« Fini de rire » : différence entre les versions

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{{Chroniques de Maupassant|journal=Gil Blas|date=23 février 1882}}
 
 
==__MATCH__:[[Page:Maupassant - Fini de rire, paru dans Gil Blas, 23 février 1882.djvu/2]]==
{{t3|FINI DE RIRE}}
 
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Les masques attardés en notre époque font peine à voir ; ils semblent déplacés dans la foule morne, mal à leur aise dans l’air même de la cité moderne. Et la plèbe vient les regarder comme elle regarde des étrangers venus de loin, des Chinois bleus, des Arabes blancs, des Lapons vêtus de peaux, et les animaux singuliers qui vivent sous d’autres climats.
 
C’est un spectacle très curieux de voir passer sur les boulevards les quelques charretées
C’est un spectacle très curieux de voir passer sur les boulevards les quelques charretées de têtes en carton qui osent encore sortir par les rues. La cohue du populaire grouille sur les trottoirs. C’est une foule d’employés, de marchands endimanchés, de bourgeois pauvres, sédentaires, malhabiles à circuler, encombrant la voie, formant chaîne avec la femme et les enfants pâles, les enfants maigres, mal nourris, manquant d’air et de jeux, au sang pauvre, les futurs employés. C’est la masse des insignifiants, de ceux qui ne comptent que par le nombre, qui pensent d’après les formules enseignées par leurs pères ou par leurs prêtres, qui disent éternellement, sur les mêmes choses, les mêmes bêtises inconscientes, et qui, après avoir vécu comme tous le monde, meurent de même, sans laisser plus de traces que les feuilles d’une saison ou les mouches d’un été. Au Carnaval, tous ces gens-là sortent pour obéir à la coutume, et, au lieu de profiter du premier soleil pour aller promener les mioches rachitiques hors les murs, ils vont regarder les masques.
==[[Page:Maupassant - Fini de rire, paru dans Gil Blas, 23 février 1882.djvu/3]]==
C’est un spectacle très curieux de voir passer sur les boulevards les quelques charretées de têtes en carton qui osent encore sortir par les rues. La cohue du populaire grouille sur les trottoirs. C’est une foule d’employés, de marchands endimanchés, de bourgeois pauvres, sédentaires, malhabiles à circuler, encombrant la voie, formant chaîne avec la femme et les enfants pâles, les enfants maigres, mal nourris, manquant d’air et de jeux, au sang pauvre, les futurs employés. C’est la masse des insignifiants, de ceux qui ne comptent que par le nombre, qui pensent d’après les formules enseignées par leurs pères ou par leurs prêtres, qui disent éternellement, sur les mêmes choses, les mêmes bêtises inconscientes, et qui, après avoir vécu comme tous le monde, meurent de même, sans laisser plus de traces que les feuilles d’une saison ou les mouches d’un été. Au Carnaval, tous ces gens-là sortent pour obéir à la coutume, et, au lieu de profiter du premier soleil pour aller promener les mioches rachitiques hors les murs, ils vont regarder les masques.
 
Quels masques ! Sur une grande voiture une vingtaine d’êtres innommables, mâles et femelles, se sont réunis pour avoir froid. Leurs hideux accoutrements font loucher ; et, quand ils passent, on croit sentir
==[[Page:Maupassant - Fini de rire, paru dans Gil Blas, 23 février 1882.djvu/4]]==
de loin la crasse amoncelée des magasins de costumes. Ils sont assis bien sagement les uns en face des autres, les mains sur leurs genoux ; ils ne font pas de farces, ils ne rient pas.
 
— Pourquoi sont-ils là ? — Le savent-ils au juste ?
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Et on appelait en effet « fête des fous » la plus ancienne peut-être des réjouissances publiques, celle dont, sans doute, est sorti le « Carnaval ».
 
Elle remonte à peu près à l’an 633. C’était une étrange saturnale qui rappelait les orgies sacrées de l’Antiquité en ce sens que le clergé surtout y prenait part.
==[[Page:Maupassant - Fini de rire, paru dans Gil Blas, 23 février 1882.djvu/5]]==
le clergé surtout y prenait part.
 
Et voici bien là un des signes particuliers du Moyen Âge, de cette singulière, grandiose et puérile époque, où les hommes semblaient doués d’âmes enfantines, poétiques et grossières, capables indifféremment d’actes stupides ou héroïques.
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« De par monseigneur l’évêque, que Dieu vous donne grand mal au foie, avec une pleine
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panerée de pardons et deux doigts de gale sous le menton. »
 
Ces formules variaient d’ailleurs. L’Évêque distribuait aussi des panerées de mal de dents, de queues de rosse, etc. Ces sottes plaisanteries amusaient follement le peuple. Il suffit, du reste, de relire les traits d’esprit, gaudrioles, épigrammes et gauloiseries, même des meilleurs poètes des XV{{e}} et XVI{{e}} siècles, pour s’assurer que nos pères avaient le rire facilement excitable. C’était de la gaieté lourde, sans dessous malins. Au XVIII{{e}} siècle apparaît l’ironie ; le rire devient sec, perfide, amer, féroce. Au lieu de chatouiller, l’esprit blesse, il tue même.
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Voici, d’après Naudé, ce qu’était la fête des Innocents qui succéda vers le XVI{{e}} siècle à la fête des Fous. Quel mépris indigné nous aurions pour ces grossières réjouissances, ces incompréhensibles enfantillages :
 
« Les frères lais occupaient, à l’église, la
==[[Page:Maupassant - Fini de rire, paru dans Gil Blas, 23 février 1882.djvu/7]]==
place des religieux tonsurés et récitaient une manière d’office entremêlé d’extravagances et de profanations… Ils faisaient semblant de lire avec des lunettes dont les verres étaient remplacés par des écorces d’oranges, et marmottaient des mots confus en poussant des cris accompagnés de contorsions. »
 
 
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Le bœuf gras ! Il a fait dire assurément plus de solennelles niaiseries aux savants chercheurs de riens que la pierre philosophale elle-même.
 
Des livres se sont entassés sur les livres,
=== no match ===
pleins de raisonnements et d’érudition, pour démontrer que les Parisiens, ayant adoré le bœuf zodiacal, celui du Carnaval n’était qu’un descendant du céleste animal.
 
D’autres ouvrages, non moins dignes de foi, affirment que cette religion carnavalesque nous vient en droite ligne des Égyptiens, qui célébraient le bœuf Apis par une procession, vers le printemps.