Souvenirs de la Marquise de Créquy de 1710 à 1803/Tome 9/Pièces justificatives
Aprets que le Rov eust desclaré, le sixiesme jour de septembre 1672, qu’il avoit bien voulu faire choix de Monsieur de Pomponne pour remplir la charge de secrétaire d’Estat, vacquante par la mort de Monsieur de Lyonne, et par la démission de son fils, Monsieur de Berny, quy en avoist eu la survivance, plusieurs personnes ayant dict à Sa Majesté que je ne manquerois pas de vouloir aller lui rendre de très humbles remerciements d’une si grande grace, et Sa Majesté ayant répondu qu’ele le permettroit, il n’y eut pas lieu de retarder à m’acquiter de ce devoir.
Ainsy, le dixième jour du même mois, je fus à Versailles avec Monsieur de Bartillat, mon intime amy, à quy Sa Majesté (se souvenant que c’étoit luy qui luy avoit parlé le plus souvent et avec le plus d’instance pour faire revenir mon fils de son exil avoit eu la bonté de dire que dans cette occasion elle se rejouissoit avec luy[2].
Lorsque nous arrivasmes, le Roy alloit tenir son conseil ; mais Monsieur de Bartillat luy ayant dict que j’estois là, Sa Majesté lui respondit : « Amenez-le moy. » Il n’y avoit avec elle dans la galerie que Monsieur Roze, secrétaire du cabinet, qui se retira[3]. Ainsi nous demeurâmes seuls, Monsieur de Bartillat et moy, avec Sa Maesté.
Lorsque je voulois lui faire mon compliment, elle prit la parole d’une manière si obligeante, qu’elle m’ouvrit le cœur et me donna cette grande liberté pour lui parler, qui dura tout le temps de cette longue et favorable audience. Sa Majesté me dit donc de prime abord : « Il ne falloit pas une moindre occasion que celle-cy pour vous faire sortir de vostre solitude, où quelque retiré que vous fussiez, on n’a pas laissé de parler de vous et beaucoup !… Mais je vous vais donner une autre joye, c’est que vous verrez votre fils plustôt que vous ne le pensez, car je luy ay mandé de revenir le plus viste qu’il se pourra. »
À quoy je respondis dans les termes les plus respectueux pour luy témoigner une juste reconnoissance, je dis entre aultres choses, que d’aultres princes pouvoient donner de grandes charges, mais que les donner d’une maniesre qui les relevoist encore infiniment au-dessus de ce qu’elles estoient par elles même estoit une gloyre qui luy estoit réservée, et dont nulles paroles ne pouvoient exprimer combien j’estois touché ; que j’osois assurer Sa Majesté, qu’outre la fidélité et la passion pour son service, quy étoient et devoient estre héréditaires en mon fils, j’espérois que Dieu lui feroit la grâce de la servir avec tant d’application et de détachement de son intérest propre, qu’elle n’auroit point de regret à l’avoir comblé de ses faveurs. Sa Majesté me dict : « Vous oubliez à parler de sa capacité, tout le monde me félicite et me remercie du choix que j’ay faict de luy. » La suite m’engagea à dire sans affectation que le feu Roy son père m’avoit fait l’honneur de me faire offrir à Béziers, en 1622, la charge de secrettaire d’état vacant par la mort de Monsieur de Sceaux, en donnant quatre yingt mille écus de récompense à ses héritiers, et que je n’avoys pas été assez hardy pour les donner. Sa Majesté me respondit : « Il en coustera davantage à vostre fils, mais cela ne durera guère, et je le sauray tirer d’embarras… »
Le Roy me dict ensuite beaucoup de bien de mon fils, er il termina par ces propres paroles « Quand vous n’auriez nul aultre contentement et aultres satisfactions que d’avoir un tel fils, vous devriez vous estimer très heureux ; et comme il faut commencer par bien servir Dieu, pour bien servir son Roy, je ne doubte point qu’il ne satisfasse à tous ses devoirs[4] »
Sa Majesté me dict ensuite, d’une maniesre dont je ne saurois assez bien exprimer la grâce et la délicatesse : « Au reste, j’ai un avis à vous donner qui vous est important, car il regarde vostre conscience, et je crois qu’il pourroit mesme y avoir sujet de vous confesser, c’est que vous avez marqué dans la préface de l’histoire de Josephe que vous aviez quatre-vingts ans, et je doubte que l’on puisse, sans vanité, méritrer que l’on soit capable de faire à cet aage un si grand et si bel ouvrage ? »
La suite du discours me fit dire à Sa Majesté, cela étant venu à propos, que je me plaignais de ce qu’entre tant de justes louanges qu’on lui donnoit, il y en avoit une sur laquelle on n’appuyoit point assez, qui estoit à l’égard des duels. Le Roy me répondict simplement : « On m’en loue beaucoup ; » et je luy repartis : Ouy, Sire, on vous en peut louer, mais non pas, ce me semble, autant que le mérite une aussy grande grâce que Dieu vous a faite d’arrester ce torrent de sang qui entraisnoit dans l’abysme une si notable partie de vostre noblesse ; à quoy il a ajousté une autre grâce dont Vostre Majesté ne sauroit aussy trop le remercier, quy est d’avoir donné la paix à l’Église, Sire, étant le royaume de Jésus-Christ, c’est une beaucoup plus grande gloire à Vostre Majesté de l’avoir pacifiée que si elle avoist donné des loix à tout l’univers. » Ce que Sa Majesté me témoigna chrestiennement et fort humblement recevoir.
Elle me dict qu’aussitost que j’étois entré, elle m’avoist reconnu. Je respondis au Roy que je ne pouvois assez m’en étonner, puisqu’il y avoit vingt-huit ans que je n’avois eu l’honneur de le voir, depuis que la Reyne, sa mère, le tenant par la main dans la galerie du Palais Royal, j’avais eu l’honneur de parler pendant fort long-temps à cette grande princesse. Sur quoy le Roy me dict avec un air de bonté profonde, et plusieurs aultres fois encore durant cet entretien : « La Reyne ma mère vous aimoit beaucoup. »
Sur ce qu’après je dis ces paroles a Sa Majesté : « Tout ce que je puis faire en l’aage où je suis, Sire, pour reconnaitre les obligations dont mon fils et moi vous sommes redevables, c’est de continuer, dans ma solitude, à souhaiter qu’en suite de tant d’actions qui doivent éterniser la mémoire de Vostre Majesté, Dieu porte ses jours si advant dans le siècle à venir, qu’il n’y ait pas moins de sujet d’admirer la durée que la gloire de son règne. Sa Majesté me respondict : « Vous me voulez, trop de biens. »
Apres je la suppliay de me dire si elle me permettoit d’user de la mesme liberté avec laquelle le Roy, son père, et la Reyne, sa mère, avaient toujours eu pour agréable que je leur parlasse. Elle me répondict à cela d’une manière si obligeante, que je ne craignis point de luy dire : « Sire, pour ce quy regarde mon fils, Vostre Majesté l’a tellement comblé de ses bienfaicts, qu’il ne se peut rien désirer davantage ; mais pour moy, Sire, j’advoue que pour êre pleinement content, il me reste une chose à souhaiter. — Dites laquelle, me répondict le Roy. — L’oserai-je dire, lui repartis-je. — Oui, me répliqua Sa Majesté. – C’est, lui dis-je alors, que Vostre Majesté me fasse l’honneur de m’aimer un peu. » En achevant ces paroles, je luy voulus embrasser les genoulx, mais ce grand Prince me fist l’honneur de m’embrasser d’une maniesre quy devoit achever de me combler de tendresse et d’obligation.
Je pris ensuyte congé du Roy quy voulut bien me dire alors « Je prétends que ce ne soit pas la derniesre foix que je vous verray. » Et sur ce que je lui respondis qu’il ne me restoit qu’à prier Dieu pour elle dans ma solitude, Sa Majesté me dict : « Cela ne dépendra plus de vostre meschant vouloyr, et si vous ne me venez visiter quelque foix, je pourrai bien vous envoyer quérir d’autorité. »
Il fust dict aussy plusieurs autres choses, dans cette longue entrevue, que je ne saurois vous rapporter, attendu que j’étois si attentif à ce que Sa Majesté me faisoit l’honneur de me dire, d’une maniesre qui me touchoit également le cœur et l’esprit, et que j’étois également si attentif à lui respondre, que ma memoyre en étoit comme suspendue. Monsieur de Bartillat estoit lui-mesme si touché de ce qu’il entendoit dire à Sa Majesté, qu’il advoue, malgré sa préoccupation, n’en avoir pu retenir la plus grande partie.
Apres estre sorti de chez le Roy, nous allasmes, Monsieur de Bartillat et moy, chez Monseigneur le Dauphin, qui me reçut favorablement. Quand la Reyne fut habillée, je lui allai faire ma révérence, et Sa Majesté me fit l’honneur de me parler avec une bonté nompareille.
Le Roy, après avoir tenu conseil, allant à la messe avec cette grande foule de personnes de qualité qui l’accompagnent toujours, comme je parlois à Monsieur Le Tellier[5], proche de la chapelle, Sa Majesté me fit l’honneur de me démesler dans cette foule, en me faisant un signe de teste et des yeux, avec un souryre infiniment doux.
Sa Majesté commanda ensuyte à Monsieur Bontemps, capitaine de Versailles, de me retenir a disner, et elle me fit l’honneur de m’envoyer de ses fruicts par Monsieur de la Quintinie[6]. Le Roy ayant tesmoigné à Monsieur de Bartillat qu’il seroit bien aise que je visse jouer les eaux, dont la beauté va sans doute au-delà de tout ce que l’on peut imaginer, Sa Majesté eut la bonté d’ajouter : « Mais comme la Reyne veut les faire voir à un Seigneur de son pays, qui va prendre possession du gouvernement d’Anvers, et à sa femme, je crains qu’elle n’y aille tard, et que cela mettant Monsieur d’Andilly dans l’humidité du soir, il ne s’enrhume. »
La Reyne, en compagnie de cette grande dame espagnole, alla donc le soir voir jouer les eaux. Comme le carrosse de Monsieur Bontemps, dans lequel j’estois, ne pouvoit pas dans une si longue file arriver aussitost que Sa Majesté aux endroits où elle mettoit pied à terre, elle avoist la bonté d’envoyer un de ses pages pour me faire advancer ; et lorsqu’on fit jouer les jects de la grotte, elle me commanda de me mettre tout contre la portiesre du carrosse où elle estoit, afin que je ne fusse point mouillé.
Il faudroit un trop long discours pour vous rapporter toutes les particularités de cette journée, si extraordinaire pour un solitaire, et si longue que nous ne fusmes de retour à Paris qu’après dix heures du soir.
Je vous assure que sans vous, il n’y en auroit eu rien d’escript. Je me serois contenté d’admirer, dans ma retraite, les éminentes qualités du Roy, que je n’aurois pu croire si grandes que je les ay reconnues, quoi que la renommée m’en ait rapporté, et quoi que mon fils m’en ait pu dire ; je vous advoue qu’elles m’ont touché de telle sorte que, quelque extraordinaire que soit le bienfaict dont il a honoré mon fils, j’estime infiniment plus tant de circonstances obligeantes dont il lui a plu de l’accompagner. Oserai-je adjouster que, depuis mon retour, la satisfaction que Sa Majesté a bien voulu tesmoigner avoir eue de moy, ne cède aulcunement à tout le reste ?
Nous soussignées, anciennes religieuses professes de la maison royale de Saint Cyr, diocèse de Chartres, étant priées d’attester, pour rendre hommage à la vérité et dans une intention qui n’a rien de prophane ou frivole, ce que nous pouvons savoir touchant un ancien motet qui passe aujourd’hui pour un air anglois, et pensant que la charité ne sauroit en êtr blessée, nous déclarons que cette musique est absolument la même que celle que nous avons entendue dans notre communauté, où elle s’étoit conservée de tradition, depuis le temps du Roy Louis le Grand, notre auguste fondateur, et que ladite musique avoit été composée, nous a-t-on dit dès notre jeunesse, par le fameux Baptiste Lully, qui avoit fait encore plusieurs autres motets à l’usage de notre maison, et entre autres un Ave maria Stella d’une si grande beauté que toutes les personnes qui l’entendoient chanter disoient qu’elles n’avoient rien ouï de comparable. Pour ce qui est du premier motet, nous avons entendu raconter à nos anciennes que toutes les Demoiselles pensionnaires le chantoient en chœur et à l’unisson toutes les fois et au moment où le Roy Louis le Grand entroit dans la chapelle de Saint Cyr, et l’une de nous l’a encore entendu chanter à grand chœur lorsque le Roy Louis le Martyr, seizième du nom, vint visiter cette Maison royale avec la Reine, son épouse, en l’année 1779 ; et ce fut sur l’avis de M. le Président d’Ormesson, directeur du temporel de Saint Cyr, qu’il avait été décidé que Sa Majesté seroit saluée par cette invocation, suivan l’ancien usage, de sorte qu’il n’y a presque aucune de nous qui ne sache par cœur ou ne connoisse l’air et les paroles de cedit motet. Nous pouvons donc assurer que l’air est entièrement conforme à celui qu’on dit un air national d’Angleterre, et quant aux paroles que nous allons copier exactement, on nous a toujours dit qu’elles avoient été composées par Madame de Brinon, ancienne supérieure de St. Cyr, et personne lettrée, fort habile en poésie, comme il y parait par d’autre cantiques à l’usage de sa communauté. Celui sur la communion y a été chanté jusqu’à la fin, et si l’autre n’etoit pas aussi connu que celui-ci, cela tenoit sans doute à ce que le Roy Louis le bien Aimé et le Roy Louis le Martyr n’avoient pas l’habitude de visiter souvent notre maison comme le Roy Louis le Grand, notre fondateur, avoit coutume de le faire.
GRAND DIEU, SAUVEZ LE ROY !
GRAND DIEU SAUVEZ LE ROY.
VENGEZ LE ROY !
QUE TOUJOURS GLORIEUX,
LOUIS VICTORIEUX
VOYE SES ENNEMIS
TOUJOURS SOUMIS.
GRAND DIEU ! SAUVEZ LE ROY !
GRAND DIEU ! VENGEZ LE ROY !
VIVE LE ROY !
Nous attestons donc que cesdites paroles, que nous avons en mémoire depuis si longues années, ont toujours passé pour une œuvre de notre Révérende Mère supérieure, Madame de Brinon, c’est-à dire datent du temps du Roy Louis XIV, décédé en 1715.
En foi de quoi nous avons donné le présent attestat, sous licence et permission de notre supérieur ecclésiastique, et nous y avons fait appliquer les cachets de nos armes, à Versailles, ce 19 séptembre 1819, et avons signé.
Nou soussigné, maire de Versailles, etc., certifions que les trois signatures ci-dessus sont celles de Madame Thibault de la Noraye, de Madame de Moustier, et de Madame de Petagrey, anciennes religieuses et dignitaires du content royal de Saint-Cyr, et que foi doit y être ajoutée. Versailles, le 22 septembre 1819.
En suite et complément de al depesche que j’ay eu l’honneur de diriger sur la haute destination de Votre Majesté Cœsarrienne par le dernier ordinaire, je luy viens rendre compte de l’inicque supplice et douloureuse fin du Comte Antoine de Horn, lequel au mespris de la plus formelle promesse accordée, par le Régent de France à messieurs le Duc de Croy-Havrech, Prince de Ligne, Marquis de Crequi, et autres fort grands Seigneurs tant de l’Empire que de ce Royaume, et laditte promesse consistante à faire commuter la peine du supplice de la roüe en celle de la decollation, n’en a pas moins esté soubmis à la torture et puis supplicié sur la roüe en place publique en la matinée du 26 dernier. Ce dont il est résulté comme de juste, un grand soulevement d’indignation contre les deux personnages en crédit auprez du Duc d’Orléans qui ont retourné l’esprit de ce prince en l’espace de vingt quatre heures, à ce point de lui avoir fait tenir comme non advenue sa parole honneur qu’il avoist donnée formellement auxdicts seigneurs, pour le faict de la commutation dudict supplice infammant en ce le de la dezcapitation qui ne l’est point. Pareil mespris de sa parole de prince et de la foy donnée à gens si hautement nés, si grandement establis et si dignes de toutes sortes d’égards et ménagements, a cruellement ulcéré les cœurs et les esprits de la noblesse et principalement de touts les parens et alliez de ce malheureux jeune seigneur, lesquels se demandent avec assez d’apparence de justice et raison, si c’est donc qu’on doit avoir à mespris les engagements qu’ils reçoivent d’un prince, ou si le Duc Régent ne fait aucun estat de sa parole d’honneur aprets l’avoir donnée. En tout estât de cause, il en subsiste une générale animadvertion contre les troix autheurs de cette cruauté si blessante pour tant de grandes familles, et si marquée de villeinie sordide, par le motif quy l’a faitte opérer, avec une déloyauté si brusque et si manifeste aux yeux de touts. On peut et doit supposer que c’est en vue de soutenir et préserver de chûte un échaffaudage de tromperie fiscalle que ces deux affidés voudroient empescher d’écrouller, et qui ne s’en détruict pas moins de partout au grand dommage et préjudice avec ruyne complette de ceulx qui sont entrés dans leur système. Je diray latterallement au fonds de mon subjet présent, que le sieur Law est bien fort embarrassé du discredit de ses papiers et que celluy qui gouverne icy en a montré desja de la crainte et comme du regret, ensuite d’une émotion qui s’en est montrée ces jours derniers dans les rües de la ville : 2. 25. 11. 18. 63. 17. 44. 49. 6. 25. D. 14. 72. 86. 11. 52. 55. 11. 24. 30. 7. 3. 16. 42. 94. A. 69. D 4. 11. 9. 35. 60. 25. 27. 8. 2. 71. 86. 52. 55. 11. 24. 30. 94. 42. 16. 5. 7. O. 25. 2. 88. 15. 24. 19. 34. Ci joincte la rellation de cette éxécution que je n’hesiteray point à qualifier du nom de barbarie et d’inicquité cryante, en considérant surtout la foiblesse de raison dont le Comte de Horn avoit toujours été frappé et qu’il avoit dans le sang, en hérédité notoirement justifiée par toutes les preuves envoyées des Pays-Bas ; preuves de nature et d’autorités incontestables ; preuves judiciaires ressortissantes des tribunaux brabançons : preuves de notoriété publique, provenantes de plus de cent témoignages dignes de toute estime et confiance. Il est bon d’observer collatérallement aussy que le juif l’avoit provoqué par un outrage insubissable et que le seul coup qui luy fust porté par le Comte estoit dans une épaulle et n’avoist pas pu lui causer la mort. 19. 4. 12. 29. 16. 22. Je viens de recevoir une dépesche du Prince de Horn inclusant copie de sa requête à S.M. Cœsarrienne, ainsy qu’au saint conseil de l’Empire, et je viens de retourner réplique à Son Altesse en lui accusant réception de sa lettre et lui disant que j’attendois réponse a la demande que j’avois soumise à Vostre Sacrée Majesté pour en obtenir les instructions dont j’ai besoin pour me pouvoir diriger suivant son auguste volonté dans la suite et les conséquences d’une catastrophe si douloureuse et si imprévüe.
Estant pour toute ma vie, de Vostre Sacrée Majesté,
Aussitôt que l’on eut appris la condampnation du Comte Anthoine, on vint me dire qu’il avoit répondu d’une manière si déréglée devait ses juges, qu’ils auroient dû le juger privé d’une partie de sa raison, mais comme il n’entroist dans cet estat déraisonnable et déréglé qu’après avoir pris son repast du matin en prison, on supposa que son vin pouvoit être drogué de manière à produire cette méchante disposition sur l’esprit de ses juges, car on se montroit acharné à le faire condampner pour les deux raisons de rivallité et de fiscallité dont j’ay parlé suffisamment, et si les deux suppots du système avoient un motif, le Prince en avoist un autre qui venoist aboutir à la mesme resollution avec non moins de méchant voulloir et de persistance. Pour moy, je croirois seullement qu’il avoist la teste foible et troublée par ce que sa disposition naturelle lui pouvoist donner d’altération, et par ce que sa situation devant la justice françoise devoist lui fournir de contrariété et de trouble. Les parents et alliés de sa maison se réunirent ausitost pour aller présenter au Régent une requête fort bien faitte, afin d’en obtenir la grâce ou tout au moins commutation de la peine en celle de la prison perpétuelle, espérant ainsy qu’à la majorité du Roy il y auroit meilleure justice à espérer pour une personne de famille princière, alliée de la maison royalle de France et qu’on pouvoist tenir à peu près pour un insensé. Ceux des signataires et suplians qui sont subjets du saint Empire, estoient le Prince de Ligne, le Duc de Havrech, le Comte d’Egmond, le Vidame de Tournay, le Comte Em. de Bavière, et le Burgrave de Leyden. Le surplus estant des Seigneurs françois de la première qualité seullement, vu que le Prince de Ligne avoist faict difficulté de reconnoistre et admettre pour parents de ses neveux ceux qui n’étoient pas du premier rang en France et de distinction première, résollution que les meilleurs esprits de la convoquation n’ont pas manqué de combattre et qui estoit grandement impolitique à mon sens. On avoit admis les Dames a signer la mesme requeste et voicy les noms de celles de nostre costé. La Comtesse de Longni Montmorency. C’est une Comtesse de Horn. La Princesse de Croui qui est une Créqui, la Princesse de Nassau, Landgrave de Hesse. La Princesse de Nassau qui est une Mailli, et la Margrave de Berg op-Zoom qui est Ligne-Aremberg. Il y a dans les autres signataires quatre Princes et une Princesse de la maison royalle de Lorraine que je n’ay pu en empescher quoi que j’aye pu faire et dire pour leur faire sentir l’inconvénient de cette démarche en réserve sur leur dignité personnelle et en deffiance du resultat de pareille démarche où j’aurois estimé que personne de leur maison n’auroist dû s’exposer, pour éviter toute compromission par un semblant de parité de noblesse avec les autres suplians qui avoient arresté de signer et se présenter en pêle-mêle, et aussy dans la crainte du refus de la grâce demandée. Il faut pourtant dire et justement observer qu’une Princesse de Savoye et deux de la maison de Gonzague n’en ont fait aucune difficulté. Estimant ou supposant sûrement que pareille action ne sauroit leur porter préjudice et tirer à conséquence. Le Duc de Bouillon et Messieurs les Cardinaux ont également signé la requeste au hazard de leur arrivée et sans égard à leurs prétentions de dignité. Quoi qu’il en soit, je n’avais rien négligé pour décider Messeigneurs de Lorraine à ne point signer ni se produire et commettre en cette occurrence et de ladite manière, et s’ils ont agi différement, c’est contre mes avis et représentations réitérées auprès de Monseigneur le Prince de Guize, jusqu’à trois reprises en deux jours, avec la même insistance et toujours autant d’inutilité de ma part ; peut-estre seroist il prudent et convenable de faire sentir qu’on auroist du recevoir différemment les observations que j’etois en droit de faire arriver aux parents de Sa Majesté Impériale, et eu égard à mes fonctions de son Plenipotentiaire en Cour de France.
Toute cette assemblée de noblesse s’est donc présentée devant le Duc d’Orléans qui les avoit fait prévenir qu’il leur accorderoit audience dans la soirée du jeudi 21 mars, au Palais-Royal ; on les a reçus avec beaucoup de formalités et grande apparence de courtoisie, comme il appartenoit à leur qualité ; c’est un des grands officiers de la maison qui leur a fait les honneurs de la salle d’attente, et comme ils s’étoient mis de grand deuil, il en resultoit une apparence des plus lugubres et des mieux appropriées pour le motif de cette audience.
Le Régent a fait dire qu’il les prioit de lui députer seullement leurs commissaires qui étoient le Cardinal de Rohan, le Duc de Havrech, le Prince de Ligne, et le Marquis de Crequi, qui bien que le plus jeune étoit de fait et réelement, le chef de laditte commission, à raison du mérite qu’on lui doit reconnoistre, et de son crédit sur l’esprit des autres, comme aussi parce qu’il sait parler juste, et facillement bien, et fortement quand il convient de le faire.
La discussion s’est prolongée très long-temps et fort avant dans la nuit sans pouvoir rien gagner sur le Duc Régent qui n’a pas voulu se relâcher de la peine capitalle et qui a eu de rudes attaques à supporter et surmonter de la part du Prince de Ligne qui n’est pas, comme on doit en convenir, un homme à tempéramens et ménagemens bien calculés. On estime que l’extréme roideur du Régent a tenu principallement à ces brusqueries mal avisées. Cependant il a promis et donné parolle formelle de faire commuter la peine de la roue en celle de la décollation pure et simple, par égard pour les familles et personnes intéressées à ce que les quartiers du nom de Horn ne soient pas diffamés, et pour éviter les nombreux et graves préjudices qui s’ensuivraient dans la fortune de ces mesmes familles, à qui leurs filles et leurs cadets resteroient à leurs charges pendant plus d’un siècle à venir, c’est-à-dire durant quatre générations, ce qui donne, à trente ans par chaque génération, un total de cent vingt ans, ainsi que l’avoit fait observer le Marquis de Créqui, ce que le Régent témoigna très bien comprendre et favorablement accueillir. Il alla mesme jusqu’à proposer de faire faire l’exécution capitalle dans la cour intérieure de la prison du palais, ce qui fut accepté par le Prince de Ligne et le Duc de Havrech seulement, car les deux autres commissaires s’étaient retirés de toute négociation, lorsqu’ils avaient jugé que le refus de garantir la vie sauve à leur parent, avoit été rejeté sans espoir de rémission. Ce point convenu pour la commutation du supplice infamant en l’autre peine non pas dégradante, le Duc d’Orléans est venu saluer tous ces membres de l’assemblée de famille, auxquels il a bien voulu faire faire force civilité, protestation de regret, assurances de bon vouloir, et cœtera. Tout le monde s’est séparé avec une grande et proronde tristesse, et l’on s’attendoit à ce que l’exécution auroit lieu le mardi saint 26 mars de la façon que l’avoit promis le Duc d’Orléans. On a su que la Marquise de Parabère et le Duc de Saint-Simon s’étaient chaudement entremis auprès de ce Prince, mais sans en pouvoir obtenir autre grâce que celle de ladite commutation de peine, cette Dame en ayant éprouvé une émotion à laquelle le Prince a en ses raisons pour ne pas se montrer fort sensible, et le Duc de Saint-Simon a cru pouvoir écrire à un de ces Messieurs qu’on devoist s’en tenir pour fermement assuré parce qu’il en avoit tiré, de son costé, parolle d’honneur du Duc Régent, lequel avoist judicieusement adopté cette méthode a suivre afin de ne pas punir non-seulement toute une famille pour un acte de folie d’un de ses membres, mais encore un grand nombre de maisons les plus illustres de l’Europe, et notablement de l’empire et des Estats du Roy Très Chrestien.
On estoit donc en tranquillité sur le fait de la roue, et l’on vacquoit douloureusement à ces apprets qui devoient en suivre l’exécution du mardi, lorsqu’on apprit le même jour que le comte Anthoine avoit été rompu vif dès le matin sur cette place qu’on appelle la Gresve et où l’on supplicie et meurtrit d’ordinaire les malfaiteurs de la province de France et du ressort de Paris. On adjoutoit que le bourreau lui avoit, toutes fois, par égard ou charité, administré le coup de grâce avant de lui briser les membres ; mais ce qu’il y avoist de plus horrible à penser, c’est que ce malheureux patient avoist eté soubmis à la torture avant d’aller à l’échafaud, et ce qu’il y avoist d’inconcevablement dérisoire après les parolles d’honneur données par le Duc Régent et les promesses reçues par cette Haute Noblesse, c’est qu’il avoist été mis a mort coste à coste, avec le scélérat piedmontois qui avoist réellement commis le meurtre et qui n’étoist qu’un homme de néant ou peu s’en falloit. J’ai envoyé sur-le-champ au lieu de l’exécution un gentilhomem a moy pour estre assuré de la triste réalité des choses, et l’on m’a rapporté que les plus proches parents du Comte Anthoine s’étoient rendus en grand appareil sur le lieu même, et dans leurs carrosses étant tous les rideaux estoient fermés : leurs carrosses étant rangé coste à coste au nord de la place de la Gresve, où ils ont attendu jusqu’à ce que leurs estaffiers les vinssent advertir que l’exécution étoit consommée, et que le témoin judiciaire d’icelle se fust déposté du lieu qu’il occupoit d’office à cette fin de mission. Pour lors de ce que lesdits Seigneurs et Princes ont fait détacher le corps de la roue et fait apporter dans un carrosse à l’un d’eux, et m’a-t on dit que Monsieur de Crequi avoist tenu mesmement jusqu’audit carrosse une des jambes rompues qui ne tenoist plus que par quelques lasniesres de peau sanglante au restant du corps, ensuite de quoi je me suis rendu chez la Comtesse de Longni-Montmorenci pour jeter de l’eau bénite sur le corps que j’ai trouvé déjà mis au cercueil et déposé dans une chapelle ardente, avec un clergé nombreux qui lui chantoit l’office de libera. Il y a eu grande affluence de devoirs rendus pendant les quarante-huit heures suivantes, et un nombre infini de condoléances des plus bienséantes et respectueuses ; j’adjouterai que l’on ne doute point qu’il n’aist été supplicié injustement. On a dit pendant ces deux jours des messes continuelles à deux autels dressés dans la mesme salle, où j’ay envoyé tous les gentilshommes et autres gens de l’ambassade ; ceux ci en livrées de grand deuil avec l’aiguillette à mes couleurs selon l’usage de ce pays. C’est le Prince François de Lorraine accompagné des Marquis du Plessix-Belliesre et de Crequi qui sont allés conduire le cercueil et l’accompagner jusqu’à Baussignies, où le Prince de Horn avait demandé de l’envoyer comme la seule consolation qu’il puisse recevoir dans une si grande amertume, car on ne sauroit se doubter combien il aimoist tendrement son malheureux frère, jusque-là qu’il a eu plusieurs accès de fièvres avec transport, en suite de l’inquiétude que lui avoist donnée son départ pour Paris, estant à peine retabli de son dernier dérangement au cerveau qui causoit au Prince des transes mortelles, non par ce que son frère pouvoit commettre de punissable, il n’y croyoit pas ; mais par ce qu’il pouvoit y avoir de périls à courir pour lui. Cet evesnement est saus aucun doute un horrible malheur, et c’est peut-être un effet de méchanceté bien criminelle.
Il résulte d’un grand nombre de pièces qui nous ont été produites et que nous avons soumises à l’examen d’un généalogiste habile et consciencieux, que la parfaite bonne foi de l’auteur aurait été surprise, à l’égard de la famille Le Compasseur de C…, par des allégations inexactes, infidèles peut-être, et dans tous les cas fort injustes, ainsi qu’on nous a mis à lieu de le vérifier. Nous nous empressons de le reconnaître, en ajoutant que cette rectification est la seule que nous ayons accordée, parce que la réclamation qu’on nous a faite à l’égard de la famille de M. le Marquis de Courtrivon, est la seule qui nous ait paru suffisamment établie.
Quant à l’ancienneté de cette famille originaire du Roussillon, où elle était possessionnée de la seigneurie de la ville d’Ope et de celle d’Estagel, il suffira de mentionner sommairement 1o un titre de Guillaume Le Compassor, seigneur d’Ope, charte latine, en date des noues de septembre en l’année 1188, où l’on voit que ledit seigneur d’Ope cède et transporte à Bertrand de Peyrallos, à sa femme et leurs héritiers ou ayans-cause l’honorifique des droits féodaux qu’il possédait dans ladite ville d’Ope, et ceci moyennant la somme de 150 sols malgonniens, qu’il se réserve le droit de leur rembourser avant la fin de ladite année 1188, afin de pouvoir recouvrer la possession des droits qui sont l’objet de ladite cession. On nous a fait observer qu’il existait peu de charte d’une date aussi ancienne, et peu de familles française ou étrangères qui puissent fournir un document de pareille valeur.
2o On nous a fait parvenir la transcription d’une autre charte latine en date du 20 décembre 1390, dont il appert que Françoise de Sénecterre, femme de Noble Seigneur Bertrand Le Compasseur, Chevalier, donne quittance de la somme de 1,641 livres 8 sols et 1 denier tournois, à Noble Seigneur Raymon de de Peyrallos, Vicomte de Rhodes et Sire de Cephalonie, duquel titre il résulte aussi que Bertrand Le Compasseur sus-nommé avait cédé par acte du 2 mars précèdent, au Vicomte de Rhodes, le château fort et le domaine d’Estagel au comté de Roussillon.
De plus et 3o, sous la date du 15 septembre 1391, on voit des lettres de cédule en mandement royal de Jean, Roi d’Aragon, de Valence, de Sardaigne, de Mayorque et de Minorque, Prince de Catalogne et Comte de Roussillon lequel approuve et ratifie ladite cession d’Estagel par te Noble Chevalier Bertrand Le Compasseur, avec tous ses droits de haute, moyenne et basse justice, mère et mixte impère, ainsi que ledit Chevalier Bertrand Le Compasseur, les avait acquis et reçus d’Illustre Seigneur, Pierre d’Aragon, d’heureuse mémoire, en son vivant, père dudit roi Jean d’Aragon, Valence et Sardaigne. (Lesdites chartes vidimées, copiées et collationnées à Dijon, par actes de l’année 1757).
Enfin et 4o, la copie collationnée d’une sentence de l’année 1491, en faveur de Pierre de Bey, lequel est tenu, réputé et déclaré Noble, par jugement du baillage de la ville de Troyes en Champagne, attendu les preuves fournies par lui relative à la descendance naturelle et en lignée légitime de sa femme Marguerite de Bray, petite-fille de Bertrand Le Compasseur et de Françoise de Sénecterre, ci-dessus mentionnés ; lesquels avaient eu pour fils Guillaume Le Compasseur, mari d’Edmée de Ferrette qui furent père et mère de Giles le Compasseur, ainsi que de Thevenotte et de Simonne Le Compasseur, laquelle Simonne avait épousé Jean de Bray, dont fut issue Marguerite de Bray, femme dudit Pierre de Bey, lequel en vertu des preuves fournies par lui sur l’extraction de sa femme, obtint recognition de sa noblesse et confirmation des priviléges y annexés suivant la coutume du comté de Champagne. Cet acte établit suffisament que les descendans des anciens seigneurs d’Ope et d’Estagel, étaient venus s’établir au comté de Champagne et qu’ils s’y trouvaient assimilés aux premières familles de cette province, où le ventre annoblissait, c’est-à-dire où les filles de grande race avaient le privilège de transmettre leur noblesse à leurs descendans. Il appert du même jugement que Bertrand Le Compasseur, mari de Françoise de Sénecterre, était né à Elne en Roussillon, vers l’année 1330.
Relativement à l’adjonction des noms de Créquy-Montfort à celui de Le Compasseur, il est produit un procès verbal émané du lieutenant-général au baillage de ladite ville de Troyes, constatant qu’à la requête de H. et P. Seigneur, Messire Jacques de Brancion Chevalier, Seigneur de Vidarjent et autres lieux, et de Haute et Puissante Dame, Madame Marie-Jeanne Claude-Madeleine Le Compasseur de Courtivron, son épouse, il existe en l’église de l’Abbaye royale de Saint-Loup de Troyes, une épitaphe gravée sur cuivre, en l’année 1471, et dont voici la teneur : HIC JACET TANEGUIDUS LE COMPASSEUR A CREQUI MONTFORT, CUJUS ALIX DE CHAUVIREY CONJUX EJUS ET ROBERTUS FILIUS HOC POSUERUNT EPITAPHIUM. MIL CCCC LXXI. Les armoiries de Tanneguy Le Compasseur de Créquy-Montfort se trouvent gravées sur la même table de bronze, et voici comme elles sont figurées audit procès-verbal : Parti d’un trait. Au premier coupé, au premier du coupé parti, au premier parti d’azur aux trois compas ouverts (d’or ou d’argent, car le métal du blason n’en est pas visible, 2 en chef et 1 en pointe. Au 2me du parti d’or au créquier de gueules. Au 2me du coupé bandé d’or et d’azur, de 7 pièces. Au 2me du parti sénestre, d’azur à la fasce d’or, accompagnée en chef de 4 billettes du même, posées l’une en chef des trois autres, et ladite fasce accompagnée en pointe de trois autres billettes d’or posées en fasce.
Il est à noter que la reproduction de ces mêmes armoiries parties de Crequy, et la même adjonction du nom de Créquy-Montfort de la part des descendans de Tanneguy Le Compasseur, se sont renouvellées et perpétuées jusqu’à M. le Marquis de Courtivron, chef actuel de cette maison sans aucune réclamation de celle de Créquy, laquelle n’a exercé aucun coutrôle sur un grand nombre d’actes, ostensiblement passés dans le ressort du Parlement de Paris (notamment pour l’érection de la terre de Courtivron en Marquisat, comme aussi pour les actes relatifs aux mariages de deux Marquis de Courtivron, du même nom de Le Compasseur Créqui-Montfort, avec deux filles de la très-illustre et puissante maison de Clermont-Tonnerre). Sans accumuler à cet égard des preuves inutiles et surabondantes, il est suffisant à observer que dans l’Histoire du parlement de Bourgogne, par Palliot, édition de 1649, les armes de Claude Le Compasseur, Chevalier et Seigneur haut-justicier de Courtivron, s’y trouvent parties des armes de Créquy, précisément comme on les voit disposées sur l’épitaphe de Tauneguy Le Compasseur de Crequy-Montfort, à l’abbaye royale de St-Loup de Troyes.
À l’égard de ces deux adjonctions nominale et héraldique dont la date parait remonter à la fin du XIVe siècle, attendu que Tanueguy Le Compasseur de C’réquy-Montfort devait être sexagénaire à l’époque de son décès ainsi qu’il doit résulter de l’âge de son fils en 1471, il ne s’ensuit pas que l’origine inconnue de ces deux adjonctions puisse invalider un droit acquis depuis plus de trois siècles et toujours exercé sans contestation de la part des Sires de Créquy, tant de la branche Ducale entée sur les Sires de Blanchefort que des branches puinées des Marquis de Heymont, des Comtes de Canaples et des Seigneurs de Bernieulles.
Ou en est réduit, pour expliquer l’origine et le motif de cette adjonction des armes et du nom de Créquy à celles et celui de Le Compasseur, à la proposition suivante :
Il appert des titres provenus du cartutaire du dernier Marquis de Créquy-Heymont, et recueillis par Dom Villevieille, ancien archiviste de l’Abbaye de St-Germain-des-Prés-lez-Paris, lesquels documens ne paraissent pas avoir été consultés par les auteurs de l’Histoire des grands Officiers de la couronne 1° qu’Estheuil de Créquy, Seigneur de Mareuil, était fils de Baudoin IV, Sire de Créquy, et d’Alix Dame de Heilly, vivante en 1259 ; 2° qu’il avait eu pour fils Thierry de Crequy-Mareuil, Seigneur de Montfort, lequel eut pour fils aîné Jean de Créquy, dit de Montfort, et co-Seigneur du lieu de ce nom au diocèse du Mans ; 3° Jean de Créquy avait épousé Marguerite de Lusignan, Dame de Montfort en partie, de laquelle il n’eut que des filles au nombre de quatre ; savoir Alix de Créquy-Montfort, laquelle épousa Turpin de Champlieu, Sire de Saint-Espin ; Marguerite, alliée à Prudent de la Haye, Chevalier ; Jeanne, Prieure de Sainte-Aldegonde de Maubeuge, et Marie de Créquy-Moutfort, dont l’alliance est inconnue ; 4° que ladite Marie ne saurait être morte célibataire, ni être entrée en religion, car il résulte d’un acte de l’année 1566, que sa sœur Alix, veuve de Turpin de Champlieu, et Dame douairière de la seigneurie de St.-Espin en Touraine, lègue une somme de 48 livres avec plusieurs joyaux, reliquaires et autres objets précieux à s filleule et sa nièce, Jeanne, fille ainée de sa sœur Marie, le tout sans autre désignation de noms de famille ou de qualifications territoriales, ce qui n’est que trop commun pendant le cours du XIVe siècle au xve, ainsi que tous les généalogistes ont eu l’occasion de l’expérimenter.
Comme l’époque où vivait ladite Jeanne, héritière apparente d’Alix, de Marguerite et de Marie de Créquy-Montfort est la même que celle où le père de Tanneguy Le Compasseur de Créquy-Montfort avait dû se marier, on est conduit à penser qu’une alliance entre eux a pu déterminer cette adjonction des armes et du nom de cette branche des Créquy, dont on ne retrouve plus aucun autre vestige à partir de la même époque. C’est l’unique supposition raisonnable qui puisse résulter de l’examen des titres et de l’observation d’un fait enseveli dans la nuit des temps, et surtout dans les profondes ténèbres du XIVe siècle.
Je manque d’expressions pour rendre la vivacité et l’étendue de la reconnoissance dont je suis pénétré et tributaire envers l’Assemblée Nationalede France qui m’admet à l’honneur de parler dans son sein après m’avoir rendu la vie, la liberté et ma patrie.
J’apporte devant vous, Messieurs, un grand intérêt, l’intérêt général de tous citoyens et la preuve complète des abus excessifs du despotisme ministériel, arbitraire et déprédateur sous les règnes de Louis XV et Louis XVI ; ce qui nécessita la convocation de l’Assemblée de la Nation. Vous avez sous les yeux une victime rare et peut être unique par ces circonstances, aussi votre compétence est exclusive pour en connoître.
Ce ne fut point le destin de la fatalité qui me persécuta si cruellement dès le berceau ; ce fut uniquement l’iniquité, la perversité, la scélératesse des hommes en places ministérielles, oppresseurs et déprédateurs dont la Providence divine m’a sauvé. Elle me présente aujourd’hui et me donne en spectacle a l’univers que j’ai le droit d’étonner et d’intéresser par mes malheurs, mes souffrances, et pour avoir survécu à tant d’horreurs et de supplices.
Environ quarante réclusions ou emprisonnemens ont partagé et presque rempli l’espace et les époques de ma vie ; la dernière est une captivité de neuf ans, dans une terre étrangère, au fort de Prusse, près de la ville de Stettin, tombeau ou je fus descendu tout vivant, chargé de fers du poids de plus de soixante livres, au pain et à l’eau, privé de la lumière, sur la dure, destiné à y périr, le tout afin de me soustraire à la réclamation de mes droits et biens usurpés par le nommé Blanchefort, se disant Crequy ; et ses participans. C’est de cet horrible tombeau que l’Assemblée Nationate de France, par sa justice et son humanité, vient de m’arracher et me rendre à la lumière, à ma patrie et à mes droits.
Dignes législateurs de la plus grande Nation du monde, j’invoque votre sagesse et vos lois ! Vous êtes exclusivement compétens ; mon intérêt est le national même, et celui de tous citoyens, il est de plus lié au gouvernement despotique, qui m’a victimé, sans égard à la justice ni des hommes ni de Dieu. Mes droits sont sacrés, ils ont été violés par des hommes en place, contempteurs de l’humanité et de la divinité. Votre tribunal seul demeure compétent.
Mais encore, quels furent et purent être les premiers motif, qui me vouèrent à la haine et à l’oppression ?
Cette question remonte aux auteurs de mes jours et m’oblige d’indiquer ceux mêmes qui m’appelèrent à naître. Souffrez donc, auguste Assemblée, le récit et le précis nécessaire de ma naissance et de mes évenemens, vous jugerez ensuite des causes secrètes et clandestines qui me victimèrent sans nul respect pour mon innocence ni mes droits.
Élisabeth de Montmorency, dite princesse de Freyberg et de Schitzemberg, me donna le jour et m’apprit que je suis le fruit de son mariage secret avec Louis XV, antérieurement à celui qu’il fit en public avec la princesse de Lezinski. Ma mère retourna dans ses états de Freyberg en Empire. Là, elle fut recherchée en mariage par Jacques-Charles-Alphonse de Crequy, envoyé extraordinaire de France à Vienne, et qui ignorait le susdit mariage secret. Le roi Louis XV s’y opposa et ne permit cette alliance qu’en 1776, mais sous des réserves insolites et politiques à expliquer en temps et lieux. Ceci se passoit à Paris.
La princesse de Montmorency de Freyberg et de Schitzemberg, disgraciée de la cour de France et mécontente de l’inconduite d’Alphonse de Crequy, se retira dans ses états en Empire, près de Vienne. Ce fut à cette époque, 1737, que je naquis et fus baptisé.
Ma mère repassa en France aux ordres de Louis XV, vers l’année 1748 ou 1749 Alphonse de Crequy avoit été aux portes de la mort ; et comme il avoit reçu la dot de ma mére qui absorboit de beaucoup tout ce qu’il possédoit, en réparation il me declara son unique héritier par son testament. Il fut fait ensuite un autre acte devant notaire, à Paris, qui porte mon signalement par la singularité d’une empreinte que la nature m’avoit imprimée ineffaçablement. Par cet acte, je suis pensionné par Alphonse de Crequy pour mon éducation sous la main de l’abbé Goudin d’Arostey, résidant lors a Paris. L’on me pourvut ensuite, par le même acte, d’un subrogé tuteur qui fut Blanchefort, père de l’actuel, mon persécuteur, qui se dit Crequy,
Ma mère fut placée par ordre du roi dans une maison de retraite : dès ce moment je la perdis de vue, je la crois vivante, n’ayant aucune preuve de sa mort.
Alphonse de Crequy ayant vécu concubinairement avec une demoiselle précédemment, pendant nombre d’années, continua ses égaremens avec elle, qui le sollicitait à me hair et persécuter.
La persuasion où était Alphonse que je n’étais pas son fils, mais celui de Louis XV, l’instiguoit à me faire moine ; je resistai ; on me mit dans un couvent pour m’y contraindre par violence ; on vouloit au moins que je fusse ecclésiastique, et l’on me tonsura, rapportant là toute mon éducation. Je m’étois échappé des mains d’Arostey ; je fuis également du cachot monacal. J’avois alors environ vingt ans. Enfin, pour me soustraire à mes persécuteurs, je voyageai chez l’étranger, où j’appris la mort d’Alphonse de Crequy, décédé en Poitou dans sa terre, en 1771 : je rentrai en France, où j’appris qu’il avoit testé de nouveau ; je me procurai son extrait mortuaire et copie de son testament, et vins trouver Blanchefort le fils, qui avoit succédé à son père dans l’administration de mes biens pupillaires.
Ce testament portoit : que le testateur avoit un fils par le monde, à qui appartenoient et il laissoit tous ses biens ; en cas qu’il reparût, ils lui seroient remis, et que où il ne reparoîtroit, audit Blanchefort fils. Ce testament portoit de plus que l’on reconnoîtroit l’héritier aux marques indélébiles qu’il portoit, et, volà le dénouement aussi et la cause des criminelles persécutions que j’ai essuyées de la part de ce Blanchefort et ses complices.
À mon apparition, sur la fin de 1775, cet administrateur de mes biens me méconnut, me traita de faussaire, d’imposteur et d’aventurier, et sur ma demande formée contre lui à la prévôté de Versailles, où il résidoit, étant attaché à la maison de Monsieur, il m’accusa et dénonça comme tel, et conclut à mon arrestation. Je fus emprisonné, mis au cachot, dessaisi de tous mes titres, qui furent livrés à Blanchefort, sous prétexte d’examen.
Par un coup du ciel, je me procurai, l’acte ci-devant mentionné ; il portoit mon signalement et prouvoit mon identité. La main qui le remit en imposa au juge complice ; et on me rendit la liberté, et j’en sortis sous le nom de Crequy, comme j’y étois entré.
Un jugement m’étoit dû pour m’absoudre et réparer, ou me condamner. Le juge complice n’en rendit point.
Forcé de me reconnoitre, Blanchefort s’excusa et me caressa pour me surprendre de nouveau. On imagina ensuite la calomnie de dire que j’étois complice de Lally dans l’Inde, où je ne fus jamais ; la calomnie fut reconnue, le roi fut détrompé et je sortis encore de ma prison.
Le roi meurt en mai suivant ; le prince des Deux-Ponts, mon parrain et protecteur, meurt bientôt après. Il m’avoit conseillé de voyager encore tandis qu’il me vengeroit ; sa mort me laissa désespèré. Je m’éloignai de mes ennemis, dont la persécution me suivoit ; je passai en Pologne, où j’y pris de l’emploi militaire. De retour en Silésie, je m’y mariai en 1781. Je revins en France en 1782. Je présentai des mémoires au roi pour lui demander justice et protection je lui rappelai les promesses qu’il m’avoit faites sous la Vauguyon ; il s’en souvint, et promit encore ; il me fit dire ensuite de me pourvoir au parlement pour mes droits et réclamations.
Le despotisme ministériel de France me persécuta ; des circonstances me rappellèrent en Silésie ; les mêmes persécuteurs et complices m’y poursuivirent ; on m’y arrête sous calomnie ; je me justifie et je suis rendu libre. Le despotisme ministériel de France sert Blanchefort par complicité ; on m’y crée une pension de six cents livres de rente viagère, par le fond constitué de douze mille livres, consignées à la banque de Berlin, et l’on me descend tout vivant dans un cachot pour y pourrir et périr, et me soustraire à mes réclamations de biens et droits en France.
L’Assemblée Nationale de France l’apprend, après neuf ans de supplice dans cet état affreux ; sa justice et son humanité m’en arrachent et me rendent ma liberté et ma patrie.
Le supplément historique de mes malheurs est sous la presse, il doit paroître et instruire l’univers des supplices et abominations pratiquées contre moi, et étonnera les nations qui apprendront comment j’ai pu y survivre.
Il existe aussi des preuves confirmatives de mon état personnel et naissance, elles sont au secret des registres de cette famine régnante. Les livres refusés, parce qu’ils renferment les secrets de Louis XV et de l’état, les contiennent. On doit trouver aussi les pensions et les ordres dont je suis décoré, et il n’est aucun prétexte de refuser aux représentans d’une nation ce qu’elle a droit et intérêt de ne pas ignorer. Il n’est aucun livre rouge, ni vert, ni de couleur quelconque, qu’elle n’ait le droit d’exiger et de voir, surtout quand le motif est comme ici de toute justice ; et je conclus et le demande contre le prétexte même qu’allégua, si injustement, le ministre Necker, pour ne pas éclairer la nation sur tout ce qu’elle a droit de savoir, et principalement en matière de justice étroite, comme ce cas-ci le requiert, que l’Assemblée Nationale doit se faire, rapporter et ouvrir les susdits livres.
En attendant, Messieurs, cette représentation de droit que je demande, j’exige, 1° que Blanchefort soit contraint de représenter le titre d’administration desdits biens pupillaires par lui administrés, par lequel titre son père et lui, successivement, les administrèrent, et dont ils me doivent la restitution plénière et les comptes de leur gestion. Ce titre même indiquant le pupille et l’administrateur, ainsi que le tuteur de la personne et biens dudit pupille, dont ils sont personnellement responsables, la représentation en est de droit étroit et de nécessité.
2° Je demande que le même Blanchefort soit également contraint de représenter l’acte testamentaire qui défère et conserve lesdits biens au pupille au cas qu’il reparoisse, et à défaut de laquelle reparition ou retour, les délaissent et abandonnent auxdits administrateurs y dénoncés.
Par ce titre second, on verra comment, de simple administrateur, Blanchefort a pu devenir propriétaire desdits biens.
C’est d’ailleurs le devoir du tuteur de représenter au pupille les titres de la tutelle personnelle et réelle, et surtout ceux dont moi-même, ce pupille, étois muni lors de mon arrestation à Versailles en 1774, et dont je fus induement déssaisi, pour les livrer, par le juge complice, audit Blanchefort et persécuteur.
Pourquoi donc ces titres ne me seroient-ils pas par lui représentés ? Le refus de Blanchefort feroit sa conviction, comme leur représentation assure aussi victorieusement le succès de mes conclusions, prétenions et réclamations.
J’observerai que les indemnités qui me sont dues par le gouvernement, pour raison de l’oppression et suppliciation de ma personne et de la privation de mes biens, le tout par la complicité du despotisme ministériel et afin de me soustraire à la réclamation de tous mes droits ; ces indemnités sont un objet sur lequel l’Assemblée est seule compétente de prononcer, puisque c’est d’entre le gouvernement du despotisme ministériel et moi.
Sages législateurs, vous dans les mains desquels est la destinée de l’empire, qu’il me soit permis de réclamer l’exécution de votre sublime et immortelle constitution, qui fait l’admiration des nations qu’elle va régénérer. L’éxecution, surtout, de ses décrets, qui sont les bases et les fondemens de l’état social, tels entr’autres le premier décret de ce chef-d’œuvre constitutionnel, celui qui rétablit l’homme dans sa dignité originelle par la reconnoissance, le rétablissement et la promulgation de ses droits naturels, sacrés, inaliénables, inamissibles et imprescriptibles. L’article 17 en est encore une base fondamentale et constitutionnelle. Il assure et conserve absolument les propriétés et les droits des citoyens. J’en demande également la pleine et prompte exécution en tout ce qui m’appartient et concerne ; ma demande est donc essentiellement juste, puisqu’elle est constitutionnelle et digne de toute l’intégritè qui vous caractérise et que je me propose de célébrer toute ma vie.
Le premier mars 1791, il plut à l’Assemblée Nationale constituante, et au Roi, de faire briser mes chaines en Prusse, et me faire rendre ma liberté, malgré toutes les noires instigations et mauvaises préventions que mes ennemis (d’intelligence avec les sieurs de Vergennes, de Breteuil, d’Entraigues, de Montmorin, de Moustier, d’Hertzberg et d’Eskelbeck) s’étaient efforcés de leur donner pour me perdre, et pour perpétuer ma détention injuste en Prusse ; mais mes ennemis firent tant par leurs cabales avec les sieurs de Montmorin, d’Hertzberg, de Moustier et d’Eskelbeck, qu’on ne me donna point les fonds que le Roi et l’Assemblée Nationale constituante avoient ordonné à M. de Montmorin de me remettre à la sortie de ma prison tant pour me vêtir et pouvoir revenir dans cette capitale y réclamer et poursuivre mes justes plaintes et prétentions, que pour acquitter toutes les dettes que j’avois été forcé de contracter pendant les neuf dernières années de ma détention injuste en la forteresse de Stettin, dans les États du roi de Prusse ; de manière que cette dernière injustice des ministres, sieurs de Montmorin, d’Hertzberg, d’Eskelbeck et de Moustier, fut cause que le défaut d’argent et les longues maladies que j’essuyai à la sortie de ma prison, ne me permirent point de partir de Stettin que le premier juillet dernier, et mes ennemis trouvèrent encore les moyens de me faire arrêter, et plonger dans les cachots des prisons de Douay, par l’instigation de leur ami, le ci-devant marquis d’Eskelbeck, lors de mon passage en ladite ville de Douay, sur la fin du mois d’août dernier, et de là, ils me firent conduire de brigade en brigade, par les cavaliers de la gendarmerie, comme un criminel, jusqu’en cette capitale, où ils espéroient encore me faire gémir et périr dans les cachots de l’hôtel de la Force ; mais l’Assemblée Nationale ordonna à M. de Lessart de me libérer entièrement, et avec permission à moi de lui adresser mes justes plaintes et demandes par une pétition ; c’est ce qui fut ponctuellement exécuté le 30 août 1791, et ma péttion fut présentée quelques jours après à l’Assemblée Nationale constituante ; mais comme elle étoit alors sur la fin de sa législature, et trop occupée de mille affaires précieuses pour le bonheur de l’État et de la nation, je fus conseillé de représenter de nouveau ma pétition, aussi bien que mes justes plaintes et prétentions, par devant la nouvelle législature actuelle ; et en attendant, ce retard m’engagea d’adresser au Roi, à MM. ses frères, à la Reine, a MM. de Montmorin, de Lessart et Blanchefort soi-disant Crequy, toutes les requêtes et lettres que j’ai l’honneur d’exposer ci-joint à vos yeux, afin de ne vous rien laisser ignorer, Messieurs, de mes démarches, puisque j’ai l’honneur de vous regarder comme mes juges équitables autant que comme mes libérateurs, mes protecteurs et défenseurs de mon innocence opprimée, aussi bien que mes justes plaintes, droits et prétentions légitimes.
Je supplie l’auguste Assemblée Nationale, toute la nation françoise et l’Europe entière de vouloir bien considérer que :
Si dans mes premiers et derniers mémoires imprimés, je n’y ai point fait mention de mes vrais titres, nom et qualités de Bourbon-Montmorency, et fils légitime du premier mariage secret de Louis XV avec Madame de Montmorency, par contrat, en date de l’année 1722, et renouvelé les années 1723, 1724, 1725, 1726, 1727, 1728, 1729, 1730, 1731, 1732, 1733, 1734, 1735, 1736 et 1737, signé du roi et dame susdite, en présence de plusieurs témoins dignes de foi, et qui ont aussi soussigné avec le roi et ladite dame de Montmorency, mes légitimes père et mère ; et si je n’ai aussi point dit que ladite dame ma mère avoit été obligée (par ordre de Louis XV, mon père) d’épouser en secondes noces, Jacques-Charles-Alphonse, marquis de Crequy, environ l’année 1724, et avec ordre audit marquis de reconnoître pour ses enfans et pour ses légitimes héritiers tous les enfans nés et à naître, présens et à venir, que pouvoit avoir eus et que pourroit encore avoir la dite princesse de Montmorency, etc. Si, dis-je encore, je n’ai point fait mention de toutes ces choses, non plus que des raisons qui engagèrent la princesse de Schitzemherg et de Freyberg en Empire, d’adopter ma mère pour sa fille et son héritière universelle ; voici en abrégé les légitimes raisons de mon respectueux silence sur toutes ces choses :
Premièrement, c’est que Louis XV me reconut et me légitima l’année 1774, au mois de mars, en m’assurant un apanage et 500,000 livres de pension ; mais Louis XVI, quoiqu’il me reconnût en 1782, m’ordonna pourtant, de bouche et par écrit, de ne me qualifier que du nom de Crequy ; de réclamer mes biens paternels et maternels sous ce nom ; puisque Louis XV, mon père, avoit ordonné à Jacques-Charles-Alphonse marquis de Crequy et second époux de ma mère, de reconnoitre pour ses légitimes enfans et héritiers, dès les années 1724 et 1737, tous les enfans présens et à venir de ladite princesse de Montmorency, ma mère [illisible] que tous les biens provenoient d’elle et du roi mon père ; le tout sous peine de toute l’indignation de Louis XVI et de la perte de ma vie ou de ma liberté ; ce furent les propres termes et menaces de Louis XVI et du maréchal duc de Noailles, ainsi que du duc d’Orléans et de Madame de Montmorency-Luxembourg, par ordre exprès de Louis XVI, aux mois de mai, juin et juillet de l’année 1782, que je me rendis en cour de France et au parlement de Paris, pour la réclamation de mes droits, titres, biens, états et autres, prétentions légitimes.
Secondement, que mon obéissance et soumission aveugles aux ordres de Louis XVI, et vu les flatteuses et justes espérances que ce monarque me donna alors, m’ayant paru comme sacrées et inviolables (vu le despotisme) bien que je pourrois me plaindre et prouver que le roi, ses frères et la reine, ont abusé de ma trop grande confiance et bonne foi, puisque, quelques semaines après, ils se liguèrent avec mes ennemis pour me faire périr dans un cachot affreux de Prusse, chargé de chaînes, sous un nom emprunté qu’ils me donnèrent et de faux crimes dont il me couvrirent, pour mieux cacher au public leurs noirs complots pour me perdre ; malgré toutes ces horreurs dont le ciel et la terre frémissent, daignez, Messieurs, jeter les yeux sur mes mémoires imprimés et sur les requêtes ou placets que j’ai présentés au roi Louis XVI, à la reine et aux ministres, le sieurs Montmorin, de Lessart, de la Porte, ainsi qu’au sieur de Blanchefort, soi-disant Crequy, mon principal adversaire et vous verrez, Messieurs avec quelle délicatesse j’ai cherché à menager le roi, ses frères, la reine, les ministres et tous mes plus cruels ennemis ; mais si ous daignez, surtout, vouloir jeter les yeux sur l’histoire de mon infortunée vie et aventures, vous y trouverez, Messieurs, qu’outre que mes ennemis, les sires de Crequy et de Blanchefort, subtilisèrent des lettres de cachet pour me faire périr de manière ou d’autre, en 38 en 40 prisons et forteresses différentes, Louis XVI, pour me frustrer des apanages que Louis XV et lui-mêmes s’étoient cru, obligés indispensablement de m’accorder, ils donnerérent successivement leurs ordres pour s’emparer de tous mes titres et papiers, puis pour me faire empoisonner dans ma prison ; puis une autre fois, pour me faire trancher la tête secrètement entre les deux guichets à la Bastille, vers l’année 1770.
De pius, en 1777, ils me firent ouvrir les veines dans la prison de la prévôté royale a Versailles ; que finalement en 1782 ils se contentèrent (d’intelligence avec les Crequy, les Blanchefort, le comte de Vergennes, ministre d’état, le baron de Breteuil, le marquis d’Entraigues, ministtre de France en Saxe, Duponteil, de Montmorin, ministre des affaires étrangères, de Moustier, ministre de France à Berlin, et le marquis d Eskelbeck, vice président au département du Nord) ; de concert ensemble, dis-je encore, ils se contentèrent de me faire mutiler aux parties nobles de mon corps et me plongèrent pour la vie dans un cachot en Prusse, chargé de chaînes du poids de plus de 60 livre, réduit à faire tout sous moi, dans un affreux petit cachot soutterrain, n’ayant qu’un peu de paille pour lit et vêtemens, sans feu et sans lumière, et n’ayant que du pain bien noir, des fèves, des pois et des haricots cuits à l’eau pour toute nourriture, en payant une pension annuelle de 600 liv., outre qu’ils payoient aussi très régulièrement une garde, composée d’un officier et de neuf soldats, pour empêcher que je ne m’échappe, que je n’aie correspondance avec personne, et qu’on ne me tende aucun secours humain.
Enfin, Messieurs, en lisant l’histoire de mon infortunée vie et aventures tragiques, vous y trouverez des preuves plus que suffisantes de tout ce que j’ai l’honneur de vous exposer ; et les cris du ciel de la nature et de l’univers entier, se joignant aux vôtres, vous ne pourrez vous dispenser de me rendre justice et de m accorder quelques secours pécuniaires à titre de prêt ou comme pension alimentaire et provisoire, en attendant que justice me soit rendue ; cependant, Messieurs, j’aime à me persuader que tous les crimes ou les torts des rois Louis XV et Louis XVI à mon égard, ne sont sûrement autre chose que les effets des ruses, artifices et horribles complots des ministres et de Blanchefort, soi-disant Crequy, qui ont trompé et abusé indignement de la bonne foi des deux monarques de France pour me perdre.
P. S. Ma cause est celle de l’État et de la nation, elle ne peut être jugée que par vous, Messieurs, qui en êtes les représentans ; et si l’on ouvre les livres rouges et verts, qui sont au nombre de cinq, dont quatre rouges et un vert, qui me sont connus, j’ose assurer qu’on y trouvera des renseignemens qui me seront favorables ; mais par respect autant que par ménagement pour le roi et toute sa famille royale, je me tais sur tout le reste, et ne parlerai que lorsque l’auguste Assemblée Nationale me l’ordonnera.
Au reste, je ne demande autre chose, sinon que celui qui, d’entre moi et mes accusateurs ou délateurs, sera convaincu de fourbe et imposteur ; soit foulé aux pieds du peuple et de cette auguste Assemblée : et que celui qui sera reconnu innocent et juste, rentre dans tous ses droits légitimes. Que les ministres et tous mes autres adversaires paroissent ici ; et daignez, Messieurs, prononcer l’arrêt irrévocable, par lequel le ciel et votre sagesse, lumières et justice incorruptible et impartiales, doivent, en cette occasion, immortaliser votre honneur et gloire, autant que le bonheur et ta félicite de l’État et de toute la chère nation françoise.
Ce sont les vœux très sincères de votre très obéissant serviteur.
Réponses du roi, de la reine, de messieurs ses frères et des ministres.
M. Thiery, valet de chambre du roi me dit de m’adresser à M. de la Porte, intendant de sa majesté.
M. de la Porte me dit de m’adresser à M. de Josselin, intendant de la maison de la reine, ou bien à M. de Lessart, ministre de l’intérieur.
MM. de Lessart, de la Porte et de Josselin, après m’avoir renvoyé de Pilate à Hérode, dirent que mon affaire étoit ou devoit être renvoyée à M. de Montmorin vu que ma cause et mes demandes étoient une affaire d’État ; que cependant ils rafraichiroient la mémoire au roi et à la reine, touchant mes justes plaintes et demandes ; mais qu’ils me conseilloient, en attendant, de voir souvent M. de Josselin.
Enfin, après m’avoir renvoyé de Pilate à Hérode, comme ci-devant dit, M. de Josselin me dit de bouche, en présence de témoins, que le roi, et encore moins la reine, ne pouvoient guère avoir égard à mes demandes pécuniaires, vu que la reine ne pouvoit plus ce qu’elle avoit pu autrefois ; que le roi, ayant été obligé d’envoyer dans les pays étrangers, plus de 18 millions pour le soutien de ses tantes, de ses frères et de plusieurs milliers de ses plus affidés sujets, pensionnaires et expatriés, étant obiglé de faire encore de plus grands emprunts pour les mêmes causes, il ne lui restoit que sept millions de revenus, et la douleur de me renvoyer à l’Assemblée Nationale qui avoit pris sur son compte toutes les dettes de l’État, de lui et de ses frères, et dont mes demandes faisoient partie.
Quoi, Monsieur, lui dis-je, n’ai-je pas plus de droit aux bienfaits du roi, que tous les émigrans dont le roi et vous parlez ! M. Josselin, avec feu : — mais, Monsieur, les émigrans ou aristocrates (tels qu’il vous plait de les nommer avec le reste de la crapule françoise) sont pourtant les plus zélés et seuls vrais fidèles sujets du roi ; ainsi, souffrez, qu’ils aient la préférence sur vous aux bienfaits du roi et de la reine, etc. Sur cela, il me donna le billet qu’on trouvera ci-inclus, et me conduisit assez brusquement à la porte.
Nota. Toutes mes lettres et requêtes, ainsi que les réponses, sont ci-après,Les mémoires imprimes, ci-joints, par conseil de plusieurs membres de l’Assemblée Nationale seront plus que suffisans pour faire connoître à V. M. toute l’étendue de mon triste sort ; mais, comme mon affaire est renvoyée a la nouvelle législature, ce retard me force de supplier V. M. de daigner vouloir me tendre une main secourable, pour m’aider à subsister jusqu’à ce que justice me soit rendue, et mes vœux s’éleveront au ciel, comme l’encens, pour bénir les jours et le règne de V. M., qui seront toujours infiniment précieux à tous les Français, et particulièrement à celui qui ose se dire, avec le plus profond respect et parfaite sincérité. Sire, de V. M. le très humble et très soumis serviteur et sujet :
Signé | Alexandre de Crequy, né de Bourbon-Montmorency, fils du roi Louis XV et de la princesse de Montmorency, logé rue de Richelieu, hôtel royale de la marine, n° 71. |
P. S. Si S. M. daignoit m’honorer d’un moment d’audience particulière, j’aurois l’honneur de lui prouver que, bien loin d’avoir jamais été capable d’exécuter, ni même de penser à commettre l’horrible crime d’attenter aux jours de S M., comme mes ennemis ont osé le persuader aux cours de France, d’Empire et de Prusse, pour me perdre ; je prouverois, dis-je, au contraire, qu’au préjudice de ma fortune et de ma propre vie, j’ai sauvé et conservé la vie et la couronne que possèdent encore aujourd’hui V. M. et ses augustes frères, et que c’est en vertu et pour récompense de cet acte héroïque, qu’il plut à Louis XV, à la reine, à madame la princesse Louise, ainsi qu’à monseigneur le dauphin et à madame la dauphine, vos augustes père et mère de glorieuse mémoire, de m’accorder les dignités de commandeur de l’ordre de Saint-Louis et de lieutenant général de vos armées en survivance, outre les pensions, depuis cent jusqu’à deux cents louis d’or, que chacun d’eux m’assura ma vie durant, et qui m’ont été pour la plus grande partie exactement payés jusqu’à l’année 1777, que l’injustice des ministres d’état, Blanchefort, et M. Foulon-des-Murs, fermier gêneral, me frustrèrent entièrement.
Je ne joins point ici les preuves de ce que j’avance, parce que ce sont des choses et des faits que je ne puis avoir l’honneur de communiquer qu’à V. M. même ; et, si elle daigne m’honorer d’un moment d’audience ci demandée, j’aurai encore l’honneur de lui prouver que, si jamais j’eusse voulu être assez malheureux que de former le projet de lui être préjudiciable, à lui et à toute la famille royale, je le pouvois, quoique du fond de mon cachot à Stettin ; je le pouvois encore mieux au moment que j’ai recouvré ma liberté ; je le pouvois encore plus particulièrement, lors du départ précipité de S. M., puisque j’étois environné de ses propres ennemis ; enfin je le pouvois et le pourrois encore depuis mon retour dans cette capitale ; et, pour ce faire, il me suffiroit de produire et de rendre publiques, l’histoire de la vie de ma mère, toutes les lettres de S. M. Louis XV ; celles des correspondances secrètes de madame la dauphine, votre auguste mère, de glorieuse mémoire, avec ma mère et son époux, le marquis de Crequy, outre encore plusieurs autres pièces authentiques ; mais bien loin d’être capable de cela, j’ai gardé jusqu’à présent un silence inviolable, qui me seroit funeste, si S. M. ne daignoit y avoir égard ; et, pour m’en rendre digne, je viens, avec toute la sincérité possible, lui offrir ma fortune, mon sang et ma vie, s’il les faut, pour la conservation et la défense de ses jours et de ses droits.
J’ai l’honneur et le malheur tout à la fois d’être cet infortuné de Bournon-Montmorency, connu sous le nom d’Alexandre Crequy, et qui eut l’honneur de faire remettre à V. M. par M. Thiéry, le lundi 10 de ce mois, un mémoire imprimé et une requête dont j’ai l’honneur de joindre ici les copies ; j’aime à me persuader, Sire, que vous ne souffrirez pas qu’un homme qui ose se dire et qui s offre prouver qu’il a l’honneur de vous appartenir de très près, et qui a même sauvé vos jours, soit réduit à ces trois cruelles extrémités, ou de n’avoir d’autres ressources pour subsister que les honteux et humilians secours de ses propres domestiques (c’est mon état actuel depuis le premier mars 1791 qu’il plut à l’Assemblée Nationale et à V. M. de faire briser mes chaînes), ou bien de m’ôter la vie pour cacher au public sa misère et sa honte ;
Ou enfin de se voir forcé d’adresser au public et à l’Europe entière, ses soupirs, ses larmes et ses justes plaintes.
Daignez, Sire, m’épargner cette douleur ; vous le pouvez en m’honorant d’une audience particulière ; votre gloire autant que vos intérêts et les miens l’exigent de votre justice ; mes ennemis, pour tromper V. M., lui diront, peut-être, que je suis un fou ; mais qu’elle daigne m’écouter avant que de me juger.
Il se peut que dans mes mémoires imprimés et mes requêtes présentées à V. M., il y aurai peu de bon sens, même des expressions vives ; mais je vous supplie de ne m’en point attribuer la faute, et de vouloir bien ne les regarder que comme émanées et dictées par la vérité simple et naïve d’un homme qui n’a pas eu tout le temps de la réflexion, et dont la mémoire et les esprits pourroient bien être affoiblis par la longueur d’une injuste détention, et qui manque encore aujourd’hui des secours les plus nécessaires à sa vie.
J’ai l’honneur d’être, avec un très profond respect, Sire, de V. M., le très humble, etc.
Vos intelligences, tant publiques que secrètes, avec M. de Vergence, M. de Moustier et M. de Blanchefort, soit-disant Crequy, outre les lettres écrites de votre propre main à la cour de Berlin ainsi qu’à l’Assemblée Nationale et aux comités des recherches et des lettres de cachet, contre moi, ou dans l’affaire qui fut le sujet de ma détention, m’avaient paru plus que suffisantes pour me donner de vous la plus noire impression ; et c’est ce qui fut cause que, ne me croyant plus obligé du moindre ménagement envers vous, j’ai fait sentir dans plusieurs milliers d’imprimés, destinés pour la France et l’Europe entière, mon juste ressentiment ; plusieurs lettres répandues dans les pays étrangers (et par vos adversaires, sans doute) sembloient vous couvrir et vous couvaincre de la plus haute trahison envers la patrie, et autoriser ma haine et mes préventions contre vous.
Cependant comme j’ai le cœur et l’âme justes et incapables de condamner personne ni de compromettre son honneur, sa gloire et sa réputation, sur des clameurs publiques ; c’est ce qui m’engagea à me faire délivrer les copies de toutes les lettres que vous aviez pu écrire pour et contre moi ; les ayant examinées avec la plus scrupuleuse attention, j’ai cru y remarquer et trouver que tout votre crime pouvoit bien n’être autre chose que les malignes instigations de mes ennemis près de vous, Monsieur, aussi bien que près de leurs majesté, et des ministres de France et de Prusse pour me perdre. D’après cette prévention dernière en votre faveur, et que j’aime a me persuader être juste, j’ai cru qu’il seroit facile de vous désabuser et de vous prouver (si vous êtes cet homme juste et intègre que je vous suppose), que je suis plus digne de toute votre estime que non pas de votre courroux, et encore moins de vos persécutions ; d’après ce, jetez encore les yeux sur les imprimés et écrits ci-joints, et mettant la main sur votre conscience, dites-moi vous-même (de bouche ou par écrit) ce que je dois penser de vous ; ce que j’en dois dire à la postérité ; et enfin, si vous voulez être mon ennemi ou mon protecteur. La noble et haute opinion que j’ai conçue de vos vertus et mérites personnels font que j’aime à me persuader que vous serez assez juste pour prendre le dernier parti ; mais je vous prie de m’honorer d’une réponse décisive pour la fin de cette semaine, afin que je sache à quoi m’en tenir ; sur ce, j’ai etc. Monsieur, votre très humble, etc.
P. S. En attendant votre réponse, j’ai sursis tous mes imprimés et mes écrits.
Par ma dernière et première du 21 courant, j’eus l’honneur de vous faire connoitre positivement que j’avois besoin de toute votre justice et puissante protection pour rentrer dans toutes mes justes prétentions ; ou de toute votre haine et vos persécutions pour rentrer dans mon affreuse prison, y cacher et ensevelir mon nom, mes prétentions autant que ma misère et ma confusion, qui sont au plus haut comble et sans expression, depuis le recouvrement de ma liberté et la perte de mes pensions : daignez donc vous décider sur le choix du sort que votre justice vous inspirera de décider pour moi. Je viens en personne la solliciter, afin de vous convaincre plus parfaitement de la respectueuse et sincère confiance de votre très humble, etc.
P. S. Tous mes imprimés et écrits resteront encore sursis jusqu’à la fin de cette semaine.
Je prends la respectueuse liberté de vous adresser la présente, pour vous supplier d’avoir la bonté de m’accorder un moment d’audience en particulier, et de vouloir bien me mander le jour et l’heure de votre commodité pour cela, ayant des choses de la dernière conséquence à vous communiquer et qui intéressent vivement S. M. et toute la famille royale, autant que moi-même, qui ai l’honneur d’être avec la plus respectueuse considération et confiance, Monsieur, votre très humble, etc.
Si je n’ai pas eu l’honneur de vous rendre ma visite depuis que vous m’honorâtes de la première audience a mon arrivée comme encre prisonnier dans cette capitale, je vous supplie de croire que ce n’est que parce que j’appréhendais de vous trop importuner, vu que je sais que vous êtes accablé de mille affaires précieuses dont vous vous acquittez avec une ponctualité, une vivacité, une sagesse et intégrité, qui font l’admiration de toute l’Europe et la mienne en mon particulier.
Les affaires de conséquence qui intéressent vivement le roi, et que je voulais avoir l’honneur de vous communiquer, sont les seules raisons qui m’ont fait prendre la liberté de me rendre trois fois chez vous à l’honneur de votre invitation ; mais ne vous ayant jamais trouvé libre, et presque toujours comme invisible, j’ai pris, quoique à regret, la résolution de ne vous plus importuner de ma visite, et de me contenter d’exposer à vos yeux et sages lumières, le paquet ci-joint, pour vous supplier de le communiquer au roi.
Je crois que l’affaire est (et vous paroîtra, ainsi qu’au roi) d’assez grande conséquence pour oser espérer que S. M. et vous, Monsieur, voudrez bien m’honorer d’une réponse favorable dans le courant de cette semaine, pour m’éviter la douleur de rendre publics les milliers d’exemplaires imprimés, pareils aux inclus, et que je tiens tout prêts, en cas du refus ou d’un plus long silence à mes très humbles et justes demandes ; sur ce, j’ai l’honneur, etc.
Charles de Bourbon Montmorency, connu sous le nom d’Alexandre de Crequy, prie M. de Lessart d’atoir la bonté de lui faire savoir s’il a quelques nouvelles à lui donner de ses demandes autant respectueuses que justes en cour, près du roi et de la reine, touchant les affaires de conséquence que M. Charles de Bourbon-Montmorency eut l’honneur de communiquer à M. de Lessart, et de vouloir bien lui assigner le jour et l’heure qui lui paroîtra le plus libre et commode pour une nouvelle entrevue selon l’offre de M. de Lessart, du 20 présent mois ; car Charles de Bourbon-Montmorency, dit Alexandre de Crequy, a l’honneur (et se croit obligé) de mander en ami sincère à M. de Lessart, que s’il ne reçoit pas une réponse également digne du roi et de lui, il ne sera plus la dupe des politiques, ruses et mauvaise foi de la cour et des ministres, et que son juste ressentiment éclatera dès la semaine prochaine dans toute la France et l’Europe entière.
Quelque peu digne, Monsieur, que tous deviez vous reconnoître du moindre ménagement, vous et tous ceux qui avez cabalé pour me perdre, il repugneroit à mon caractère de ne pas tenter des voies de conciliation ; car les persécutions que j’ai essuyées, bien loin de m’exciter à la vengeance, n’ont fait que me rendre plus humain et plus généreux : voulez-vous sauver votre honneur ou vous perdre sans ressources ? Je vous en donne le choix. J’expose à vos yeux et à vos remords le mémoire ci-joint ; plusieurs milliers d’exemplaires de cette lettre et de ce mémoire sont prêts à être distribués, si vous m’y forcez, non-seulement dans le royaume, mais dans toute l’Europe, afin que, ni vous, ni personne, ne puisse ignorer de la justice de mes plaintes et de mes prétentions ; j’y joindrai, comme vous devez bien vous y attendre, l’histoire de ma vie infortunée ; ces écrits doivent vous couvrir à jamais d’une honte immortelle ; il se peut même que toutes vos iniques manœuvres, bien éclaircies, soient capables, en me procurant la restitution de mes biens, de vous conduire à l’échafaud.
Vous sentez parfaitement, Monsieur, qu’il vous seroit inutile d’oser vous flatter encore de pouvoir rien attenter contre moi, et encore moins de corrompre les juges (car ils sont incorruptibles actuellement), et tous les forfaits que je dénonce, et que je dénoncerai contre vous, seront attestés par plus ce cent personnes illustres et dignes de foi, afin que vous n’affectiez plus de douter de mes justes droits.
Ce ne sera que votre réponse ou votre silence, qui me décideront à vous poursuivre selon toute la rigueur de la justice et de la loi ; pour vous y soustraire, comme je le désire, je vous donne le choix, ou de m’assurer une pension annuelle de deux cent mille livres, en attendant que vous me restituiez (ce qui doit être dans deux ans au plus tard) tous mes biens et titres, que vous et toute la maison de Créquy possédez, et qui m’appartiennent légitimement, ou bien nous rendre par-devant le roi : car je ne veux point d’autre juge que lui-même, s il est possible, et je suis résolu de m’en tenir à ce qu’il lui plaira de décider par des arrangemens à l’amiable, et tels qu’ils lui paroîtroit convenables à mes intérêts et aux vôtres. Je vous accorde jusqu’à la fin du mois prochain, pour opter l’une ou l’autre de ces propositions. J’ai l’honneur, etc.
P. S. En cas que S. M. refuse d’être notre juge et médiateur, vous consentirez avec moi, en sa présence, de terminer tous nos différends à l’amiable, par-devant telles personnes qu’il plaira à S. M. de nous nommer, pour remplir et tenir son lieu et place en cette affaire.
J’ai eu l’honneur de remettre à leurs majestés, lundi, 10 de ce mois, les mémoires ci-mentionnés, avec ma supplique, desquelles, j’attends leur ordre.
M. de Josselin, intendant de la maison de la reine, m’ayant assuré de bouche et même par écrit, que le roi vous avoit envoyé, le 20 du mois d’octobre dernier, mes mémoires que j’avois pris la liberté de lui adresser, concernant la justice de mes demandes et réclamations, afin de les examiner, je me suis alors présenté chez vous pour avoir l’honneur de vous voir et vous en demander la réponse ; mais je n’ai pas été assez heureux pour vous y rencontrer.
Je m’y suis encore présenté différentes fois depuis, mais n’ayant pas été plus heureux, je me suis décidé à vous écrire la présente, pour vous prier, Monsieur de vouloir bien faire sentir au roi toute la justice et l’importance de mes demandes respectueuses, et l’absolue nécessité d’y répondre dans un court délai.
Veuillez donc bien, Monsieur, observer à S. M. qu’un plus long silence sur mes très-humbles réclamations ne pourroit qu’augmenter mes inquiétudes, et me forcer, avec la plus vive douleur, de rendre publics des faits qui ne pourraient que déplaire au roi et à toute la famine royale.
Voulez-vous bien, Monsieur, m’accorder un moment d’audience, et m’indiquer l’heure et le jour de cette semaine où je pourrois avoir l’honneur de vous voir ; vous obligerez très-parfaitement celui qui est, etc.
Le comte d’Avaray a l’honneur de faire mille complimens à M. le comte de Crequy Montmorency, abbé de Ruisseauville ; il a remis sa lettre à Monsieur, qui est au désespoir de ne pouvoir lui donner qu’un témoignage d’intérêt. À Schonburuslust, le 8 août 1791.
M. de Lessart aura l’honœur de recevoir Monsieur Alexandre de Crequy, demain dimanche sur les 3 heures
Le placet présenté au roi par le sieur Alexandre de Crequy a été renvoyé par S. M. à M. de la Porte, intendant de la liste civile, le 20 octobre 1791.
N. B. Il est encore bon de dire ici que les ministres, sieurs de Montmorin, de la Porte et de Lessart, lassés de mes importunités, me congédièrent aussi comme Josselin, en me disant que le roi, bien loin de me pouvoir donner aucuns secours pecuniaires, cherchoit lui même de l’argent a emprunter, à 40 et 50 pour cent, pour soutenir ses tantes, ses frères et grand nombre de ses plus fidèles sujets expatriés depuis les révolutions survenues en France ; et que le roi et eux me conseilloient de m’adresser à l’Assemblée Nationale.
D’après le billet du sieur Josselin, je me rendis exactement tous les jours, et plutôt deux fois qu’une, chez le sieur de la Porte, jusqu’au 31 d’octobre ; mais il fut toujours invisible, tantôt sous prétexte de mille affaires intéressantes ; puis malade, puis enfin qu’il étoit en campagne et qu’on ne pouvoit savoir quand il reviendrait, quoique les sentinelles m’assurèrent toujours qu’il il étoit chez lui.
Il est bon d’observer ici que le sieur de Montmorin à adressé jusqu’à présent toutes les lettres qui me concernoient à l’aventurier Bésuchet, soi disant de Crequy.
J’ai reçu, Monsieur, les deux lettres que vous m’avez écrites les 21 et 24 de ce mois.
Vos réclamations contre la maison de Crequy étant totalement étrangères à mon département, je ne puis m’y immiscer ni directement ni indirectement, et c’est à vous à déterminer ce qu’il vous convient de faire à cet égard.
Quant aux sujets de plainte que vous prétendez avoir, à cause de votre détention, ils sont antérieurs à mon entrée dans le ministère, etc.
Nous, soussignés, maitres-ès-arts de l’université de Paris, membres du collège de l’académie royale de chirurgie, anciens chirurgiens-majors des camps et armées du roi et du régiment des ci-devant gardes françoises…, attestons et certifions à qui il pourra appartenir, avoir été mandés, le 10 octobre dernier, pour donner nos soins à monsieur de Creqy, né de Bourbon-Montmorency, demeurant à Paris, rue de Richelieu, Hôtel-Royale de la Marine ; lequel se plaignoit d’une prostration complète des forces et de l’appétit ; de foiblesses et maux d’estomac, et de défaillances ; d’une insomnie continuelle ; d’étourdissemens et de violens maux de tête, qui le faisoient souvent tomber dans un évanouissement dangereux ; de plus d’un écoullement perpétuel et invotontaire de la semence ; et d’une sensation douloureuse accompagnée plusieurs fois de syncope, toutes les fois qu’il se présentoit à la garde-robe.
D’après le récit et l’exposé des incommodités dont se plaignoit M. de Crequy, né de Bourbon-Montmorency, nous avons procédé a l’examen des parties malades ; il nous a accusé et confessé ce qui suit, pour nous-mettre à portée de remédier, s’il étoit en notre pouvoir, au rétablissement de sa santé, qui étoit alors en très-mauvais état, et de le soulager de plusieurs incommodités qui mettoient ses facultés physiques et morales, et même sa vie, dans le plus grand danger ; nous avons observé :
Premièrement. Un enfoncement des os du crâne et une longue et large cicatrice à la partie moyenne et postérieure de la tête, occasionés par un coup de sabre violent que le malade nous a dit avoir reçu en l’année 1771. Depuis ce temps me malade est sujet aux maux de tête et aux ëtourdissemens.
Secondement. Le malade a dit avoir été empoisonné plusieurs fois dans ses alimens ; que sa vie a ëté plusieurs fois en grand danger, et qu’il ne l’a conservée qu’en faisant usage de contrepoisons, mais que son estomac et son appétit sont dérangés depuis ce moment là.
Troisièmement. Le malade nous a fait observer une cicatrice qui s’étend de l’aile droite du nez au bord de la lèvre supérieure, une autre, qui est à la partie supérieure du dos de la main droite ; provenant d’une plaie faite par un poignard, qui perça cette main de part en part, lorsqu’il la mit sur sa poitrine pour préserver les parties précordiales, deux cicatrices à la mamelle gauche ; et deux à la droite ;… six cicatrices, dont plusieurs sont très-longues et considérables dans l’étendue de la capacité du bas-ventre, lesquelles ont été produites par des plaies faites par des coups de poignard et d’épée, quel le malade nous a confessé avoir reçus, en différens temps. De plus, il nous a fait remarquer un grand nombre d’autres cicatrices dans toute l’étendue des fesses et des cuisses, tant à leurs parties antérieures que postérieures, et nous a présenté plusieurs morceaux de peau desséchés qu’il conserve, ainsi qu’une roulette de fer en forme d’étoile à six pointes, rouillée et encore teinte de son sang, laquelle il nous a dit être une des cinq qui comptoient la discipline avec laquelle on l’a flagellé une infinité de fois, et qui lui ont fait les plaies multipliées dont il nous a fait voir les cicatrices… Le malade nous a encore fait observer que sur sa cuisse droite en devant, et sur toute l’étendue de la fesse droite, on y voit une espèce de chandelier à sept branches qu’on dit être un créquier de gueules, partie principale des armes de la maison de Crequy, et que madame sa mère, ainsi que plusieurs chirurgiens experts, lui ont assuré qu’il étoit né avec les susdites marques, ce que nous croyons véritable après les avoir examinées.
Quatrièmement. Nous avons observe une cicatrice en forme de croix qui se trouve sur le gland et qui s’étent sur presque toute son étendue ; que le malade portoit au prépuce un anneau d’or à charnière, en forme de boucle d’oreille qui le gênoit beaucoup, lequel, ainsi que deux autres semblables, desquels il s’étoit déjà fait délivrer et qu’il portoit aux bourses et au-dessus de l’os sacrum (endroits où l’on trouve encore les cicatrices) recevoient et donnoient passage à une chaîne d’or qui fermoit par un cadenas aussi d’or que l’on lui a dit s’appeler sympathiques ; le malade nous a attesté que ce fut en l’année 1783, qu’on lui fit cette horrible opération et qu’on lui fit aussi boire un breuvage composé de son propre sang, de celui d’une jeune fille, de poudres et d’autres drogues que nous ne pouvons nommer ici par pudeur que cette boisson fut aussi nomée sympathique. Le tout afin disoit-on de le priver de la jouissance des femmes, et de l’empécher d’avoir postérité, en lui occasionant la perte continuelle et involontaire de sa semence (ce projet a effectivement réussi, car le malade nous a confessé que depuis ce moment il étoit sujet à une perte continuelle et involontaire de sa liqueur prolifique, et qu’il éprouvoit de grandes foiblesses dans toutes les parties génitales).
Cinquièmement. Le consultant nous a déclaré qu’en février 1774, étant alors détenu prisonnier dans un cachot des prisons de la prévôté royale de Versailles, le sieur de Blanchefort, soi-disant de Crequy et sa famine, obtinrent un ordre secret du duc d’Aiguillon, alors ministre d’état, et signé soi-disant du roi, pour le faire mourir en lui ouvrant les veines des bras et des pieds ;… qu’en effet les sieurs de Blanchefort et Davaud, juges de la prévôté, étant présens, le geôlier de la prison, aidé de deux valets, le mirent absolument nu et le lièrent sur une chaise de bois, après quoi le sieur de Blanchefort lui-méme introduisit un élève en chirurgie qu’il avait mandé, lui montra le soi-disant ordre qu’il portoit, et lui commanda avec menaces de saigner aux quatre veines le particulier que l’on lui présenta. Le chirurgien tout troublé pratiqua effectivement deux saignées aux bras, mais ne voulut point faire celles des pieds, assurant que ces opérations suffiroient, jugeant le prisonnier, alors saisi de frayeur, en état prochain de mort ; le sieur Blanchefort se retira ; alors le chirurgien, qui avoit reconnu ses projets infâmes, referma les saignées et mit tout en usage pour rappeler à la vie le moribond qui venoit de perdre une quantité considérable de sang… (Le malade nous a dit avoir éprouvé alors des syncopes très fréquentes pendant plusieurs jours, et que depuis ce moment-là sa santé avoit été considérablement affectée.) Le chirurgieu alla faire part de cet horrible attentat à M. le Maréchal de Noailles, alors gouverneur de Versailles, qui sur le champ fit de son ordre transporter le moribond sous escorte à l’hôtel-Dieu de Versailles où il est resté jusqu’à parfait rétablissement.
Sicièmement. Enfin le consultant nous a fait observer que sa mauvaise nourriture dans ses différentes prisons, que l’air malsain et humide qu’il y avoit respiré, que les mauvais et incomplets traitemens de ses maladies, et qu’enfin l’ennui et les chagrins auxquels il étoit en proie dans ses différens cachots, lui avaient donné le scorbut ; que dans cette maladie ses gencives ayant été ulcérées, il avoit perdu les dents qui lui manquent effectivement aux deux mâchoires. (Les gencives étant encore aujourd’hui affectée, et plusieurs autres symptômes existant, nous jugeons que M. de Crequy n’est point encore aujourd’hui parfaitement guéri de cette maladie.)
D’après l’examen le plus scrupuleux du malade, et d’après l’énoncé qu’il nous a fait de tous les accidens ci-dessus mentionnés ; nous avons procédé à la curation, sinon complète, au moins partielle des maladies et incommodités dont il se plaignoit et au rétablissement de ses fonctions lésées. Nous avons déjà obtenu les succès suivans : 1° Les fonctions de l’estomac se font beaucoup mieux, les douleurs sont moins considérables, et la digestion s’opère avec moins de difficulté ; 2° insomnie et les maux de tête sont moins violens et moins continnels ; 3° nous l’avons délivré de l’anneau qu’il portoit au prépuce, duquel il n’avoit pu être privé jusqu’à ce jour, et qui lui procuroit des douleurs et une incommodité insupportable ; nous espérons qu’avec le temps et que d’après l’emploi des moyens convenables, nous parviendrons à procurer à M. de Crequy né de Bourbon Montmorency, une guérison, sinon parfaite, au moins la meilleure possible ; et nous tâcherons de le délivrer des incommodités qui lui rendent la vie douloureuse et insupportable.
En foi de quoi nous lui avons, sur sa réquisition, délivré le présent pour lui servir ce que de raison. À Paris, ce neuf novembre mil sept cent quatre vingt-onze.
Cet ouvrage se vend à Paris, chez Lebour, Libraire au Palais-Royal, n. 188, et chez tous les Marchands de Nouveautés.
Ma pétition du dimanche 13 novembre 1791, a dévoilé à l’Assemblée Nationale de France, ma naissance, mon nom, mon état personnel et mes droits, et lui a indiqué et démontré l’intérêt de mes puissans ennemis à m’anéantir, et par conséquent la cause de mon oppression de leur part. Cet intérêt, quoique soigneusement dissimulé, n’est point douteux, non plus que la persécution constante du despotisme du gouvernement ministériel de France, pour m’effacer du nombre des vivans, en me suppliciant aussi cruellement qu’injustement, pendant tant d’années.
Il est acquis pleinement, il est à la connoissance de l’Assemblée Nationale de France, à laquelle je dois le tribut d’une éternelle reconnoissance, pour m’avoir rendu la vie, la liberté et ma patrie, il lui est indubitablement connu que, précipité par le gouvernement despotique et ministériel de France au fond d’un cachot, dans une terre étrangère, au fort de Prusse, à Stettin ; l’auguste Assemblée Constituante m’en a tiré par son humanité et sa justice, après neuf ans de supplices dans cette horrible captivité, chargé de chaines du poids de 60 livres.
Il n’est personne qui en ait entendu le récit, sans frémir, et qui, au prix d’un million, eût consenti à subir un tel supplice.
La cause de cette affreuse nécessité est sensible ; l’intérêt d’anéantir mon existence en fut le secret motif. La réclamation de tous mes droits, celle de mon état personnel, la qualité de fils d’un roi, époux de ma mère par un mariage antérieur, étoient de puissans motifs pour me précipiter au tombeau.
Cette dernière captivité de neuf ans, de la part du gouvernement despotique et ministériel de France, qui même avoit constitué en Prusse, à Berlin, une rente de 600 livres à cet effet, et pour attendre mon extinction dans ce cachot étranger, charge et rend absolument responsable ce même gouvernement de France de toute l’étendue des réparations et indemnités qui me sont dues.
L’Assemblée Nationale constituante a mis à la charge de l’état les dettes des frères du roi, en 1790, sans y être tenue légitimement ; j’ose dire qu’il n’est pas de proportion de légitimité entre les dettes de cette nature, et la juste réparation et indemnité qui m’est due par le gouvernement de France, en raison d’une aussi injuste captivité de neuf ans.
La provision est due au titre. Le mien est celui de persécuté, d’opprimé, d’outragé, de supplicié et dommagé injustement dans tous mes biens et droits personnels, réels, civils, temporels et spirituels.
La certitude de ce titre est incontestable et de notoriété publique, de fait et de droit, notamment cette dernière et affreuse captivité de neuf ans, dont le bienfait et la justice de l’auguste Assemblée m’ont heureusement délivré le premier mars 1791.
L’Assemblée Nationale prenant donc en considération toute la justice et la légitimité des réparations et indemnités qui me sont dues, de telles atrocités, vexations et oppressions, et indignée de l’horreur des supplices endurés pendant une si longue et si affreuse captivité, pratiquée par les intérêts, les vues, les desseins et intentions criminelles qui la déterminèrent ; j’ose espérer que cette auguste Assemblée voudra bien, dans sa justice, estimer, apprécier et proportionner l’indemnité aux maux inouis que j’ai soufferts ; considérer le péril continuel de mort et du désespoir auquel j’ai été exposé pendant neuf ans, et peser tout dans sa profonde sagesse. Elle aura sans doute égard à mon état urgent, comme aux circonstances de privation totale où cette horrible vexation m’a réduit ; son humanité, sa justice, n’hésiteront pas de prononcer et d’ordonner qu’il me soit payé une somme compétente de provision, en attendant l’indemnité qui m’est si justement due, attendu la privation entière de tous mes biens et titres, à la réclamation desquels le despotisme m’avoit si injustement soustrait, et dont j’attends et poursuis la rentrée ; c’est le motif de mes pétitions, présentées depuis le 15 novembre dernier jusqu’à ce jour.
Mais, pour prononcer plus équitablement sur cette matière d’indemnité et provision, que chacun veuille bien se dire à soi-même : Voudrois-je, pour cent mille écus, consentir que telle vexation horrible fût exercée contre moi, pendant une année seulment ?
C’est ainsi que les droits de l’homme doivent être considérés, appréciés, gardés, soutenus et remplis, et c’est en comparant ce que l’on voudroit équitablement être fait pour soi, que l’on sent mieux ce que l’on doit faire pour un autre citoyen.
La constitution françoise, dans sa déclaration des droits de l’homme, les a prononcés et assurés, art. I, II et XVII et l’Assemblée Nationale actuelle en a juré l’exécution au soutien des droits de l’homme et du citoyen, suivant l’art. VI du titre III chap. premier, section V.
Résumons sur ma demande provisoire.
La provision est due au titre, j’ai celui d’une captivité injuste de neuf ans, par le fait du despotisme du gouvernement ministériel de France, et ce titre fonde ma demande provisoire.
La certitude de cet attentat est acquise à l’Assemblée Nationale. La réparation et l’indemnité en sont dues par le gouvernement, des dettes duquel l’état s’est chargé ; j’ai donc le droit de demander une provision à l’Assemblée Nationale, à compte sur cette indemnité. Les circonstances où je me trouve sont urgentes et nécessitantes, et ma pétition, à cette fin, est juste.
Le rapport, sur ces principes, est donc simple et facile, ainsi que le décret à motiver et rédiger.
L’Assemblée Nationale, prenant puissamment en considération toute l’injustice de l’horrible vexation indignement exercée contre la personne de Charles de Bourbon-Montmorency, par la captivité de neuf ans qu’il a soufferte en Prusse, de la part du gouvernement ministériel et despotique de France, d’où l’Assemblée Constituante l’a retiré pour lui rendre la liberté, le rendre à sa patrie, et lui procurer les moyens de réclamer ses droits en France, décrète qu’il lui sera payé, provisoirement et à compte, sur l’indemnité qui lui est due, résultante de ladite captivité, par la caisse nationale, la somme de … à titre de provision, l’état étant chargé des dettes du gouvernement.
Les pièces justificatives ci-jointes doivent être plus que suffisantes, dans le moment actuel, pour mettre le dernier sceau à la légitimité des demandes que j’ai l’honneur de vous faire, Messieurs, pour qu’il vous plaise décréter qu’il me sera accordé des gardes nationaux, pour la sûreté de ma personne, dont vous devez, Messieurs, reconnoître tout le danger, aussi bien que la justice d’une pension provisoire, en attendant qu’entière indemnité et justice me soit rendue.
M. de Foudras, actuellement capitaine des vétérans, et chevalier de l’ordre royal et militaire de Saint-Louis, demeurant rue Saint-Honoré, au coin de la rue Saint-Florentin, lui et toute sa famille et parenté, m’ont connu dès la mamelle, comme fils légitime du premier mariage secret de Louis XV avec madame de Bourbon-Montmorency, fille naturelle de Louis XIV, princesse de Schitsemberg, Freyberg et du Saint-Empire, lequel mariage secret fut contracté l’année 1722 par un pur écrit fait et signé par la propre main de Louis XV, et avec son propre sang ; mais ledit mariage fut fait en bonne forme l’année 1723, dans la chapelle de M. l’archevêque de Reims, présence de tous les témoins se trouvant ci-après nommés, et à savoir :
Les sérénissimes seigneurs et dames de Bourbon-Conty, de Montmorency, de Luxembourg, de Luynes, de Rohan Chabot, de Laval-Montmorency, de Rohan-Guémenée, de Soubise, d’Esterazi, de Rohan-Montbason, de Clermont-Tonnerre, de Clermont-d’Amboise, de Flavacourt, de Lauragais, de Femele, Dandelot, de Valbel, des Deux-Ponts de la Tour-du-Pin, de Crequy, etc.
Et ledit contrat de mariage fut rafraîchi et renouvelé chaque année, depuis 1723 jusqu’en 1737, époque de ma naissance.
Le susdit sieur de Foudras et toute sa parenté, et la plupart des autres personnes ci après dénommées et comparantes en ce procès verbal, tant en personne que par leurs certificats et attestations, en bonne forme, faites sur papier timbré ; toutes lesdites personnes, encore, savent très bien et sont prêtes à attester, non-seulement les choses susdites mais encore elles attesteront aussi, que, pour me soustrair aux cabales de la cour, qui, d’intelligence avec la princesse Lezinska de Pologne, pour lors reine de France, quelques années après ce susdit mariage secret, avoit résolu ma perte aussi bien que celle de tous mes frères et sœur, provenant du roi mon père ; ma mère fut obligée de me déguiser en fille, sous le nom de mademoiselle de Créquy, dans toutes les différentes pensions où elle me mit, par ordre du roi mon père, et à ses propres frais et dépens, depuis mon berceau, jusqu’à l’âge d’environ seize ans.
Ils savent aussi tous, ou pour la plupart d’eux, que Louis XVI, en 1782, me reconnut, mais qu’il me fit défense, sous peine de la vie, ou de prison perpétuelle, de ne jamais me nommer autrement que marquis de Crequy, ni de ne jamais parler du susdit mariage secret de Louis XV avec ma mère ; ils savent de plus, que Jacques-Charles-Alphonse, marquis de Crequy, lieutenant général des armées du roi, grand’-croix, commandeur de l’ordre royal et militaire de Saint-Louis, ambassadeur de France à la cour de l’Empire et premier chambellan de M. le duc d’Orléans[7], lequel marquis de Crequy, étant dévenu, par ordre du roi, second époux de ma mère, l’année 1737, époque de ma naissance ; le roi, en le comblant de bienfaits, exigea de lui, que tous les enfans présens et à venir, de ladite princesse, ma mère, seroient reconnus pour légitimes enfans et héritiers dudit marquis de Crequy, jusqu’à ce qu’il plût au roi d’en disposer autrement à l’avenir, parce que tous les biens provenoient du roi et de ladite princesse, qui avoit apporté d’Empire plus de huit millions comptant, et que c’est en vertu de cela que ledit marquis de Crequy, second époux de ma mère, quoiqu’il sût parfaitement que j’étois fils de Louis XV, ne laissa pas que de me reconnoître pour son propre fils, et m’assura une pension de trois mille livres, avec promesse faite par main de notaire, de me rendre tous les biens de ma mère, lorsque j’aurois l’âge de majorité tout cela se passa dans le même temps que j’étois en pension chez M. l’abbé de Goudin d’Arostay, pour lors demeurant maison de M. Loriot, marchand pelletier, rue Saint-Antoine, au coin de la rue Percée. Depuis environ l’année 1748, jusqu’en 1766, que je restai dans la pension susdite, quoique en différentes sorties et rentrées dans ladite pension, par rapport aux persécutions et cruels traitemens de Blanchefort, soit-disant Crequy, et ses complices, lequel, ainsi que son père, étoit alors mon tuteur ; le ci-devant comte de Blanchefort, et le ci-devant marquis de la Tour-du-Pin, avoient été nommés par le roi et par ma mère, pour être mes tuteurs et curateurs, lesquels sieurs de Blanchefort soi-disant Crequy, occupèrent dès lors mon hôtel de Crequy, rue de Grenelle faubourg Saint-Germain, et avoient résolu de me faire périr dès mon enfance ou de me faire moine par force, pour s’approprier et se partager impunément tous mes biens, j’avois encore dans ladite pension, un sous-gouverneur, vers l’année 1758 ou 1759 qui se nomme}} M. l’abbé Magnier, actuellement habitué au temple Sainte-Marie, à Paris. J’avois encore dans ce même temps, et depuis l’année 1750, ou environ ce temps, un maître pour l’écriture et la langue françoise, qui se nomme M. Vettier, lequel demeure actuellement rue de la Harpe, maison du buraliste, no 3. Les susdits sieurs abbé Magnier et Vettier existent encore tous deux, et il sera encore parlé d’eux par la suite. Le même sieur de Foudras, dont il est encore question ici, et toute sa parenté, ont contribué quatre fois à me sauver la vie, à me faire rendre ma liberté, relever à leurs propres frais et dépens tous mes titres et papiers, pour prouver mon innocence opprimée, aussi bien que mon état et mes droits légitimes ; ils sont prêts à attester que cela est arrivé quatre fois de suite, en leur parfaite connoissance, dans quatre différentes arrestations, dans ma jeunesse dont deux fois au château de Pierre-en Scise, à Lyon, une fois aux pères de l’Observance, et une fois dans la petite maison des Jésuites, située à Écuilly, près de Lyon, le tout par les noirs complots et les atrocités de la maison de Blanchefort, mon tuteur, des dames de Crequy et autres, leurs complices, qui, d’intelligence avec les ministres de France, du temps de l’ancien despotisme, avoient obtenu différentes lettres de cachet sous différens noms et crimes qu’ils me supposèrent, pour me faire périr sous les coups de verges, à nu sur mon corps, dans un affreux cachot souterrain, sans feu, sans lumière, presque nu, sur la paille, nourri au pain et à l’eau, des fèves, des pois, des haricots, et chargé de chaînes, pour me soustraire à tous mes droits légitimes.
Louis XV me reconnut au mois d’avril 1774, après avoir survécu et échappé à tant de malheurs et il m’assura un apanage sous le nom de Bourbon-Montmorency, avec une pension de trois cent mille livres à vie durante, dont la première année me fut payée d’avance entre les mains du duc des Deux-Ponts mon parrain, pour monter ma maison en 1774. On peut s’assurer de la vérité de tout ceci, non-seulement par l’attestation du grand nombre des respectables témoins ci-mentionnés, mais encore on trouvera des renseignemens dans les livres rouges et verts qui contiennent et renferment les secrets de la cour et de l’État ; c’est précisément là la raison qui fit que Louis XVI et M. Necker s’opposèrent à ce que l’Assemblée Nationale constituante ne prit connoissance des secrets renfermés dans les susdits livres qui sont au nombre de quatre, dont trois rouges et un vert. Louis XVI, actuellement régnant, se rappela, et il convint très bien de tous ces faits ; car j’eus l’honneur de les lui prouver en 1782 ; mais il me refusa la continuation de toutes mes pensions de Louis XV, et des pensions de huit cents louis que m’avaient encore assurées à perpétuité, savoir : la reine défunte, deux cents louis, Louis XV, deux cents louis, Mme la dauphine défunte, cent louis, Mme la princesse Louise défunte, ma sœur, cent louis, le tout pour récompense de ce que j’avois sauvé la vie à la susdite reine, ainsi qu’à M. et Mme la dauphine, et toute la famille royale qui existe aujourd’hui, et cela, par un complot qui avoit été tramé contre eux, et que je leur découvris alors ; cet évènement étant trop long et inutile à rapporter ici, je me tais. — Louis XVI, en me privant de toutes mes pensions, me défendit aussi, sous peine de la vie, de ne jamais me qualifier autrement que de marquis de Crequy ; c’est pour cette raison que dans ma première pétition, je n’y ai pris que la qualité d’Alexandre de Crequy.
La Reine actuellement régnante ne pourra pas se refuser d’attester qu’elle m’arracha elle-même de la main de mes tyrans, de mes bourreaux, lorsqu’en 1768 ou 1769, ils m’avoient emprisonné à Châlons en Champagne, d’intelligence avec M. de Juigné, évêque dudit diocèse, M. Rouilé d’Orfeuil, intendant de ladite ville, et son secrétaire, le sieur Gauthier, pour me faire mourir innocemment, ou m’envoyer aux îles, pour se débarrasser de moi ; ladite reine protesta la mort de tous mes tyrans et persécuteurs ; c’étoit lors de son passage en ladite ville, et même année ci-dessus dite, pour aller épouser Louis XVI ; mais lorsqu’elle fut une fois en cour de France, et surtout depuis qu’elle est sur le trône, elle oublia toutes ses promesses, et abandonna l’infortuné Bourbon-Montmorency à son malheureux sort ; elle fit plus encore, car elle se joignit, elle, et le comte d’Artois, à mes persécuteur… MM. les ci-devant marquis de Bagueville, M. de Brock, grand prévôt de la maréchaussée de Châlons-Champagne, et autres illustres témoins dignes de foi attesteront ce fait.
Messieurs frères du roi, la maison d’Orléans, la maison de Conty, la maison de Guémenée, les maisons de Rohan, et nombre d’autres illustres maisons, contribuèrent plusieurs fois, et en différens temps, à me faire arracher des cachots, et de la main de mes bourreaux, où la cabale des Blanchefort, des dames de Crequy et leurs complices, d’intelligence avec les ministres d’État, avoient resolu de me faire périr, tant en France, que hors du royaume, comme par exemple, en Espagne, en Portugal, en empire d’Allemagne, en Prusse, et particulièrement à la Bastille, à Paris ; au château de Vincennes ; à la maison de Charenton, à Bicêtre, chez les pères Augustins de Paris, aux pères de St-Lazare, à Châlons en Champagne ; à Pierre-en-Scise, près Lyon ; à Marseille, à Toulon, à Dôle, en Franche-Comté, à Besançon et autres lieux encore, pendant le cours de quarante-six ans de persécutions et de tyrannie les plus atroces dans toutes les susdites prisons ; je n’ai pourtant actuellement que cinquante-quatre ans. Je ne puis me rappeler de la date de chaque arrestation, mais elles furent successives depuis 1745 jusqu’en 1791.
M. Dandelot, ancien brigadier des armées du roi, chevalier de l’ordre royal et militaire de St-Louis, et l’un des quatre premiers gentilhommes du St Empire, lui, et toute sa parenté, résidant à Landau en Alsace, ou en cour de France.
Le ci-devant comte de Rochefort, lui et une bonne partie de sa parenté, résidant à Rochefort, ou en cour de France.
Les ci-devant ducs, comtes et comtesse de Beaufort, résidans à Dôle, en Franche-Comté.
Le ci-devant marquis de la Tour-du-pin. Lui-même et plusieurs de sa parenté ; il étoit ci-devant gouverneur de Dijon et l’un de mes tuteurs ; sa résidence est rue d’Enfer à Paris, ou à son gouvernement à Dijon.
Le ci-devant marquis de Rochegune. En son hôtel rue du Mail, près la place Victoire à Paris.
Le ci-devant duc de Laval-Montmorency. À Versailles, ou en cour de France.
Le ci-devant marquis de Rochebaron. Gouverneur et Commandant de la ville de Lyon, lui et toute sa parenté, à Lyon.
M. le ci-devant comte de Villars. Mon premier gouverneur chez ma mère en Empire, avec les demoiselles Necelrodes de Honque-Portes, ses gouvernantes. Le susdit comte de Villars a été fait chanoine et comte de Lyon.
M. le ci-devant marquis de Montgefou. Depuis curé et abbé de t’abbaye d’Enéen, à Lyon.
La ci-devant comtesse de Grole. Elle et toute sa parenté.
Les ci-devant comte et comtesse des Chasses. Résidans à Écuilly, à Lyon.
Les ci devant baron et baronne de Lorme. Résidans rue Saint-Louis, au Marais.
Le ci-devant cardinal de Tancin, archevêque de Lyon. Et toute sa parenté.
Les messieurs et dames de Pont-Chartrain.
Les messieurs Périchon, ci-devant échevins de la ville de Lyon.
M. Pachaut, notaire à Lyon.
M. Rivoibon, huissier à Lyon.
M. Bassinet, procureur à Lyon.
Les ci-devant comte et comtesse Fautbiere. Résidans à Trévoux.
Les ci-devant comte et comtesse de St.Amour. Résidans en leur terre en Franche-Comté, entre ville de Dôle et Dijon.
Les ci-devant marquis et marquise de Flavacourt. Résidans à Paris ou en cour.
Le ci-devant maréchal duc de Richelieu. Residant à Paris ou à Bordeaux.
Le ci-devant Cardinal duc de Choiseul, archevêque de Besançon. Résidant à Paris ou à Besançon.
Le ci-devant cardinal de Luynes, archevêque de Sens en Bourgogne. Résidant à Paris ou à Sens en Bourgogne.
Les ci-devant duc et duchesse de Lauragais. Résidans en cour.
Les ci-devant baron et baronne de Femelle. Résidans à Paris ou à Noyon en Picardie.
Les ci-devant marquis et marquise de Valbel. Résidans à Paris ou en cour.
M. Albert, officier de Monsieur, frère du roi. Résidant cour du Commerce, faubourg St-Germain, à Paris.
M. de Rigny. Résidant rue des Martyrs, près l’abbaye Montmartre, ayant été envoyé par ordre de la commune de Paris, pour faire des recherches de tous les prisonnier d État qu’on tenoit cachés dans les cachots de la Bastille, il trouva une pierre sur laquelle j’avois gravé, avec une machine de fer, un vers pour reprocher ma mort à mes tyrans, et à la foiblesse du Roi Louis XV, lorsqu’en 1770 les Blanchefort, mes tuteurs et curateurs, avec plusieurs dames de Crequy, d’intelligence avec les ministres d’État, surprirent un ordre du roi pour me faire trancher la tête dans mon cachot ; Louis XV ignorant alors que c’étoit son fils qu’il condamnoit innocemment à mort.
M. Manuel, syndic de la commune de Paris, rue Serpente.
M. Thobillon. Juge de paix et député à l’Assemblée Nationale, rue des Fossés-St-Marcel, n° 12. Le frère dudit sieur Thorillon et son camarade étant exempts de l’hôtel du roi à Versailles, furent lever tous mes titres tant Lyon qu’à Paris, et forcèrent mes tyrans à me rendre ma liberté, avec promesse de me restituer, tous mes biens, lorsque Blanchefort, soi-disant Crequy qui étoit mon subrogé tuteur, lui et plusieurs dames de Crequy, d’intelligence avec le duc d’Aiguillon, alors premier ministre d’État, et plusieurs autres ministres, leurs complices, m’avoient fait enfermer par lettres de petit-cachet, le 27 janvier 1774 en la prévôté royale de Versailles, d’abord avec le premier dessein de m’y faire mourir de misère, et sous les coups ; puis après et par réflexion pour se débarrasser de moi plus promptement, ils subtilisèrent un ordre signé Louis XV, pour me faire ouvrir les veines, en me donnant un faux nom, et me supposant de faux crimes ; une espèce de miracle trop long à rapporter ici, me sauva la vie, et le maréchal duc de Noailles, pour lors gouverneur de Versailles, ayant été instruit de cette atrocité et de la complicité du juge, sieur Davaut, et son greffier, avec toute la cabale de blanchefort, et des dames de Crequy pour me faire anssi innocemment périr, le susdit duc ayant déjà été averti de ce fait, dis je, par le chirurgien qui avoit été ordonné pour m’ouvrir les veines, il envoya aussitôt un ordre avec des gardes et une chaise-à-porteur pour m’enlever de force d’entre les mains de mes bourreaux, on me trouva moribond, et en vertu du dit ordre, les gardes et le susdit chirurgien me firent transporter en la maison de la charité hospitalière de Versailles, où l’on me rappela heureusement à la vie ; et après parfaite guérison, le prince duc des Deux-Ponts, mon parrain, d’intelligence avec les dames hospitalières et plusieurs gardes-dy-corps qui étoient comme moi, convaiescens en la susdite maison de charité, me firent passer en Angleterre en me déguisant d’abord sous l’habit de fille, puis sous celui de juif, afin de tromper les espions qu’on avoit mis après moi ; c’est en cet état que j’arrivai à Londres adressé au juif sieur d’Acostat, Joseph-Abrabam, au lord Maire, au comte Desland, et autres grands de la cour d’Angleterre, ainsi qu’à M. l’Ambassadeur de France de ce temps-là ; c’étoit à l’entrée du mois d’avril 1774, peu avant que le roi mon père me reconnût et m’assignât l’apanage et pension dont il a été question ci-devant, bonheur qui ne m’arriva que par l’entremise du prince des Deux-Ponts, mon parrain, qui fit connoître au roi qu’il avoit manqué faire périr innocemment son propre fils, par sa trop grande légèreté à signer des lettres de cachet, sans auparavant être bien instruit des crimes ou de l’innocence des victimes contre lesquelles on les expédioit. Les sieurs Moulay, Descamp et Hombert frères, au Havre de Grâce, attesteront encore ces faits.
M. l’abbé Berthelot, Instituteur du roi, confesseur et confident de ma mère et de ma grand’mère, madame la maréchale duchesse de Luxembourg, qui réside à Versailles ; c’est lui-même qui, en 1774, quelques jours après que je fus délivré pour la première fois de ma première arrestation en la prévôté de Versailles, m’apporta, en présence de M. le duc de Laval-Montmorency, de M. le comte de Crauze, de M. le baron de Mezery, du révérend père Hélène, du séminaire des Lazaris et de Versailles, de M. le chevvalier de Raymond, pour lors garde-du-corps de M. le comte d’Artois ; de MM. les comte et baron de Behague de Montcove et Behague de Cauterenne : ledit abbé Berthelot m’apporta, dis-je, en présence de toutes les personnes susdites, de la part de ma mère, une lettre écrite et signée de sa propre main, cachetée avec ses armes ordinaires, à mon adresse, nom et titres de Bourbon de Montmorency, et marquis de Crequy, laquelle lettre ledit abbé Berthelot me remit en propres mains, en présence des susdites personnes, avec une chatouille ou petite cassette carrée longue de bois de Sainte-Luce, qui étoit couverte de galuchat vert, bien cachetée de ses armes en cire rouge et en plusieurs endroits, tant par devant que sur les côtés de ladite chatouille, lesquelles armes étoient imprimées ou empreintes sur des petits rubans verts cloués avec des petits clous argent doré : ladite chatouille étoit aussi garnie de plusieurs plaques d’argent doré dans tous les points ; au milieu de ladite chatouille étoit encore une très grande plaque du même metal, sur laquelle étoient écussons représentant les armes du roi mon père, et celles de ma mère ; ledit abbé me remit aussi la clef de ladite chatouille avec la susdite lettre, après que les personnes lui eurent assuré et prouvé par les marques que j’ai sur le corps, que j’étois effectivement le fils de LouisXV, et de ladite princesse ma mère ; je fis alors ouverture de la chatouille, en présence de toutes les personnes susdites, et j’y trouvai d’abord dedans douze cents louis en or, avec l’assurance de ma mère de recevoir annuellement pareille somme et pension chez M. Foulon-des-Murs, fermier-général des finances de France, qui m’assuroit des secours encore plus considérables, si j’en avois besoin, et que je voulusse suivre le conseil qu’elle me donnoit : je me tais ici, parce que ce sont les secrets de l’État, et, que ne puis et ne dois reveler à personne, à moins que l’Assemblée Nationale ne me l’ordonne ; je trouvai aussi dans ladite chatouille tous les titres, lettres et autres papiers nécessaires pour me faire reconnoître fils légitime de Louis XV, son premier époux secret, ou bien pour celui du marquis de Créquy, son second époux conventionnel, le tout selon que la prudence et les circonstances me le dicteroient ; j’y trouvai aussi l’ordre du Saint-Esprit, que le roi mon père nous avoit envoyé chez ma mère en ses terres en Empire, dès le jour et moment de ma naissance ; enfin j’y trouvai aussi toute l’histoire de la vie et les aventures de ma mère, et laquelle je vais faire imprimer incessamment pour la rendre publique.
M. Moreau, capitaine des invalides, chevalier de l’ordre militaire de Saint-Louis, rue de Sève, vis-à-vis la rue des Brodeurs, maison d’un serrurier, n° 1274.
M. Rey, ci-devant secrétaire au comité des lettres de cachet, et actuellement à celui de législation.
M. l’abbé Magnier, habitué au temple Sainte-Marie ; il est le filleul d’une dame de Crequy, il me connoit dès l’année 1758 ou 1759, qu’il fut nommé par ma mère, pour être mon sous-gouverneur, du temps que j’étais en pension chez M. l’abbé Goudin d’Arostey, demeurant maison de M. Loriol, marchand pelletier, rue S-Antoine, au coin de la rue Percée, à Paris ; ledit abbé connoît d’autant plus mes malheurs et ma naissance, que, pour avoir pris ma défense en 1782, il fut mis lui-même dans un profond cachot des prisons de Troyes en Champagne, par ordre du comte de Vergennes, pour lors ministre d’état, qui étoit d’intelligence avec mon subrogé tuteur, le sieur de Blanchefort, soi-disant Crequy, pour me faire périr moi et tous ceux qui oseroient prendre la défense de mon innocence opprimée et de mes droits usurpés par eux.
M. Bournizet, procureur-syndic de la commune de Versailles, a Versailles.
M. Behague de Montcove.
M. Behague de Canterenne, et M. l’abbé Behague, leur frère, curé et prieur de Mele, près Nogent. Ils résident tous trois à Mele, près Nogent-sur-Seine.
Le sieur et dame Eloy, rue des Jardins-St-Paul, n. 6 ; ils ont connoissance de mes malheurs depuis 25 ans.
M. le curé de Meriot, résidant au Mériot, près Nogent-sur-Seine. · M. Vettier, rue de la Harpe, maison du buraliste, n. 3 ; il fut nommé pour m’enseigner la langue et l’écriture françoise, depuis environ l’année 1750, lorsque j’étois dans la pension de M. l’abbé Goudin, rue St-Antoine, dont il a été parlé ci-devant ; il fut aussi nommé pour être mon secrétaire et homme d’affaires ; il me perdit de vue par mes malheurs innombrables ; il me revit et me reconnut en 1782, et reprit sa charge près de moi ; il me perdit encore de vue par ma dernière arrestation à Stettin, en Prusse ; puis il me revit et reconnut encore après ma délivrance et mon retour à Paris, au mois d’août 1791.
M. Graux, maréchal-des-logis de la gendarmerie nationale, résidant à senlis.
M. Legraux, inspecteur des fabriques d’azur et fonderie des mines des Pyrénées Françoises et Espagnoles, résidant chez madame Legraux, marchande lingère, rue Jean-de-l’Épine, près la Grève.
M. de Virgaux, hôtel de Candie, rue des Bons-Enfans ; il a connu mon nom et mes malheurs dans la prison de Stettin, en Prusse.
M. Rigaudeau, maitre tailleur, rue du Coq-St-Jean, près la Grève, la première porte cochère à droite, en entrant par la rue de la Verrerie. Il me connoit et a fourni ma maison depuis plus de dix ans.
M. Petit, ancien marchand de bois ; il me connoit depuis environ l’annëe 1750, ayant toujours fourni notre maison, et celle de M. Goudin d’Arostey, où j’étois en pension ; ledit sieur Petit demeure a présent rue de la Licorne, n° 14, à Paris.
Madame Maillard et madame veuve Gloria, demeurant au bout de la rue des Vieilles-Tuileries, au café du Cherche-Midi, sur le Boulevard, vis-a-vis le rendez-vous de Vaugirard ; elles ont été toutes deux femmes de charge et de garde-robe chez ma mère et chez moi, depuis l’annce 1737, époque de ma naissance, jusqu’en l’année 1782, quoique en différentes reprises.
M. Clément, charpentier, menuisier et ébéniste, rue St-Louis au Marais, ayant fourni la maison de ma mère, celle de ma pension, chez ledit abbé Goudin, et enfin, aussi ma propre maison, depuis l’année 1740 jusqu’en 1782.
M. et madame Desrates, brodeurs en or et argent, rue des Marmouzets, maison et allée du boucher, au cinquième ; ils fournissent notre maison depuis 1740, et m’ont connu très particulièrement dans madite pension, rue St-Antoine, chez l’abbé Gondin.
MM. et mesdames Despremenil, et M. le président de Dieuville, chez M. l’abbé Magnier, au temple Sainte-Marie.
Etienne Rigouffe, ancien cocher du sieur Blanchefort soi-disant Crequy, demeurant rue Feydeau, près le théâtre de Monsieur.
MM. Holains père et fils et toute la famille, résidans rue du chemin de Mesnil-Montant, n° 61.
Acte de cassation de mon mariage en Prusse, qui prouve et constate mon état, puisque c’est à l’ordre, et par les conseils du roi de Prusse défunt, que j’ai contracté cette alliance, le roi m’ayant persuadé, qu’une fois que je serois domicilié dans ses États, par le susdit mariage, il m’accorderait sa protection, comme me regardant censé son sujet, et m’honoreroit de ses lettres de recommandation et de ses ordres favorables, près de son ambassadeur en cour de France, pour y réclamer et poursuivre, en son nom et autorité royale, tous mes droits et prétentions légitimes ; c’est ce qu’il effectua en effet en 1781, mais Louis XVI et ses ministres, loin d’y avoir égard, formèrent le complot de me faire retourner en Silésie, et trouvèrent les moyens de me faire plonger dans un affreux cachot de Stettin, en Prusse, chargé de chaînes, du poids de plus de 60 livres, sous un faux nom qu’ils me donnèrent, et de faux crimes qu’ils me supposèrent, pour me faire périr, en m’assurant pourtant une pension annuelle de 600 livres, et recevant toutes mes quittances sons mon nom et titre de marquis de Crequy ; cela leur réussit, parce qu’ils avoient trouvé le moyen de corrompre, a force d’or et d’argent, les ministres prussiens, comme les ministres de France ; et c’est dans ce cruel état que j’ai gémi depuis l’année 1782, jusqu’au premier mars 1791, que l’Assemblée nationate Constituante, parfaitement convaincue de mon innocence opprimée, de mes justes prétentions et des atrocités de la cabale de la cour, et des ministres, d’intelligence avec Blanchefort et ses complices, me fit rendre ma liberté, et me procura les moyens de revenir dans ma patrie, le 30 août 1791, avec assurance qu’une prompte et équitable justice me seroit rendue, et c’est ce que je sollicite et espère encore aujourd’hui.
Nous, Bourguemestres et Échevins du roi, résidans à Wolhau, dans le duché de Silésie-Prussieune, savoir faisons par ces présentes, que l’épouse de M. Charles-Alexandre-Stanislas-Auguste de Bourbon-Montmorency, marquis de Crequy, dame Marie-Elizabeth, née de Goudin-Balanzac, comparue par-devant nous en personne, assistée, pour cet effet, de son curateur, le négociant Jean-Théophile Muller, laquelle dame nous a déclaré que, vu que son époux, pour effectuer un procès de réclamation de biens de famille, qu’il a en France, lui a demandé le consentement volontaire de la cassation et séparation plénière du mariage qui a subsisté entre eux jusqu’à ce jour, et que, ne pouvant espérer pour l’avenir, dans la situation actuelle des choses, et après l’acquisition des titres et biens appartenans à sondit époux, la continuation de cette union matrimoniale ; après une mûre délibération faite de toutes les circonstances qui subsistent actuellement, elle consent volontairement, suivant le désir du susdit M. son époux, à la cassation de leur mariage, sans réserve aucune, renonçant expressément à tous les droits, prérogatives, titres et prétentions dont elle a joui en qualité d’épouse, tenant M. son époux quitte des obligations qu’il a contractées avec elle, en qualité d’époux, et le déclarant libre pour sa personne, dès ce jour et à perpétuité, nous suppliant de vouloir recevoir cette petite déclaration volontaire de sa part, d’en donner acte, et d’en délivrer une expédition sous les formalités authentiques, pour valoir partout où il appartiendra ; déférant à cette demande faite par la dame comparante, et ne pouvant y rien objecter, nous avons fait dresser le présent verbal, et l’avons fait expédier sur l’original, selon les formes requises, muni du sceau de notre ville et des signatures ordinaires.
Fait et passé à Wolhau, dans la Basse Silésie, le 16 juin 1791.
Signé, Coppin, Sander, Irroner, Reichel, Granszel. – Traduit sur l’original. Signé, Barré, assesseur de la justice royale, à Stettin.
Je, Jean-Baptiste Raymond, capitaine de cavalerie,
Certifie à tous ceux qu’il appartiendra, avoir pleine et parfaite connoissance de tous les malheurs et atrocités commises, tant sur la liberté que sur la vie et corps de très-illustre et très-honorable personne, sire Charles de Bourbon-Montmorency, ci-devant marquis de Crequy, et ce par les ministres et le sieur Blanchefort, soi-disant Crequy, et que je l’ai toujours connu dès sa plus tendre jeunesse, marquis de Crequy ; que toutes les fois qu’il a été détenu prisonnier en différentes prisons et forteresses, tant en France qu’en pays étranger, par les fausses accusations des ministres d’État et de Blanchefort, soi-disant Crequy, il a toujours réclamé, et je lui ai toujours accordé mes certificats et témoignage, pour contribuer, comme de juste et de raison sa justification et recouvrement de sa liberté, et que je suis encore prêt à le faire, toutes fois et quand le cas et justice le requerront ; en foi de quoi j’ai signé le présent certificat, a Saint-Victurnien, ce premier décembre 1791. Signé le chevalier de Raymond, capitaine de cavalerie.
Nous soussignés, faisant les fonctions des officiers-commissaires-municipaux, certifions à qui il appartiendra, que le seing ci-dessus apposé est celui de Jean Baptiste Raymond, capitaine de cavalerie, citoyen de notre bourg, et que foi y doit être ajoutée. À St-Victurnien, du département de la Haute-Vienne, et district de St Junin, lesdits jour et an que dessus. Signé. Armant, procureur, Merlin-Olessibart, officier municipal, Négrier, Rochebrune, procureur de la commune.
Nous, soussigné maitre-ès-arts en l’université de Paris, membre du collège de l’académie royale de chirurgie, ancien chirurgien-major des camps et armées du roi et du régiment des ci-devant gardes Françoises ; attestons et certifions à qui il pourra appartenir, avoir été mandé le 10 octobre dernier, pour donner nos soins à M. de Crequy, né de Bourbon-Montmorency, demeurant à Paris, rue de Richelieu, hôtel royal de la Marine, lequel se plaignoit d’une prostration complète des forces, d’appétit, foiblesses, maux d’estomac, défaillance, et d’une insomnie continuelle, d’étourdissemens et de violens maux de tête, qui le faisoient souvent tomber dans un évanouissement dangereux ; de plus, d’un écoulement perpétuel et involontaire de la semence et d’une sensation douloureuse, accompagnée plusieurs fois de syncopes toutes les fois qu’il se présentait à la garde-robe.
D’après le récit et l’exposé des incommodités dont se plaignoit M. de Crequy, né de Bourbon-Montmorency, nous avons procédé à l’examen des parties malades : il nous a accusé et confessé ce qui suit, pour nous mettre à portée de remédier, s’il étoit en notre pouvoir, au rétablissement de sa santé, qui étoit alors en très mauvais état, et de le soulager de plusieurs incommodités qui mettoient ses facultés physiques et morales et même sa vie dans le plus grand danger ; nous avons observé :
1° Un enfoncement des os du crane, et une longue et large cicatrice à la partie moyenne et postérieure de la tête, occasionée par un coup de sabre violent que le malade nous a dit avoir reçu en 1771 ; depuis ce tems le malade est sujet aux maux de tête et aux étourdissemens.
2° Le malade a dit avoir été empoisonné plusieurs fois dans ses alimens, que sa vie a été plusieurs fois en danger, et qu’il n’a conservée qu’en faisant usage de contre-poison, mais que son estomac et son appétit sont dérangés depuis ce moment-là.
3° Le malade nous a fait observer une cicatrice qui s’étend de l’aile droite du nez au bord de la lèvre supérieure ; une autre qui est à la partie supérieure du dos de la main droite, provenant d’une plaie faite par un poignard qui perça cette main de part eu part, lorsqu’il la mit sur sa poitrine pour préserver les parties précordiales ; deux cicatrices à la mamelle gauche et deux à la droite ; six ciratrices dont plusieurs sont très-longues considérables dans l’étendue de la capacité du bas-ventre, lesquelles ont été produites par des plaies faites par des coups de poignard et d’épée, que le malade nous a confessé avoir reçus en différens tems ; de plus il nous a fait remarquer un grand nombre d’autres cicatrices dans toute l’étendue des fesses et des cuisses, tant à leurs parties extérieures que postérieures, et nous a présenté plusieurs morceaux de peau desséchés qu’il conserve, ainsi qu’une roulette de fer en forme d’étoile à six pointes, rouillée et encore teinté de son sang, laquelle il nous a dit être une des cinq qui composoient la discipline avec laquelle on l’a flagellé une infinité de fois, et qui lui ont fait les plaies multipliées dont il nous a fait voir les cicatrices. Le malade nous a encore fait observer que sur sa cuisse droite, en devant et sur toute l’étendue de la fesse droite, on voit une espèce de chandelier à sept branches, qu’on dit être un Créquier de gueules, partie principale des armes de la maison de Crequy, et que madame sa mère, ainsi que plusieurs chirurgiens experts lui ont assuré qu’il étoit né avec les susdites marques, ce que nous croyons véritable après les avoir examinées.
4° Nous avons observé une cicatrice en forme de croix qui se trouve sur gland, et qui s’étend sur presque toute son étendue ; que le madade portoit au prépuce un anneau d’or à charnière en forme de boucle d’oreille, qui le gênait beaucoup, lequel ainsi que deux autres semblables, desquels il s’étoit déjà fait delivrer, et qu’il portoit aux bourses et au-dessus de l’os sacrum (endrois ou l’on trouve encore les cicatrices), recevoient et donnoient passage à une chaîne d’or qui fermoit par un cadenas aussi d’or qu’on lui a dit s’appeler sympathiques ; le malade nous a attesté que ce fut en l’année 1782 qu’on lui fit cette horrible opération et qu’on lui fit aussi boire un breuvage composé de son propre sang de celui d’une jeune fille, de poudres et d’autres drogues que nous ne pouvons nommer ici par pudeur ; que cette boisson fut aussi nommée sympathique, le tout afin, disoit-on, de le priver de la jouissance des femmes et de l’empêcher d’avoir postérité en lui occasionant la perte continuelle et involontaire de la semence (ce projet a effectivement réussi, car le malade nous a confessé que, depuis ce moment, il étoit sujet à une perte continuelle et involontaire de sa liqueur prolifique, et qu’il éprouvoit de grandes foiblesses dans toutes les parties génitales).
5° Le consultant nous a déctaré qu’en février 1774, étant alors détenu prisonnier dans un cachot des prisons la prévoté royale de Versailles, le sieur de Blanchefort, soi-disant Crequy, et sa famille obtinrent un ordre secret du duc d’Aiguillon, alors ministre d’État, et signé soi disant du roi, pour le faire mourir, en lui ouvrant les veines des bras et des pieds. Qu’en effet, les sieurs Blanchefort et davaud, juges de la prévôté, étant presens, le geôlier de la prison, aidé de deux valets, le mit absolument nu, et le lia sur une chaise de bois, après quoi le sieur Blanchefort, lui-même, introduisit un élève en chirurgie qu’il avoit mandé, lui montra le soi-disant ordre qu’il portait, et lui commanda avec menaces de saigner aux quatre veines le partirulier qu’on lui présenta ; le chirurgien tout troublé pratiqua effectivement deux saignées aux bras, mais ne voulut point faire celles des pieds, assurant que ces opérations suffiroient, jugeant le prisonnier, alors saisi de frayeur, en état prochain de mort ; le sieur Blanchefort se retira, alors le chirurgien qui avait reconnu ses projets infâmes, referma les saignées, et mit font en usage pour rappeler à la vie le moribond qui venoit de perdre une quantité considérable de sang (le malade nous a dit avoir éprouvé alors des syncopes très fréquentes pendant plusieurs jours, et que depuis ce moment-là, sa santé avait été considérablement affectée). Le chirurgien alla faire part de cet horrible attentat à M. le maréchal de Noailles, alors gouverneur de Versailles, qui sur-le-champ fit, de son ordre, transporter le moribond, sous escorte, à i’Hotel-Dieu de Versailles où il est resté jusqu’à parfait rétablissement.
6o Enfin le consultant nous a fait observer que sa mauvaise nourriture dans ses différentes prisons, que l’air malsain et humide qu’il y avoit respiré, que les mauvais et incomplets traitemens de ses maladies, et qu’enfin l’ennui et les chagrins, auxquels il étoit en proie dans ces différens cachots, lui avoient donné le scorbut ; que dans cette maladie ses gencives ayant été ulcérées, il avoit perdu les dents qui lui manquent effectivement aux deux mâchoires (les gencives étant encore aujourd’hui affectées, et plusieurs autres symptômes existant, nous jugeons que M. de Crequy n’est point encore aujourd’hui parfaitement guéri de cette maladie).
D’après l’examen le plus scrupuleux du malade, et d’après l’énoncé qu’il nous a fait de tous les accidens ci-dessus mentionnés nous avons procédé à la curation, sinon complète, au moins partielle, des maladies et incommodités dont il se plaignoit, et au rétablissement de ses fonctions lésées. Nous avons déjà obtenu les succès suivans : 1o Les fonctions de l’estomac se font beaucoup mieux, les douleurs sont moins considérables ; et la digestion avec moins de difficulté. 2o L’insomnie et les maux de tête sont moins viciées et moins continuels. 3o Nous l’avons délivré de l’anneau qu’il portoit au prépuce, duquel il n’avoit pu être privé jusqu’à ce jour, et qui lui procuroit des douleurs et une incommodité insupportables. Nous espérons qu’avec le temps et que d’après l’emptoi des moyens convenables nous parviendrons a procurer à M. de Crequy, né de Bourbon-Montmorency, une guérison sinon parfaite, au moins la meilleure possible et nous tâcherons de le délivrer des incommodités qui lui rendent la vie douloureuse et insupportable.
En foi de quoi nous lui avons, sur sa réquisition délivré le présent, pour lui servir ce que de raison. À Paris, ce 9 novembre 1791.
Enfin Messieurs et dignes législateurs, vous conviendrez, sans doute, que vous ne pourriez sans injustice exiger de moi des preuves ni des titres plus authentiques que ceux que j’ai l’honneur d’exposer ici sous vos yeux ; non sans doute, mais au contraire, vous conviendrez qu’ils sont plus que suffisans pour vous prouver mon innocence opprimée, et pour obtenir des gardes nationaux pour la sûreté de ma personne et une pension provisoire alimentaire, en attendant l’indemnité complète et la justice si légitimement dues à l’infortuné pétitionnaire Charles de Bourbon-Montmorency, et qui est prêt à être soutenu et protégé par plusieurs milliers de bons citoyens et bons patriotes qui sont ici présens, Messieurs, pour réprimer, en cas de besoin, l’audace criminelle et punissable de mes ennemis, persécuteurs et oppresseurs.
Je supplie l’auguste Assemblée Nationale de vouloir bien recevoir et de ne point rejeter cette dernière marque de mon zèle et de mon amour pour la patrie, par la donation que je fais de tous mes biens en faveur des pauvres de cette capitale et de tout son arrondissement ; ces biens sont, savoir :
D’une part, les douze millions de florins, monnoie d’Empire, que ma mère apporta à la maison de Crequy, lors de son second mariage avec Alphonse de Crequy l’année 1737, époque de ma naissance, et avec lesquels deniers elle et Alphonse de Crequy firent les acquisitions de 99 villages à clochers, outre plusieurs petites villes et gros bourgs, situés tant en Poitou qu’en Picardie, en Champagne, en Bourgogne, en Franche-Comte, en Alsace et dans la province du Lyonnois et du Dauphiné.
D’autre part, lesdits biens consistans en trois millins huit cent mille livres hypothéqués sur la terre de Chantilly et autres dépendances, depuis l’année 1740, et que possède actuellement le ci-devant prince de Condé, sans m’avoir jamais rendu compte d’un seul denier, ni à moi ni à ma mère, depuis ce temps-là jusqu’à présent.
D’autre part, dix-huit cent mille écus hypothéqués sur la terre de Brunois, et autres fiefs, dès l’année 1740 ou environ ce temps-là, que possédoit jadis M. Paris de Montmartel, lesquelles susdites terre et leur hypothèque ont été injustement cédées à Monsieur, frère du roi, pour entrer dans la cabale de mes adversaires, contre moi, pour me perdre.
D’autre part, la maison de Belle-Vue, les terres et châteaux de Chambord, de Becancourt, Duplessis-Piquet ; une maison de plaisance située à Passy, mon hôtel de Crequy, situé rue de Grenelle, faubourg St-Germain, à Paris ; plusieurs hôtels de Montmorency, aussi situés à Paris, et encore d’autres terres et maisons de plaisance, dont les noms me sont échappes et que Louis XV, mon père, et ma grand’mère nous avoient accordés à perpétuité, a titre d’apanage pour ma mère, moi et autres, leurs héritiers, desquels susdits biens la cabale des Blanchefort et plusieurs dames de Crequy, d’intelligence avec la cour et les ministres, cédèrent une bonne partie de tout à
Mesdames de France,
À M. le comte d’Artois.
La maison de Muys.
Aux Dubarris,
Aux Chevreuses,
Aux Luynes,
Aux ministres d’État, sieurs d’Aiguillon et de Vergennes
De Montmorin,
Duportail,
De Lessart
Du ci-devant marquis de la Fayette,
De M. Bailly, ci-devant maire de Paris,
Du sieur Davaut, juge de la prévôté de l’hôtel de Versailles et conseiller d’État,
Du sieur de Sartine,
Du sieur Lenoir, lieutenant-général de police, et autres leurs complices, pour me faire périr. Enfin, d’autre part, mes susdits biens consistent encore en plusieurs millions de piastres d’Espagne, de crusades neuves, monnoie de Portugal, et autres richesses immenses et inappréciables, que j’apportai en France, en deux différens temps, la première époque, en 1771, et la seconde époque au mois de décembre 1773, et dont l’infernale cabale me dépouilla, d’intelligence avec les ministres et autres, leurs complices, en obtenant des ordres secrets de la cour, pour me faire perdre la vie, tant à la Bastille qu’à la prévôté royale de Versailles et autres forteresses, en me faisant passer pour un contrebandier et un faux monnoyeur, moi et tous les gens de ma maison.
À l’époque du mois de décembre 1773, j’étois logé place Saint-Michel, dans le même hôtel où résidoit le prince de Ligne avec son gouverneur ; maison tenue par un perruquier, tous mes équipages étant placés dans les environs, en attendant que je vinsse occuper mon hôtel de Crequy, rue de Grenelle.
Finalement, mesdits biens consistent encore en plusieurs pensions que je reocevois de la cour, dont
200 louis de la part du roi |
200 louis de la reine défunte |
200 louis de M. le Dauphin de défunt. |
100 louis de madame la Dauphine défunte. |
Et 100 louis de défunte ma sœur, la princesse Louise de France, pour récompenses de mes services, pour avoir sauvé la vie à toute la famille royale, vers l’année 1764, ou environ ce tems ; outre encore une pension de 500,000 livres à vie durante, que Louis XV mon père m’accorda des le mois d’avril 1774, lorsqu’il me reconnut pour son fils légitime, peu après ma délivrance des prisons de la prévôté royale de Versailles, où, quelques jours plus tôt, la cabale de la cour et des ministres, d’intelligence avec Blanchefort, mon tuteur, et plusieurs dames de Crequy, avoient résolu de me faire périr, en me faisant ouvrir les veines, comme il a été rapporté ci-devant : mais il plut à Louis XVI, dès son avenèment au trône, quelques semaines après l’époqne ci-dessus, et d’intelligence avec Ladite cabale infernale, de supprimer toutes mes pensions, en me faisant défense, sous peine de la vie, de ne me jamais qualifier que marquis de Crequy, ni de ne jamais parler du mariage du roi mon père avec la princesse ma mère et, pour plus grande sûreté, il résolut, en 1782, de me faire enfermer et périr en la forteresse de Stettin, dans les États du roi de Prusse.
Mon intention est qu’un tiers de tous mes susdis biens sera pour payer une partie des dettes de l’État et de la nation ; un autre tiers, pour l’acquit des dettes de tout débiteur insolvable, détenu prisonnier pour dettes ; et que le reste de tous les susdits biens soit employé pour le soulagement des pauvres familles honteuses, et d’autres nécessiteux de cette capitale et de son arrondissement. Mes intentions et dernières volontés étant ainsi. Messieurs, dictées par mon bon cœur et de ma propre bonne volonté, en mon bon sens, et sans y être engagé par aucunes considérations, que l’amour du bien que j’ai voué a mes compatriotes ; je vous prie d’avoir la bonté de faire dresser vous-mêmes un acte formel de mesdites intentions et volontés, selon que votre sagesse et vos lumières le dicteront, afin que ledit acte de donation ait force de loi à perpetuité.
P. S. La donation de mes biens est très particulièrement destinée à procurer à la Société des jeunes françois, établie au Prieuré Saint-Martin-des-Champs, fondée par M. Léonard Bourdon, tout le développement dont cet établissement si précieux pour la régénération des mœurs et l’afermissement de la liberté et de l’égalité, est susceptible, et pour la fondation d’une caisse de bienfaisance dans chaque société patriotique, lorsque notre amour et notre zèle sincères pour le bien de la nation et de l’humanité souffrante et gémissante depuis tant de siècles, nous animeront assez, Messieurs, pour en fonder une dans chaque section de la capitale et de son arrondissement, en me réservant pourtant, sur le tout, une pension honnête.
Personne ne peut nier que Charles de Crequy, né de Bourbon-Montmorency, naquit en 1737, du mariage secret, mais divulgué en face de la religion, que contracta Louis XV avec la princesse Schitzemberg, de Freyberg et du Saint-Empire, fille naturelle de Louis XIV.
Pendant 46 ans il a été la victime du despotisme, des menées infâmes des ministres de ce temps, d’Aiguillon#1, Vergennes et Montmorin ; celui-ci rue Plumet, près le boulevard ; ces deux derniers se sont bien mal conduits dans cette affaire, et leurs lettres, restées au comité des lettres de cachet, et qui vont être imprimées, le prouveront.
C’étoit, à tous égards, des ministres bien faits pour l’ancien régime, et qui, comme le temps l’a démontré, ne pouvoient pas rester sous celui-ci ; l’opinion publique leur a fait justice.
Pour les dames de Crequy et le sieur Blanchefort, soi-disant Crequy, tuteur dudit Bourbon, qui demeurent rue de Grenelle, faubourg Saint-Germain, c’est une exécration ; ils habitent, tous tant qu’ils sont, un hôtel qu’ils ont usurpé, comme les biens du véritable, du seul Bourbon-Montmorency.
C’est un monstre que Blanchefort ! et la seule preuve sera les marques des coups de poignard qu’a reçus M. de Bourbon, qui tous lui ont été données par lui et par ses complices ; c’est une vérité effrayante, mais qu’on ne peut, qu’on ne doit pas cacher à l’humanité du peuple français.
C’est une chose étrange, que de lâches ravisseurs habitent paisiblement des hôtels dont les murs ressuent de leurs crimes, tandis que le pur sang des rois est dans la plus simple retraite, rue des Bon-Enfans, hôtel de Candie. Peuples ! c’est ainsi que[8] les criminels habitent au milieu de vous ! l’habitude des vices de l’ancien régime, qui n’est connue que de ses usurpateurs ; leur donne une effronterie qui réclame un bien prompt châtiment.
N’est-ce donc pas assez qu’ils aient par argent, par corruption de temps, détenu le vrai Bourbon 46 ans dans un affreux cachot, chargé de fers, du poids de plus de 60 livres, dans ces lieux horribles, où l’homme est anéanti dans l’homme qui respire.
Et ce roi des François, tranquille dans son ennuyeux palais, reste sourd au cri de son sang, à celui de la nature ! Ne sommes-nous donc entourés que de vicieux, que de trompeurs ? Et quand donc la vérité arrachera-t-elle le masque sacrilège des assassins, des usurpateurs ?
Je ne parlerai point de tous les autres biens qui lui appartiennent, qui lui ont été ravis, le détail en seroit trop long, et il paraîtra dans l’imprimé qui suivra, et qui se vendra chez Pougin, imprimeur, rue Mazarine, No 51.
Il suffit de démontrer que tes sieurs d’Aiguillon, de Vergennes et Montmorin, ont été traitres envers un homme paisible. Peuples, vous le savez, la qualité d’homme est la plus respectable ; mais cet homme est un Bourbon bien connu ; une infinité de témoins que vous respectez tous, feront entendre leur voix ; elle épouvantera les Bourbon d’aujourd’hui, et les Blanchefort, qui se disent Crequy, les Montmorin, comme eux, ces sangsues des peuples, qui, tous aujourd’hui abandonnent Louis XVI, depuis qu’il ne leur a plus délivré des pensions ; tous les apôtres que ce dieu sur terre a autour de lui, le nomment, tous de même ; devinez ce nom, cela s’entend, c’est celui de… Judas.
Tous ils le trahissent, ils le trompent ; ces agens du pouvoir exécutif ne pensent et ne vivent que pour eux, faut-il le dire ? ne s’engraissent que de leurs rapines sur ces victimes de l’humanité.
Comment pourroit-on souffrir plus long-tems de si noires trahisons ? C’est à la justice, c’est à la raison à décider entre eux et Bourbon-Montmorency ; il a possédé antérieurement ces biens, et ce sont eux qui les possèdent aujourd’hui. Il faut remonter à l’origine ; en y remontant, on y trouvera la vérité, source du bonheur pour le vrai Bourbon, source du châtiment trop juste, mais affreux, qui attend ses persécuteurs.
Quelle tâche pour l’histoire, si on y lit jamais : Le peuple français PIECES JUST), si avide de gloire, vainqueur de l’esctavage et de ta tyrannie, a pu voir vivre pendant des années, au milieu de lui, le sang des Bourbons dans l’obscurité ; la race future, à ce passage, déchirera le feuillet, le laissera tomber : mais que nos neveux tremblent qu’il ne soit ramassé par la génération suivante, qui, en lisant notre déshonneur, s’apprêtera à le venger.
S’il faut du respect pour les rois, il en faut pour leur sang, et une nation ne s’honore qu’en respectant ceux qui doivent être ses premiers représentans.
Enfin, peuple, vous connoissez les traîtres ; le sang qui coule dans les veines de ce Bourbon si populaire dans tous ses écrits, dans toutes ses actions, c’est le plus pur sang de vos rois. Que les traîtres délogent, et que, sans leur faire mal, on les laisse végéter dans un de ces déserts qui rougiront sans doute de montrer à ceux qui viendront après eux la trace de leurs pas.
Il est Bourbon, ou il ne l’est pas, c’est ce qu’il faut vérifier au milieu de la nation assemblée ou dispersée, et de ses dignes représentans ; s’il ne l’est pas, qu’il rentre dans la poussière ; s’il l’est, que ses persécuteurs soient voués au mépris, et que leurs noms soient déjà mis en exécration par la génération présente.
Ce peuple si jaloux de la gloire, si fier avec raison d’avoir brisé ses fers, ne pourra pas réduire en poudre ceux qui ont meurtri tout le corps du vrai Bourbon ; ils sont à Paris, ces fers, on les montrera à vos yeux ; vous frémirez en les voyant, mais ils disparoitront devant les regards d’un peuple libre.
Il faut écouter, peuple, la sagesse de l’Assemblée ; il faut être présent à ce qu’elle décrétera dans cette importante affaire ; elle peut dire qu’elle va décider du sort d’un prince mis au cachot avant l’âge de raison, aussi généreux qu’infortuné ; d’une affaire qui effraiera tous les potentats, qui les fera réfléchir s’ils sont à leur place sur le trône.
Charles de Crequy, né de Bourbon-Montmorency, paroitra à l’Assemblée le 22 et le 29 du courant.
Une grande victime du despotisme, à ses concitoyens[9].
Personne de vous n’ignore les malheurs et les longues détentions d’Alexandre de Crequy-Montmorency, qui vous adresse ce peu de mots, pour vous les rappeler et vous intéresser à son infortune.
Ma vie qui va bientôt paroître, et que je dédie aux représentans d’un peuple libre et à tous les bons citoyens, dévoilera, d’une manière inconnue jusqu’alors, les iniquités et les horreurs qui ont été commises sous les règnes de Louis XV et de Louis XVI, par mes persécuteurs, qui m’ont tenu renfermé et traîné de prisons, en prisons, depuis ma plus tendre jeunesse jusqu’à l’âge de 55 ans, en France, en Espagne, en Portugal, en Empire et en Prusse, et ont fini par me faire détenir, pendant neuf ans, accablé de chaînes du poids de 60 livres, dans un souterrain, sous des noms empruntés, pour me soustraire aux yeux du peuple et me faire périr ignominieusement ; le tout pour favoriser les injustes prétentions des usurpateurs de mes biens, qui se les étoient partagés, après avoir prouvé (par un faux extrait mortuaire) au parlement et au public que j’étois mort, et qu’ils étoient mes héritiers, et après mille autres horreurs que je dévoilerai au long dans le courant de mon histoire, et dont j’ai été heureusement délivré, par ordre de l’Assemblée constituante, à qui j’ai fait savoir mes malheurs et les injustices exercées à mon égard.
Elle vous fera connoître, cette vie, les cruautés inouies qu’on a exercées sur toutes les parties de mon corps, qui sont encore couvertes de cicatrices des blessures qui m’ont été faites par mes bourreaux et par leurs satellites, et elle ne servira pas peu a vous convaincre du bonheur dû à la révolution et soutenu par la constitution, en vous mettant clairement sous les yeux toute l’influence des grands conspirateurs qui approchoient le trône, vouloient envahir à la fois les grandeurs, les richesses, et se nourrir aux dépens des sueurs de ce qu’ils appeloient la populace.
L’Assemblée constituante me fit rendre ma liberté le premier mars 1791, me permit de poursuivre mes persécuteurs devant les tribunaux, et d’exposer publiquement mes prétentions ; mais alors la cabale de mes ennemis, c’est-à-dire, les ministres, la cour et tous les ci-devant nobles, dont je découvrirai les noms et les titres évanouis en fumée, ne doutant point qu’une captivité et des souffrances aussi longues qué celles que j’avois endurées, n’eussent affoibli mes organes et ne me rendissent entièrement étranger aux intrigues dont elle m’environna, me fit entourer d’hommes vendus à ses intérêts, qui, prétextant vouloir mon bien, s’introduisirent chez moi, sous différentes qualités, dès mon arrivée à Paris le 30 août 1791.
Ils ne réussirent que trop, les scélérats, à s’emparer de toute ma confiance, et à me conduire à grands pas vers les malheurs qui ont suivi les démarches audacieuses qu’ils m’ont fait faire auprès des représentans de la nation et dont toute la France a été instruite ; ils me firent entendre et ne tardèrent point à me persuader que je devois prendre hautement le nom de Bourbon-Montmorency, nom qui vient de ma mère, mariée secrètement avec Louis XV, et depuis publiquement avec Charles-Alphonse de Crequy, par ordre du roi, qui, la voyant enceinte de 6 à 7 mois, la força d’épouser ce seigneur, par un de ces ordres despotiques dont il n’y a malheureusement que trop de victimes ; ce qui, m’ont-ils dit, étoit, à leur connoissance, consigné dans les livres jaunes et verts qui renferment les secrets de la famille royale. Je le crus d’autant plus facilement que ma mère m’avoit toujours tenu le même langage ; mais s’apercevant que toutes leurs démarches n’aboutissoient qu’à me faire passer aux yeux du public pour un homme dont la raison étoit égarée par les longs malheurs, ils prirent à tâche de me faire commettre des imprudences et répandirent en mon nom des écrits incendiaires, dont le but étoit de faire rendre contre moi un décret qui pût m’ôter pour jamais tous les moyens de faire revivre la justice de ma cause ; heureusement l’humanité de quelques représentans du peuple parvint à me sauver encore une fois du piège dans lequel j’avais donné tête baissée, et je dois à quelques députés, le peu d’effets dont furent suivies les fausses démarches où m’avoient entraîné mes ennemis.
Ces raisons et des soupçons fondés, qu’on en vouloit à ma vie, me forcèrent de me retirer secrètement dans la maison d’un vertueux citoyen, qui consentit à partager avec moi le pain qu’il gagnoit à la sueur de son corps. Depuis ce temps, j’ai adressé à l’Assemblée Nationale et au rapporteur nommé par le comité de législation, dans mon affaire, plusieurs lettres et pétitions, qui ont été sans effet, vu les grandes occupations dont elle était accablée dans ce moment. Elle n’a pu prononcer sur mon triste sort ; ce que j’attends de jour en jour avec la plus grande impatience.
L’infortune où je suis réduit, dénué de tout, au milieu des biens qui devroient m’appartenir, me fait mener la vie la plus déplorable ; pouvant à peine suffire aux alimens de première nécessité, je me vois forcé par les malheurs les plus opiniâtres de suspendre l’impression de ma vie, qui doit ouvrir les yeux de mes concitoyens ; de ne pouvoir faire la recherche des titres nécessaires à la démonstration de mes droits et à la poursuite de mes réclamations devant les tribunaux. Je suis donc contraint de recourir à l’humanité des citoyens. À cet effet, je prie ceux dont la sensibilité les engagera à vouloir apporter un soulagement à mon infortune, de déposer leurs dons chez le C. haillon, homme de loi, rue des Poitevins, n° 20, section des Cordeliers à Paris. Il a bien voulu se charger de mes affaires ; sa probité est connue, et il aura soin d’enregistrer les noms et demeure de chaque citoyen ; il recevra toutes les sommes, quelque fortes ou modiques qu’elles soient, et remettra à chacune des personnes qui se présenteront une reconnaissance signée de ma main, par laquelle je m’engage, sur mon honneur, à leur remettre la somme qu’ils auront bien voulu me prêter, aussitôt que le gain de ma cause m’aura fait rentrer dans les biens qui m’appartiennent légitimement, et à donner en outre à chacun de mes bienfaiteurs un exemplaire de ma vie, dès que les secours suffisans me seront parvenus pour en achever l’impression.
Cette souscription volontaire sera ouverte tous les jours, depuis huit heures du matin, jusqu’à midi, et depuis deux heures après midi jusqu’à six heures, à l’adresse ci dessus, depuis le premier juillet 1792 jusqu’au premier janvier 1795.
Toutes les lettres, adresses et don ou prêts, doivent être envoyés franc de port, et l’ouvrage sera envoyé de même.
Dès ma plus tendre jeunesse, je fus l’innocente victime du despotisme ; sous l’ancien régime qui, pour me frustrer de mes droits légitimes et se les approprier, me traîna de cachot en cachot, et chargé de fers jusqu’en la cinquante-sixième année de mon âge, en me supposant de faux crimes et en me donnant un autre nom que le mien, pour que les personnes qui s’intéressoient à mon innocence opprimée ne pussent découvrir les lieux de mon affreuse retraite.
L’Assemblée nationale Constituante, ayant été parfaitement convaincue de mon innocence et de la légitimité de mes réclamations, brisa mes fers et me fit rendre ma liberté, le premier mars 1791, avec assurance qu’elle me donneroit une indemnité et une pension viagère, ce qui me fut confirmé par l’Assemblée nationale Législative et exécuté en partie par la Convention Nationale, comme on peut le voir par son décret en date du 12 décembre 1792. Depuis mon arrivée à Paris en août 1791, et surtout depuis le premier mai 1792 que je suis domicilié rue Cocatrix, n° 9, en la Cité, ma bonne conduite, accompagnée du patriotisme et du civisme les plus purs, me mérita tellement l’amitié, l’estime et la confiance de mes concitoyens, qu’ils m’élurent successivement membre du comité de discipline militaire ; puis l’un des quarante notables cautionnaires des dettes sacrées que la section avoit contractées, puis enfin commissaire et président du comité établi pour la recette du contingent de la Vendée : les pièces justificatives dont je suis porteur prouveront que, jusqu’au 26 juillet dernier je me suis acquitté de tous mes devoirs, charges et fonctions en tout honneur et gloire ; ces pièces justificatives et authentiques prouveront aussi qu’à l’époque du 10 août 1792 et les mois suivans, mes fils et moi se signalèrent glorieusement avec tous les autres bons citoyens ; et que depuis cette époque, ils sont partis aux frontières avec armes et bagages, à mes propres dépens, et qu’ils s’y couvrent de gloire au service de la République, tandis que, malgré mon âge et mes infirmités, je n’ai cessé de remplir moi-même, en personne, ce glorieux devoir, tant comme volontaire dans la Garde nationale parisienne, que comme membre du bataillon des vétérans où j’ai l’honneur d’être reçu du 6 août dernier ; ces mêmes pièces justificatives et authentiques prouveront aussi que je n’ai jamais émigré, que je ne fus jamais un aventurier ni un escroqueur, comme le disent mes ennemis ; mais qu’au contraire je fus toute ma vie aventuré, escroqué et persécuté injustement ; elles prouveront aussi que j’ai abjuré et renoncé, entre les mains des législateurs, à tous titres, dignités, grades et prérogatives attachés ci-devant aux nobles et particulièrement à ma famille, que j’ai reniés et que je renierai toute ma vie par rapport à leurs crimes, tant à mon égard qu’envers la nation et la constitution, et que j’ai protesté entre les mains des législateurs, ne vouloir et n’ambitionner toute ma vie que le glorieux titre de bon citoyen et de bon républicain, et que, puisque j’en ai toujours rempli tous les devoirs sacrés jusqu’en ce jour, je ne puis ni ne dois sans injustice, être regardé et traité comme un ennemi de la république ou comme un homme suspect.
Par ces mêmes pièces justificatives et authentiques, je prouverai que depuis 1791, que j’ai été rendu libre, je n’ai cessé jusqu’à présent de payer exactement toutes mes contributions et mes dons patriotiques ; que j’ai visité, consolé, protégé et défendu de tout mon pouvoir les innocens affligés et persécutés ; que j’ai donné du pain à ceux qui avoient faim ; vêtu ceux qui étoient nus ; payé les dettes des insolvables ; payé les loyers de ceux qui étoient menacés d’être jetés hors de leur domicile faute de pouvoir payer leurs loyers ; enfin, j’ai fourni ma bonne part à toutes les collectes que les besoins de la république ont nécessitées ; mais malgré tout cela, comme mon patriotisme et mon civisme m’ont obligé de faire plusieurs dénonciations très graves, tant à la commune, qu’à la mairie et au comité de sûreté générale de la Convention nationale, contre quelques aristocrates et intrigans de la section de la Cité, qui vouloient et qui espèrent introduire un nouveau despotisme mille fois plus dangereux à la république que celui que nous avons si glorieusement terrassé et anéanti ; alors, ces messieurs, s’érigeant en juges et parties dans leur propre cause, et voulant se débarrasser de moi, à quelque prix que ce soit, ils m’ont fait arrêter et écrouer à Sainte-Pélagie, sous toutes sortes de fausses dénonciations, et en prétextant surtout qu’étant un ci-devant noble, je ne pouvois être qu’un homme fort suspect ; alleguant en ontre, que je ne jouis que de quatre cents livres de revenu ; que j’ai fait des dépenses et des charités sur la section de la Cité bien au-delà de mes facultés, et que je ne puis avoir puisé mes ressources immenses que dans les bourses des émigrés, et par des vols et des escroqueries ; mais je prouverai que je puise mes ressources dans les cœurs et les bourses intarissables de bons et généreux citoyens et citoyennes, républicains qui connoissent mes infortunes non méritées, et mes légitimes prétentions et réclamations bien prouvées, et pendantes aux tribunaux de Paris ; enfin, ils poussent l’injustice et l’inhumanité jusqu’à empêcher qu’on me fasse subir un interrogatoire, ni que personne ne puisse approcher de moi pour me tendre aucun secours humain, parce qu’ils redoutent eux-mêmes ma justification, qui doit faire connoitre leurs crimes et mon innocence ; mais j’implore à grands cris la protection de la loi, des tribunaux et de tous les bons sans-culottes républicains, pour que je sois promptement interrogé, que les coupables tombent sous le glaive de la loi, et que l’innocent soit reconduit en triomphe chez lui, avec le bonnet de la liberté et la couronne civique sur ta tête.
L’infortuné Alexandre Crequy-Montmorency, vétéran et prisonnier à Sainte-Pélagie, le 6 septembre 1795, l’an deuxième de la république une et indivisible.
Le scélérat Wanek, qui a tout à la fois l’honneur, mais qui en est indigne, d’être commandant de la force armée de la section de la Cité ; président du conseil de discipline militaire ; président de l’assemblée primaire ; membre des électeurs ; membre des comités révolutionnaire et civil ; qui brigue et qui possède toutes les charges et dignités de la section de la Cité, pour y pouvoir exercer plus librement le plus exécrable despotisme, et qui, étant à la tête de trente à quarante aristocrates et intrigans comme lui, sous le voile du patriotisme, du civisme et de la loi qu’il déchirent, qu’ils violent et qu’ils foulent impunément sous les pieds tous les jours et à toute heure, font frémir, trembler et ramper sous leurs ordres tous les bons et timides citoyen de la Cité, en disant aux uns : Ah ! ah ! vous osez lutter contre nous ; hé bien vous serez taxés à une somme très forte à la première collecte ou contingent à fournir, et si vous ne payez pas, vous serez tambourinés et proclamés dans toute la Cité comme de mauvais et indignes citoyens.
Ils disent à d’autres : Vous n’aurez ni certificats de résidence, ni certificats de civisme, ni carte de citoyen, ni passeports ; à d’autres ils disent : Quand le peuple émeuté ira vous piller, vous réclamerez en vain le secours de la force armée ; enfin ils disent aux autres : Nous trouverons bien les moyens de nous débarrasser de vous et de vous envoyer repentir et gémir long-temps à l’Abbaye ou à Sainte-Pélagie, etc.
Voilà leurs crimes et encore bien d’autres dont les détails seroient trop longs, et que je me réserve de dire en temps et lieux. Les seuls moyens de remédier à ces cruels abus qui provoquent sans cesse les bons citoyens à une contre-révolution, ou qui corrompent une partie d’eux, et qui font trembler et gémir en secret les plus timides, ce seroit de ne laisser aux sections que le pouvoir de faire le bien ; de leur ôter tout pouvoir de faire le mal, et que personne ne puisse être arrêté ni chagriné ou inquiété que par les ordres des tribunaux de la mairie ou autres corps constitués, après avoir été préalablement accusés ou dénoncés par devant l’un ou l’autre des susdits tribunaux et avec des preuves convictives, car c’est pour m’être vivement opposé à ces susdites atrocités vexatoires et despotiques, et pour avoir eu le courage de donner quelques soufflets au scélérat Wanek et à quelques autres de sa clique, en leur reprochant leurs crimes, que d’abord ils filèrent doux et rampèrent devant moi, mais d’après coup et d’âpres réflexions, voyant bien que jamais leurs caresses, leurs promesses et leurs menaces ne pourroient ni me corrompre, ni m’intimider, et qu’ils me trouveroient toujours en leurs passages comme un canon chargé à mitraille et prêt à les écraser et à les foudroyer eux et leurs exécrables projets contre-révolutionnaires ; alors, et voulant se débarrasser de moi, et me perdre à quel prix que ce soit, ils m’accusèrent faussairement, dans leur comité révolutionnaire et en pleine assemblée génerale de la section, d’avoir commis un vol à Notre-Dame l’hiver dernier, et d’avoir commis plusieurs filouteries et escroqueries considérables. Je leur dis que je leur défiois de prouver aucun de ces faits et que j’allois les poursuivre au criminel jusques sur l’échafaud.
Effrayés qu’ils furent de mes menaces, ils s’érigèrent juges et parties dans leur propre cause et ils bornèrent toute leur rage à me faite arrêter et enfermer à Sainte-Pélagie, sous l’astucieux prétexte qu’étant né à Vienne en Autriche et d’une famille ci-devant noble, j’étois un homme très suspect.
Mais la loi ne peut ni ne doit sévir et punir que ceux qui n’ont point voulu accepter la constitution, ou qui ont commis les crimes contre la loi constitutionnelle ou contre la république, et elle doit protéger et défendre l’innocence opprimée ; moi et mes fils nous sommes malheureusement nés en pays étrangers et d’une famille ci devant noble ; mais si je prouve, comme je suis prêt à le faire, que je suis élevé en France dès le berceau et la mamelle, et que nous défions à qui que ce soit de pouvoir prouver un patriotisme et un civisme plus pur et mieux connu que le nôtre depuis le commencement de la révolution sans interruption jusqu’à ce jour ; je crois et j’espère fermement que tous les bons citoyens républicains, et leurs augustes réprésentans, m’accorderont la grâce que je demande, d’être interrogé ; que la tête des coupables tombe sous le glaive de la loi, et que l’innocent soit reconduit en triomphe chez lui avec le bonnet de la liberté et une couronne civique sur la tête. Au reste, j’ai deux fils qui, depuis l’époque du 10 août 1792 et les jours suivans où ils se signalèrent glorieusement avec moi-même, servent en tout honneur et gloire dans les armées de la république, pendant que moi même, malgré mon âge et mes infirmités, j’ai toujours rempli ce glorieux devoir dans ma section et dans le bataillon des vétérans ; mes fils sont jeunes et nourris dans le respect, l’obéissance et la tendresse filiale qu’ils doivent et qu’ils ont toujours scrupuleusement rendus à un père qui les aime et les aimera d’une tendresse parfaite jusqu’au tombeau ; j’appréhendois qu’en apprenant mon injuste détention, soit par la voie de mes ennemis ou par celle des papiers publics, ils n’eussent, dans l’excès de leur juste fureur, cherché à me venger d’une manière indigne d’eux et de moi, en entraînant avec eux un grand nombre de leurs camarades d’arme, en leur disant peut-être : « Chers amis et camarades, toutes les loi divines et humaines sont violées dans la capitale envers nos pères et mères, nos frères et sœurs, nos parens et nos amis car on les a traînés dans les prisons pour les faire périr innocemment, tandis que nous versons ici notre sang pour le service de la république ; vengeons-nous d’une manière éclatante, en les livrant à toute la férocité des Prussiens, des Autrichiens et des Anglois, comme étant les seuls moyens à notre pouvoir pour délivrer nos pères et mères, nos parens, nos amis, et leur sauver la vie, qui est en si grand danger, etc., etc. » Voilà ce que pouvoient faire mes fils, et ce que j’appréhendois qu’ils ne fissent dans les premiers transports de leur juste indignation et de leur désespoir contre mes ennemis, et voici ci-après la lettre que je leur ai envoyée en toute diligence par l’envoi du citoyen Boutibonne, chef du bureau de la cinquième division de la garde nationale, au bureau de la guerre afin de les contenir dans les justes bornes de leurs devoirs et fidélité, sous les drapeaux de la république.
« Je vous prie de faire parvenir promptement l’incluse à sa destination, en l’insérant dans l’un de vos paquets pour les armées de la république, et vous obligerez, infiniment votre affectionné concitoyen,
« J’ai deux fils qui ont l’honneur de servir sous vos ordres, je vous prie de vouloir bien leur faire tenir l’incluse, et d’avoir pour eux tous les égards que leurs vertus et mes malheurs non mérites pourront vous inspirer ; vous obligerez infiniment votre très affectionné concitoyen.
« J’ignore encore si vous avez reçu la lettre et les trente livres en assignats que je vous ai envoyées le 11 août dernier, puisque je n’ai reçu aucune de vos nouvelles depuis, et que j’ignore si vous éxistez, ou si le ciel en son courroux, et voulant mettre le comble à tous mes chagrins, vous auroit retirés de ce monde au moment où vous commencez seulement d’y entrer et de me donner les plus douces espérances et consolations dans ma vieillesse et mes infirmités en servant glorieusement en ma place sous les drapeaux de la république ; ou si, pour m’affliger encore plus sensiblement, vous ne seriez point tombés entre les mains de nos féroces ennemis les Prussiens, les Autrichiens et les Anglois ; ou si vous ne seriez point restés quelque part blessés par leur fer meurtrier ; ou si enfin vous ne seriez point détenus comme moi, prisonniers quelque part.
« Quel que puisse être ou quel que puisse devenir votre sort et le mien, j’en bénirai toujours la divine Providence, et je souhaite seulement que la présente vous trouve tous deux en bonne santé, et vainqueurs des ennemis de la république, ou morts glorieusement en combattant pour elle.
« Les lieux ténébreux et affreux d’où je date la présente, et les imprimés que je vous envoie, suffiront pour vous faire connoitre que la ligue infernale de mes ennemis et ceux de la république ont employé tant de cabales, de ruses et d’artifices contre moi, qu’ils sont enfin venus à bout de me replonger dans les fers d’où l’Assemblée Nationale constituante m’avoit sorti par son humanité et sa justice, le premier mars 1791, comme toute L’Europe le sait.
« J’ai différé jusqu’à présent à vous donner avis de cette triste et nouvelle disgrâce non méritée ; parce que, dans la crainte de vous trop affliger, et dans l’espérance bien fondée où j’etois d’obtenir, d’un jour à l’autre, ma liberté, vu mon innocence bien connue et bien prouvée, je voulois vous cacher tous les malheurs qui me sont arrivés depuis votre départ de cette capitale ; mais, faisant tout à coup réflexion que ces tristes nouvelles pourraient vous parvenir, ou vous sont peut-être déjà parvenues, soit par la voie de mes ennemis ou par celle des papiers publics sur lesquels ils font débiter mille impostures sur mon compte, et craignant qu’alors votre juste courroux, peut-être trop immodéré, ne vous portât à quelques excès de fureurs et de vengeances, qui pourroient être également préjudiciables aux intérêts de la république comme à votre propre honneur et gloire et à la mienne. Ces tristes réflexions m’ayant fait tout à coup frémir d’horreur et de crainte, j’ai aussitôt sauté au bas de mon lit, ou plutôt de mon grabat, ce jourd’hui, minuit, pour vous écrire ces mots qui, partant du fond du cœur et de l’âme de votre tendre père, bon vétéran et bon républicain, doivent à jamais être gravés dans les vôtres.
« Ô mes fils ! mes chers fils ! (m’écriai-je du fond de mon obscure et triste prison) que votre aveugle courroux ne vous fasse jamais rien entreprendre d’indigne de vous et de moi et sachez que mes plus cruels ennemis et les vôtres sont ceux de la république, puisque ce sont eux qui, en vous éloignant de moi pour le service de la république, m’ont plongé dans les fers et couvert d’ignominie, pour nous désespérer tous et nous engager, s’ils pouvoient, à tourner nos armes contre nos frères et contre la république même, et servir par là leurs criminels desseins pour nous perdre ; mais non, mes chers fils, nous sommes incapables, vous et moi, de tomber dans les pièges grossiers que leurs perfidies nous tendent pour les servir en nous perdant ; et vous sentez sans doute tous deux, comme moi-même, que vous ne pouvez me venger glorieusement et complètement qu’en restant inviolablement fidèles sous les sacrés drapeaux de la république, jusqu’à ce que vous ayez exterminé tous ses ennemis, tant au dehors qu’au dedans.
« Peut-être, hélas ! ne recouvrerai je ma liberté que le jour où vous reviendrez dans la capitale tous triomphans et couverts d’une gloire immortelle, sous les glorieux et victorieux étendarts invincibles de la république ; hé bien, mes chers fils, cette idée seule doit vous suffire pour vous engager à redoubler vos efforts pour exterminer promptement tous nos ennemis communs ; d’ailleurs soyez bien persuadés que si même je recouvre ma liberté avant cette glorieuse époque, il n’y aura pourtant pour moi ni joie, ni repos, ni bonheur, ni félicité parfaite, qu’au jour tant désiré d’un triomphe et d’allégresse générales et inaltérables pour toute la république ; et si je dois mourir avant que de pouvoir jouir avec vous tous de ce précieux bonheur, ne faites donc au moins rien qui puisse nous ravir celui dont je me flatte que vous jouirez après ma mort, d’entendre dire par tous les bons républicains et leurs augustes représentans, qui vous montreront au peuple françois et aux nations étrangères, en leur disant :
« Vous voyez tout à la fois en ces deux jeunes guerriers républicains les vertueux défenseurs et vengeurs de la république les vainqueurs de la Bastille, les dignes fils et héritiers du nom et des vertus républicaines du trop infortuné Crequy-Montmnrency, le vétéran, et qui seront immortalisés dans les annales de notre révolution.
« C’est dans ces sentimens et flatteuses espérances que je vous embrasse, ô mes chers fils avec toute la tendresse paternelle dont vous fûtes toujours si dignes ; vous conjurant de suivre mes conseils, de me donner promptement de vos chères nouvelles, et d’être vivement persuadé que cette dernière disgrâce qui m’est arrivée, va mettre le dernier fleuron à la couronne de gloire immortelle que mes malheurs passés et présens ont si justement mérites à votre infortuné et digne père,
Et détenu dans les prisons de Sainte-Pélagie, à Paris, car voilà mon adresse actuelle.
« P.S. Les bons Soulagette, Foudras, la bonne citoyenne Mathon, ton bon frère Fouquet et son digne cousin le charcutier, viennent souvent me voir pour me consoler, disent-ils ; et surtout ces trois dernier, auxquels je coûte beaucoup d’argent, des larmes, des soupirs et des gémissemens dans mon affreuse prison, quoique je fais tout ce que je puis pour leur dire et pour les convaincre qu’un bon vétéran républicain trouve sa plus parfaite et sa plus pure consolation dans son innocence, son courage, sa patience et sa résignation en Dieu, son créateur, et l’exécution de la loi constitutionnelle.
Voilà les seules armes dont je me sers et dont je me servirai toute ma vie pour confondre mes ennemis et ceux de la république. Voilà ma profession de foi, citoyens républicains, et vous, représentans de la nation, jugez-moi donc, ou faites-moi juger de par la loi et vos décrets.
Cet imposteur a été supplicié par la guillotine, barrière du Trône, le 7 thermidor an deuxième de la république, 25 juillet 1794. (Note marginale du Marquis de Créquy.)
La modération imperturbable que vous opposez si stoïquement à toutes mes attaques, m’a tellement degoûté de guerroyer avec vous, que je ne me sens plus le courage de renouveler mes hostilités, et que, pour n’être pas un peu honteux de la facilité de mon rôle, j’ai besoin de penser qu’elles n’ont pas laissé que d’influer sur la tranquillité publique.
Pourquoi faut-il donc que j’aie encore quelque chose à vous dire, quand il est si évident qu’il n’y a rien de commun entre vous et moi ? Ah ! c’est qu’il ne suffit pas à mon honneur public que vous admiriez la générosité de mon caractère, et que vous rendiez hommage à la loyauté de ma conduite ; il faut encore que tous les honnêtes gens sachent qu’il ne tient pas à moi que le voile perfide qui couvre d’horribles mystères, ne soit violemment déchiré, et que, si elle est encore suspendue, la foudre qui auroit déjà dû écraser ou votre tête ou la mienne, ce n’est pas moi qui peut être soupçonné de l’avoir conjurée#1.
Sans autre mission que mon dévouement au salut de la patrie, j’ai l’honneur de vous avoir accusé hautement d’attentats dont l’idée fait frémir ceux mêmes auxquels l’hypocrisie de vos combinaisons a fait quelque illusion. Fatigué d’en provoquer inutilement la vengeance, j’ai entrepris de la poursuivre à mes risques[10] et par mes moyens personnels. Impatient de l’obtenir ou plutôt jaloux de noyer dans votre sang le germe de nouvelles séditions, je vous ai d’abord assez brutalement menacé de mon glaive ; peut-être eût-il été plus constitutionnel de ne faire briller à vos yeux que celui de la loi ; mais celui-ci est si émoussé ! et moi j’ai tant de prédilection pour les moyens expéditifs, qu’à l’imitation du fameux aristocrate macédonien, j’aimais mieux trancher le nœud gordien que de perdre mon temps à le démêler.
Cependant, aussitôt que je m’aperçus que vous n’aviez pas un goût bien décidé pour ces sortes de brusqueries, dont l’illégalité renforçait vos scrupules, je me fis un devoir de vous déférer l’opinion d’un combat judiciaire. Ce n’était pas à moi de prévoir que vous trouveriez aussi des objections contre ce genre de duel, le plus favorable en général à l’innocence persécutée par la calomnie. Voilà pourtant qu’après quinze jours d’incertitudes et de délibérations, vous finissez par éluder mon alternative.
Que vous ayez une certaine répugnance à mettre votre innocence à la pointe d’une épée ; qu’il ne vous semble pas prudent de faire dépendre votre honneur civique de la direction capricieuse d’un pistolet, cela se conçoit, parce que, indépendamment de l’irrégularité de ces sortes de décisions, c’est que, comme vous l’observez très judicieusement, vous ne tueriez pas avec moi tous ces vilains soupçons qui vous accusent, et qu’il vous importe que je vive, pour être un jour l’instrument de votre justification. Voilà des raisons que tout le monde sait apprécier ; c’est d’une sagesse qui ne comporte pas de réplique mais vous convenez que ma proposition subsidiaire est honnête, régulière, équitable, généreuse…. Comment se fait-il donc que, parée de tous ces avantages, elle n’ait encore pour vous aucun attrait ? En vérité, c’est pure malice à vous de laisser votre patriotisme encroûté d’un vernis tout-à-fait déplaisant, quand je vous procure une si belle occasion de le faire resplendir dans toute sa pureté.
Vous me promettez bien, il est vrai, de descendre dans l’arène avec moi aussitôt que MM. les grand-jurés seront institués juges du camp ; c’est-à-dire qu’il n’y a que des juges tout neufs qui puissent avoir des yeux assez perçans pour discerner votre innocence. Mais n’est-ce pas aussi beaucoup trop innocent que d’espérer d’un si pitoyable subterfuge quelque répit dans l’opinion ? — Croyez-vous de bonne foi que vos grands jurés seront armés d’un talisman, pour escamoter cette nuée de témoins oculaires contre lesquels vos alibi viendront échouer, sans compter qu’il y a bien de l’ingratitude à vous de déchirer le tribunal chargé d’éplucher vos fredaines ?
Et moi qui, en ce moment, suis en mesure de vous accabler de dépositions qui n’ont pas été recueillies dans la première instruction, n’aurais-je pas droit de me plaindre de vos tergiversations ? D’ici à l’époque vague et illimitée à laquelle vous me reportez, il y aura bien des honnêtes gens de lanternés ; et qui sait s’il en sera étranglé un seul que ce ne soit une de mes preuves de perdues ?
D’ailleurs, qui osera vous garantir ? quelle apparence y a-t-il que moi, dont l’existence est un miracle continuel de la fée tutélaire de l’aristocratie ; que moi, qu’un réverbère ne voit jamais sans un mouvement de convoitise, je survivrai à la naissance de vos grands jurés, qui sont encore dans les limbes ? Ce n’est pas que la peur que l’on voudrait bien me faire de votre ressentiment, je n’y sois point du tout inaccessible, et cela par une raison que j’ai dite ailleurs ; (il y a si loin du poignard d’un scélérat au cœur d’un honnête homme !) mais enfin la Providence m’eût-elle compté autant de jours qu’au démocrate Mathusalem, serait-ce à dire pour cela que je verrai la fin de la constitution ?
Il résulte de toutes ces observations, bon prince, que vous êtes obstiné à vouloir la paix avec moi ; eh bien ! vous l’aurez ; car, après tout, votre résignation et votre générosité me désarment. D’une part, vous ne voulez déployer contre moi votre ardeur martiale qu’en cas d’une irruption soudaine et violente, à laquelle je répugne avec horreur, parce que les circonstances publiques ne le commandent point ; et de l’autre, vous m’offrez gracieusement la restitution d’une certaine lettre, qu’à l’aide de la contradiction de notre jurisprudence criminelle avec les lois de l’honneur, vous seriez à même de convertir en un titre de persécution. Je suis sensible, autant que je dois l’être, à la délicatesse de ce procèdé ; mais la mienne, qui trouve toujours à murmurer, se révolte déjà contre l’idée d’un sacrifice qui porterait atteinte à vos avantages. Je persiste donc dans mon refus, sauf a établir dans l’occasion, qu’à raison des circonstances et des motifs, mon délit est un de ces écarts magnanimes sur lesquels la loi peut et doit sommeiller.
Au surplus, n’est-ce pas que vous ne me causerez jamais l’embarras de cette dissertation ? C’est du nicins un sentiment de persuasion dont je ne puis me défendre. Je suis un adversaire un peu turbulent, et vous avez naturellement des inclinations pacifiques ; il est donc à peu près indubitable que vous ne me ferez pas la méchanceté de m’exclure de l’amnistie que votre grand cœur destine à tous vos antagonistes · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · ·
Parlez, prince, suivez vos innocens desseins :
J’apprends que, dégoûté des dignités municipales, par l’ingratitude de vos concitoyens, vous allez savourer dans une humble retraite les charmes de cette précieuse égalité à laquelle vous avez sacrifié tant et tant de choses…
Que j’aime à vous voir substituer ces paisibles et civiques jouissances aux tourmens dévorans de l’ambition ! repoussez loin de vous, ah ! repoussez avec horreur les liaisons dangereuse, il n’est pas aussi facile de vous débarrasser du cortège des remords, mais ces compagnons là ne vous suggéreront jamais d’autre fantaisie que celle de devenir honnête homme.
Quand vous en serez là, je pourrai encore être avec une certaine dose de considération, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,
Les membres de la noblesse française soussignés, députés aux états libres et généraux du royaume, ne croiraient pas s’être acquittés t’) de leurs obligations à l’égard de leurs commettans, non plus qu’envers eux-mêmes, si, à l’époque où ils sont parvenus, ils ne payaient pas le tribu d’estime qu’ils doivent à leurs honorables collègues du tiers-état, qui, fidèles à leurs mandats comme à leurs principes, fidèles à la religion et au roi, n’ont cessé de soutenir avec courage les droits de l’autel et du trône, qui, dans des circonstances difficiles et périlleuses sont restés fermes et inébranlables dans leurs opinions comme dans leur conduite. Leurs noms déjà recommandes à la vénération publique ; leurs noms souvent dévoués par les factieux à la fureur populaire ; leurs noms qui se sont fait entendre avec honneur dans toutes les occasions où les voix ont été individuellement recueillies ; ont tous mérité sans doute d’être présentés à la reconnaissance de la France entière et à l’admiration de l’Europe.
Mais dans ce nombre, il doit être permis aux représentans de la noblesse française de distinguer ceux qui, avec une vertu et une constance égales, se sont encore signalés par un degré de courage plus marqué, en adhérant constamment à ces déclarations qui sont devenues pour leurs signataires un titre de proscription, à ces déclarations où sont à jamais consacrés les vrais principes de la religion et de la monarchie.
Ceux là partout se sont montrés digues d’être comptés parmi les gentilshommes français et nous qui leur rendons aujourd’hui cet hommage, nous nous honorerions de pouvoir les regarder tous comme tels. Nous regrettons que les circonstances douloureuses qui ont suspendu les droits politiques de la noblesse, ne nous permettent pas en ce moment de porter notre vœu aux pieds du trône ; mais ce vœu que nous ne pouvons encore faire éctater, nous le déposerons bientôt entre les mains des petits-fils de Henri IV ; nous le présentons dès ce jour à la noblesse française et nous le confions à la postérité.
« Je signerai cette lettre que je ne veux pas avoir la peine de rédiger et l’ennui d’écrire. »
» Il y faudra dire que je n’ai aucun droit de succession sur les bois séquestrés dont je réclame la restitution en faveur des héritiers naturels de mon fils, mais que c’est comme créancière d’une somme de 170 mille livres, hypothéquée sur lesdits bois et forêts, savoir : 110 mille livres sur Vareilles, et 60 mille livres sur les bois dits de Valenciennes. J’aurais bien quelque dizaine de milliers de francs à réclamer pour les travaux à St-Pol, pendant la minorité de mon fils, mais comme je ne sais ce que ces papiers-là sont devenus, on n’en saurait tenir compte. On avait séquestré lesdits bois par suite de l’inscription de mon fils sur la liste des émigrés, quoiqu’il ne fût pas sorti de France, et de plus, sous prétexte qu’une partie de la dot de ma belle-fille, émigrée, se trouvait assise sur ces immeubles, ce qui est une supposition sans réalité et même sans possibilité, attendu qu’ils n’ont été retraits qu’en l’année 1777, pour les bois de Vareilles, s’entend. On peut employer toutes les formules de circonstance, mais on aura soin de ne me rien faire dire qui puisse avoir un faux air de soubmission, et je n’entends rien signer qui puisse me contrarier sous le rapport de la franchise et de la dignité de mon caractère. Ainsi politesse dans les expressions et point de complimens superflus. Je demande justice et non pas une faveur. »
Le seul journal qui ait attaqué l’ouvrage que nous venons de publier, est un journal qui porte un titre religieux ; il paraît que l’auteur de cet article est un ecclésiastique ; il était bien facile de lui répondre, et c’est par égard pour son caractère sacerdotal qu’on n’a pas voulu lui répliquer dans les journaux.
Nous répondrons à M. l’abbé Guillon, à M. Bourmant, ou à ceux qui les ont fait parler,
1° Que la terre de Fontenay dont il s’agit se trouve à trois lieues d’Ambrières ;
2° Que cedit lieu d’Ambrières au Maine (et dans le bas Maine, ainsi que le dit positivement Mme de Créquy), est l’ancien chef-lieu d’une Baronnie dont il est impossible d’ignorer l’existence, pour peu qu’on s’en informe dans le pays, ou pourvu qu’on prenne soin de regarder sur une carte de Cassini, ou qu’on se donne la peine d’ouvrir le Dictionnaire des communes de France (page 7, édit. de J. Smith, Paris, 1818) ;
3° Que la moitié de la terre de Fontenay relevait de la Duché de Mayenne et ressortait du parlement de Bretagne, ainsi que plusieurs autres terres seigneuriales du Maine, et notamment la Baronnic de Lavardin, autre domaine de la famille de Froulay-Tessé ; 4° Que lorsque M. de Froulay fut institué évêque du Mans, il y avait déjà huit ans qu’il était évêque de Haly (in partibus infidelium) ; ce qu’il est aisé de vérifier dans tous les almanachs du temps, et notamment dans le Mémorial généalogique de l’année 1717, page 83 ;
5° Que les faits et le procès qui sont mentionnés par l’auteur, et qui ont été démentis avec une dureté qu’on pourrait appelé injurieuse, avaient cependant obtenu, de leur temps, une si grande publicité, qu’on les trouve rapportés in extenson, dans tous les mémoriaux de cette époque et notamment dans la Correspondance du Baron de Grimm, et dans tes Mémoires de Bachaumont.
Voilà ce que les critiques du Maine auraient dû savoir avant de rédiger un article aussi désobligeant qu’il est injuste. Il paraît que le journal religieux dont il s’agit a parmi ses correspondans un ecclésiastique qui a plus d’empressement que d’intelligence. Il paraît aussi que M. l’Évêque du Mans a parmi ses grands-vicaires un ecclésiastique qui a plus de vivacité que d’urbanité, et peut-être aussi plus de zéle que de lumières.
La terre de Pontgibaud avait effectivement appartenu à la maison de Lafayette, mais c’est par erreur qu’il est dit, dans le tome 1er de ces mémoires, page 375, qu’elle fut achetée par Lyonnais, le médecin de chiens. — Les Coutumes d’Auvergne, ouvrage d’un grave magistrat, M. de Chabrol, nous apprennent, tome IV, pag. 421 et suivantes, que cette terre advint en l’année 1550, à la maison de Lafayette ; en 1557 elle servit de dot à une demoiselle de Lafayette, mariée a Guy d’Aillon, Comte du Lude, et passa par suite de mariage au Duc de Roquelaure, enfin au Prince de Pons, qui la vendit à M. de Moré de Chaliers mousquetaire.
Elle fut érigée en Comté par lettres patentes du mois de février 1762. — Enregistrées au Parlement, sur la tête du Comte César de Moré de Pongibaud, et de sa descendance masculine, à perpétuité, en récompense des services qu’il avait rendus dans l’armée et particulièrement à la bataille d’Ettinguen où il fut grièvement blessé, et en considération, est-il dit, de la noblesse de sa famille, l’une des plus anciennes de la province d’Auvergne. En 1791, le Comte de Moré de Pontgibaud, major en second du Régiment de Dauphiné ayant émigré, la terre de Pontgibaud fut vendue nationalement sauf une partie des bois. C’est seulement sous la, restauration que son fils, le Comte de Pontgibaud, actuellement existant, a racheté et réuni quelques fragmens de cette ancienne belle terre.
- ↑ Cet intéressant et curieux opuscule indédit est provenu des papiers de mon oncle, le Bailly de Froulay, Grand-Prieur de Malte. (Note de Mme de Créquy).
- ↑ Nicholas Jehannot, Chevalier, Seigneur de Bartillat et aultres lieux, Surintendant des finances, Thrésorier général et chef du conseil de la Reyne-mère ; lequel estait homme d’esprit et grand homme de bien. (Note du G. Prieur de Froulay).
- ↑ On ne sauroyt faire parler un Monarque avec une si grande noblesse et plus de simplicité, avec tant de bonté paternelle et tant de justesse en faict d’expression, que ne faisoit le Président Roze, et l’on peut dire de la collection des lettres qu’il avoyt escrites au nom du feu Roy que c’est une suite de chefs-d’œuvre. (Prieur de Froulay).
- ↑ Allusion au jansénisme de toute la famille Arnauld. (Note de Mme de Créquy).
- ↑ Michel Le Tellier, Chancelier de France et père du Marquis de Louvois.
- ↑ Directeur général des jardins, vergers, fruitiers et passagers des maisons royales. Il a laissé un livre utile et for agréable pour la grâce du style et pour sa naïveté. (Note de Mme de Créquy).
- ↑ Personnage qui n’a jamais existé (Note de Mme de Créquy)
- ↑ Nous étions ennemis jurés de M. d’Aiguillon. (Note du Marquis de Crequy)
- ↑ Mme de Monaco m’a remis ceci en prison le 2 janvier 1793. (Note de Mme de Créquy)
- ↑ Cette manière de professer des égards pour l’opinion vous paraît bizarre, ce n’est pas ma faute si vous en êtes surpris et presque scandalisé : tout cela n’est qu’une affaire de goût et de principes, et la seule induction qu’à la rigueur vous puissiez tirer de ma susceptibilité, c’est que je ne suis pas encore au niveau de votre sublime philosophie qui attache plus de prix à un petit écu qu’à l’estime publique.