Souvenirs de la Marquise de Créquy de 1710 à 1803/Tome 10/04
Ce qui doit résulter de la lecture des correspondances ou manuscrits originaux, est une sorte de révélation bien plus intime et bien autrement assurée que toutes les observations des historiens modernes et des anciens chroniqueurs. Ainsi, parmi les documens que j’ai fait copier et qui vont suivre, on ne saurait, à mon avis, entendre sans une sorte d’irritation patriotique, et sans épouver un sentiment de commisération respectueuse, un de ces cris de détresse qui furent poussés par l’infortuné Charles VI, dans les intervalles où sa raison lui laissait entrevoir l’abîme où la trahison d’Isabeau de Bavière avait précipité la France ! La lettre de leur fils au Sire de Créquy manifeste ouvertement le caractère de l’ami d’Agnès Sorel ; on y reconnaît toute sa grâce et sa légèreté, son humeur aventureuse et sa cordialité courtoise ! Il est à croire qu’elle fut écrite pendant l’automne de l’année 1416, époque où le jeune prince, alors Dauphin, trouva moyen de s’échapper de la tour de Loches, où l’avait emprisonné sa marâtre. La lettre suivante, lettre de récrimination contre le brave Dunois, est un document historique de la plus haute curiosité, en ce qu’il nous révèle toutes les difficultés que Jeanne d’Arc avait à surmonter pour obtenir la confiance et la coopération des autres chefs de l’armée de Charles VII. Elle est âprement accentuée, cette lettre ; elle est rudement consciencieuse ; on voit bien qu’elle est dictée par une villageoise enthousiaste, à un pauvre moine ; enfin, c’est bien là notre bonne et brave Jeanne d’Arc avant la fin de sa mission céleste
Come voz avez printz guerre o mon Seigneur le Daulfin de Vyenois, à cuy suis je home lige et quy a prins ma sueur a femme, il ma requiz que ly aydoye, et sapchiez que ne me pourroye pluz tenir que ne ly aydoye en toutes magnieres que il me vodra comander.
Escript suz l’aultel de l’ecclize de Jaix, le iour de la Feste S. Jehan le Baptist, aprez Vespre, en l’an N. S. J.-C. M.CCC...VI. et ce est Loyz Burchard, mon herauld poursuifvant, quy vos faict de par moy signifiance.
« Vous baillions signifiance et sapuoir faysons que nostre adversoire de Angleterre est descendeu en nostre Royaulme à grant puyssance de caualiers, de gents d’armes et gents de traict, come aussy de toute sorte de instruments, engins et manefices de guerre, et a mits le sieje de toute part devant et à l’encontre de nostre uille de Harfleur en laquelle est port de mer quy est le chief et la clief de nostre pays de Normandie, pour empescher yeelle entreprinse de nostre aduersoire, et presseruer guarder et maintenir nos dicts royaulme et subjects, auons envoyez en nostre ducheez de Normandie, nostre aisnez fils le Daulphin de Uyennois, Duc de Guyenne, come lieuxtenant général à toute notre puyssance, uous ordonnant et mandant que faciez de par nous commendement tant par crys et publications en touts lieux accoutumez à ce fayre en uostres baillages, provostez, chastelainyes ou ressort d’yceulx, à touts nobles et autres gents quy ont obligation et puyssance de se eulx armer, povr que ilz aylent toute à fayre cessant, en leur personne et le mieulx accompaignez de gents d’armes que ilz pourront, montez et armez suffysamment, par deuers nostre dict filz le daulphin, à Rouan ou aylleurs, telle part que il sera et le plus hastinement que ilz povront veu que grant est le perille, et que la trayson m’embusche à toutes heures en mon propre hostel. Ne vous en pluz diroy-je ayant le cuer nasvrez, priant Dieu, nos fealz et byen amez, qu’il vous doigne longue uie heureuse et nous uoile baillier assiztance, asseurance et consollacion de nos dicts subjects.
« Escript à Paris le unzièlme jour de may l’an du S. M. CCCCXV.
« Et plus bas :
« Beau Cousin, trèz-doulz, cher et bien amé, je envoye deuers vouz pour le grant dézir que jay de sçauoir vostre estat, et vous prye que par toute voye me vouilliez mander nouuelles de vouz, car par Dieu ! neulle plus grant joye ne me peut aduenir que de en oyr ! Pour de mon estat, beau cousin, que je sçay que vouz en oyrez vollontier, scavoir vous plaize que par la mercy Nostre Seigneur et d’aulcuns de mes loyaulx amys, je me suis dez party de là où jestois, sans prendre congié de mon hoste, le noefvièsme iour de noefvembre, en grant liesse d’esprit et bonne sancté du corps, gré N. Seign. quy vouz les voyelles octroyer, cher et bonamy ! et si ai esté à Paris, et là auons prits journée pour XX jours apretz Noël où les troix estat generaulx du royaume de France avonz mandez et conuoquez, et pour ce, mon Cousin, que entre touts mes amys vous estes de ceulx qui mieulx voudroyent que je eusse l’honneur de la dicte journée, vous prie chierement que vous y voulliez estre si faire ce peut ? Car certes, sur touts aultres, je vouz dezire y voyr et vouz en requiers et prye, sur toutes l’amour, fyance et amityé que vous avez pour nouz et la Couronne de France. Mais pour Dieu ! prenez byen guarde que n’y aist neut petils pour voux, cher et bienamé ! Car trop est chastié quy dans autruy est chastié et dans son prestieux amy par espécil ! vouz diroy-je ancore que plusieurs se mectent en peine de fayre les bons varlets et de parlementer pour lacquord avecque l’Angloys et soubs semblant de bone amityé pour moy, où j’ay neulle fyance, mais ne vouz osay-je escrire plus clerement par doubte des chemyns. Je prye Dieu que il vouz doigne aultant de bien que je voudroye, il souffrirait, par Dieu ! escryt de ma mayn en grant liaste et byen désirant vouz voyr, estant vostre bon amy et par Dieu, bien vostre !
« Mon redoubtez segneur, je me recommande à voz bone grâsce et myserricorde aultant et sy semblement que fayre je puits. Monseigneur de Dunoys ne mha voullu baillier les CXX lances pour la tacque de Bilesme, de quoy les Anglois auront proufict emmy cettuy pays de Perche, de quoy suis marrye come tout ! sy, vouz priay-je luy en escrire ou fayre escrire an pluz brief delay, nos gents restant ad laisir et moy du mêsme, et attendant lettres de vouz pour le dict Monseignueur de Dunoys, et que il face sa charge emprez vos royalz et sacrez commandemants, come à desia faict Monseigneur de la Trimouille advant luy, dont sapuez comment loz et proufict en sont advenuts pour vouz, Sire, et à vostre noble couronne. Cettuy presant messaigier ha escriptz ycelles lettres soubs ma parolle de Jehanne la Pucelle, à Chantraje, le jour apretz la feste Monseign. Saint Andriez, quy vous veulle ayder auxpretz nostre seigneur du Cyel ! Cetait le fresre Loys de Mortaigne, quy vouz an dira plue de bouche. Dieu vouz veulle octroyer longue vye et heureuse, havecque les couronnes de la terre et du ciel, mon redoubtez segneur, que Dieu veule absoluer et preseruer en sa guarde. »
« À nostre amé et feal conseillier, le sire de Preuilly, premier baron de Tourrayne.
« Preuilly, je resceu vostre lettre et me semble que debveriez pluz diligenter pour les chauses que sont à bon terme. Uous dirés ou ferés dire à qui sapués byen, come quoy, j’ay prists pour pansionesres touts les grants d’un aultre pays, à cette fin de fayre seruice au dict personnaije, et que il y aye esgard, car il ne peut cuyder me fayre porter si grante charge en pure perte pour moy. Uous ne me dicte rien de ce cardinal quy se donne du bon temps et qui mect si peu de soings pour nostre grante besoigne, qu’ont diroist qu’il ne s’agist que de fayre de l’eau benicte. Touchant l’autre que vous dictes qui me veult fayre bons offices, il seraist temps de le monstrer, car il peut bien cognoistre maintenant si je suy capable pour luy faire un grant service par deça ? Uous ne m’avés rien escritpt touchant ce petit home que j’avoys prins la picque pour luy, pour quoy dicte-luy doncques qu’il face pour moy tout ainsy qu’il vouldroit que je face pour luy mesme. Au regart que vous me dictes les maistres sont variables, je vous diroy que je ne vous vits jamés faire de la beste et que je ne vous heusse pas baillié lez charges qu’avez, si je ne me fyasse en vous tout à plein. Soyés seur que je vous donneray à cognoistre que ne mets pas en oubly les seruices que me faictes. Diligentés, Diligentés. Advertissés moy souvant et bien au long. Ne vous soulciez de rien, sy non de mes afayres, et à Dieu séyés.
« Escript au Plesseix du Parc les tours, ce XXX jour de julliet.
Je ne doy moy-mesme parler de moy-mesme, et je m’en rapporte à tout ce qu’en a escript Françoys du Moulinet, Abbé de Saint-Maximin. Toutefoix diroy-je que moy, Loyse de Savoie, je feus née au chasteau du Pont d’Ains l’an 1476, l’unziesme de septembre, à cinq heures vingt et quatre minutes après midy.
Françoys par la Grace de Dieu Roy de France et mon cher Filz, print la première expérience de lumière mondaine à Coignac le douziesme jour de septembre 1494, environ dix heures avant midy. Le Duc d’Alençon estoit sorty du cloistre maternel pour commencer mortelle vie, l’an 1489, et le deux septembre mon Filz eut pour parrain huit mois aprez, Messire François Comte la Roche-Foucault quy lui a baillés son nom baptismal. Feu Monseigneur et mari aymoit ledit Comte autant que son frère.
Anne, Reyne de France et Duchesse de Bretagne, estoit née à Nantes le 26 janvier 1476 et la mesme année de mon Filz. Estant à Bloys le 21 janvier, jour de Sainte Agnès, elle fust accouchée d’un Dauphin quy ne pouvoit empescher ni retarder l’exaltation de mon Cæsar, car il avoyt faulte de vie. En ce moment j’estois à Bloys en ma chambre, et René Benoist, mon fauconnier, quy m’a toujours servye en brave et loyale persevrance, me vint donner la serieuse nouvelle d’icelle mort qu’il avoist sceüe le premier par une chambrière de la Reyne dont il estoit le gallant.
À Montereau, le lundy sept d’aoust 1508, sur les sept heures du soir, ladite Reyne Anne estoit en grand péril de mort, car le ptanchier du pont s’effondit sous les chevaulx quy la portoient dans sa lictierre, et resta suspendeue par le deuxième cheval qui se cramponna sur les ais romputs ; ce quy saulva cette bonne princesse parce que l’autre cheval avoit rompu ses traicts en advant pour tomber dans la riviesre ou nageoyt comme un poisson. On le retreuva sur la berge et la Reyne s’enservit pour continuer son chemin comme sy de rien n’estoit, tant elle avoit de force au cœur et le sang bretton.
Le huit de juillet 1514, je cuyday rester a Bloys pour jamais, car le planchier de ma chambre s’ebranlait et alloist s’abismer, et eusse esté en danger extresme n’eust esté ma petite bigotte et le Seigneur de Brucq, lesquels s’en apperceurent les premiers. Je croys que c’estoit signe qu’il falloit que toute la maison de France fust reclinée seur moy, et que par vollonté divine, j’en eusse toute la charge.
La Reyne Anne de Bretagne trespassa a Bloys le lundy neuf janvier 1514, et le six d’aoust me feut donné l’estrange nouvelle que le Roy Louys XII, antique et fort débile, alloist espouser la jeune Marie Thudor dite d’Angleterre, laquelle estait fille de Henry VII, le premier roi de sa race et ysseu de simples vassaulx nobles au pays galloys.
Le neufviesme jour d’octobre 1514, se firent les amoureuses nopces de Louys XII et de Marie Thudor quy furent espousez à dix heures du matin, et le soir couchèrent ensemble.
Au chasteau des Tournelles, à Paris, le premier jour de janvier 1515, une heure advant la minuict, trespassa le bon Roy Louis XII quy fut inhumé le 12 janvier en l’eglize de Saint Denys, avecque un esclat resplandissant bien que funesbre, et de lugubration generalle, estant vrayment père du peuple en bonne intention si n’étoit en réallité.
Le samedy dernier jour de mars 1513, le Roy, mon filz me vint dire que la Reyne douariesre de France alloit se remarier avec le duc de Suffolch, homme de basse condition que le roy d’Angleterre Henry huitiesme avoit envoyé comme ambassadeur auprès de mon filz, qui n’en pouvoit retenir ses imprécations contreulx. Et ce fut le lundy seiziesme d’après que le duc anglais partit de Paris pour son Angleterre avec la veufve de Louis XII. Aussi, quelle idée que d’aller épouser cette fille de néant pour en mourir six semaynes aprez.
Le 28 de may 1516, le Roy mon filz partit de Lyon à pieds pour faire le pèlerinage de Chamberry et y vénérer le saint Suaire de Nostre Seigneur. S’en revenant de la bataille des Suises, mon filz me renconstra sur les bords de la Durance, tout auprès de Sisteron en Provence, environ six heures du soir, et Dieu sçait si moy, pauvre mère, feus bien ayse de voyr mon filz sayn et saulf et tout entier, aprets tant de violences qu’avait souffertes et soultenues si fermement.
Le dernier jour de may 1520, mon filz arriva a Ardres, qui s’appelle en latin Ardea, et le dit jour le Roy d’Angleterre, second de sa race, arriva à Calez, qui s’appelle en latin Caletum, ou Portus Ituis, selon César, au V livre de ses Commentaires.
Ce fut le 29 jour de mai 1522, environ deux heures après midy, à Lyon, en la maison de l’Archevesque, que le Hérault d’Angleterre vint deffier mon filz, et après que en tremblant de peur en touts ses membres, il eut déclaré que son maistre estoit deveneu nostre ennemy mortel, mon filz lui repondit si fierrement, noblement, froydement, et si bien à point que tous les presens estoient glorieux et neantmoins ebahits de sa clere éloquence.
Le 7 de juing 1520, qui fut le jour de la Feste Dieu, entre six, sept et huit heures après midy, mon filz et le Roi d’Angleterre, se virent soubs la tante pres Guygnes.
Le 9 jour de juing, mon filz et le roy d’Angleterre se trouvvèrent en campagne chascun de 50 hommes et prindrent leur vin ensemble, environ cinq heures et demie apres midy.
Le 17 de juing se print le feu au logis de Monsieur d’Ornat a Ardres, euviron dix heures et demie de nuit, qui fut chose assez fascheuse, car nous estions en lieu suspect et inique.
Le 25 de juing, le Légat d’Anglerre chanta la messe en plein camp devant, les deux Roys toute la chappelle fut faitte et tenduë par les Anglais, reservé le pavillon de la chappelle de mon fils qui fut tendu en l’oratoire ; mon filz s’agenouilla à dextre, et print la paix et l’évangile le premier, et les luy servit le jeusne Cardinal de Vendosme.
· · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · ·
· · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · ·
· · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · ·
Le 4 de juillet 1515, mon filz allant contre les Suisses partit de Romorantin à sept heures avant midy.
Le lundy 30 de juillet 1515, mon filz partit de Lyon pour aller guerroyer contre les Suysses, et autres occupateurs de sa Duché de Milan.
En juillet 1519, Charles V de ce nom, fils de Philippes, Archiduc d’Autriche, fut, après que l’Empire eût, par l’espace de cinq mois été vacant, élu Roy des Romains en la ville de Francfort ; pleut à Dieu que l’Empire eût plus longuement vacqué, ou bien que pour jamais on l’eut laissé entre les mains de Jésus-Christ, auquel il appartient naturellement, et non à d’autres.
L’an 1519, Frère François de Paule, des frères Mendicans, cinquième Evangeliste, fut par moi canonizé, à tout le moins j’en payé la taxe.
Le 5 juillet 1521, mon filz étant a Ardilly, à deux lieues de Beaune, à cinq lieues de Dijon et à deux de Seurre, au soir vint nouvelles de Guyenne comment le Seigneur d’Esparault avoit été pris avecques le Seigneur de Tournon, estant à Vespres, et que les affaires se portaient mal par faute d’ordre et de diligente conduite. Pour ce, faulx noter qu’en fait de guerre longues patenostes et oraisons murmuratives ne sont trop bonnes, car c’est marchandise qui ne sert de guères, sinon à gens qui ne sçavent que faire. De Sainte Colombe, je n’en dis mot, car ce volume est trop petit pour comprendre si fascheuse chronique.
Le 17 juillet 1521, a Dijon, des Suisses douze cantons feirent leur proposition et oraison devant mon filz en grande révérence, soy declarans vouloir estre à tout jamais confédérées et alliés avecq la Maison de France.
Le 28 d’aoust 1514, je commencé à prédire par céleste prevision que mon filz seroit en grande affaire contre les Suisses ; car ainsy que j’estois apres souper en mon bois à Romorantin, entre sept et huit heures, une terrible impression céleste ayant figure de comète s’apparut au ciel vers Occident, et je feus la première de ma compagnie qui m’en apperçus, mais ce ne fust sans avoir grand peur ; car je m’escriay si haut que ma voix se pouvoit estendre, et ne disois autre chose, sinon hélas ! Suisses ! les Suisses ! les Suisses ! Adonc estoient avec moy mes femmes, et d’hommes n’avoit que Regnault de Refuge, et le pauvre malheureux Rochefort sur son mulet gris, car, aller à pié ne lui estoit possible dez ja.
Le 25 de septembre 1519, mon filz, qui estoit allé à la chasse à la chappelle vendosmoise près Blois, se frappa d’une branche d’arbre dedans les yeux, dont je feus fort ennuyée.
Le 26 septembre 1522, à S. Germain en Laye, Pierre Piefort le jeune, fils de Jean Piefort, contoreul du grenier à sel de Chasteaudun, parent de plusieurs riches personnages de la ville, fut bruslé tout vif, apres que, devant le chasteau de S. Germain, il eut eu la main couppée, pour ce que sacrileigement il avait prits le Corpus domini, et la custode qui estoit en la chappelle dudit chasteau, et le derniez jour du mois, mon fils vint à pié, la teste nuë, une torche au poing, depuis Nanterre jusques au dict lieu, pour accompagner la Saincte-hostie, et la faire remettre en son premier lieu ; car le dit Piefort l’avoit laissée en la petite chappelle de Saincte Geneviefve, près du bourg de Nanterre. Le Cardinal de Vendosme la rapporta, et lors faisoit beau voir mon fils porter honneur et révérence au Saint Sacrement, que chascun en le regardant se pernoit à pleurer d’amour de liesse et respect pour luy.
Le 14 d’octobre 1513, en venant de vespres de S. Léger de Cognac, je entrai en mon parc, et pres du Dedalus, la poste m’apport nouvelles fort bonnes du camp de mon filz, Lieutenant du Roy Louis XII, en la guerre de Picardie ; sçavoir est, que le Roi des Romains s’en estoit allé de Tournay, et que le Roi d’Angleterre s’affaiblissoit de jour en jour, à fin de s’en aller en l’aultre monde.
Le 17 octobre 1521, au Mont S. Martin, environ neuf heures du matin, mon filz marchant en ordre de bataille, fut requis par son Maistre d’Escole de luy donner l’Evesché de Condom quy vacquoit, ce que de très-bon cœur il luy octroya, ayant souvenance que devant qu’il fut Roy, à Amboise, en ma presence, il luy avoit promiz un evesché s’il en avoyt la puyssance un jour ou l’autre.
Le 15 octobre 1522, a S. Germain en Laye, je fus fort malade de goutte, et mon filz me veilla toute la nuict bien tendrement.
Le jeudy 15 de décèbre 1515, le Pape Léon X célébra la Sainte Messe en la présence de mon filz, et le vendredy suivant feut tenu consistoire, et alliance confirmée, laquelle depuis a esté afermee et florentinée par le dit Leon, Saint Lieutenant et Vicayre de JESUS CHRIST.
Ce fust le 10 janvyer 1523, au milieu du camp royal, que voullant bailler au Seigneur de Crequy le collier de l’ordre du Roy, mon filz se despouilla du sien propre et le passant au col d’iceluy Seigneur, qui fleschit sur les genouils et ne se put relever, pour estre mort de son émotion et saisissement en oyant les belles parolles de mon filz.
Le 9 febvrier 1520, se despartit de chez moy le Vicomte de Rohan pour aller à Nante, où mon filz tenoit
· · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · ·
NOUS Roy de France et toujours Duc De Milan, donnons pleine asseurence à touts ceulx quy le present escript voyront de ce que notre féal et amé Daniel Maussion, nous a trez loyaulment et fidellement servy dans sa charge, et qu’au peril mesme de ses jours, il a tasché de nous soubstraire à la captiuité très inique ou la divine providence a voullu nous laysser choyr et laysser languir. Desclarant à touts ceulx de nos fidelles subjects de France ou d’Italie, quy le pourront secourrir et fayre parvenir aux lieux que nous l’envoyons, que fairont en cella chose trez agréable pour nous, trez utille au bien de nostre royaulme et grandement profittable pour eulx mesmes en la suyte des temps à venir ; promettant de les en largement récompenser et leur en gageant notre foy de gentilhomme et sacrée parolle de Roy trez chrestien pour acquitter ycelle promesse royalle au plus tost. Donné en nostre prison d’Espaigne, le XIV de dexembre M.CCCCC.XXV.
Dix ans passez, qu’Amour un beau matin
Me vint monstrant printannieres florettes ;
Là, seprit-il, aornez vostre tein,
Et cedisant, Violiers et Rozettes
Dez ja vermeilles, avecque blanq Muquet,
Me rejectoit à tant que ma corsière
En estait pleine, et mon cœur en pasmoit.
Car sapvez bien que ce doulx primaveire
Estait un bel et cher jouvencellet…
Sy, tremblottante et destournant mes yeulx,
— Nenny, disoye-je ; – Ah ne serez desceüe,
Reprit Amour, et soudain à ma veüe
Va remonstrant un Laurier merveilleux !
– Mieux vault, luy dis-je estre sage que Reyne :
Ains, me sentiz-je allangnir et troubler,
Diane faillit, et comprendrez sans peyne
Duquel matin je prétends reparler.
Le Roi Charles IX avait non moins d’esprit que sa sœur Marguerite, et c’était celui des quatre Valois qui avait le plus d’agrément et de vivacité dans l’intelligence et l’élocution. Mon grand-oncle[2] nous a conté qu’en jouant avec l’Amiral de Coligny et s’asseyant sur les genoux de ce vieux hérétique (qui ne pouvait avoir le collier de l’ordre à cause de sa religion), ce jeune Roi lui fit passer la tête dans son cordon de St. Michel, en lui disant gaiement et gentiment :
« Quy ne porte Rosaire au col,
Y mérite avoir un Licol. »
Il estoit un piteulx Seigneur,
Quy certaynement nont apprit
Qu’un homme peust vivre sans cœur
Et mourir sanz rendre l’esprit.
On a trouvé dans plusieurs manuscrits du temps ce joli quatrain de Charles IX contre l’ambition des Princes Lorrains :
Nostre père ne faillit princt
Quand il prédict que ceulx du Guyse
Mettroyent ses enfants en pourpoinct
Et touts ses subjects en chemise.
La lettre suvtante est adressée, par Catherine de Médicis, à la sœur aînée du feu Roi, son mari, Madame Marguerite de France ; mais Samuel Guichnon n’en a cité qu’un fragment dans son histoire généalogique de Savoye.
Cette copie nous est provvenue du chartrier des Comtes de Soissons.
« Madame, ma sœur et cousine, j’ay faict ce que m’avoist demandé le sieur d Elbene en vostre nom, Madame, et quand il en sera nompareillement, vous prioi-je de penser que ce ne sera pas faulte de mon dezir mais faulte de pouvoyr vouz satisfaisre ; car je nay jamez plaisir semblable à celluy de vous contenter de moy et de vous fayre continuer à me tenir en votre bonne amystié, sy ce n’est en premiesre place à cause de ce quavez un mary et un filz, mais du moinds pour que neul aultre ne puisse estre advant eulx et moy danz vostre cœur, et que la seconde place my soit tout jours reseruée, Madame. D’Elbene m’a dict que seriez bienayse d’avoir la mesure de mes enfants, et je vous l’enuoye de touts ceulx que Dieu ma laissez, hormiz la haulteur de ma fille de Lorraine que j’ay adhirée, mais des troix quy sont icy et du Roy qui est à Paris et quy me la faict bailler depuis sa maladie. Je mets icy dedans ces dictes mesures en filz de soyes toutes les quattre, et vous voyrez que Dieu les a plus faict croistre selon le besoing que suivant laage, et si vouz voyez les deux aisnez passer, jouster et chevaulcher sans en estre preveneue, les jugeriez plus vieulz qu’ilz ne sont de quatre anz, à la force et à la barbe que ilz ont. Quand d’Elbene s’en retournera, j’esperre que vouz nouz fairez l’amytié de l’entretenir de mes enfants et de moy, come je faits avecque luy de vouz et du vostre, que j’ay grante envye de voir chez nous avecque vous et les miens. Je prie Dieu que ce soye bientôt, Madame, et quil veulle conserver la mère et ses enfants en vostre bonne grâce et l’affexion de Monsieur de Sauoye. Priant aussy nostre Dame avec les bienheureulx du Paradix et les sainct anges gardiens à fin qu’ilz vouz assistent et vouz facent maintenir en toute sorte de bon heur et satisfaxion.
« Vostre bien fidelle et bonne sœur,
À chaumont, cette vegille de Touts Saints.
« Monsieur, la Reine et mon Oncle de Guyse on dict à moy qu’il ne me faillait sceller ny bayller lettres de créance au S. de Bryon, pourceque la régence Descosse en se pourroyt mezcontanter et prendre fascherye. Le Roy Daulphin, Monsgr, n’est guesres esmen de la nouvelle que us m’avez escritte et va disant, come chasqung, que ce uieulx eretic de Maclotte est non moins fol que Matheurin. N’ayons doncques plus soulcy de mes affayres Descosse. Monsieur, je vous prie fayre espedier fauorablement le jeune Omaden quy est un Gentillome de la Reyne ma mère, lequel ie uoudroye servir, et ce faysant, us ferez pour moy chose trez gratieulze. Monsieur, ie prie Dieu et sa S. mère pour nous garder et maintenir en satisfaction parfaicte, estante à Bloys, le uinseptiesme de juilliet, uotre bonne amye trez affectionee.
ANTOINE de Lévezoulx de Luzanson, Chevalier de l’Ordre du Roi, était Baron de Vesins en Rouergue, et le principal Seigneur de sa province. Il avait été successivement Grand Bailli d’Épée, Lieutenant pour le Roi François Ier, Gouverneur et Commandant pour les Rois Henri II, François II, Charles IX et Henry III, dans leurs provinces et pays de Rouergue, de Quercy, d’Albigeois et des Cévennes ; Gentilhomme de la Chambre de leurs Majestés, Conseiller en leurs conseil d’en haut et conseil étroit ; Capitaine de cent hommes d’armes à palefrois armés de leurs Ordonnances, et Capitaine-général des xiii mille hommes de guerre et de pied de l’arrière-Ban Languedocien. Il était né vers l’année 1522, et il avoit épousé Jeanne de Roquefort-Morias, Baronne d’Enguerravaques et de Saint-Aignan-le-Franc-Castel, laquelle était d’une branche puînée de la maison royale de Foix. On voit dans les lettres de Réné de Lucinge qu’il ne « s’entreprenoit jamais rien, soit à Paris, soit à Bloys, dans le conseil d’en haut, sans d’abord que l’on n’eust mandé le vieux Baron de Vesins, qu’on faysoit survenir de son commadement du Roargue, afyn d’en avoir son advis, qu’il ne donnoit jamais que mal volontiers, disant qu’il n’estoit nulle autre chose qu’homme de guerre, et bien qu’il fust en effet un des plus advisez personnages de son temps ; cas estrange en un Seigneur du pays de Gascogne et plus estrange homme, en vérité, car il estoit d’esprit subtil et délié quoique rudement acerbe et bouillant, sous sa tocque noyre à l’antique, avec un air seigneurial et de franc-voulloir qui sentoit parfaitement sa bonne mayson. Comme il estoit cruellement impétueux dans sa vindicte et néantmoins de générosité merveilleuse et dont on savoit mille traicts, feu l’Admiral de Coligny l’appeloit le Lion Catholique, et Monsieur le Chancelier de l’Hospital me dizoit un jour de lui : C’est un homme à moytié de pur or et de fer ardant. » L’histoire de France n’a pas manqué de recueillir et d’enregistrer une anecdote de sa vie. C’étoit à Paris, pendant les exécutions de la Saint-Barthélemy ; et c’étoit a l’egard du Baron de Reyniès (Tobie de Pestels de Caylus). Mais il vaut mieux laisser discourir, sur le vieux serviteur des Valois, l’honnête et judicieux Mézeray, qui va réciter cette aventure avec la simplicité de son temps, la familiarité de son vieux style et sa gravité naïve : « J’avois presque obmiz d’écrire une des plus généreuses actions quy se soit jamais faites, et qu’on ne sauroit recommander à la posterité avec assez d’honneur et de louanges. Il y avoit deux gentilshommes de Quercy, Vesins, catholique et Lieutenant du Roy dans cette province, et Reigniers, huguenot et Lieutenant pour les Princes au même endroit : tous deuz forts vaillants, mais le premier homme rude, et furieulx ; le second, plus doulx et plus traitable ; lesquels ayant faict leur querelle particulière de la querelle générale, et s’estant mortellement offensez, ne cherchoyent qu’une occasion pour se couper la gorge. Durant la plus grande ardeur du tumulte, comme on enfonçoit les portes de chez Reigniers (son logis, à Paris, étoit l’ancien hôtel de la Trémoille, rue des Bourdonnois), et comme il se préparoit à recevoir le coup de la mort, arrive Vesins, que le Roy Charles anvoyoit faire son office en Quercy. Il entre dans la chambre où estoit Reigniers, avecque deux hommes ayant touts les trois la rondasche et l’espée a la main, les yeux étincellants de colesre et le visage tout rouge. Reigniers, encore plus effroyé de voir devant luy son plus cruel et capital ennemy, se prosterne par terre, implosrant seullement la Misericorde divine… Mais l’aultre luy commande d’une voix tonnante qu’il ait à se lever pour le suivre : Reigniers obéit, sans pouvoir se dire à quel genre de mort il le destinoit. Comme ils arrivoient dans la rue, Vesins le faict monter sur un beau cheval qu’un de ses gents tenoist en main, et sortant de la ville par la porte Sainct Michel, suivy de quinze aultres, il l’emmène à petites journées à plus de cent lieues de Paris, jusqu’à un billot qui étoit à la porte de Reigniers, » (Un poteau d’armes en dehors du pont Levis du château de Reyniès en Montalbannais. Le Comte de Caylus observe qu’on avoit conservé soigneusement ce poteau seigneurial, et qu’il existait encore du vivant de son père.) « ' Durant tout le chemin, il ne luy avoist pas dict une seule parole ; mais s’arrestant à cet endroict, il parla ainsy : — Reigniers, mon honneur et la bonne opinion que j’ay de ton courage m’ont empesché de te laisser oster la vie ; je ne suis pas homme à me venger sy laschement, ni ne veulx donner subject de penser que la crainte que j’aurozs eue de toy m’auroyt porté à te faire ou laisser assassiner. Maintenant que tu es en liberté, tu peux t’en ressentir, et me voilà prest à te satisfaire… À cela, Reigniers repartit : — Je n’en ay plus la volonté ni la force ! vostre générosité, quy m’a gagné le cœur, m’en a osté le courage. À quoy pourrois-je employer la vie que vous m’avez donnée, si non qu’à me revancher d’une sy haulte et doulce obligation ? Assurez-vous, Monsieur, que comme elle a esté à vostre discretion pleine et dans vos nobles mains huit jours durant, elle sera toujours à vostre service. Vous m’avez ammené jusqu’icy, mais je suis prest à vous suivre partout où il vous plaira me commander… Disant cecy la larme à l’œil, il s’approcha de Vesins pour l’embrasser ; mais se reculant sans adoulcir son visage, Vesins lui dict du même ton : — Il m’est indifférent que tu soys encore mon ennemy ou que tu deviennes mon amy ; tu vas décider à loysir lequel tu voudras estres ; et sans lui donner le temps de répliquer, il piqua des deux et le laissa là, ravy d’étonnement et de joye. Reigniers lui renvoya aussitôt son beau cheval avec un grand compliment, mais il ne voullut pas le reprendre. » Le prieur de Coulombières ajoute au récit de Mézeray, que « le Baron de Vesein respondit qu’il ne voulloit pas recevoir un cheval quy avoist esté monté par un Huguenot, il dit aussi que le Roy Henry-le-Grand ne se pouvoist taire ou contraindre en toute occasion sur l’estime qu’il faysoit d’icelluy Baron de Vesein, mais qu’il ne voullut jamais approcher de ce bon prince, ne pouvant s’oster de la a pensée qu’il estoit, la cause et peut-estre l’autheur de la mort de son frère le Séneschal de Quercy, qu’il aimoist Chesrement, et quy fust tué au siège de Cahors, où les antiens de ce temps passé disoient qu’il avoit péri de la main du Roy de Navarre. — J’ay ouy dire aussi que s’estant priz de facherie contre le feu Roy Henry de Valloys, pour un subject quelconque, et celui-cy voulant néanmoins bailler à luy le collier du Sainct-Esprit, à la promotion du 31 décembre 1579, on luy escrivit de par le Roy pour dresser ses preuves, et qu’il respondit à cecy qu’il n’estoit plus de ce monde, et qu’il n’auroist eu nul besoin de montrer ses papiers de famille aux officiers du grand Roy François Ier, ni de son fils Henry deuxième. » G. du Moulin rapporte que Jean Ebrard, Baron de Saint-Sulpice en Rouergue et chevalier des ordres à la même promotion de 1579, « n’avoit reçeu le cordon bleu que sur le refus de son parent et voysin le vieulx ligueur de Vezin, quy s’estoit picqué de ne l’avoir pas en l’année précédante, à la création dudit ordre. »
Il étoit mort en l’année 1604. Il avoit eu six enfans, et c’est de son fils aîné, Jean de Lévezoulx VIIe du nom, que les Comtes de Vesins du Rouergue sont issus.
… Mon frere et cousin le roy de nauarre a deu vous escrire ou parler au regard de la valette et du sieur de ramefort ; et néanmoins depuis larrivée de ce page, il na rien plus scu de chasteau daulphin que ne sachions vous et moy. Ne croyez point que cette affaire est le cadet de mes soulcys, et laissez moy vous dire en famillier que cest perdre ses paines et pleumes à mon frere de savoye que de mescrire et vouloir aisgrir contre cette famme dangleterre, laquelle je hayts desia plus que la mort, la tenant et resputant, comme il se doit, pourvraye fille d’enfer, creuelle et sanguynaire aultant que les tyrants payens tiberius et nero : ignoble de race, inexhorrable, impie, folle et superbe hereticque, et dampnee bastarde que dieu veuille tirer de cette terre, ou fait mil maux depuits pluz de trente ans, martyrisant les fidelles chestiens, et respandant le sang royal, avecque celuy de ses galants et aultres, come a plaisir ; en voullant sembler me faire services, elle ajist en trahyson dans mon royaulme et sur touts mes sujects, et jusqua mes plus proches et familliers, tellement que j’en ai le caz de conscience, et par fois je nay peu meriter destre absolu et beuit pour mes peschez de cholesre et soif de vendiquation contre cette meschante reyne. Ne manquez je vous prie a bien faire connoistre a nostre sainct pere le pape et a mon frere de savoye en quelle extresmites et tribullation je suis contrainct, et vous laissant a délibérer avec mon chancelier pour le surpluz, je prie, etc.
À blaisy, le 12 mai 1588.
La pièce qui va suivre est une étrange mercuriale adressée, par la Reine Douairière, Louise de Vaudémont, à Henri IV, et l’original de cette lettre fait partie de nos archives au chateau d’Heymont.
« Monsieur, je uienz pour me plaindre a uouz du sieur de Rosny vostre lieux tenant, lequel est uenu troubler la saincte paix de ma maison de Chenonceaulx, en se logeant et malhœuvrant sur ma ditte terre avec ses artilherye, gents d’armes et soudards, et comme aussi grand nombre de cheuaultz et mulletz, au destrimant des bonnes gents du payz, que je vouz prie uous souuenir, Monsieur, qu’ilz me sont uassaulx resputez et teuutz par moi comme enfantz trez affectionnez. Vouz disant aussy que deburiez bien destre pitoyable pour eulx en ordonnant au dict S. de Rosny qu’il se desparte de céanz où ses gents font mil rauages, et que ne sopiniastre encore d’offancer la Sérénité royalle en ma personne en se maintenant sur terres de mon obéissance, come il ose de le faire. Si uouz faicts-je porter par ce mien gentilhomme un libvret qui vouz pourroyt, come je pense et le uoudroiz, esclaircir l’esprit, et vouz puy dire encore une foix, Monsieur, que je prie continuemant nostre Seigneur et sa benigne Mère pour vostre conuersion.
A Monceaulx ce XVIII de feburier. »
Ma mye trez belle et trez aymée, je vous diz ancore au jourdny que ma lettre sera plus heureuse que moy, car elle poura coucher avec vous. Jay forcé deux cerfs et tué je ne says combien dautres bestes, et puys jay pensé voulloyr battre le Martays, en faict d’aultres bestes fascheuse. Je suys pour tout cela recreu de fatigues sans en estre moins triste au cueur pour avoyr esté rudoyé par vouz. Ne prenez point cette habytude et soufrez moy vous repetter encore une foi, questant Roy et Gascon, j’auraye besoing d’estre un peu flatté. Je vous reviendray mercredy sanz faulte et d’icy là, me respondrez vous un peu, j’espere et désire infiniement.
De Fontainebleau ce V octovre.
Mon amy, apresent que vous etes deuenu mon suject je vous pourray parler suyuant ma pensée, et la conduyte de monsieur de sauoye a vostre endroit mauroist estrangement esmeruueillé si je nestois un vieil chasseur quy connoys les ruses du regnard, je comprendt que ne soyez neulement esmeu de son desportement et dezplaysir pretendeu sur le fait de la paix quauez signée, tout le monde sachant que uous nauez en ce rencontre agy quaveq son adueu par son exprez comandement, et quaussy, durant toute votre uie, en toute chose de son seruice, il avoist ordinaire de se rengorger de vostre vertu, en vous regraciant pour votre preudeuce et fidellité, il ne me conuient pas chercher a vous réconforter, sachant que vostre cueur est là, mais je veus puys afirmer quil nen sera pas de vostre nouveau maistre tellement que de lancien-mon amy, entre veritable gentilshommes de la vyelle roche ainsy que vous et moy, il ne sauroist estre parlé dargent pour lessenciel, mais je vous veulx asseurer toutes fois, que sy je pouvoye scavoir quen soyez jamais a dezcouvert et dezpourveu, je vous sauroye bien forcer en ce retranchemant la quy devroist estre le dernier entrenous, vous estant doné a moy come lauez bien voulu faire, je suys et resteray toute ma vie et veritablement, entendez-vous ?
Au bois de Vincenne le 14 juillet.
JE, Herault darmes du tistre de Chablays, envoyez de par Tres Hault, Tres Puyssant et Royal Prince, CHARLES EMMANUEL, par la grace de Dieu, Duc de Savoye, Roy de Chypre, Hyerusalem et Armenye, Duc de Chablays, Daoust et de Genevois Prince de Piedmond, dachaye, de la Morée, dOneille, et cœtera. Marquis ditalie, de Suze et de Saluces, Comte, Baron, et Souverain Seigneur dAst, de Geneve, de Nyce, de Tende, de Roymont, de Gex, de Vaud, de Foucigny, de Verceil, de Fribourg, et cœtera, et cœtera. Prince et Vicaire Perpetuel du Saint Empire Romain, et cœtera, et cœtera, et cœtera. Ce Jour dhui quatriesme jour de mars, an lan mil six cent deuxiesme de lincarnation nostre Seigneur, et du regne de mon Seigneur de Savoye le vingt deuxiesme, suis arrivé devant la porte Majeure et le pont du chasteau des Alymes accompagné de quatre chevaulcheurs, scavoyr deux Escuyers et deux Trompettes, et sur le pont, ayant revestu la thunique darmes aux blazons de son Altesse de Savoye, et tout a cheval, ayent à mes deux costés, dextre et senestre, les deux escuyers, la teste nue, soubtenants les rebords dicelle thunique, et pour lors que les deux trompettes eusrent sonné par trois fois, jai dict a voix haulte et fortement intelligeable,
De par nostre Seigneur le Royal Duc de Savoye, nous venons pour sommer Messire René de Lucinge, Seigneur Baron de Ceans et aultres Seigneuryes, tant aux pays de Savoye quaux terres de l’Empire et de France, Chevalier de l’Ordre, Conseillier dEtat, Grand Maistre et Grand Referendayre de son Altesse, aultresfois son Ambassadeur en cour de France, et cætera, et cætera ; pour quil ait a camparoir le jour unzieme de may prochain pardevant nostre dict Seigneur ou ceulx de son consceil de Savoye, a cette fin dy respondre et rendre rayson sur aulcuns griefs impustez a luy par suffysants tesmoignages, adjoustant que pour deffauct de ce faire il sera poursuivy comme rebelle et ses biens saizis sans aultres advertissement ou monition diceluy Duc nostre Souverain Seigneur, que Dieu guarde a tout jamais !
Et la, sousvrit la porte Majeure et sortit un gentilhomme a Messire René de Lucinge, appelé Noble Jehan de la Versollyere, escorté de plusieurs Escuyers, hommes darmes et aultres de la maison, lequel me convya dentrer et ma compagnie, et nous fisrent bonne chere, et nous conduyrent en la grand salle a droicte la deuxiesme cour du chasteau, nous demandant sy désirions aller ouyr le sainct office et adorer le Sacrement en la chapelle, ce a quoy je fis signe de refuts pour la difficultez du comportement, ne me debvant point descouvrir de ma toque et mon chaperon pardeuant le Seigneur sommé quy se pouvoist trouver a siege au dict lieu sainct. Apres que nous fust servye collation et nous estre reputs et raffraychiz, sans avoir respondeu aultrement que par signes de teste a ce peu qui nous fust dict par les serviteurs dicelui Seigneur des Alymes, le Maistre de lhostel appellé Noble Antoyne Valleton, personnage de grauité et ciuilité signalée, nous vint querir en compagnye de deux huyssiers vestus de velour noir, avec leurs chaisnes dor au col et portant leurs masses dargent sus les espaules, pour que nous allions pour parler au dict seigneur leur maistre, au lieu quil nous attendoist, et nous trousvasme iceluy Seigneur des Alymes en sa chambre assiz, et là, sans neul salver je fis mon harangue ainsi quil suit :
Hault et Puissant Seigneur, celuy qui a faict toutes choses uisibles, inuisibles, celestres et terrestres, celuy quy dispoze le cœur des princes a la gratuité et qui doibs agreer les sujects danz leur soubmission, puysse t il touts jours de pluz en pluz glorifyer son Altesse de Savoye, par laquelle moy, Chablays qui suis son Herault, je suis enuyé ceans pour vous sommer et commander que vous rentryez en son obeyssance et vous rendre emprez sanz aultre delay ; pour la vous remettre a la merci de sa justice, en vous sousvenant des biens exquiz et favœurs que vous a faytes, au point que neul aultre en ses estats ne fust plus advant en son amour et pluz hault en lexercice de son auctorité que ne lestiez et pouuez lestre encore. En oultre, vous sommer et commonder a moy bailler, pour mon dict Seigneur le Duc, certaines lettres clauses, instructions speciales et aultres instruments de son archive que vous retennez ou semblez voulloyr debtenir a lencontre du droict de nostre dict maistre et le vostre, estant son suject tout comme un aultre, sy petit quil puysse estre, et sy noble et puyssant que seyez : aussy de venyr par deuers nostre seigneur, pourceque tel est son voulloir et bon playsir, et notablement de pluz, pour a luy rendre hommage et fayre adveu de foy, services et fidellité pour vos chasteaux et terres du pays de Foucigny que sa dicte Altesse a bien voullu jusques icy vous mesnager et preserver, vous advertyssant quelles terres vous seront saisies et retirez sy vous obstinez contre le dict son mandement exprez. Que parensuyte vous serez et devrez estre poursuyvy par ses justiciers en chastiment et pugnition de rebellion, fraude et deptention deffects royaulx, comme aussi pour injures, oultrages et fezlonye, lequel cas comporte un traictement sy desplorable que je noseroye vous en pluz dire au mesme suject. Vous proposant au nom de mon Seigneur le Duc une lettre de saulve conduicte, patente, et signée de sa main royalle, et scellée de son grand sceel, a fin que vous puyssiez estre, aller, venyr et resister ou vous despartyr en plaine assurance au regard de ses loyauté, franchises et bonne amytié pour vostre personne et ceulx de votre mayson. Finalement, vous citant et adjournant pour comparoistre en propre personne a Chamberry, par deuant le Noble Conseil de nostre dict Seigneur, pour le unziesme jour du mois prochain de May : le dict ajournement vous estant signifyé par moy, Chablays, soubs licence et permyssion du Baillif Monseigneur le Tres Chrestien Roy de France et de Nauarre en son pays de Bugeix, lequel a dict a moy ne lempescher pour cause de reuerence envers Nostre Seigneur a vous et moy, le Duc de Savoye, Roy de Chypre, de Hyerusalem et dArmenye, que Dieu veulle guarder et glorifyer !
Sur ce, fustin continent dict à moy par ledict Seigneur, Maistre Chablays, voyons, vos lettres de créance : lesquelle je pris en mon seyn, pais ayant osté mon toquest et mon chaperon pour bayser icelles lettres, et moy venant jusques au prez le siege dudict Seigneur, il les prist, et par aprez y avoyr considérez le seel de savoye, se leua de sa chaire et mist les lettres sur table emprez de luy, puis sestant descouvert le chef, salva les dictes lettres avec reverence : alors en fist tout hault la lecteure, et lesquelles lettres navoyent rien de contrayre a ce que javoye predict. Ledit seigneur ensuyte osta de son col le collier de lordre de savoye et layant despozé sur la credence au prez, , il recouvrist sa teste et se remist a siege et me parla dans les termes cy.
Maistre Chablais vous direz a Monsieur le Duc de Savoye que jabandone a luy mes terres doultre Rosne sy plaist a luy de sen saizir, il nen sera de beaucoup pluz riche. Jestime a present ne rien avoyr en pays de son obeyssance, et sans faire mez prix de sa seigneurye, je ne veulx ressortir de mes huy que de lEmpereur et du Roy de France. Mon domicile a touts jours esté ceans comme il est assez conneu de vostre maistre et dun chasquun : mes seigneuryes en ce pays de Bugeix ne relevent que de la Tour du Louvre, et je my compte a labry soubs la souverayneté du Roy, a quy jen ai desja fait adveu par acte dhommage au mois de decembre dernier. Sy Son Altesse de Savoye mavoist donné des charges et honneurs, cestait peust estre un bon effect du ressentyment quelle avait pour mes services, et peust estre aussy par conscience au regard de la duché de Genesvois qui debvroit appartenyr a ceux de nostre maison : je luy delaysse mes terres de Savoye avecque mes services et ses offices, ainsi partant quitte avec luy. À propos de ses lettres clauses, javoye desja faict au Sieur dAlbigny ma response, et c’est à scavoir que sy je veulx presserver ma resputation, il me fault reserver les lettres de Monsieur de Savoye. Au regard du saulve conduit, que vous diroyje ? sinon que de ces trois gentils hommes du pays, qui sont allez par de la sur la foy de leurs saufs conduits, deux ont esté cruellement nasvrez en lhotel mesme et soubs les yeulx de vostre maistre, et l’autre a esté dezcapité bel et bien pour y avoyr creu. Questce a dire, adjourner au consceil de Savoye un Libre Seigneur de lEmpire et Foydatayre de la Couronne de france ? À quelle personne cuydez vous parler ? Et que faict a moy le Baillif de Bugeix que je pourroye fayre chastier sy jen escrivois au Roy ? Il me fault changer de propos pour la reverence que je veux garder a la Souveraine personne de Monsieur de Savoye, pour estre autant que je le suis en l’honneur de sa parenté. Sy quelque aultre nouvelle poursuyte a lieu de son costé, jen sauray faire ma plainte au Saint Consceil de lEmpire, et vous direz par super abundance a vostre maistre que jay saulve garde de l’Empereur, quy est le seigneur souverain de mon dict Sieur de Savoye. Dieu le conserve et vous conduyse.
Par aprez le dict Seigneur me donna la presente lettre, suscripte comme il se void pour messieurs du noble conseil de savoye, laquelle estoit desja comme de présent clause et scellée dun seel armoyrié, ou jay trez bien reconneu les blazons, gardes, cymier, deuise et cry du dict seigneur. Nous despartis et reconduits avec grand honneur et courtoisie comme a larriuée, par grand nombre de gentilshommes et servyteurs de lhostel, le Sieur de Valleton me bailla un gant senestre du Seigneur son Maistre remply descus dor, nous ayant dict le Sieur de Valleton que telle avoist tousjours esté la coustume en la souveraine maison de Foucigny (et mestant doubté que le gant senestre et non pas dextre estoit en signifiance de fascherye contre le maistre de lenuoyé, chose a noter icy pour le profict et maintient de la noble science heraldicque, et qui ne mestoit apparue danz neul ancyen escript, ou par aultre document heraldicque jusques ce jurdhuy). Estant parvenus sur le pont, on treuvasmes les chevaulx, et les aultres de ma compagnie ayant beu, comme on dict, le coup de lestrier, avec les gens dEntre, a grande amytié preuenance et conuiuialité diceulx, il fust delayssé trez noblement aux deux Escuyers et deux Trompettes quatre haults gobelets dargent ouvragez des armes de Lucinge, en lesquels ils avoyent faict rayson, sans quil se fust esmeu de porter aulcunes aultres sanctez que celles de lEmpereur et du Roy Très Chrétien, comme il se conuenoist veu la discordance entres nos seigneurs relatifs, et par aprez, nous ayant cryé largesse et le Cry de Savoye, ceux du chasteau cryerent bonnes nouvelles a la bonne ville, qui est le Cry des Comtes de Lucinge et mesmement des ancyens Princes de Foucigny suyvant plusieurs. À la fin nous despartimes des terres de France, et parvenus a cettuy lieu de Saincte Catheryne aux terres de Savoye, jay escript ce verballe VII de mars MCCII, me recordant des obligation du chrestien, devoyr de suject et foy du serment de mon noble office, pour dire, escrire et tesmoigner la vérité en iceluy verbal, que jay scellé de mes armes et signé de mes noms et titre doffice, les jour et an que dessus et au mesme lieu quil est predict par moy soubsigné,
La conservation de cette pièce a eu pour objet de nous montrer, au moyen du protocole, quelle était anciennement la supériorité du rang qui appartenait à la haute noblesse, même à l’égard des enfans de France (Note de l’Auteur)
Monsieur, ne doubtez point, s’il vous plaist que je ne me conjouysse aveq vouz bien volontiez pour la nayssance de Mademoiselle vostre fille, à quy je souhaitte une aussy prosperre et aussy longue vye que luy peuvent desirer ses plus prosches et plus affectionnés parents. En vous regraciant pour la part que vous m’en avez bien voullu donner, je vous en faits mon compliment très sincerre et vous prie me voulloir tenir pour estre avec la mesme sincerrité, Monsieur,
À Chasteaudun ce 20 d’aoust 1623.
- ↑ Ce document, qui provient du chartrier de Créquy, est d’autant plus precieux qu’il était complètement ignoré des généalogistes, et même du Père Anselme qui n’a pas connu l’existence de la Dauphine, sœur de Simon de Joinville. (Note de l’Éditeur)
- ↑ Le Grand-Prieur de Tessé. Voyez le premier volume des Souvenirs de Créquy, pages 25 et suivantes.