Souvenirs de quarante ans/22

XX

ÉPILOGUE


Maintenant je n’ai plus à vous parler, mon cher Hector, que d’un événement que vous avez connu comme moi, triste dénoûment sur lequel se fermeront ces Souvenirs. Le 3 août 1830, j’étais à la campagne ; Madame la Dauphine arrivait d’un voyage pendant lequel de grands et terribles événements s’étaient accomplis. Une nouvelle révolution était sortie du sol de la France, miné par tant de passions. La princesse était à Rambouillet, prête à en partir pour un nouvel exil. Je me rendis en toute hâte à Rambouillet. Je l’embrassai ; nos larmes se confondirent. Elle me remit alors comme dernier souvenir le cachet que sa mère, la Reine Marie-Antoinette, avait toujours porté sur elle, appendu à sa montre, et que cette infortunée Reine, en quittant le Temple, avait donné à sa fille. En l’embrassant pour la dernière fois : « Je n’ai rien de plus cher ni de plus précieux, ma chère Pauline, me dit cette bonne princesse ; je ne me serais séparée de ce souvenir pour personne au monde[1]. Mais vous avez été pour moi plus que personne... Adieu ; quelles que soient les nouvelles épreuves que Dieu me réserve encore, nos cœurs se retrouveront toujours !... »

Nous nous séparâmes alors, hélas ! peut-être pour ne plus nous revoir. Toujours soumise à la volonté de Dieu, toujours forte, toujours résignée, elle va où la Providence la mène, en emportant dans son cœur cet inépuisable amour pour la France qui a résisté à tant d’épreuves et à tant d’exils. Elle s’en va en soutenant aux jours de sa maturité Charles X, comme aux jours de sa jeunesse elle a soutenu Louis XVIII. Grande princesse, sainte princesse, d’une âme si haute, d’un caractère si ferme, d’un cœur si bon ! C’est pour moi une consolation de lui rendre ce témoignage devant ma famille réunie, et, puisque vous avez voulu, mon fils, que j’évoquasse les souvenirs les plus chers de ma vie, c’est sur le nom vénéré de la fille de Louis XVI, dont l’amitié a fait le bonheur et la gloire de ma vie, que se fermera ce récit.





Ici se terminent les récits obtenus de madame de Béarn. Je n’y ai rien changé. Je n’oserais y ajouter un seul mot.

Si ces pages retracent de bien hautes et de bien touchantes infortunes, la vie de madame de Béarn, dans laquelle il m’a été donné de lire, m’a révélé bien des vertus.

fin
  1. Ce précieux cachet est conservé par M. le comte de Béarn avec le respect religieux qu’il attache à tant de vénérables reliques que je n’ai pu voir moi-même sans une indicible émotion.
    (Note de l’abbé ***.)