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[[Catégorie:Gil Blas (périodique)]]
{{Chroniques de Maupassant|journal=Gil Blas|date=27 février 1883}}
 
==__MATCH__:[[Page:Maupassant - En séance, paru dans Gil Blas, 27 février 1883.djvu/2]]==
 
{{T3|EN SÉANCE}}
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On prend place.
 
La présidence est donnée à un élève de sixième du Lycée Louis-le-Grand qui représente la jeunesse scolaire. Le ministre s’assied à sa droite, le directeur de l’enseignement supérieur à sa gauche. Chaque assistant a devant lui les volumes qu’il a été chargé d’examiner et dont il doit rendre compte à la commission qui décidera leur admission dans les bibliothèques ou leur rejet.
==[[Page:Maupassant - En séance, paru dans Gil Blas, 27 février 1883.djvu/3]]==
rejet.
 
La séance est ouverte.
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M. Jules Ferry prend un cigare et l’allume ; on s’offre des cigarettes et du feu entre voisins. Trois vieux bibliothécaires se mettent à tousser. Le président les regarde en souriant. Il continue :
 
« Messieurs, nous marchons dans la voie du progrès ; ne nous arrêtons pas en si beau chemin. Jusqu’ici, vos prédécesseurs se sont efforcés de placer uniquement dans les bibliothèques les livres les plus ennuyeux qu’ils ont pu trouver, écrits par d’antiques savants étrangers aux idées nouvelles. Nous allons, si vous le voulez bien, modifier ce système. La science change ses principes tous les quinze ans ; n’introduisons pas dans les esprits des méthodes variables, une instruction aussi peu stable. M. de Buffon fait rire aujourd’hui ; dans cinquante ans, MM. Pasteur, Paul Bert, Berthelot et autres seront devenus ridicules par la vieillerie de leurs doctrines. Or, messieurs, remarquez, s’il vous plaît, que Aristophane, Rabelais, Boccace, Voltaire ne sont pas encore démodés.
==[[Page:Maupassant - En séance, paru dans Gil Blas, 27 février 1883.djvu/4]]==
Rabelais, Boccace, Voltaire ne sont pas encore démodés.
 
« Nous allons donc, s’il vous plaît, admettre en principe qu’on ne recevra désormais dans les bibliothèques que les pures productions de l’esprit, les romans.
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« Un excellent exemple analogue vient de nous être donné. Un théâtre d’un nouveau genre ayant ouvert ses portes, des billets de faveur permanents ont été offerts aux élèves des lycées, qui préfèrent, je ne crains pas de le dire, le séduisant ballet d’''Excelsior'' aux ennuyeuses et enfantines expériences de physique de nos professeurs. Une jambe de femme, messieurs, vaut bien la formule x<sup>2</sup> + px + q = 0.
 
« Nous allons donc commencer nos travaux dans cette voie. La parole est à M. le Directeur de l’Enseignement supérieur sur les livres qu’il a bien voulu prendre la peine d’examiner. » M. le Directeur de l’Enseignement supérieur prend la parole : « Messieurs, à tout seigneur tout honneur. Il est indiscutable que le livre le plus important publié cet hiver est ''L’Évangéliste'' de M. Alphonse Daudet. J’ai donc apporté à l’étude de ce roman tout le soin dont je suis capable et je viens vous proposer son admission dans les bibliothèques de tout ordre.
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tout ordre.
 
« Ce qui m’a le plus frappé dans cet ouvrage, c’est l’art merveilleux de conteur que déploie M. Daudet, l’habileté de l’agencement, et le charme extrême et si personnel de cet écrivain.
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M. LE DIRECTEUR DE L’ENSEIGNEMENT : M. le ministre peut se rassurer ; ce livre contient des critiques contre la religion protestante, critiques qui peuvent s’appliquer également à la religion catholique.
 
M. LE MINISTRE : Très bien.
==[[Page:Maupassant - En séance, paru dans Gil Blas, 27 février 1883.djvu/6]]==
Très bien.
 
M. LE RAPPORTEUR : Dès que le nouveau roman de M. Zola, ''Au Bonheur des Dames'', dont le succès est si éclatant dans ''Gil Blas'', aura paru, je m’empresserai de l’examiner et de vous dire mon opinion. Je viens, en attendant, vous proposer d’admettre un volume de nouvelles du même auteur, ''Le Capitaine Burle'' publié à l’automne, et contenant une suite de récits excellents, gais ou dramatiques, que je pourrais comparer à des échantillons du talent si varié du grand romancier.
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La commission vote à l’unanimité « oui » sur cette proposition.
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LE PRÉSIDENT déboutonne sa tunique, puis sonne. Un huissier paraît et reçoit cet ordre : « Allez chercher vingt-cinq bocks au café, en face ; il fait une chaleur de Hammam dans cette cambuse. Je ne dis pas Enfer pour ne pas blesser M. le ministre. »
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LE PRÉSIDENT : Donnez-moi ça, je le lirai.
 
M. LE DIRECTEUR DE L’ENSEIGNEMENT SECONDAIRE : J’ai examiné ensuite divers ouvrages de M. Maizeroy, et, en particulier le dernier paru : ''Celles qu’on aime''. Ces livres, écrits avec une grande souplesse de phrases, contiennent un certain nombre de mots que je ne connais pas et sur lesquels j’aurais besoin de me renseigner
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préalablement. Je crains, en outre, qu’ils n’aient un effet désastreux sur les imaginations de nos jeunes gens qui ne rêvent plus que petites femmes blondes et alcôves parfumées. Je propose cependant leur admission comme essai, et avec réserve. On pourra expérimenter sur un seul lycée pendant six mois…
 
L’huissier rentre avec les bocks, et les distribue. Le président en réclame cinq pour lui, et en boit deux coup sur coup. Puis il prononce : « Continuez, monsieur l’orateur. »
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LE RAPPORTEUR : Voici encore une très intéressante histoire des campagnes d’Hannibal par un de nos bibliothécaires, M. Léon Cahun.
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LE PRÉSIDENT (à son sixième bock) : Jamais, Hannibal, Rome et Carthage, je sors d’en prendre. Rejeté, rejeté, rejeté.
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LE PRÉSIDENT (à son neuvième bock) : Très chic.
 
Un long silence. Les membres de la commission baissent les yeux et croisent leurs mains sur la table avec embarras.
==[[Page:Maupassant - En séance, paru dans Gil Blas, 27 février 1883.djvu/10]]==
et croisent leurs mains sur la table avec embarras.
 
LE RAPPORTEUR reprend : Les périphrases et les métaphores me manquent pour représenter le sujet de ce livre inqualifiable, de ce livre…
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LE MINISTRE, ''radieux'' : Oh ! alors, c’est différent.
 
LE RAPPORTEUR :
=== no match ===
Messieurs, quand un écrivain a l’impudence de toucher à de pareilles choses…
 
LE PRÉSIDENT : Très chic. Je propose de le nommer inspecteur général de l’Université. Il en examinera, des Chariots. Très chic.