Souvenirs de la Marquise de Créquy de 1710 à 1803/Tome 3/01

Garnier frères, libraires éditeurs (Tome 3p. 1-25).

SOUVENIRS


de la marquise


DE CRÉQUY


CHAPITRE PREMIER.


La Comtesse d’Egmont (suite). — Recette pour conserver les perles. — Les xii Mazarins. — La Couronne héraldique des Créquy. — Son Origine. — Présentation de Mme Dubarry. — La Marquise d’Aloigny et la Comtesse de Béarn. — Un Grand-Couvert à Versailles. — Mme de Coigny. — Son Tabouret, qu’on ne saurait placer. — Dissertation sur les femmes titrées. — Sur les Princes étrangers. — Sur la noblesse de plusieurs familles allemandes. — Sur la maison d’Autriche et celle de Prusse. — Étiquette de la Cour de France pour les éventails. — Grande surprise du jeune Séverin. — Mot de Louis xv à M. de Jouffroy. — Disparition de Séverin. — Désespoir de Mme d’Egmont. — Sa maladie. — Sa mort.

À partir d’ici, vous me trouverez moins bien informée, et je vous avouerai qu’il ne m’aurait pas convenu de l’être mieux. L’Abbé Duhesme avait refusé de participer à l’exécution d’un fidéi-commis, scrupule assez légitime en ce que, dans tous les cas de contestations judiciaires où l’on est interrogé sur les faits, on est obligé de dire la vérité lorsque le juge l’ordonne, et parce que, relativement aux fidéi-commis, la volonté du législateur et l’intention de la loi se trouvent toujours en opposition directe avec celle du testateur. Le Curé de Saint-Jean s’en était fait une affaire de conscience ; il était allé consulter M. de Beaumont, son Archevêque, et celui-ci défendit au curé, sous peine d’interdiction, de se laisser entre-mêler dans une affaire agencée pour frauder la loi. Mme d’Egmont fut donc obligée de renoncer à l’assistance de son confesseur, qu’elle avait fait remplacer dans le testament de M. de Poitiers par une autre personne dont je n’ai pas su le nom, parce qu’elle avait exigé de rester inconnue. Les héritiers naturels du Vidame, qui étaient le Marquis de Lusignan, le Marquis de Turpin et le vieux Duc de la Vallière, n’avaient fait aucune espèce de chicane, et Mme d’Egmont me dit quelques mois après, avec un air assez embarrassé, qu’elle avait fait venir M. de Guys dans une église, où elle s’était rendue à pied, sans suite et sans toilette, et qu’elle lui avait fait la remise de deux cent vingt mille livres, en assignations de rentes, ce qui était le produit de la vente des pierreries et de l’argenterie du Vidame de Poitiers. Je m’aperçus que son front rougissait en me parlant, et je crus m’apercevoir qu’elle aurait désiré m’en dire un peu plus, mais je ne fis rien pour provoquer sa confiance ; je sentis qu’elle en pourrait arriver à des confidences ou des explications dont je me trouverais embarrassée, parce que je ne voulais pas l’encourager dans ses attendrissemens, et parce qu’il m’aurait été pénible de la sermonner et de l’affliger par une sévérité hors de propos, puisqu’elle ne servirait à rien, l’affaire étant faite. Je lui dis seulement que j’étais surprise et fâchée qu’elle eût donné son rendez-vous dans une église… Je lui vis baisser les yeux et mordre ses lèvres avec un mouvement nerveux qu’elle ne put réprimer, mais je crus devoir changer de propos d’un ton sec et dégagé qui me faisait un mal horrible. Mme d’Egmont ne fut pas la dupe de cette petite manœuvre ; je m’en aperçus bien à son air amical et résigné ; elle n’en fut pas moins affectueuse et moins empressée pour moi quand je la rencontrai chez son père ; mais ses visites à l’hôtel de Créquy devinrent moins fréquentes, et je fus pendant cinq à six mois sans entendre reparler du jeune M. de Guys.

Un soir de grand orage, il m’en souvient à merveille, et c’était une vigile de la Saint-Louis, j’avais été souper à l’Hôtel de Richelieu, où le Maréchal me demanda si je ne comptais pas aller faire ma cour à Versailles et m’asseoir au grand-couvert du lendemain ? Je lui dis que c’était mon intention. — Ma fille y doit aller, reprit-il ; laquelle de vous deux mènera l’autre ?

Il m’avait toujours semblé que j’étais la personne avec laquelle il aimait le mieux voir aller sa fille ; je devinai que le fin matois s’était aperçu que nous étions ce qui s’appelle en délicatesse, et qu’il avait calculé qu’il suffirait de nous mettre en vis-à-vis pour nous raccommoder parfaitement. Entre honnêtes femmes on n’a jamais sujet de brouillerie personnelle et persistance. Nous nous regardâmes en souriant, sa fille et moi, et nous convînmes d’arriver ensemble à Versailles pour l’heure de la messe.

Je n’ai jamais vu Mme d’Egmont plus brillante et plus parée ! Elle avait un grand habit noir, en dauphine lampassée, lequel était garni sobrement et suffisamment par une élégante et riche broderie de fleurs de capucines, en couleur et de grandeur naturelles, avec leur feuillage en or. Elle avait mis toutes les perles héréditaires de la maison d’Egmont qui valaient au moins quatre cent mille écus, et qui étaient substituées à perpétuité, ni plus ni moins qu’un majorât de Castille ou qu’une principauté de l’Empire. C’étaient ces mêmes perles sur lesquelles la République de Venise avait prêté tant d’argent au Comte Lamoral d’Egmont, pour soutenir la guerre des Pays-Bas contre le Roi Philippe et son Duc d’Albe. Il est à remarquer que, sur toutes ces perles, il n’y en avait que deux ou trois qui se fussent éteintes depuis le seizième siècle. M. d’Egmont disait pertinemment que pour empêcher les perles de s’éteindre et même de se ternir, sans mourir et se pulvériser, il était suffisant de les enfermer avec un morceau de racine de frêne. M. de Buffon n’y voulait pas croire, mais une expérience qui s’est transmise de générations en générations dans une famille ancienne est tout autre chose, à mon avis, qu’une argumentation d’académicien. Souvenez-vous de la recette de Messieurs d’Egmont quand vous hériterez de mon beau fil de perles, qui provient de la famille Gradenigo de Venise, et que mon père y avait payé quinze mille écus.

Ce qu’il y avait d’aussi magnifique et de mieux assorti dans cette belle parure de Mme d’Egmont, c’était que les fermoirs de ses bracelets, l’agrafe de son collier et l’attache de son aigrette (où l’on voyait jouer quarante perles pendeloques du plus beau profil et du plus bel orient) étaient formés par des hyacinthes immenses, étincelantes, éblouissantes et de la plus belle couleur de capucine. Parmi les pierres les plus précieuses, j’ai toujours ouï dire qu’après la tourmaline et le béril, il n’était rien de si rare et de si précieux que les hyacinthes de la vieille roche.

Je demandai a Septimanie comment il se faisait qu’elle eût mis un grand habit à fond noir, un jour de fête ? C’était parce que M. d’Egmont l’avait désiré, me dit-elle, attendu qu’il était Condé Pariente de Portugal, et que le deuil de la Reine Dona Marianne n’était pas terminé pour lui. Comme je voulais faire honneur à votre famille et n’avoir pas l’air de la duègne de l’infante à côté de Mme d’Egmont, sur qui j’avais toujours soin de prendre le pas, vu la parité du rang et la priorité d’âge, j’avais mis un très-bel habit de cour en étoffe brochée de trois nuances de bleu, dont la plus sombre était le bleu de lapis qu’on appelle à présent œil de roi. J’avais les plus beaux falbalas du monde en dentelle d’argent ; enfin j’avais eu soin d’exhiber tous les diamans de votre couronne cygnale[1].

La Reine me fit ordonner de m’approcher d’elle, afin de mieux, voir le Connétable de Lesdiguières que je portais en bracelet, et l’on décida qu’il était infiniment plus beau qu’aucun des douze Mazarins[2]. Le Commandeur d’Esclots, mon oncle, en fut pénétré de satisfaction, et ce ne fut pas sans peine que je pus obtenir de lui qu’il n’écrirait pas à la Reine pour lui en témoigner sa gratitude. Le bon vieux seigneur était d’une époque où la moindre parole royale et la moindre faveur aulique paraissaient d’un prix inestimable ! il était le type du véritable Français, en ce qu’il idolâtrait la faveur ; et surtout parce qu’il avait besoin d’estimer et de voir respecter ses maîtres. Il est mort sans qu’on ait pu lui persuader que Mme le Normand d’Étioles avait un appartement au château de Versailles, ni surtout qu’elle avait été créée Marquise de Pompadour et Dame du palais. — Tout cela sont des absurdités calomnieuses et des iniquités qui devraient être poursuivies et punies à la diligence du procureur-général ! s’écriait-il en s’agitant sur son fauteuil où le retenait la sciatique. — Il est impossible que le Roi se fasse un malin plaisir d’insulter à la noblesse et d’avilir sa couronne en accordant pareilles faveurs à Mam’selle Poisson !… Jugez ce qu’il aurait dit en voyant la Gazette de France annoncer la présentation de Mme Dubarry ! Hélas, hélas ! ce fut un scandale avec des rumeurs à faire écrouler toute une monarchie ; mais, pour l’honneur de la noblesse de France, il ne faut pas oublier qu’on eut bien de la peine à trouver une femme de condition qui voulût se laisser commettre à cette présentation-là ; aussi bien, fut-ce parmi les Dames de la feue Duchesse de Berry, fille du Régent, qu’on fut obligé d’aller quémander une pareille lâcheté. On n’avait pas osé s’adresser à des femmes parfaitement considérables, c’est-à-dire à des personnes du plus grand air pour le monde et du meilleur ton pour les mœurs ; on était descendu de certaines femmes de grande qualité, peu respectables du reste, et qui néanmoins refusèrent toutes à qui mieux mieux, avec des éclats de hauteur et des indignations admirables, on était descendu, vous dirai-je, à la Marquise d’Aloignÿ qui prétexta d’un mal de jambe, et qui s’établit sur son lit, ou elle eut la patience de rester deux ou trois mois encore après la présentation de Mn, e Dubarry. À défaut de mieux, on fut donc obligé de s’accommoder d’une misérable Gasconne intitulée Comtesse de Béarn, vilaine joueuse à qui nous n’aurions pas fait la révérence ! Elle avait eu nom Mlle Morin, et la famille de son mari, bien noble et très ancienne au surplus, s’était emparée du nom de Béarn, à cause d’une alliance qu’elle avait contractée en 1508 avec une prétendue descendante des anciens Vicomtes de Béarn, tandis que cette maison souveraine avait fini (l’an 1290) dans la personne de Gaston VIII, qui n’avait laissé qu’une fille appelée Marguerite, laquelle épousa le Comte Roger de Foix, ainsi qu’il est prouvé surabondamment par toutes les histoires et tous les nobiliaires de Gascogne. L’usurpation de ces Gaillard de Béarn était donc non moins visible et non moins ridicule que celle des Talleyrand de Périgord ; aussi pris-je la liberté de dire un jour devant Louis XV que si M. de Créquy, votre grand-père et mon mari, ne se faisait pas appeler le Comte d’Artois, de Hainaut, de Boulonnais et de Ponthieu, c’était uniquement par égard pour la couronne de France et par bon procédé pour la souveraineté du Roi. Nous en étions, ce me semble, à mon voyage de Versailles avec Mme d’Egmont pour y fêter la Saint-Louis.

Il me parut que Mme d’Egmont n’avait aucune envie d’entrer en explication avec moi, car elle me fit prier, à sept heures du matin, de venir la prendre en berline, afin de pouvoir emmener une de nos femmes, avec tout ce qui fait l’attirail d’une toilette au petit pied de campagne, c’est-à-dire un peignoir, une boîte à poudre, un miroir et un pot de rouge. Ma belle et brillante compagne avait passé toute la nuit sans pouvoir dormir, elle était souffrante, elle était courbattue, mais je trouvai qu’il n’y paraissait en aucune façon… Nous allâmes faire notre cour ensemble ; nous fûmes déjeuner, goûter et collationner chez Mmes de Tarante et d’Albret, car il ne fut pas question de dîner ce jour-là pour les commensaux de Versailles, et ceci, du moins, les dispensa de se mettre à genoux pour y boire à la santé du Roi, ce qu’on faisait encore à la table du Grand-Maître et à celle du grand-commun ; enfin nous allâmes prendre possession de nos tabourets au grand-couvert, où l’affluence était si grande que Mme de Coigny ne put jamais trouver une place pour y faire établir son bienheureux tabouret, ce qui nous divertissait agréablement, et ce qui nous trouva sans miséricorde pour une pareille hors-venue. Ladite Mme de Coigny, qui s’appelait mademoiselle de Navet, venait de recevoir son brevet pour les honneurs du Louvre, et c’était la première fois qu’elle se présentait pour s’asseoir devant la Reine. Elle était veuve de M. de Coigny, dont le père avait été créé Duc nompair en 1747, et n’avait jamais pu faire les preuves de noblesse exigées pour recevoir le cordon bleu, d’où vint qu’il avait obtenu pour les produire un délai de cent ans, par ordre du roi. Jugez s’il aurait pu fournir les preuves de sa noblesse en 1399, époque antérieure à celle des premiers anoblissemens, lesquelles preuves étaient cependant exigibles pour la présentation de sa belle-fille, qui n’avait seulement pas droit aux honneurs de Versailles, c’est-à-dire à la présentation pure et simple, et à laquelle on attribuait effrontément les honneurs du Louvre ! Il en est ainsi du titre et des prérogatives ducales accordés à MM. de Crillon[3]. Voilà comme on a fait des recrues pour nous assister et nous encadrer sur les bancs de la haute noblesse. Comment voulez-vous qu’une monarchie puisse aller sans malencontre avec un pareil mépris de ses lois organiques et des droits acquis par tant de services, après tant de siècles ? avec tous ces actes d’une injustice impertinente ? avec un pareil désordre au premier rang ? Quand je pense que tout ce que nous voyons aujourd’hui deviendra de l’histoire, je suis en révolte contre mes contemporains. Mais quand je pense que le mauvais temps d’aujourd’hui sera peut-être nommé le bon temps par ceux qui viendront après nous, je suis prête à revenir sur mes emportemens. Soyez donc tolérant pour votre grand’mère, mon cher Prince ; soyez indulgent pour elle à raison de ses vieilles idées aristocratiques et des habitudes de son temps, qui ne ressemblera guère au vôtre, à ce qu’il me paraît. Quant à savoir lequel valait le mieux de votre temps ou du mien, ce sera vos petits-enfans qui en décideront.

On apprit en sortant du grand-couvert que la Maréchale d’Estrées et la Comtesse de Lamarck n’avaient pas pu s’y faire placer, ce qui parut une chose autrement sérieuse que la déconvenue ne Mme de Coigny. Les huissiers de la chambre avaient eu la sottise de laisser asseoir aux places des femmes titrées deux ou trois pétoffes d’ambassadrices, dont les maris n’étaient seulement pas accrédités par des têtes couronnées, celle de Gênes et celle de Hollande, par exemple. Aussi tous les huissiers de la chambre en furent chassés, de cette affaire-là, et toute la cour alla se faire écrire aux portes de Mmes de Lamarck et d’Estrées, en témoignage de sympathie pour un accidents si funeste ! — Je vais encore ouvrir une parenthèse. (Vous aurez sûrement appris déjà que les personnes à qui nous accordons la qualification de femmes titrées ne sont que les Duchesses ou les Grandes d’Espagne, les femmes de Maréchaux de France, et les autres femmes qualifiées, n’importe de quel titre, dont les maris sont en possession des honneurs du Louvre héréditaires, avec le titre de cousin du roi. Il est bon de vous dire que les princes étrangers de maisons régnantes, qui ne sont pas royales, ne sauraient obtenir aucun privilège de rang à la cour de France : n’oubliez jamais de vous en prévaloir et vous en réclamer à l’occasion. Vous pourriez dire que j’ai vu solliciter par le Prince de Salm et de Kirbourg, à défaut d’un brevet de Duc français, qu’il ne put obtenir des Rois Louis XV et Louis XVI, que je l’ai vu solliciter un diplôme de Grand d’Espagne, à l’effet d’en obtenir le même rang que le nôtre à la cour de Versailles, afin de ne pas s’y trouver étouffé et comme étiolé dans la foule, avec les simples gentilshommes présentés. La sœur aînée de M. de Salm avait épousé le Duc de la Trémoille, et la seconde un prince de Croüy qui jouissait héréditairement des prérogatives ducales, mais la plus jeune avait épousé le Prince régnant de Hohenzollern-Sigmaringen, qui est un agnat de la famille électorale de Brandebourg, laquelle est parvenue à cet échafaudage de nouvelle et mauvaise fabrique, appelé trône de Prusse, et Mme de Hohenzollern ne pouvait aller à Versailles sous peine de s’y tenir à la même place que la Vicomtesse de Rouffignac et la Baronne de Kergriffec, dont les maris avaient fait les preuves de 1399[4].

Cet arrangement, qui paraissait singulier, avait un grand air de dignité nationale, et, ne fût-ce que cela, c’est toujours autant. Il est, du reste, assez raisonnable et naturel que la haute noblesse française ait eu participation dans cette exclusive et superbe prééminence des Rois-très-chrétiens et des Princes de leur sang sur toutes les autres familles royales. Immédiatement après les Seize Familles de Venise, appelées vulgairement les douze apôtres et les quatre évangélistes, et non loin de ces trois grandes maisons romaines des Colonna de Palestrine, des Ursins et des Publicola de Sainte-Croix, il n’existe rien qu’on puisse mettre en parallèle avec les quatorze ou quinze premières familles de notre pays. Il y en avait trente-deux sur la même ligne, autrefois ; mais il en est moitié dont il ne subsiste plus rien que dans les pages de l’histoire. Le docte et consciencieux Baron de Leibnitz a dit à mon père qu’il n’y avait pas dans tout le Sacro-Saint Empire d’Allemagne une seule famille qui pût remonter au-delà du treizième siècle par documens authentiques ; et tout ce qu’il y a de plus assuré sur la noblesse et la généalogie de la maison de Wurtemberg, par exemple, c’est qu’elle ne pourrait faire les preuves qui sont fournies par les gentishommes de nos provinces afin d’être présentés à Versailles.

C’est dans les pays les premiers civilisés qu’on doit nécessairement trouver les familles les plus anciennes. Il n’y a point de noblesse sans privilèges héréditaires ; point de privilèges et d’hérédité possibles sans cartulaires ; point de cartulaires sans titres écrits, et point, de titres écrits quand personne ne sait ce que c’est que l’écriture. L’usage de l’écriture et son emploi généalogique ou diplomatique ne sont arrivés en Germanie qu’à la suite du christianisme, et par les Gaules qui l’avaient reçu de l’Italie. Les souverains allemands ne devraient pas oublier que le principal d’entre eux, le premier électeur de l’Empire, c’est-à-dire le duc ou roi de Bohême, était encore un idolâtre, un misérable sauvage, à la fin du onzième siècle ; et certes, ils ne pourront pas nous contester que ces princes lorrains, qui portent aujourd’hui la couronne impériale, ont été les vassaux de nos rois jusqu’en 1748. En L’année 1729 ou 30, autant qu’il m’en souvient, j’ai vu à-Versailles, et de mes deux yeux vu, l’Empereur François de Lorraine, aujourd’hui régnant, prêter foi et hommage pour son duché de Bar, à genoux, à deux genoux, devant le trône de France ! J’ai vu M. le Comte de Clermontn prince du sang royal, mais simple cadet de la branche de Condé, prendre sans contestation le pas et la droite sur le duc de Bavière, électeur souverain de L’Empire et l’aîné de cette famille impériale. Enfin j’ai vu les trois princes royaux de Saxe et de Pologne dîner et souper à Versailles à la table dut premier maître de l’hôtel, parce que le cérémonial français ne leur accordait, pas l’honneur de pouvoir manger ostensiblement, non pas avec le Roi, ce qui va sans dire, mais avec Madame la Dauphine, qui était leur propre sœur. Il est vrai que nous avons MM. de Grillon et de Coigny parmi nos ducs ; mais, du moins, les auteurs de ces deux familles étaient de vaillans guerriers et d’illustres capitaines ! Les princes de l’Empire en pourraient-ils dire autant des leur prince Fugger, qui n’est que le petit-fils d’un riche banquier[5] ?

On nous répète à tout propos que la haute noblesse germanique ne se mésallie point, et j’en conviens sans difficulté ; mais a-t-elle sacrifié son patrimoine pour l’honneur de la couronne impériale et pour le bien de l’état ? A-t-elle fait la guerre à ses dépens, avec un éclat magnifique et sans interruption pendant plus de huit siècles ? Voilà notre affaire. La question que je fais ici réplique à tous les reproches ; c’est la meilleure réponse à toutes ces rabâcheries d’Allemagne au sujet de nos mésalliances avec des financiers, qui du reste ont toujours été d’aussi bonne maison que les Fugger de Babenhausen, et qu’on a toujours eu soin de faire anoblir avant de contracter une alliance avec eux, et de les admettre à signer au même contrat.

J’aurais bien autre chose à vous dire au sujet de cette maison de Prusse, qui n’avait originairement que la petite seigneurie de Zolern, et qui n’était parvenue jusqu’à son marquisat de Brandebourg et son duché de Prusse qu’en prêtant sur gages, et par une succession continuelle de fourberies et de filouteries les plus notoires. On pourrait dire que ces méchans puînés des seigneurs de Hohenzollern ont été les juifs du Saint-Empire. Je pourrais vous dire encore une chose qu’on voudrait dissimuler au sujet de ces petits comtes de Hapsbourg, qui sont devenus archiducs d’Autriche, et dont la postérité va s’éteindre avec la bonne et respectable Marie-Thérèse ; c’est à savoir que, dans toutes les anciennes chartes du royaume transjurain, ils ne se trouvent jamais nommés ou mentionnés qu’après les évêques de Bâle et de Lausanne, à la suite des comtes de Fribourg et des comtes de Gruyères, leurs voisins. Mais il y a long-temps que ma parenthèse est ouverte, et j’aurais envie de la fermer pour en revenir à Mme d’Egmont. Qu’en pensez-vous ?)

Le public de Versailles entrait par une porte et sortait par une autre, en décrivant dans sa marche rapide un quart de cercle autour du grand-couvert. Nous étions assises à la porte du Roi, auprès de la porte d’entrée, et Mme d’Egmont se trouvait à mes côtés, la dernière au premier rang, c’est-à-dire au plus près du public.

J’avais entendu comme une sorte de rumeur confuse et contenue, discrète, étouffée par le respect, et je vis l’Exempt des gardes-du-corps parler avec un militaire qui tenait ses regards attachés sur Mme d’Egmont. C’était un jeune homme admirablement beau, mais beau d’une étrange manière. Il nous regardait avec un air dominateur, comme s’il avait été le Roi de la création, comme si les merveilles de ce palais et les pompes de cette cour n’eussent été de rien pour lui. Son habit était celui d’un simple soldat ; mais sa physionomie spirituelle et passionnée, sa tournure élégante et sa coiffure à la Létorières, auraient pleinement satisfait l’amour-propre ou la fatuité du grand seigneur le plus vaniteux. Vous vous doutez bien quel était ce jeune homme ; mais comme je ne pensais pas continuellement à M. de Guys et que je ne rêvai jamais de M. de Gisors, je ne fus pas frappée de leur ressemblance au premier aspect.

Je jetai les yeux sur Mme d’Egmont, à qui je ne pouvais rien dire à l’oreille, à cause de nos paniers et de la ruelle d’étiquette entre nos tabourets… la pauvre femme était dans un trouble visible ; elle avait les yeux fixes, elle tenait son visage à moitié caché par un éventail (au mépris de l’étiquette de Versailles, car alors on ne prenait jamais la liberté d’ouvrir son éventail en présence de la Reine, à moins que ce ne fût pour en user en guise de soucoupe et pour présenter quelque chose à S. M.). En attendant, le beau jeune homme en habit de soldat était immobile, en arrêt, en contemplation sévère et non pas seulement en admiration pure et simple devant la belle dame aux hyacinthes. Sans autrement s’embarrasser de la présence du Roi, et sans prendre garde à M. l’Exempt qui lui commandait de passer outre et de ne pas s’opiniâtrer à barrer l’entrée de la salle où son temps d’arrêt interrompait la marche du public et le service de MM. les gardes-du-corps, il était préoccupé de je ne sais quelle idée contrariante, il n’écoutait pas et n’entendait rien. On fut obligé de l’arracher de la salle, et Mme d’Egmont ne put s’empêcher de faire entendre un gémissement dont je fus désespérée.

Le Roi, qui savait toujours par la police de Paris toutes les aventures et les allures de tout le monde, ce dont il gardait un secret impénétrable et glacé comme le marbre d’un sépulcre, le Roi suivit ici l’inspiration de son noble cœur et du sang généreux qui l’animait. Il fit approcher l’Exempt de ses gardes. — Monsieur de Jouffroy, lui dit-il, assez haut pour être entendu par nous, en tournant la tête et en dirigeant sa voix de notre côté, mais sans porter les yeux sur Mme d’Egmont, — c’est l’appareil qui l’aura surpris et troublé ; — c’est peut-être la vue de la Reine, ajouta-t-il en s’inclinant devant elle et lui faisant un adorable sourire. — Qu’il aille en paix, ce jeune homme ; allez commander qu’on le laisse tranquille. — Je ne vous en remercie pas moins de votre exactitude…

Mme d’Egmont respira doucement et profondément, comme une personne allégée d’un poids accablant et d’un supplice affreux. Elle reprit un peu de contenance et de physionomie ; mais il s’était établi des chuchoteries dont on voyait qu’elle était l’objet, et le Maréchal de Richelieu la regarda deux ou trois fois d’un air dépité.

Que la fin du banquet me parut longue et que j’avais grand’pitié de sa fille ! quelle situation pour elle, et quel embarras pour s’en expliquer avec une femme de mon caractère ! avec moi, dont elle appréhendait toujours le blâme et dont elle redoutait la sévérité !… Elle aurait eu grand tort pour ce jour-là, et ce fut au point que l’amitié que je lui portais me rendit souple et câline à cet excès que j’en allai faire une foule de complimens affectueux et de politesses prévenantes aux ennemis des Richelieu, ainsi qu’à toutes les dames qui passaient pour ne pas aimer Mme d’Egmont. J’espérais que ces coquetteries-là tourneraient à son profit. Pauvre Septimanie !…

Dans les âmes religieuses et sensibles, le fruit de l’expérience est l’indulgence. Si la foi fait les dévots et si le zèle fait les martyrs, c’est la sensibilité qui fait les saints.

En montant dans nos chaises au pied de l’escalier et sous le vestibule de Mesdames de France, au moment où mes porteurs allaient soulever la mienne, qui devait passer la première, j’entendis derrière ma chaise une voix sonore et vibrante qui disait avec un accent d’alarme et d’enivrement : — C’est vous ! — c’est bien vous !… Je ne vis personne et je n’entendis pas la réponse de Septimanie, qui ne fit que pleurer, sans me rien dire en nous en revenant à Paris. Heureusement que celle de mes femmes que j’avais amenée s’était endormie d’avance en nous attendant dans la berline, et qu’elle ne s’aperçut de rien.

J’allais aller à l’hôtel de Richelieu le lendemain matin, pour y voir Mme d’Egmont, quand on vint m’annoncer M. son père. Il avait sans doute imaginé que mon attachement pour sa fille et ma surprise lui aplaniraient la voie des explications, et que j’allais ouvrir la tranchée devant lui ; mais le Maréchal de Richelieu n’était pas un homme avec qui je voulusse parler ouvertement sur pareilles matières Les gens dissolus se trompent toujours à la compassion pour les peines du cœur, qu’ils suspectent de complaisance. Ils n’entendent rien à la bienveillance gratuite, à cette indulgence vertueuse et charitable à qui les théologiens ont donné le doux nom de mansuétude. Ils ne peuvent jamais s’expliquer un sentiment qui soit intermédiaire entre l’austérité rigoureuse et l’approbation coupable. La sévérité des honnêtes femmes et la connivence de celles qui ne le sont pas, voila tout ce qu’ils attendent et tout ce qu’ils savent de nous.

Je lui parlai continuellement de notre ennuyeux procès contre les Lejeune de la Furjonnière, et je le fis désemparer au bout d’une demi-heure, ainsi que je l’avais calculé d’avance, à quelques minutes de plus ou de moins. Ce fut un malheur avec un mauvais calcul de ma part, car il supposa que j’avais abandonné sa fille à l’irritation de Mmes de Grammont, de Forcalquier, d’Esparbès, etc., qui disaient des indignités sur elle, en oubliant toutes les politesses que je leur avais faites après le grand couvert. On osait dire insolemment et très-injustement, je n’en doute pas, que Mme la Comtesse d’Egmont avait eu des entrevues fréquentes avec un beau soldat qui la prenait pour une petite bourgeoise ; qu’ils se donnaient des rendez-vous à la barrière Saint-Jacques, etc….

Toujours est-il que ce fut Septimanie qui vint réclamer mon assistance auprès de son père, en faveur du jeune Séverin, que le Maréchal de Bellisle avait eu l’inhumanité de faire chasser des gardes-françaises, et qu’il voulait faire embarquer pour le Sénégal, où les Européens ne sauraient vivre plus d’un an.

Arrivez donc, Marquise, me dit le malicieux personnage, en ricanant de me voir empêtrée dans cette méchante affaire, et en triomphant de me voir venir à lui, arrivez donc pour me donner des nouvelles de M. Lejeune de la Furjonnière, qui voudrait s’armer d’un Créquier de gueules en champ d’or !

— Monsieur de Richelieu, lui répondis-je, je suis une de ces bonnes femmes à préjugés qui respectent leurs maris et le nom qu’elles portent ; je n’entends pas raillerie sur des armoiries du onzième siècle ; ayez la prudence de ne pas jouer avec des armes d’aussi bonne trempe et si bien chargées…

La détente en est facile, et dans tous les cas, la vôtre n’est pas rouillée, Marquise, à ce qu’il me paraît !

— Ayez la bonté, mon cher Monsieur, de ne pas faire le joli-cœur avec la Marquise de Créquy (votre très-humble servante) ! Vous trouveriez à qui parler, et je vous en préviens !

Mais bonnement, reprit-il avec un faux air de distraction, comment voudrait-on que je prisse fait et cause et que j’eusse l’air de m’escrimer en faisant blanc de mon épée pour ce beau garçon ? On dirait, j’espère, que c’est pour faire plaisir à ma fille ; mais je ne veux pas traiter mon gendre comme un bœuf de son pays, en lui mettant des clochettes au bout des cornes.

— Mettez-y du foin, comme on fait pour les buffles, lui dis-je alors, et soyez bien assuré que si vous n’abandonnez pas Septimanie à la méchanceté de mesdames telles et telles, son mari va la défendre et la soutenir envers et contre tous. Si nous abandonnons ce pauvre M. de Guys à la haine de son père, votre malheureuse fille en perdra la tête avant d’en mourir de chagrin. Vous la compromettrez abord avec le monde, et puis avec son mari ; qu’y gagnerez-vous ? Ils ne se reverront jamais, j’espère, et m’a-t-elle assuré, du moins…

Le Maréchal me dit alors : — Je vous proteste que j’en ai grand’pitié ! Je l’ai fait venir ici, votre jeune homme, et j’ai trouvé que c’était bien le plus doux, le plus hardi, le plus aimable et le plus joli garçon de la terre. — Mais si je lui donnais, dites donc, quelque papier, comme qui dirait une sauve-garde de la Connétablie, par un brevet de moi pour être lieutenant des Maréchaux de France ou bien secrétaire à notre tribunal du Point d’Honneur ? Qu’est-ce qu’il en aurait à dire, M. de Bellisle, qui n’y pourrait que faire ? Car, au fait et prendre, c’est moi qui suis Doyen des Maréchaux ; c’est moi qui tiens la place de Connétable, et M. de Bellisle n’y verrait que du feu….. du feu,… C’est une chose dont il avait furieusement peur en son jeune temps, soit dit sans mauvaise volonté contre lui !

Comme j’étais bien au fait de la haine infernale et de la diabolique animosité dont ces deux vieux courtisans étaient dévorés l’un pour l’autre, je vis que le Maréchal de Richelieu prendrait plaisir à contrecarrer le Maréchal de Bellisle, en protégeant celui qu’il appelait mon jeune homme et à qui je n’avais parlé de ma vie. J’aperçus alors que le Maréchal de Richelieu avait été bien aise d’en recevoir une sollicitation de ma part, afin de pouvoir s’appuyer sur l’approbation d’une personne considérable, et qu’on n’accuserait pas d’agir étourdiment. J’acceptai sa proposition de sauve-garde, et puis je consentis à le voir chez moi, cet aimable, intéressant et malheureux Séverin. Je regrettai d’abord de ne l’avoir pas connu plus tôt ; mais, depuis, j’ai souvent et douloureusement regretté de l’avoir jamais connu ! M. de Créquy l’aimait comme son fils, et les Breteuil avaient fini par l’idolâtrer. Hélas ! quelque temps après que son brevet de la Connétablie fut expédié, on apprit qu’il avait disparu de la maison qu’il habitait rue Saint-Jacques, pendant la nuit, et sans qu’on ait pu jamais découvrir par quel accident, par quels moyens, sans qu’on ait jamais pu savoir à quoi l’attribuer, à qui s’en prendre….

Ma pauvre Septimanie en a reçu le coup de la mort. Elle a langui pendant quelques années, et tant qu’un reste d’espérance a pu la soutenir. Enfin, je l’ai vu se consumer dans une fièvre lente, et le flambeau de sa vie si brillante et si fortunée s’est éteint dans les larmes.

Je n’oublierai jamais l’ardeur et la simplicité de ce double attachement, de cette prodigieuse affection, de ces deux amours bizarres, inexplicables, inouïs, qu’elle avait trouvé moyen de répartir, avec exactitude et comme en équilibre, entre deux objets si différens et si peu dissemblables ; entre un mort et un vivant ; entre le renommé, l’éclatant Comte de Gisors, et un malheureux enfant abandonné, un pauvre jeune homme obscur. Je n’oublierai jamais ses derniers momens, où le souvenir de ces deux aimables frères était confondu dans un même sentiment de fidélité si naïve et si tendre.

  1. L’intention de cette métaphore aristocratique paraît être allusive aux armes de Créquy, dont la couronne héraldique était fermée par trois cols de cygne d’argent embecquant un anneau d’or, éclairé d’une escarboucle. Le Mémorial de l’Abbaye de Ruissonville rapporte que c’était en mémoire de Gérald II, Sire de Créquy, Despote d’Alep et Vice-Roi de Jérusalem, lequel s’estoit desparty de la terre saincte, et, ratournant au sien chastel, advisa suz les foussées d’iceluy troix cignes blancs quy creuellement s’ebattoient et nafvroyent pour havoyr lannel de son espouzée Ilyolande de Haynault, laquelle avoyt jecté son dict annel de marriaje en lesdictes faussées, cuidant son seigneur d’estre pery de malemort ez guerres d’oultremer, pourquoi se voulloyt ancloistre au moustier prochain de Freschin, par grant ennuye d’affliction dolante. Lequel annel de rubits fut reprists aulx bestes par le mary, quy le fust remettre ez maints a sa dame, et dont grand liesse y fust ez terres de Créquy, pour estre le Sire adveneu sy bien a poinct, veu quaurayt leziours ensuivant treuvay sa paulvre dame en religion, sans navoyr ancore aultre lignée que lœur fille, Mahault de Crequy, laquelle espousa, de vers l’an 1114, Bauldouin, Chastellein de Sainct-Omer ; ycelluy Gerald fust père de Messire Raoul de Crequy, lequel espouza Mahault, fille de Renault Sire de Craon, etc. Voici les deux premiers couplets d’une complainte qu’on trouve dans ladite chronique au sujet de la captivité du même Raoul de Crequy, fils de Gérald :

    Loing temps fust menée feste au chastell de Crequy,
    Y fust crier Noël et largiesse on y fist !
    Jourdhuy, guesre on faict pour tollir lheritaige
    Au pausvre Damoysel, durant son esclavaige.

    Cestuy Sire Raoul, en wardiant les cregnaulx,
    Clasmoit touts dis à Dieus faisre finir ses maulx.
    Mays ja metz ne pouoyt roy neulles nouuelles
    De France, et demeustra soumist aux infidelles.

  2. Ces douze pierres, à peu près d’un même volume et d’une égale beauté, avaient été léguées à Louis XIV par le Cardinal Mazarin. La Convention ne put jamais trouver à les vendre à aucun souverain de l’Europe, y compris le Sultan qui refusa de les acquérir. Le Directoire les avait mises en gage en Hollande, d’où Buonaparte les fit retirer aussitôt qu’il fut devenu premier consul. Elles faisaient encore partie des joyaux de la couronne de France au mois de mai 1830, époque où nous les vîmes pour la dernière fois à l’hôtel du Garde-Meuble, à Paris. Il y en avait sept au diadème de la couronne du sacre, et les cinq autres étaient comprises dans la monture d’un superbe collier de chatons.
    (Note de l’Éditeur.)
  3. Leur nom de famille est Berton, et leur prétention consiste à être sortis de la famille Balbi, ce qu’ils n’ont jamais pu faire accroire à personne dans leur pays Venaissin. Le fameux Crillon n’était qu’un soldat de fortune. On a toujours dit que son grand-père était un marchand de Carpentras, et leur titre de Duc avignonnais est fondé sur un brevet pontifical. Si on les a laissés s’élever sans crier, c’est qu’on les regardait de si haut et qu’on les voyait de si loin, qu’on n’y prenait pas garde.

    On voit dans leur généalogie, qu’ils ont publiée très sottement, car on ne leur en demandait point, que toutes leurs alliances sont à l’unisson de leur origine. On n’y voit que des demoiselles Fabry de Verjus, des Brunaud de la Rabatellerie, des Cardon-Trudaine, etc.

    (Note de l’Auteur.)
  4. La Princesse de Hohenzollern, dont parle Mme de Créquy, est encore vivante, et son frère, le Prince Frédéric de Salm, auquel appartenait l’hôtel de la Légion-d’Honneur, a péri sur l’échafaud révolutionnaire en 1795. Cette Princesse de Hohenzollern est née en 1760. Elle a marié son fils, en 1808, avec Mlle Antoinette Bonafous, nièce de Joachim Murat.
    (Note de l’Éditeur.)
  5. Plusieurs écrivains du seizième siècle ont rapporté que le banquier Chigi, auteur de cette maison romaine, avait fait servir un jour À Léon X une collation dans laquelle il se trouvait un plat de cervelles de paon et un plat de langues de perroquet. À la même époque, le banquier Fugger brûla, sur un fagot de cannelle qu’il avait fait allumer dans une chambre où il donnait à coucher à l’Empereur Maximilien, pour deux cent mille florins d’obligations souscrites par Sa Majesté Césarienne au profit des frères Fugger et compagnie. À présent les Chigi sont Princes romains, et les Fugger sont Princes de l’Empire ; Qu’on nous dise, à nous autres Français, ce que sont devenus les descendons des Zamet et des Particelli, des Goullut, des Paris et des Beaujon. La France est un pays où l’argent n’a jamais pu suppléer à la noblesse ; aussi je ne sache pas qu’il existe en France une seule famille qualifiée qui soit provenue du comptoir. La sacristie, la caserne et les audiences du royaume, voilà jusqu’à présent, et Dieu merci ! les seules pépinières d’où soient sortis nos parvenus.

    On assure que l’Empereur Joseph vient d’accorder un diplôme de Baron du Saint-Empire à un banquier juif, et l’on n’osera pas nous dire que le sceau royal de France, ait jamais été profané pas son application sur une pancarte de la même nature.

    (Note de l’Auteur.)

    Il est vrai que les premiers princes chrétiens qui se soient avisés de conférer des titres nobiliaires à des juifs ont été les empereurs d’Autriche, et c’est une concession qui paraît d’autant plus scandaleuse qu’elle est toujours entachée de vénalité.

    (Note de l’Éditeur.)