Souvenirs de la Marquise de Créquy de 1710 à 1803/Tome 9/03

Tome 9

CHAPITRE III.


Le Directoire. — Les assignats et la banqueroute. — Le pillage officiel. — Luxe des parvenus. — Costumes du temps. — Les carmagnoles et les attiques, les incroyables et les merveilleuses. — Le dîner grec et Mme Pipelet. — La recette pour le brouet-noir de Sparte. — Les Romaines du Luxembourg. — Mme Tallien. — Les divorces. — La Princesse Stéphanie de Montcaizin, dite de Bourbon-Conty. — La fausse marquise de Douhault. — Autres anecdotes.



Qui me délivrera des Grecs et des Romains ?
Du fond de leurs tombeaux, ces peuples inhumains
Feront assurément le malheur de ma vie !
Mes amis, écoutez mon discours, je vous pris…


Le Directoire exécutif avait remplacé la Convention nationale en vertu de la constitution de l’an trois, et quel temps c’était, mon bon Dieu, que celui de ce Directoire ! ce n’était plus le régime de la terreur et l’effroi de l’humanité, c’était les saturnales de la civilisation ! À l’échafaud près, toutes les iniquités de 93 étaient restées en plein exercice, et c’était surtout la plus belle époque du monde pour les fournisseurs ! Les employés du gouvernement qu’on envoyait chez nous pour y lever les scellés, achevaient d’emporter ce qui nous restait de numéraire, et la valeur d’un louis d’or, à la bourse de Paris, était cotée pour sept mille deux cent quarante-six francs en assignats. Les conventionnels en avaient émis pour la somme de quarante milliards, et la banqueroute opérée par le Directoire a été de trente-deux milliards et sept cent millions (N’oubliez pas qu’on avait fait la révolution française à l’occasion d’un embarras qui provenait de cinquante et quelques millions de rente).

Comme on avait mis au plus bas prix les taux originels de soumission pour les propriétés dites nationales, on pouvait acquérir une église, un bois de mile arpens, une ferme en Beauce, un hôtel à Paris, un herbage en Caux, ou tel autre bien d’église ou d’émigré pour une centaine de livres tournois, qui, converties en assignats ou mandats territoriaux, faisaient encore un assez gros monceau de papiers.

On parlait d’un perruquier nouvellement enrichi, qui venait d’acheter l’hôtel de Salm#1 et qui venait d’y faire changer le parquet du plus grand salon, parce qu’il ne trouvait pas que la marquetterie en fût assez magnifique pour lui. C’était un bouleversement de fortunes tellement rapide qu’il ressemblait au résultat d’une loterie générale. Les cinq directeurs de la république en étaient les spoliateurs en titre d’office : ils s’arrangeaient avec les fournisseurs et les caissiers aux dépens des soldats, aux dépens des hôpitaux et jusqu’aux dépens des commis des employés et des autres salariés de leur [1] gouvernement, dont ils retenaient quelquefois les appointements pendant plus de six mois. Quand on les destituait avant qu’ils ne fussent payés, on ne leur donnait rien ; c’était la règle.

Si vous voulez avoir, une idée de Paris en 1796, représentez-vous une grande ville, une ville de huit cent mille habitans, où tout le monde est devenu fou, à l’exceptiont pourtant d’une bonne dame qui se moque de tout le reste, et de quatre à cinq personnes qui sont assurément remplies de sagesse et d’esprit, car elles disent toujours : « Mme la Marquise a bien raison ! » C’est un refrain qui revient un peu trop souvent, peut-être ? Mais on n’a pas le courage de se fâcher contre les personnes qui rabâchent de cette manière là.


La population de notre vieux Paris était divisée en quatre portions tout-à-fait disparates pour le costume. Les jacobins opiniâtres et les hommes de la plus basse classe, étaient restés en véritables sans-culottes, c’est-à-dire avec un bonnet rouge et des sabots, une veste ronde appelée carmagnole, en étoffe grossière, ou bien une sorte de houpelande sans couture, et tout d’une venue conséquemment, laquelle était en gros tissu de beige brune velue, et presque toujours de la couleur de la brebis. Les femelles de ces hommes-là paraissaient bien autrement horribles qu’avvant la révolution, parce qu’elles étaient beaucoup plus sales et plus misérables.

C’est à cette époque-là qu’elles ont pris l’habitude, non pas de se coiffer, mais de s’entortiller la tête avec un mouchoir de cotonnade : car, avant la révolution toutes ces femmes du peuple, à partir de la bouquetière à la chiffonnière, étaient coiffées d’un bavolet de toile empesée, quelquefois de batiste, mais sans dentelles, et le plus souvent de toile écrue, pour les jours ouvriers.

Tous les artistes de l’école du citoyen David, et bon nombre de comédiens du boulevard étaient habillés à la grecque avec la plus grande sévérité de costume. Ils portaient la tunique laconienne (au-dessus du genou) ; ils avaient un léger chlamyde orné d’une bordure en broderie de laine et qui figurait presque toujours un méandre. Ils avaient la poitrine et la tête nues, les bras nus et les jambes nues. Vous comprenez bien la félicité dont ils devaient jouir pendant tout l’hiver ; mais vous ne sauriez vous figurer quel était leur embarras sur la place de la Concorde ou sur le Pont-National, quand ils s’y trouvaient aux prises avec les vents d équinoxe ?…

Quant à la pluie, c’était tout différent, et je vous assure qu’ils la recevaient sur la tête avec un stoïcisme et d’un air de gravité qui ne laissaient rien à désirer.

Le jeune Céphyse Rotisset (qui était le neveu de Mme Roland), disait un jour à sa tante, Mlle Dupont, que la pluie lui rendait le double service de lui nettoyer la tête et de faire boucler ses cheveux. Cet élève du Portique était aussi de l’école de David ; mais il ne savait dessiner que des génies de l’agriculture et du commerce. C’était sa partie. Ses pauvres parens disaient de lui qu’on n’a jamais vu de garçon si maussade et de républicain plus détestable ! Il est Théophilantrope en ce moment-ci.

Cet impertinent citoyen m’avait attiré une lettre du régulateur et des orateurs du Gymnase attiqne, à laquelle je fis répondre en ces termes-ci par Dupont[2] : « Citoyens, Madame fe Créquy m’ordonne de vous dire que le jeune homme qui vous a parlé d’elle était dans l’erreur, au sujet de ses relations intimes avec l’Abbé Barthélemy qui n’a jamais été des amis de Madame, et Madame ajoute que le profit qu’elle a pu tirer de sa conversation ne saurait profiter à l’arrangement de ce banquet dont vous vous occupez et qui fait le sujet de la lettre que vous lui avez écrite, en date du quartidi 14 vendémiaire. Madame ne pense pas que l’usage des Grecs fut d’employer l’assa fœtida comme assaisonnement de leurs potages. C’était, m’a-t-elle dit, les Romains qui s’en servaient, et le comyn des gâteaux athéniens pouvait être une sorte d’anis. Madame a ouï dire autrefois que le brouet noir de Lacédémone devait être une bouillie de farine de sarrazin dans laquelle on mêlait de la chair de porc en hachis, suivant les uns, ou du jus de cochon rôti, suivant les autres. Mais Madame n’a jamais eu l’occasion de parler cuisine avec l’Abbé Barthélémy qu’elle ne recevait point chez elle ; ainsi n’attribuez pas son opinion sur la confection du brouet-noir à l’autorité de cet académicien, qui n’en dit rien dans son ouvrage, et qui probablement n’en savait rien. Madame de Créquy me fait ajouter qu’elle vous remercie de l’honneur que vous lui faites en la conviant d’assister à votre festin gymnastique ; elle m’a chargé de vous dire qu’elle y ferait une étrange figure et qu’elle ne saurait accepter votre invitation. Permettez-moi, Citoyens, d’ajouter à cette réponse l’assurance de mon estime personnelle et de mon dévouement.


"Salut et Fraternité.
« Dupont, l’ainé,
« Homme de confiance. »

Le Citoyen Céphyse vint rapporter à l’hôtel de Créquy que M. Poissonnier de Prûlay leur avait fait manger de la soupe à l’antique au pain d’orge et au fromage de Brie. Il y avait eu pour chacun des convives une oie (renouvelée des Grecs ainsi que le jeu qui porte son nom). On leur avait servi des mûres de buisson cuites au four, ce qui fut trouvé délectable ; mais les gâteaux corinthiens à l’huile d’olive et au miel roux ne furent pas du goût de tout le monde.

Vous verrez dans les journaux du temps que les savans archéologues, ordonnateurs de ce dîner grec, n’avaient rien négligé pour entourer leurs nombreux amis des illusions les plus complètes. La décoration de la salle du banquet était dans le style ionique avec des colonnes cannelées sans congé ni base, et le fond du tableau représentait une statue de Lycurgue au bord de l’Eurotas, où se jouaient des cygnes, qu’on avait fait venir du domaine national de Chantilly. La salle était jonchée de fleurs, les convives des deux sexes étaient couronnés de fleurs et ils buvaient dans des coupes garnies de fleurs (ce qui devait être fort commode). Les détails du service étaient confiés à de jeunes ilotes à peu près nus… Mais la beauté, la dignité, les grâces et l’enjouement des citoyennes qui participaient à cette intéressante réunion, ne le cédaient assurément sous aucun rapport aux Laïs, aux Aspasie, aux beautés les plus renommées de la Grèce antique ! Il parait que la citoyenne Pipelet y fit entendre un chant digne de Sapho[3]. Enfin des voix humaines, accompagnées du pipeau grec ou flûte de Pan, achevèrent de réaliser cette suite d’illusions charmantes, en exécutant le premier chœur des Nuées d’Aristophane, sur cet air que les prêtres catholiques emploient au chant de ce qu’ils appellent la préface ; car il est suffisamment connu que cette partie de la messe n’est autre chose que l’ancien récitatif au théâtre grec, dont l’église romaine avait gardé la tradition.

Les mêmes journaux, ne manquèrent pas de disserter à perte de vue sur le brouet-noir, ce fameux brouet-noir des anciens Spartiates, dont la saveur avait obtenu l’approbation la plus générale, et dont on avait eu le bonheur de se procurer la recette par l’entremise du citoyen Céphyse Rotisset, jeune artiste de la plus belle espérance ; lequel avait dirigé ses investigations du côté d’une femme éminemment instruite, la plus ancienne et la plus intime amie du savant et célèbre auteur d’Anacharsis ! Le Journal de Paris ajouta que ce devait être la Duchesse de Choiseul, et je vous assure que je n’ai pas réclamé contre cette injuste supposition.

Figurez-vous que toutes ces Grecques de la rue Vivienne et la rue Thiroux n’étaient vetues que d’une chemise de percale et d’une petite robe de mousseline sans manche, avec toute la gorge et les épaules au grand air. Cette robe à l’antique et sans ampleur, était serrée sur la taille immédiatement au-dessous de la poitrine, avec un galon de laine rouge ; et dans leurs cheveux qui étaient coupés à deux ou trois pouces autour de la tête ; on voyait toujours deux ou trois cercles de galons de laine assortis pour la couleur avec celui de la ceinture, mais plus étroits. Les jambes étaient toutes nues, les pieds chaussés d’un cothurne avec des zig-zags à jour et en galon rouge, et ceci montait jusqu’à mi-jambe. Point de gants, et quant à des poches, il n’y fallait pas songer avec un pareil vêtement, qui n’était composé que d’une mousseline collée sur les flancs. On y suppléait tant bien que mal au moyen d’un réticule ; car enfin ce n’est pas le tout que de s’habiller à l’antique, il faut pouvoir se moucher. On appelait cette mode de se faire écourter les cheveux à la victime ; elle avait dû son origine aux jeunes captives libérées après le ix thermidor ; mais les républicaines avaient fini par l’adopter en signe de persécution passée, parce que c’était devenu le bel air. Les bourreaux avaient décimé les générations françaises, mais toutes ces dames avaient grand soin de vous rassurer sur l’avenir de la population, en simulant un état de grossesse universel. Ces apparences de fécondité s’appelaient des demi-termes, et les élégantes de 95 n’auraient pas voulu se montrer sans un pareil accessoire à leur parure.

Avec tout cela, parmi les amateurs des antiques et de la régénération, le parti des Grecs avaient trouvé des antagonistes, et c’était les merveilleuses du Luxembourg. Elles avaient adopté le costume romain, parce qu’il admettait l’emploi de la grande toilette ; mais je ne vous avais peut-être pas dit que les cinq directeurs avaient élu domicile dans le palais de Monsieur, ainsi ne vous y trompez pas. Il y avait donc à la cour de ces Tibères du Luxembourg de charmantes Julies, des Poppées, des Agrippines, des Cornéiies énormes et je pense bien aussi des Faustine-la-Maigre. Elles avaient des robes de patriciennes en tissu de pourpre avec des broderies de métal en palmettes ; elles avaient de longs cheveux bien nattés à la Porcia, et mêlés de pierreries ; mais ce qui m’en plaisait le moins, c’était leurs chaussure, attendu que leurs bas couleur de chair étaient divisés pour les doigts de leurs pieds comme des gants, et qu’elles avaient des bagues de diamant à tous les orteils. Je ne sais pas où la citoyenne Tallien avait pu découvrir une pareille mode, et comme je ne doute pas qu’elle ne fût de son invention, je trouve qu’elle ne faisait aucun honneur à son bon goût#1.

On aurait pu mettre aussi dans les journaux que c’était Mme de Choiseul ou moi (d’après l’abbé Barthélémy) qui avions decouvert et conseillé cette mode ; mais heureusement pour notre bonne renommée que le citoyen Cephyse était un démophilhellène exclusif et pur. Il n’approchait jamais ni de Mme de Tallien, ni du Luxembourg, en haine des Romains, à cause de leur patriciat, de la dictature et de l’empire.

Je renonce a vous parler des incroyables, avec leurs habits carrés et leurs oreilles de chien. Imaginez qu’ils portaient des médaillons, des lorgnons, des colliers, des boucles d’oreilles avec des camées, et des cadenettes relevées avec un peigne courbe. Ils avaient aussi des bas comme on n’en reverra jamais, car c’était des chausses rayées en travers et qui formaient de larges anneaux de couleurs tranchées autour de la jambe. Ils avaient aussi, pour entourer leur col, un système de cravatte inconcevable ; mais regardez-les dans les collections d’estampes, et dites-moi ce que vous pensez de leur petit bâton de cep de vigne en forme de cuillère-à-pot.

Vous portez le sceptre du ridicule, disait Mme de Staël au jeune Thélusson (il y a toujours, et je vous ai dit pourquoi, des mailles-à-partie continuelles entre ces deux familles genevoises) ; et malheureusement pour Mme de Staël, elle était costumée ce jour-là en Odalisque, en Sultane-favorite, en Houri mahométane ! — Madame l’Ambassadrice, ou plutôt, ci-devant baronne, c’est à vous qu’il appartient de le décerner !… lui répondit l’incroyable, et peu s’en fallut qu’elle ne s’en pâmat d’émotion.

On n’a rien vu de pareil à cette sensibilité maladive et cet excès de faiblesse de Mme de Staël contre la moquerie. C’est le propre d’une malheureuse personne qui ne saurait se tenir dans sa position naturelle, et qui voudrait produire le double effet d’une femme charmante, et d’un homme d’état. Quand on a la conscience de n’avoir aucune prétention qu’on ne puisse justifier raisonnablement, on est toujours en pleine sécurité d’amour propre. Je n’ai certainement pas autant de motifs de confiance et de sécurité que Mme de Staël, Je n’ai pas l’honneur d’appartenir à M. Necker, et je n’ai jamais fait un livre. Je n’en ai jamais dédié au peuple français, conséquemment ; mais j’ai la conviction de n’avoir aucune illusion volontaire, aucune prétention ridicule ; aussi vous puis-je assurer que je verrais tous les Thélusson du monde et tous les citoyens de Genève et de Paris, braquer sur moi des lorgnettes et des binocles (afin de se moquer de moi), sans m’en embarrasser non plus que de la comédie des Femmes Savantes, ou de la satire de Boileau contre les femmes galantes.

Je pense bien que les Incroyables étaient conduits à s’habiller ainsi par un sentiment d’animadversion politique, en exécration de l’antique et pour faire contraste avec les républicains ; mais c’est le bon goût qui doit faire justice du ridicule. La carmagnole était une infamie, l’ajustement adopté par ces peintres et ces histrions grecs et romains était une folie ; mais le costume inventé par les Muscadins était d’une extravagance incroyable, et je ne pense pas que la bonne manière de lutter contre les fous soit de les surpasser en déraison.

Le directeur Barras avait organisé pour les exécutions de sa police une escouade de familiers parmi lesquels ils se trouvait une vingtaine de maîtres d’armes et plusieurs gâleriens, il arriva qu’un mauvais chanoine défroqué, nommé Poucellin, avait écrit et signé dans un journal obscur un article injurieux où se trouvaient rapportés plusieurs faits notoires, et diffamatoires en vérité, car c’était la frénésie dans la dépravation ! Barras le fit enlever à son domicile et transporter dans un grenier du Luxembourg, où les prévôts de salle et les forçats du directoire le battirent si bel et si bien qu’il en mourut trois jours après. Le citoyen Fiévée[4], colaborateur de l’abbé Poucellin, avait entrepris de poursuivre et de faire condamner ce directeur exécutif par le tribunal criminel ; mais on trouva moyen d’apaiser le citoyen Fiévee ; je n’imagine pas que ce fut en le désintéressant, et quoi qu’il en fût de son intention dans la poursuite, elle en est restée là ; ce dont les honnêtes gens savaient le plus mauvais gré du monde à ce M. Fiévée.

Je ne veux pas oublier non plus de vous raconter la bonne aventure et le procès de Mlle Margauthon, qui était allée solliciter le ministre Gohier pour en obtenir le paiement d’une pension sur l’État qu’elle avait accrochée du temps de M. Necker.

Je ne sais comment elle s’y prit, ni ce qu’ils se dirent et sur quoi la chose arriva, mais toujours est-il qu’elle en reçut des soufflets à tour de bras, après quoi ce digne représentant du peuple le plus civilisé de la terre, se mit à la porte l’accablant d’injures ; et, séance tenante, il alla défendre à ses huissiers de la laisser jamais rentrer ni dans son cabinet ni dans ses bureaux.


Voilà donc Margoton largement souffletée
Et qui redescendait tristement la montée.


Elle y trouva pour le moment (sur le grand escalier de l’hôtel d’Elbœuf) une petite fille de trois ou quatre ans qui s’essayait à descendre toute seule, en se laissant glisser de marche en mache. — Est-ce que vous seriez par hasard la petite Gohier, la fille du ministre ? — Oui, citoyenne. — Ah ! c’est bien heureux pour vous ! Je vais vous faire descendre… — Elle était belle comme le jour ! disait cette folle, et voilà Margoton qui, l’emporte en lui cachant la tête avec son mantelet. La seule chose qu’on put en découvrir judiciairement, c’est que c’était une ancienne protégée de Mme Neckcer de Mme de Staël.

Elle avait été déposer la petite fille chez un marchand de chiens qui logeait du côté de Montmartre et qui s’appelait Frouley. Comme, on avait écrit Froulay dans leur acte d’accusation c’est en faveur de ce nom-là que j’avais pris garde à cette affaire. Elle avait payé deux mois de pension pour ce bel enfant du ministre, à trois sous par jour, ainsi qu’elle aurait fait pour un petit chat, et ce fut au bout de ce temps-là qu’elle écrivit au citoyen Frouley pour lui conseiller de renvoyer la petite pensionnaire à son papa qui était ministre de la république. Voyez quel temps et quelles gens !

Quand on voulait obtenir le divorce, il était suffisant de présenter une requête en incomptabilité d’humeur, et le mariage ne consistait pour tous ces nouveaux enrichis que dans un échange de femmes. Les personnes connues qui ont profité de cette loi révolutionnaire étaient en bien petit nombre. Il y eut d’abord la Duchesse d’Aiguillon, la Marquise de Fleury, Mme de Valentinois, la Vicomtesse de Laval et la Comtesse de la Galissonière, ce qui n’étonna personne. Il en eut encore une autre dont le mari, les parens et les amis sont inconsolables. Je ne vous la nommerai point, parce que c’est le seul scandale qu’elle ait donné pendant toute sa vie. Je désire, qu’elle puisse être heureuse avec son mari protestant, mais je ne l’espère pas.

Mme d’Aiguillon s’est remariée avec un M. Girardin, l’un des élèves de Jean-Jacques, et c’est ainsi que la belle conduite et les bons exemples de son mari leur ont profité. Mme de la Galissonière épousa (pour divorcer de nouveau, six mois après) le chef des chouans M. de Puysaye qui était un vilain traître, et la Vicomtesse de Laval ne s’est pas remariée, jusqu’à présent.

Pendant que je pense à cette Mme de la Galissonière qui était la principale héritière de Mme de Pompadour, et née Poisson de Malvoisin (découvrez-vous donc en vous inclinant), il faut que je vous en rapporte une histoire qui sera la première et la dernière.

Elle avait eu pour ami passionné (car elle était morte), un malotru qui s’appelait M. Dejenaive. Toujours soucieux et ténébreux, toujours crotté, toujours muni d’un gros bâton rustique, et toujours accompagné d’un caniche affamé qui n’était pas moins sale que lui. — On n’avait jamais pu deviner, disait de Coislin (qui le recevait) de quelle couleur était le linge du maître et le poil du chien.

Il apprend la mort de cette pauvre femme, et le voici qui force les portes jusqu’à la chambre à coucher, ou le premier objet qu’il avise est le corps de la défunte, étendu sur une grande table et dans un état affreux, car les médecins venaient de l’ouvrir. — Il se précipite sur le cœur de Mme de la Galissonière qu’il arrache, qu’il entortille dans son mouchoir sale : il le met dans sa poche, et le voilà parti comme un furieux.

— Mais, renvoyez donc le cœur de cette femme à ses parens, qui sont en droit de vous faire un procès, lui disait Mme de Coislin.

— Si vous saviez ce qu’il est devenu lui dit-il avec un air sauvage et sombre…

— Allons donc, vous me faites soulever le cœur !…

— Ah mon Dieu oui ! Je l’avais jeté de colère sur une malle, en arrivant dans ma chambre, à tâtons. — Je m’étais couché, je m’étais endormi pour me distraire, et le lendemain matin, j’aperçois que le mouchoir est tombé sur le carreau… — Je saute à bas de mon lit… — Mon chien l’avait mangé. — Je l’ai tué à coup de couteau ; mais je n’en ai rien retrouvé, rien du tout. — Je me suis souvenu que j’avais oublié de lui donner de quoi manger depuis deux ou trois jours… — Quelle aventure dramatique et romanesque ? reprenait-il avec une sorte d’orgueil. — N’est-ce pas Madame !

— Effectivement, répondit-elle, on en pourrait faire un petit roman bien gentil, bien propre, et d’un goût parfait ! C’est un joli dénouement pour une intrigue amoureuse, et je vous conseille d’en piaffer !…

Elle en est si révoltée qu’elle a pris le parti de lui défendre sa porte et qu’elle ne peut l’entendre nommer sans colère et sans dégoût. – Vaut mieux tard que jamais !

Il apparut subitement à l’horizon de Paris une nouvelle princesse de la maison royale de France qui fut reconnue sans difficulté par le Directoire et qui se faisait appeler Stéphanie-Louise de Bourbon-Conty. Elle ajoutait à ses autres qualifications celle de Comtesse de Montcairzin, parce qu’elle était provenue du mariage de la Duchesse de Mazarin, avec M. le Prince de Conty, et que ces deux noms contractés réunis, et mélangés par ordre de Louis XVI, avaient produit celui de Montcairzin, tout naturellement.

On trouvait dans son mémoire à consulter qu’elle avait reçu le cordon bleu (du St-Esprit) à l’âge de sept ans, et puis qu’on l’avait mariée matgré qu’elle en eut avec un procureur de Lons-le-Saulnier, où elle se déplaisait à mourir. C’était non seulement parce que les vins du pays sont détestables, et parce que sa belle-mère et son mari ne la nourrissaient qu’avec des grenouilles et des couleuvres ; mais c’était surtout, parce qu’elle ne pouvait sortir de son jardin sans rencontrer des ours qui lui pinçaient les oreilles en lui léchant les joues et lui faisant toutes sortes d’impertinences. Nicolas Bésuchet était un Sbrigani, un Guzman d’Alfarache, un Cagliostro ! en comparaison de cette folle menteuse.

Le Directoire lui fit une pension viagère de sept mille livres ; ou lui donna vingt mille francs pour arranger ses petites affaires ; et ce qu’il en résulta de plus fâcheux pour la Marquise Lecamus et pour Mlle Lecamus, sa belle-sœur, c’est qu’on la mit en possession de ces deux hôtels Lecamus qui se touchent dans la rue Cassette et dont ces dames avaient hérité de leurs grands parens.

Mme de Valentinois n’était pourtant pas assez folle pour consentir à ce que cette princesse de Micomicon fût la fille légitime de sa mère, qui du reste n’avait jamais épousé le Prince de Conty, ce qui n’était pas difficile à démontrer ; aussi dirigea-t-elle une poursuite en supposition d’état, contre la prétendue Comtesse de Montcairzin, qui n’en gagna pas moins son procès avec dépens.

Buonaparte a fini par faire déposséder cette aventurière ; l’abbé Desmarets l’a fait chasser de Paris, et j’imagine qu’elle est retournée dans le Jura, chez son procureur ou je ne suis pas fâchée qu’on lui fasse avaler des couleuvres. Écoutez le récit d’une autre imposture à l’avenant de celle-ci.

La Marquise de Douhault, née de Lusignan-Champignelles, était une sainte et modeste personne ; estimée, considérée, vénérée de tous ceux qui la connaissaient, et de moi particulièrement, parce que nous avions été long-temps en association de bonnes-œuvres. Elle était morte à la suite d’une maladie de poitrine, en Orléanais, dans une de ses terres, et ses deux frères avaient partagé son bien, parce qu’elle n’avait pas laissé d’enfans. Le Marquis, ainsi que le Commandeur de Champignelles, autre frère de la défunte, étaient réputés les plus honnêtes gens du monde, et chacun savait que l’aîné de cette famille avait eu la délicatesse de partager avec son frère et Mme de Douhault, sa sœur, un legs de quarante mille écus, dont il avait été avantagé par le testament de la Comtesse de Rogres, leur grand’mère. Enfin MM. de Champignelles étaient non-seulement des gens honnêtes, et désinteressés, mais c’étaient des gentilshommes d’une équité scrupuleuse et d’une générosité manifeste.

Long-temps, vingt ans peut-être, après la mort de leur sœur, car c’était au beau milieu de la révolution, notez bien ceci ! on entend dire en Orléanais que Mme de Douhault n’était pas morte, et puis qu’elle venait d’intenter un procès criminel à son frère aîné, qui s’était emparé de toute sa fortune. Au lieu de faire enterrer sa malheureuse sœur, qu’il avait endormie par un narcotique, et qu’il avait forclose en pays magique, vous imaginez bien que c’était une bûche ?

C’est toujours une bûche. Il y a terriblement long-temps que une bûche ! et mieux valait dire un fagot, pour cette fois-ci.

Mais cependant, toute la bourgeoisie d’Orléans reconnait la ci-devant Marquise de Douhault, ainsi que la plupart de ses fermiers et ses anciens vassaux de ses terres. On la confronte avec tout ce qui restait de sa famille, et toute la famille est convaincue que cette prétendue victime de la cupidité fraternelle est une ancienne femme de chambre de la défunte, à laquelle on avait eu la bonté de laisser une partie de sa garde-robe, ainsi que le mobilier de la petite chambre qu’elle occupait au château. Elle devait se nommer Buirette ; elle devait être native de la Villette, auprès de Paris.

En accordant qu’elle eut été Mme de Douhault, elle pouvait être un peu changée de visage après vingt années d’emprisonnement et de souffrance : mais en admettant qu’elle eût tout-à-fait perdu l’usage du monde, elle aurait dû savoir encore un peu d’orthographe, et surtout celle de son nom de famille ! Elle aurait dû se souvenir de certaines particularités de sa jeunesse ; elle aurait dû se rappeler l’époque de son mariage et la couleur de son premier ameublement, par exemple ? Elle aurait dû savoir que son mari n’était pas chevalier du St-Esprit… Elle ne savait rien de tout cela, ni rien de rien, si ce n’est qu’elle était Mme de Douhault dont la famille avait usurpé l’héritage, et qu’on avait tenue renfermée dans un cachot à cent pieds sous terre, où elle avait oublié le surplus.

Elle avait signé Chan Pinelle au lieu de Champignelles, et son écriture était celle d’une véritable femme de chambre. — Elle a tant souffert ! disait son avocat ; — Elle a tant souffert ! disaient les magistrats et les auditeurs à l’envi les uns des autres. Elle a gagné sa cause en première instance, et le procès dure encore.

On vient me dire il y a cinq ou six mois, qu’il y a devant ma porte une dame en fiacre, et qu’elle demande à me remettre un billet du Curé de Saint-Roch. J’envoie Dupont vérifier la chose ; il m’amène une grosse petite femme toute commune, et tout aussitôt que j’ai vu dans sa lettre de recommandation que c’est la soi-disant marquise de Douhault, je la regarde sans la faire asseoir, et je la vois se décontenancer. Elle se met à parler précipitamment sans se douter que j’avais connu Mme de Douhault, dont on pouvait trouver qu’elle avait effectivement un faux air de visage, mais sans aucun rapport de physionomie, de tenue, de tournure, de manières, et surtout de langage et d’accent.

— Vous êtes une menteuse, lui dis-je, et vous venez de m’en donner la preuve certaine. — Vous êtes Anne Buirette, ancienne femme de chambre de Mme de Douhault. Nous nous connaissions beaucoup, votre maîtresse et moi, et voilà ce que vous ne saviez pas avant que je ne vous le disse.

— Ah ! mon Diou ! mon Dieu ! faut-y, faut-y…

— Vous êtes Anne Buirette, du faubourg de la Villette, et je vous défends de reparaître ici.

Je m’empressai d’écrire à son sujet à M. Marduel, et je ne l’ai pas revue, comme de juste. Elle était sortie de chez moi dans un trouble affreux, mais je ne me reproche pas la rigueur de mon exécution. Elle avait dit en me parlant de l’ancien Évêque d’Orléans, monseigneur-l’évêque, et voilà ce que la Mse de Douhault n’aurait jamais fait ; mais elle avait dit aussi nous-deux-mon-frère au lieu de mon frère et moi, et ceci fut à mes yeux un trait de lumière, attendu que cette locution n’est employée ni dans l’Orléanais, ni dans aucune autre province de France, et que c’est une manière de parler qui n’est usitée que dans les faubourgs de Paris. Je ne saurais douter que ce ne soit une femme de chambre, une femme de Paris, une fille du peuple : je suis convaincue de son imposture, et j’en subirais l’épreuve du feu !

On avait de la peine à s’expliquer pourquoi Mme de T… protégeait ouvertement une pareille intrigante, et comme elle a toujours des motifs secrets, on a su que cela venait tout simplement de ce qu’elle n’aimait pas Mademoiselle de Champignelles, à raison de je ne sais quelle rivalité pour un logement dans une maison du Prince-Évêque de Passau, pendant leur émigration.

Vous saurez que Mme de T… est une Choiseul et une précieuse. Elle est régulièrement polie, du reste, et comme elle avait reçu pendant son instance en radiation de la liste des émigrés quelque service de M. Suard, elle se croyait obligée d’aller faire une visite à la femme de cet académicien, pour ne pas se trouver en reste, et pour les dédommager très amplement de leurs bons offices. Elle avait demandé conseil à tous ses amis ; mais elle avait eu bien de la peine à s’y décider, en nous faisant observer qu’elle ne saurait que dire Mme Suard !… Mme Suard, qui venait de faire imprimer un livre d’observations sur feu M. de Voltaire, où elle disait que chacune de ses rides recelait une grâce, (ce qui constituait assurément pour M. de Voltaire un privilège unique ! ) Enfin, la dignité de Mme de T… finit par céder au sentiment de sa reconnaissance ; elle a pris un parti définitif, et la voilà dans le salon de Mme Suard avec tous les vieux restes du philosophisme et de tous les débris d’encyclopédisme et d’impiété qui survivaient au baron d’Holbach. On les aurait pris pour autant de fantômes évoqués des caves de Ferney !

Mme de T… nous a dit qu’il y avait à côté de Mme Suard un vieux philosophe qui était fourré comme un podagre et qui avait l’oreille très dure. Il entend prononcer par la maitresse de la maison le nom de Choiseul… — Oh ! je l’ai très bien connu ! se met-il à dire, à la manière des sourds, en criant comme une orfraye ; — Je l’ai très bien connu tout comme aussi Mme de Gramont, sa sœur… et puis un propos d’une indignité révoltante, et sur un sujet inouï partout ailleurs que dans les confessionnaux de la grande pénitencerie pour les cas réservés !…

— Mon bon ami dit Mme Suard en lui minaudant au nez et lui parlant en clarinette (et notez bien que c’était à dessein de ménager poliment le préjugé vulgaire, ou la susceptibilité d’une demoiselle de Choiseul), – Mon bon ami, je ne conçois rien à l’inceste… — Mais, non ! je vous parle sérieusement je n’y conçois rien ; je ne le comprends pas !… Parlons plutôt du charmant adultère !…

Imaginez l’abattement et la confusion de cette pauvre Mmede T… si pudibonde et si précieuse qu’elle ne voulait seulement pas qu’un médecin lui parlât d’accouchement, pendant ses grossesses…

Il arriva tout de suite après deux jeunes mariés qu’on amenait pour faire une visite de noces, et tout aussitôt que M. de Meulan, c’est le nom du vieux philosophe, eut été mis au fait de leur circonstance, il se mit à leur chanter (comme s’il était un petit lutin-réveillon) :


Pourquoi nous marier,
Quand les femmes des autres
Pour être aussi les nôtres
Se font si peu prier ?
Pourquoi nous marier !

Que les chiens sont heureux !
Contre les murs ils p…
Deux à deux ils s’unissent
Sans qu’on médise d’eux.
Que les chiens sont heureux !

Il faut que ces gens-là soient incurables ! L’application de leur système philosophique et les crimes de la révolution n’ont rien fait sur eux  ; ils sont frappés d’un aveuglement stupide, et c’est comme une punition du ciel !

Il y avait dernièrement sur un navire qui revenait d’Amérique en France un philosophe de la même école, et ce matérialiste était un ancien dignitaire ecclésiastique. Il était renfermé dans sa cabine au milieu d’une tempête affreuse, et comme une vitre de sa lucarne avait été brisée, elle était remplacée momentanément par une feuille de papier d’écolier. Je vous dirai de plus, que sur ladite feuille de papier on voyait écrit le temps du verbe mourir, au futur. — Je mourrai, tu mourras, nous mourrons… La vieillesse est diffuse, et je vous demande grâce pour tout ce menu détail qui m’est provenu d’un autre passager sur le même vaisseau. Enfin, on entendait dans la petite chambre voisine une bonne émigrée française, une mère de famille qui récitait sur la tête de ses enfans en péril de mort, les saintes paroles de l’Évangile selon saint Jean.

Et verbum Carreau factum est dit le matérialiste à son compagnon de chambrée, en lui montrant cette conjugaison puerpérale.

Comment trouvez-vous ce calembourg de l’abbé de Talleyrand ?

Je vous dirai que j’ai toujours relativement à lui un pressentiment fixe et comme une idée prophétique. Je suis persuadée qu’aussi longtemps que toute cette génération d’hommes-là ne sera pas enterrée, la France ne pourra goûter ni repos ni bonheur. Il y a certainement, ainsi que le dit Origène, il y a certainement dans l’action d’un homme qui agit de concert avec le diable, une influence pernicieuse, une horrible faculté de corruption ! Le souffle de l’impie répand l’infection, dit le Prophète, et la contagion la plus dangereuse est celle qui provient du cœur humain ! (Voyez plutôt Brassavoli de Compos acquæ Tophanæ, car il y dit positivement que presque toute la ville de Nocera faillit être empoisonnée moyennant un sel, extrait du cœur de l’évêque Altempi, dangereux apostat, subtil et vénéneux corrupteur ! ajoute ce physicien moraliste.) Lorsque Rousseau de Genève m’envoya sa Lettre contre les spectacles, je me souviens que je lui répondis ceci : — Il n’y a pas de spectacle aussi pernicieux que le triomphe de la perversité.

Vous direz peut-être (excusez ma supposition qui s’applique à votre inexpérience et non pas à votre intelligence) vous direz peut-être aussi : — Mais puisque c’est un scandale aussi dangereux, pourquoi Dieu le souffre-t-il  ? – Il le souffre, mon ami, parce que sa créature humaine a reçu de lui son libre arbitre ; parce que, si l’homme n’était pas libre pour faire le mal, il n’aurait aucun mérite à faire le bien ; parce que l’Éternel en retire sa gloire en dépit des méchants, à l’insu des impies qui ne regardent que la terre et ne savent que le matériel de ce monde ; enfin, mon enfant il le souffre, parce qu’il est la patience même. Saint Augustin nous a dit pourquoi : Patiens quia æternus · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · pour les générations futures, aussitôt que le feu sacré de la Vendée fut éteint dans le sang de Charette qui mourut en criant Vive le Roi.

On se demande aussi comment il se fait que la plupart des jeunes filles et des jeunes gens d’aujourd’hui s’expriment avec un ton rude et familier qui n’est pas celui de leurs parens ? Mais je le crois bien, on les élève à tutoyer père et mère ; et vous pouvez remarquer que tous ceux et celles qui ont été stylés de cette façon-là, ne peuvent jamais parler à personne avec un ton respectueux.

— C’est vrai disait la petite de béthune a son confesseur, et je ne le nie pas ! J’ai dit à Maman — laisse-moi donc tranquille, et à Papa — tu ne sais ce que tu dis ; mais je le leur ai dit amicalement !…

Quand on nous a signifié qu’une mère de famille doit être la confidente de son fils et la meilleure amie de ses filles, on se rengorge comme si on nous avait répondu quelque chose. — Ils sont toujours très susceptibles et maladifs, dit le Manuel de la bonne Fermière, et comme ils sont difficiles à élever, une bonne fermière doit être la meilleure amie de ses dindons. Ce sont deux maximes d’une égale beauté !

Je me souviendrai toujours de la Mise de Saint-Pierre arrivant d’émigration, et comment elle ne voulut jamais rester en France, attendu que son petit-fils l’avait tutoyée en disant que c’était la mode… Elle ne voulut pas s’en montrer courroucée, parce qu’elle est très-doucement polie ; mais elle est, par ma foi, retournée vivre en Angleterre où personne ne se tutoie jamais.

Antoine de Lévis me disait l’autre jour que les gens de bonne compagnie se reconnaissent encore aux bals masqués, parce qu’ils ne tutoient pas sous le masque. — C’est comme autrefois, lui dis-je, et lorsque vous entendez une personne se servir du mot de bonne société, vous pouvez compter qu’elle n’est pas de bonne compagnie ; mais comme il est bon de reconnaitre les siens, prenez-y garde et n’allez pas en parler étourdiment. C’est un signal de vigie dont vous ne devez point révéler le secret. Il ne faut pas divulguer le mot d’ordre.

  1. Aujourd’hui, grande-chancellerie de la Légion-d’Honneur.
  2. Ce régulateur hellénique était le fils du vieux Poissonier, médecin du Roi, lequel était frère d’un autre médecin beaucoup plus habile que lui, qui se nommait Poissonier-Desperrières, et que je faisais toujours mander en consultations. Le fils du vieux Poissonier se fait appeler aujourd’hui M. de Prûley, du nom d’un bien de campagne qu’il a acheté dans le Perche. (Note de l’Auteur.)
  3. Femme divorcée d’un chirurgien bandagiste et présentement Comtesse de Salm. Comme il y a des cousins de son mari qui sont titrés princes de l’empire, elle se fait appeler Princesse. Elle aime mieux cela.
  4. Auteur de la Dot de Suzette, de l’opéra des Rigueurs du Cloître et de la Correspondance administratrice.