Souvenirs de la Basse Cornouaille/Livraison 2/14


XIV

Jugement de La Fontenelle. — Atrocités de son exécution

Remettons-nous à cette époque, il faut toujours avoir devant les yeux, quand on désire peindre un tableau, le temps, les lieux, l’époque, les gens, les mœurs.

Les esprits, plus calmes à la suite des guerres, jouissaient d’une paix désirée, comme un bon sommeil qui vient réparer les forces après une longue marche, une journée de fatigue.

La nouvelle de la capture du Baron devait donc surprendre et faire grand bruit, surtout à la cour du roi.

Le récit des faits était bien parvenu à la capitale, mais on fait toujours la part de l’exagération, et puis, quand soi-même on n’a pas souffert des crimes que l’on raconte, on n’en voit pas autant l’horreur. La distance, le temps sont des instruments d’optique qui grandissent ou rapetissent.

On fait des héros, on crée des martyrs, là où l’on ne saurait trouver que des événements ordinaires. En somme qu’avait commis La Fontenelle de plus que les autres ligueurs ? El si le roi l’a gracié, que lui veut-on ? Sa vie ignorée, retirée, bienfaisante depuis trois ans doit jeter un voile sur le passé, sur sa vie d’aventure. Cela se disait partout, même à la cour.

Dans quelques années que dirions-nous, si l’on parvient à se saisir du pseudo-malade de Bornemouth, du grand acheteur de conscience que tant de gens ont eu intérêt à laisser dans l’ombre, et pour lequel on a inventé une maladie… Quoi qu’il en soit, admettons le hasard d’un gouvernement honnête…… Ceci pourrait arriver ! Admettons que ce gouvernement fasse subir un jugement à Cornélius Herz, que dirait-on ?

Ne faudra-t-il pas encore des flots d’encre pour raconter l’histoire des méfaits dont on l’accuse, et pour l’aveu desquels on n’aura pas à inventer de tortures, car ils étaient sous la plume de tous nos publicistes plus ou moins reptiles.

L’histoire de ces méfaits, contre lesquels les consciences honnêtes n’ont pas eu assez de mépris serait oubliée. Les générations d’alors n’y croiront plus… et ces tristes aventuriers, imprenables, insaisissables, Cornelius Herz et Arton, ne présenteraient pas la physionomie fière distinguée de Guy Éder.

Que de tristes pensées s’élevaient dans son esprit, dans l’ombre de ce lugubre cachot ? Quelles images du passé à sa mémoire ? Ses premières années à Boncourt ! Ses succès à la guerre ! Son luxe ! Son autorité à l’ile Tristan ! Penmarc’h, Pont-Croix, ne lui causaient aucun remords… Ces hommes de bataille donnent le nom de représailles à ces faits de guerre, il s’en font presque des titres de gloire.

On a parlé du paroxysme de ses colères, oh alors dans ce cachot on les vit éclater… Oh ! la parole d’un roi exclamait-il ? Mercœuvr, félon ! Saint-Luc, perfide ! Ah ! si j’étais libre ! À pas précipités il marchait dans le cachot… Rheunn mon fidèle… criait-il… il donnait des ordres à des soldats imaginaires qu’il entrevoyait dans l’ombre. Hélas tout cela était loin, loin, et il se sentait oublié.

Son esprit surexcité n’éprouvait de moments de calme, que quand la pensée de son frère Amaury et de Marie de Mézarnou, venait s’offrir à lui… Quelquefois, comme le lion mourant, il s’affaissait sur sa misérable couche… Les gardiens terrifiés entendaient ses cris de haine et de colère.

Quelquefois on l’entendait cependant dire : Villerouaut se venge et je ne suis pas le coupable, le plus coupable est La Boule, le traitre qu’on laisse libre, impuni… le traitre, il jouit du pardon du roi, dont la parole devrait être sacrée… et c’est sur moi, que l’on se venge.

Le 14 septembre 1602, on le fit paraitre devant ses juges. L’interrogatoire commence… charges et informations avaient été portées à MM. du Grand Conseil.

On ne put l’impliquer dans la conspiration de Biron ? Restait seulement à parler des traits de scélératesse, non militaires, et non détaillés dans l’amnistie du roi, et ils étalent nombreux.

Le président était Achille de Harlay… et je donne aussi le nom des assesseurs, Potier Nicolas, Étienne Fleury et Philibert Turin, les mêmes qui avaient siégé dans le procès du Duc de Biron et si je les nomme c’est qu’aussi on vit leurs noms dans l’amnistie du roy… et cependant ils étaient juges à ce jour.

L’interrogatoire commence par la reddition de Douarnenez… et l’on vit bien que le florentin, l’oiseau de mauvais augure avait relevé les paroles relatives à Philippe II agonisant.

Dans leurs mémoires, L’Étoile, de Thou, Sully lui-même, affirment que le partisan fut convaincu de relations coupables avec les ennemis de la France, et les Français d’alors ne se seraient pas contentés d’envoyer le juif Dreyfus à la prison de Cayenne.

Enfin on arrive aux faits criminels de cruauté.

On parla des massacres exercés à Tréoultré, à Penmarc’h. On raconta la pendaison de Jean Cosquer, curé de Pouldreuzie, des miliciens de Pont-Croix, on parla du supplice de Lavillerouaut, La Fontenelle se montrait dédaigneux, mais quand on arrive à l’histoire du viol de la marquise Yvonne de Kerbullic, ce fut un coup de théâtre, malgré les gardes qui le maintiennent, Guy Éder se lève… ses yeux lancent des éclairs, il se démène. Oh c’est infâme ! c’est infâme !… À moi soldats, à moi, venez dire à cet homme qu’il a menti… C’est l’infâme La Boule que vous avez et que vous laissez tranquille, oui c’est lui, le seul coupable… De Harlay en vain veut l’interrompre, il ne le put… Non, je ne suis pas coupable du viol, que la Dame parle, que les témoins se lèvent… Sa colère tomba tout-à-coup, il se voyait perdu, déshonoré… il se rassit, se laissa tomber sur le banc dois-je dire, je suis perdu, déshonoré… c’est une vengeance… Tout ce que vous avez dit mérite la mort… J’y souscris… Je ne dirai plus rien… C’est le destin.

On parla des supplices endurés par les notables de Pont-Croix, des eaux glacées, des trépieds rougis sur lesquels il fallait s’asseoir pour avouer qu’on avait caché son trésor.

On parla du vaisseau anglais capturé dans l’Iroise, des marins que l’on avait jetés à la mer et qui criaient grâce. Mais en vain d’autres faits de cruauté furent encore énumérés… N’avait-il pas fait mourir un prisonnier de faim ? Un autre, par un supplice horrible, ne l’avait-il pas gavé, selon l’expression de ce jour, en lui faisant absorber des aliments, en quantité telle qu’il dût en crever sic… Il ne disait plus rien, c’est ma destinée avait-il dit… Tous ces faits furent dénoncés, prouvés.

Et il allait mourir, lui que le roi Henri IV avait gracié. Guy Éder resta impassible quand le premier Président vint lui lire son arrêt à la suite d’une courte interruption.

L’arrêt portait : Que le Baron de La Fontenelle serait appliqué à la question ordinaire, puis à la question extraordinaire… Son corps serait trainé sur une claie dans les rues de Paris, puis roué en place de Grève, pour être ensuite exposé… Il faut remarquer que l’arrêt portait le nom seul de La Fontenelle… en considération de son illustre famille… Le roi permit que le nom de Beaumanoir ne fut pas même cité.

Oui, ce fut un grand coupable, un bandit ne méritant aucune pitié.

Mais rappelons-nous ceci : Guy Éder fut nourri dans les sentiments de la noblesse bretonne, il ne se fit ligueur que par haine de la Réforme… Rappelons-nous que c’est avec regret qu’il vit la fusion de son pays à la France, qu’il en conserva toute sa vie une espèce de rage.

Ses succès le grisèrent. Il devint ambitieux, et l’homme colère, vindicatif, foula aux pieds lois divines et humaines. Fanatisé par le destin, il attendit la mort dans son cachot.

À la question ordinaire, on lui fit subir le supplice des brodequins… Son énergie étonna ses bourreaux… La question des brodequins est atroce, les pieds sont mis dans des brodequins d’airain, et quatre coins soit de bois dur soit de fer, sont frappés avec force, brisent les chairs, les muscles, les nerfs… le sang jaillit des veines… La question extraordinaire n’est pas plus barbare, ce sont quatre autres coins que l’on introduit sous les autres et qui broient les os, mettent le membre en bouillie.

Aucun aveu, aucune parole ne sortit de sa bouche, il ne perdit même pas connaissance.

Ensuite le corps fut jeté dans un dégoûtant tombereau, pour le conduire au supplice… Un prêtre octogénaire l’avait confessé et absous, il l’accompagna dans l’ignoble traîneau… C’était le 27 septembre 1602… La Fontenelle avait à peine 28 ans.

Le cortège arriva en place de Grève, une pluie fine tombait. Ses beaux cheveux blonds que la sueur et les douleurs du supplice avaient emmêlés, se trouvaient collés le long de son large front… Une foule immense, houleuse est sur le parcours… Elle se presse pour voir la figure encore belle… Sur le passage les fenêtres sont encombrées.

Le vieux prêtre ne cesse de l’exhorter, et il semble l’écouter attentivement… Sans sourciller, La Fontenelle regarde la terrible croix de Saint André qui doit terminer le supplice, il ne témoigne aucune émotion… Les bourreaux sont stupéfaits et le vieux prêtre de 82 ans lui dit : Courage, mon fils, ce ne sera qu’un instant, courage… Moi bientôt j’irai vous rejoindre au ciel : que ces mots sont sublimes, le ciel en est le prix. Une dernière fois il lui présente le Christ, sa suprême consolation, Guy Éder l’embrasse avec ardeur et amour.

Les bourreaux le déshabillent en le portant : comment en effet ses pieds mis en bouillie pourraient-ils le soutenir ? Et pendant tout ce temps, son histoire circule dans la foule… C’est Plogastel St-Germain, c’est Penmarc’h c’est Pont-Croix. On exagère, on amplifie… C’est un tigre buveur de sang, un traitre qui a voulu livrer la Bretagne aux espagnols. D’autres parlent de sa naissance illustre, d’autres exagèrent ses actes de bravoure, on parle de son courage de lion.

Enfin dix heures sonnent à l’Hôtel de Ville, c’est l’heure indiquée par le jugement, La Fontenelle est couché sur la croix, ses yeux sont tournés vers le ciel, tandis que la tête repose sur une pierre… Près de lui, le vieux prêtre est à genoux, et sanglote lui-même, tandis que le patient qui n’est pas encore mort, semble jeter un dernier regard sur le passé. Quelques personnes des plus rapprochées, prétendirent qu’il murmura deux mots, qui furent : Amaury : Ma pauvre Marie !

Une lourde barre tomba successivement sur chacun de ses membres, elle les brisa, ainsi que reins… Deux violents coups sur la poitrine furent assénés… il était déjà mort.

Son corps fut délié, porté sur une petite roue horizontale. Le bourreau lui ploya les cuisses de façon que les pieds touchassent au sommet de la tête… On le lia à cette roue et le cadavre resta exposé aux regards du public… La foule eût le loisir de contempler ses restes.

L’histoire du supplice est vraie dans tous ses détails, quant à d’autres faits qui ont été racontés, c’est du roman.

Comment peut-on supposer que son frère Amaury ait assisté au supplice ? On peut bien le croire, et ceci serait possible, les parents de quelques victimes s’y trouvèrent. C’est là une consolation que la vengeance humaine se donne.

Comme nous l’avons dit, Henri IV du vivant même de La Fontenelle donna ordre de raser le fort Tristan, et l’on voit que les garnisons de Quimper, Brest et Morlaix surent bien se charger de l’œuvre, et qu’ils y mirent même des soins, car on ne retrouve plus les traces… aucune même.

Je trouve cependant dans les archives le détail suivant en 1616, le baron Claude de Névet, époux de Françoise de Téal reçut ordre de la régente Anne d’Autriche de fortifier, de rétablir le fort Tristan. Ce baron habitait le château de Névet, sa juridiction s’étendait sur seize paroisses, s’exerçait jusqu’à Pouldavid.

Ces ordres ne reçurent aucune exécution, il n’y en a pas une trace… Quoi qu’il en soit l’ile Tristan a conservé le nom de fort… N’avons-nous pas tous entendu dire… M. de Penanros du Fort pour le distinguer des autres membres de la famille.