regarder là-dedans et y peigner leur moustache, les uns pour s’y reconnaître, et les autres pour s’y faire… Brummell !
 
Il est vrai que ce sera inutile. On ne se fait pas Brummell. On l’est ou on ne l’est pas. Souverain futile d’un monde futile, Brummell a son droit divin et sa raison d’être comme les autres rois. Seulement, puisqu’on a fait croire dans ces derniers temps à ces badauds de peuples qu’ils étaient souverains, pourquoi les populaces du salon n’auraient-elles pas leurs illusions, comme les populaces de la rue ?
Si le livre en question avait été sur quelque grande chose ou sur quelque grand homme, pas de doute qu’il n’eût sombré net, avec ses quelques exemplaires, dans ce silence de l’inattention, qui est dû et toujours payé à ce qui est grand par ce qui est petit, mais il était sur un homme frivole et qui avait passé pour le type le plus accompli de la frivolité élégante, dans une société difficile. Or tout le monde, dans le monde, se croit ou veut être élégant… Ceux mêmes qui y ont renoncé veulent au moins s’y connaître, et voilà pourquoi il fut lu. Des sots, que je ne nommerai pas, se vantèrent de l’avoir compris. Moi, j’affirme à mon éditeur qu’ils l’achèteront. Fatuité de partout ! La fatuité, qui a fait le premier succès, fera le second de cette chosette sur la première page de laquelle on a été tenté d’écrire cette impertinence : « D’un fat, par un fat, à des fats » ; car tout fait glace aux fats, et ceci est un miroir pour eux. Beaucoup viendront se regarder là-dedans et y peigner leur moustache, les uns pour s’y reconnaître, et les autres pour s’y faire… Brummell !
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salon n’auraient-elles pas leurs illusions, comme les populaces de la rue ?
 
Et d’autant que ce petit livre les en guérira. Elles y verront que Brummell était une individualité des plus rares qui s’était donné uniquement la peine de naître, mais à qui, pour se développer, il fallait encore l’avantage d’une société très aristocratiquement développée. Elles y verront ce qu’il faut de choses… qu’elles n’ont pas, pour être Brummell. L’auteur du Dandysme a essayé de faire le compte de ces choses ; riens tout-puissants par lesquels on ne gouverne pas que des femmes ; mais il savait bien, tout en le faisant, que ce n’était pas un livre de conseils que son livre, et que les Machiavels de l’élégance seraient encore plus niais que les Machiavels de la politique… qui le sont déjà tant ! Il savait enfin qu’il n’y avait là qu’un morcelet d’histoire, un fragment archéologique, bon à mettre, comme une curiosité, sur la toilette d’or des fats de l’avenir ― s’ils en ont ; car le Progrès, qui est en train, avec son économie politique et sa division territoriale, de faire de la race humaine une race de pouilleux, ne détruira pas les fats, mais pourrait bien supprimer leurs toilettes à la d’Orsay, comme inégalitaires et scandaleuses.
Il est vrai que ce sera inutile. On ne se fait pas Brummell. On l’est ou on ne l’est pas. Souverain futile d’un monde futile, Brummell a son droit divin et sa raison d’être comme les autres rois. Seulement, puisqu’on a fait croire dans ces derniers temps à ces badauds de peuples qu’ils étaient souverains, pourquoi les populaces du salon n’auraient-elles pas leurs illusions, comme les populaces de la rue ?
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Et d’autant que ce petit livre les en guérira. Elles y verront que Brummell était une individualité des plus rares qui s’était donné uniquement la peine de naître, mais à qui, pour se développer, il fallait encore l’avantage d’une société très aristocratiquement développée. Elles y verront ce qu’il faut de choses… qu’elles n’ont pas, pour être Brummell. L’auteur du Dandysme a essayé de faire le compte de ces choses ; riens tout-puissants par lesquels on ne gouverne pas que des femmes ; mais il savait bien, tout en le faisant, que ce n’était pas un livre de conseils que son livre, et que les Machiavels de l’élégance seraient encore plus niais que les Machiavels de la politique… qui le sont déjà tant ! Il savait enfin qu’il n’y avait là qu’un morcelet d’histoire, un fragment archéologique, bon à mettre, comme une curiosité, sur la toilette d’or des fats de l’avenir ― s’ils en ont ; car le Progrès, qui est en train, avec son économie politique et sa division territoriale, de faire de la race humaine une race de pouilleux, ne détruira pas les fats, mais pourrait bien supprimer leurs toilettes à la d’Orsay, comme inégalitaires et scandaleuses.
 
Dans tous les cas, voici le livre, tel qu’il a été écrit. On n’en a rien modifié, rien effacé. On y a seulement piqué, çà et là, une ou deux notes. La gravité de son temps, qui l’a souvent fait rire, n’a pas assez atteint l’auteur du Dandysme pour qu’il regarde ce petit livre, léger de ton, peut-être (il le voudrait bien, il n’est pas dégoûté !) comme une fredaine de sa jeunesse et pour s’en excuser aujourd’hui. Par exemple ! non. Il serait même bien capable, si on le poussait, de soutenir aux plus hauts encornés parmi messieurs les Graves que son livre est aussi sérieux que tout autre livre d’histoire. En effet, que voit-on ici, à la clarté de cette bluette ?… L’homme et sa vanité, le raffinement social et des influences très réelles, quoique incompréhensibles à la Raison toute seule, cette grande sotte, mais d’autant plus attirantes qu’elles sont plus difficiles à comprendre et à pénétrer. Or, quoi de plus grave que tout cela, même au point de vue supérieur de ceux-là qui se sont le plus détachés et détournés du monde, de ses pompes et de ses œuvres, et qui en ont le plus méprisé le néant ?…
 
Interrogez-les ! Est-ce qu’à leurs yeux toutes les vanités ne se valent pas, quelque nom qu’elles portent et quelque simagrée qu’elles fassent ? Si le dandysme avait existé de son
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temps, Pascal, qui fut un dandy comme on peut l’être en France, aurait donc pu en écrire l’histoire avant d’entrer à Port-Royal : Pascal, l’homme au carrosse à six chevaux ! Et Rancé, un autre tigre d’austérité, avant de s’enfoncer dans les jungles de sa Trappe, nous aurait peut-être traduit le capitaine Jesse au lieu de nous traduire Anacréon ; car Rancé fut un dandy aussi ― un dandy-prêtre, ce qui est plus fort qu’un dandy mathématicien, et voyez l’influence du dandysme ! Dom Gervaise, un religieux grave, qui a écrit la vie de Rancé, nous a laissé une description charmante de ses délicieux costumes, comme s’il avait voulu nous donner le mérite d’une tentation à laquelle on résiste, en nous donnant l’envie atroce de les porter !
 
Ce qui ne veut pas dire, du reste, que l’auteur présent du Dandysme se croie d’aucune manière Pascal ou Rancé. Il n’a jamais été et ne sera jamais janséniste, et il n’est pas trappiste… encore !
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Les sentiments ont leur destinée. Il en est contre lequel tout le monde est impitoyable : c’est la vanité. Les moralistes l’ont décriée dans leurs livres, même ceux qui ont le mieux montré quelle large place elle a dans nos âmes. Les gens du monde, qui sont aussi des moralistes à leur façon, puisque vingt fois par jour ils ont à juger la vie, ont répété la sentence portée par les livres contre ce sentiment, à les entendre, le dernier de tous.
=== no match ===
de tous.
 
On peut opprimer les choses comme les hommes. Cela est-il vrai, que la vanité soit le dernier sentiment dans la hiérarchie des sentiments de notre âme ? Et si elle est le dernier, si elle est à sa place, pourquoi la mépriser ?…