« La Pensée et l’Action » : différence entre les versions

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milliardième sur une masse d'un kilogramme. Comme l'a montré, en particulier, la fameuse expérience de Michelson, ces très hautes précisions se sont montrées nécessaires pour permettre à l'expérience de répondre aux questions de plus en plus précises posées par la théorie. Le développement de la théorie fondé sur l'expérience, nous permet à son tour de mieux comprendre les conditions de celle-ci et d'en augmenter constamment la précision en perfectionnant les instruments et en prenant de mieux en mieux les précautions nécessaires. L'histoire récente de la Physique fournit de continuels exemples de cette fécondation réciproque, de la théorie par l'expérience et de l'expérience par la théorie. Indépendamment de leurs actions et réactions mutuelles, l'expérience et la théorie trouvent extérieurement des appuis et des ressources, la première du côté de la technique, issue de notre science qu'elle féconde à son tour, et la seconde du côté des mathématiques auxquelles elle apporte aussi un stimulant précieux. Il est cependant juste et remarquable que parmi les constructions abstraites réalisées par les mathématiciens en prenant pour guide exclusif leur besoin de perfection logique et de généralité croissante, aucune ne semble devoir rester inutile au physicien. Par une harmonie singulière, les besoins de l'esprit, soucieux de construire une représentation adéquate du réel, semblent avoir été prévus et devancés par l'analyse logique et l'esthétique abstraite du mathématicien (
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1). Le souci de rigueur et de généralité sans lequel ne se seraient développés ni les géométries non euclidiennes ni l'instrument analytique parallèle du calcul différentiel absolu, a préparé, sans l'avoir prévu, le langage dont avaient besoin, pour s'exprimer et entrer en contact avec l'expérience les idées nouvelles de la relativité généralisée. Il a fallu, pour résoudre le mystère de la gravitation, faire appel à ces constructions abstraites, si éloignées en apparence de toute application. S'il nous est possible aujourd'hui d'entrevoir avec Einstein la réalisation d'une théorie physique et unitaire cohérente, comprenant dans une même synthèse l'électromagnétisme et la gravitation, c'est grâce au développement préalable de géométries encore plus générales que celles, imaginées par Riemann, qui avaient suffi pour rendre compte de la gravitation dans la première période de la relativité généralisée. (...)
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Ainsi se constitue une mécanique ondulatoire, dans laquelle disparaît, à l'échelle corpusculaire, la notion de trajectoire individuelle ou d'orbite, exactement comme en optique disparaît la notion de rayon quand les dimensions des appareils cessent d'être grandes par rapport à la longueur d'onde. De même que l'optique ondulatoire a permis d'aller au delà de l'optique des rayons ou optique géométrique dont elle rend compte comme première approximation, la mécanique ondulatoire complète la mécanique des trajectoires ou mécanique géométrique, lorsque celle-ci cesse de s'appliquer, à l'échelle corpusculaire.

L'opposition entre rayonnement et matière cesse ainsi de se confondre avec l'opposition entre le continu et le discontinu. Du côté du rayonnement, comme du côté de la matière, il est nécessaire, au moins pour l'instant, d'associer un élément continu, ondulatoire, à un élément discontinu, corpusculaire. D'un côté comme de l'autre une synthèse est nécessaire et s'élabore actuellement pour préciser le lien entre l'onde et le corpuscule, lien que nous
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exprimons provisoirement sous une forme statistique où l'onde, pour la lumière comme pour la matière, détermine la probabilité de présence du corpuscule associé. C'est la tâche principale vers laquelle est orienté aujourd'hui l'effort des physiciens.

Je me suis efforcé de mettre en évidence le rôle considérable joué, dans le développement récent de la physique, par l'analyse critique des notions anciennes et par la construction de notions fondamentales nouvelles mieux adaptées à la représentation de la réalité. Une évolution rapide, exigée par la précision croissante et par l'accumulation des données expérimentales, a renouvelé dans l'espace de trente ans les idées en apparence les mieux établies et les a libérées d'une grande partie de l'a priori qu'elles contenaient. Loin d'être achevée, cette action se poursuit. La critique de la notion d'observation par Heisenberg pose en ce moment la question des limites du déterminisme et atteint les bases mêmes sur lesquelles nous croyons possible de construire une science du réel. Le fait rappelé plus haut comme conséquence de l'existence des quanta, qu'il est impossible de suivre le mouvement individuel d'un corpuscule sans le troubler profondément, a conduit Werner Heisenberg à énoncer un principe dit d'indétermination, d'où résulterait l'impossibilité expérimentale d'atteindre autre chose que des lois statistiques. Le comportement individuel des corpuscules de matière ou de lumière échapperait à toute possibilité de prévision et par conséquent à tout déterminisme. En physique, comme en démographie, des lois de moyennes d'autant plus précises qu'elles concerneraient un nombre plus grand de cas individuels, recouvriraient une indétermination fondamentale de chaque cas particulier. Il convient d'attendre, pour se prononcer sur un si grave sujet, et de faire confiance, ici encore, à la réflexion critique sur la signification exacte des mots et des idées. La recherche d'un déterminisme est à tel point le mobile essentiel de tout effort de construction scientifique, qu'on doit se demander, lorsque la nature laisse une question sans réponse, s'il n'y a pas lieu de considérer la question comme mal posée et d'abandonner la représentation qui l'a provoquée."
 
Loin d'être achevée, cette action se poursuit. La critique de la notion d'observation par Heisenberg pose en ce moment la question des limites du déterminisme et atteint les bases mêmes sur lesquelles nous croyons possible de construire une science du réel. Le fait rappelé plus haut comme conséquence de l'existence des quanta, qu'il est impossible de suivre le mouvement individuel d'un corpuscule sans le troubler profondément, a conduit Werner Heisenberg à énoncer un principe dit d'indétermination, d'où résulterait l'impossibilité expérimentale d'atteindre autre chose que des lois statistiques. Le comportement individuel des corpuscules de matière ou de lumière échapperait à toute possibilité
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de prévision et par conséquent à tout déterminisme. En physique, comme en démographie, des lois de moyennes d'autant plus précises qu'elles concerneraient un nombre plus grand de cas individuels, recouvriraient une indétermination fondamentale de chaque cas particulier. Il convient d'attendre, pour se prononcer sur un si grave sujet, et de faire confiance, ici encore, à la réflexion critique sur la signification exacte des mots et des idées. La recherche d'un déterminisme est à tel point le mobile essentiel de tout effort de construction scientifique, qu'on doit se demander, lorsque la nature laisse une question sans réponse, s'il n'y a pas lieu de considérer la question comme mal posée et d'abandonner la représentation qui l'a provoquée."
 
Langevin étudie ensuite les oppositions entre rayonnement et matière et entre continu et discontinu. Comme ces idées se trouveront exprimées dans des conférences ultérieures, nous nanti contenterons de donner la conclusion relative la mécanique ondulatoire dont Louis de Broglie venait de poser les fondements.
 
(1) Cette applicabilité des théories mathématiques les plus abstraites à l'étude de phénomènes physiques auxquels ne songeaient nullement leurs promoteurs, avait beaucoup frappé Paul Langevin qui y revient souvent dans ses écrits. Cette correspondance, au premier aspect un peu mystérieuse, entre les produits de notre cerveau et les phénomènes naturels, lui paraissait,
 
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comme à beaucoup de rationalistes, un motif de plus pour avoir confiance en la raison de l'homme et en sa capacité d'expliquer l'univers. Engels a donné l'explication matérialiste dialectique de cette correspondance indéniable, en faisant remarquer ("Anti-Dühring", Éditions Sociales, Paris, 1950, p. 71) que la mathématique, issue des besoins des hommes, peut ensuite être opposée au monde réel comme quelque chose d'autonome, et il ajoute : « C'est ainsi et non autrement que la mathématique pure est, après coup, appliquée au monde, bien qu'elle en soit précisément tirée et ne représente qu'une partie des formes qui le composent — ce qui est la seule raison pour laquelle elle est applicable. »