Souvenirs de la Basse Cornouaille/Livraison 2/11


XI

Saccage de Pont-Croix

L’échec de Quimper que suivait une déroute sans précédent, fut lamentable. Honteux, silencieux, la tête basse, les routiers rentraient le lendemain au fort Tristan.

Abandonnant sa monture. La Fontenelle se jeta sur son lit en proie à la colère, au désespoir le plus violent. Plusieurs jours il se renferma dans son appartement, ne prétendant voir personne… marchant à pas précipités, on l’entendait blasphémer, maudire la couardise de ses soldats… D’où donc est venue cette panique soudaine incompréhensible, chez des hommes qui ne reculeraient devant rien ? Il y a là quelque chose de diabolique, et cependant ils ne craignent pas le diable. Broncheraient-ils devant lui ?… Oh les lâches, s’écriait-il, ils sont restés sourds à ma voix, et cependant je les ai toujours conduits à la victoire. Comment moi-même aveuglé, ai-je pu les suivre ? Au moins, pouvais-je leur barrer la route ? Quel était le démon qui me retenait ?

Le lieutenant De Romar aussi affecté que le chef voulait briser son épée, s’enfuir de l’ile, avec peine on put le retenir.

Quelques jours se passèrent dans ces idées sombres, dans ce dégoût de la vie… l’esprit agité par les terribles réflexions qui l’obsédaient il rêvait pour l’avenir des représailles atroces, et quand la pensée de ne pouvoir trouver le moyen pour y parvenir lui venait il était exaspéré.

Si Mercœur fait sa soumission, s’il reconnaît Navarre, qu’adviendra-t-il ? Si celui-ci vient en Bretagne avec des troupes nombreuses, il punira, il sera sans merci quand il se verra maître absolu… mordieu, mettre bas les armes, licencier mes compagnons ? impossible ! quelle humiliation pour moi, roi de l’ile, maître de la Cornouailles.

Saint-Luc me le disait bien… retirez-vous dans un de vos manoirs… faites-vous oublier… Le pouvais-je, pouvais-je moi, victorieux me retirer dans un manoir délabré, y demeurer dans l’inaction, ignoré, exécré de tous… oh misérables soldats, lâches compagnons qui avez fui, entrainant vos chefs dans la déroute.

Dans ces moments d’explosion, sa figure atroce de fureur reflétait les sentiments de colère qui l’animaient, on l’entendait blasphémer, vociférer… se croisant les bras : je ne me suis pas vengé de Du Clou ? je n’ai pas repris ma rançon que la trahison seule m’a enlevée ! Oh oui… 3,000 écus et mon honneur.

Soudain, on vient lui annoncer qu’un de ses lieutenants, La Boule, s’est laissé surprendre à Pont-Croix. La vitesse seule de sa monture a pu l’arracher avec quelques cavaliers qu’il conduisait à la maraude, à une captivité certaine, à la mort même ; car Lavillerouaut, gouverneur de la place, a ensuite fait pendre les routiers laissés entre ses mains, et cela sommairement, afin d’effrayer les maraudeurs de l’avenir… Le moment était mal choisi, on attisait le feu de la colère.

Furieux, écumant de rage, Guy Éder sort de son appartement. Qu’on fasse venir La Boule à l’instant, je l’attends de suite ; « je veux que les habitants de Pont-Croix apprennent ce qu’il en coûte de massacrer mes hommes, et nous avons dit combien il était avare du sang de ses soldats.

Ils ont tué mes compagnons ! Ce bourg subira le sort de Penmarc’h, je le jure… en disant cela, ses yeux lançaient des éclairs.

La Boule, dit-il, sans entendre le rapport : fais de suite préparer l’expédition et que ma vengeance soit complète.

La Boule, rapace bandit, homme cupide, avide, voyait combler ses vœux les plus chers… il répond à son chef…… nos hommes aussi veulent se laver de la honte de Quimper, sur ma lame je réponds d’eux, ils feront leur devoir… nous allons marcher dès demain… soyez sans crainte tout sera prêt… armes et chariots.

De Romar seigneur de Murion fut laissé à la garde du fort. De bon matin, les routiers partaient pour Pont-Croix, il n’était nullement besoin de stimuler l’entrain des compagnons, qui tous portaient la tête haute comme au lendemain d’une victoire. Quoi d’étonnant ? L’expédition n’avait pas d’aléa… succès certain, butin immense, sans grands dangers à courir dans une localité ouverte et sans défense… tous le savaient… Jadis Pont-Croix s’enorgueillissait d’un château fort, mais il était démoli depuis longtemps. Des constructions récentes en 1893, ont mis à jour les anciennes douves du château… quelques souterrains y aboutissaient et se voient encore dans quelques maisons voisines avec des escaliers dont les dalles sont énormes.

C’était une noble et illustre maison que celle des seigneurs de Pont-Croix — Les Rosmadec-Tyvarlenn y exerçaient haute et basse Justice… curieuse histoire vraiment que celle de ce grand marquisat… cette histoire est faite mais non encore livrée au public… espérons qu’elle le sera dans un avenir prochain… il me serait ici facile, de reconstituer la lignée, depuis les croisades jusqu’au dernier des Rosmadec-Tyvarlenn.

Cette illustre famille donna plusieurs gouverneurs à la ville de Quimper, et dans la rue des Regaires, il existait un hôtel appartenant à la famille de Rosmadec.

La dernière héritière des biens du marquisat devint marquise de Mollac et cette famille devint seigneur de Pont-Croix… Sous Henri IV, au siège de l’ile Tristan, un marquis de Mollac fut un des plus acharnés adversaires de La Fontenelle, quand il vint de Brest avec le gouverneur Sourdéac. Lors de la révolution, les biens et revenus du marquisat de Pont-Croix étaient du chef de la marquise de Forcalquier, princesse de Canisi.

Les archives de Quimper disent : pour le 3o gouverneur de ce nom — Jeudy 16 février 1730, on installa René-Alexis, seigneur, marquis de Mollac et de Pont-Croix, gouverneur des ville et château de Quimper… etc… il est le parrain de la seconde grosse cloche, nommée Renée-Mauricette, coulée le samedy, 7 du présent mois, 1735, qui contient le poids d’environ 4 240 livres… etc… la marraine était demoiselle de Plœue, dame du Guilguiven… etc.

Bertrand de Rosmadec, fils des barons de Pont-Croix, est considéré comme le bienfaiteur de Quimper dont il fut un des plus illustres prélats… il fit plus de bien à lui tout seul, disent les archives que la plupart de ses prédécesseurs ensemble.

Chanoine en 1408, il succéda à Gatien de Monceau en 1416, d’importantes fondations connues sous le nom d’aumôneries furent créées par lui… j’ai sous les yeux le texte latin qu’il est inutile de donner ici. Je me contenterai de dire qu’il fonda la rente de ces aumôneries… 2 267 écus d’or bons et vieux (boni et veteris) et un petit mouton d’or semblable (cùm parvo mutone auri consimilis) c’était une monnaie de l’époque.

Une léproserie fut installée et agrandie par lui, à l’extrémité de la rue neuve au lieu dit, Penn-ar-Stang… Une chapelle sous le vocable de la Magdeleine aussi à Penn-ar-Stang, elle s’y trouvait il y a quelques années. Le palais épiscopal subit beaucoup de réparations, Lanniron, propriété des évêques de Cornouailles fut aménagée… La nef de la cathédrale fut construite et le portail fut fondé en 1424, et le jour du 25 juillet fut terminé. Habitants de Quimper, quand aux grands jours de fête vous entendrez le tintement sonore de la cloche le Bertrand, rappelez-vous qu’elle fut donnée par ce fils des barons de Pont-Croix, Bertrand de Rosmadec. Ce saint évêque, riche d’autres bonnes œuvres, mourut à Quimper : il est inhumé à la cathédrale et son tombeau s’y trouve encore… on y remarque les armes de la famille, un lion rampant.

Un descendant de cette illustre famille existe encore à Versailles, il y a quelques années, il est venu visiter le berceau de la famille…

À l’époque dont nous parlons, 1597, le gros bourg de Pont-Croix était sans défense et le sire de Lavillerouaut était à la tête de la milice… La veille de l’arrivée de la Fontenelle, il avait épousé une riche héritière de la contrée… Yvonne de Kerbullic (ce doit-être probablement Kerbellec, mais je suis le chanoine Moreau).

Le jour des noces, un curieux incident survint aux pieds de l’autel… comme le prêtre officiant donnait à la jeune fille émue, le titre d’épouse, une vieille femme s’approcha, frotta le front de la jeune fille avec l’eau que contenait une fiole, disant : « Itron Villerouaut, dour feunteun Kérinec, om laka da vervel, ar stad ar c’hras. » Madame de Lavillerouaut, l’eau de la fontaine de Kérinec fait mourir en état de grâce… Amen répond le jeune chef en repoussant la bourledenn… Je l’ai dit c’était la veille du massacre de 1597, un lundi probablement, puisque la veille, le dimanche, le gouverneur avait fait pendre les soldats de La Fontenelle… ce qui lui coûta si cher.

La Fontenelle arrivait subitement, il ne put empêcher l’annonce de son arrivée. Les paysans affolés accoururent donner l’alarme, criant (ar blei, ar blei) le loup, le loup.

L’écho répétait ces cris, quand le son strident de la fameuse trompe retentit… La panique devint générale… à la hâte quelques barricades furent crées, mais pauvres gens que pouvaient-ils, contre ce fléau dévastateur de la Cornouailles entière.

Beaucoup des paroisses environnantes et du Cap Sizun, prévoyant l’arrivée du partisan s’étaient réfugiées à l’abri des canons de Brest, mais la plus grande partie des habitants de la contrée, avaient cru mettre leurs richesses à l’abri, dans le clocher de N.-D. de Roscudon (voir notice N.-D. de Roscudon). Cette église collégiale, si élancée et si belle, fut fondée par les seigneurs bannerets de Rosmadec Tyvarlenn… Nous savons qu’à ces époques troublées, les églises étaient toutes fortifiées. Il en était de même à Tréoultré à Penmarc’h.

Hardes, bahuts, encombraient la tour, et Guy Éder n’avait pas tort de compter sur un riche butin.

Partie de l’ile Tristan, la troupe fit d’abord route au grand complet par le chemin tracé à Comfort… Un vieil auteur de l’époque, nous dit, que cette route était déjà tracée par Pont-Croix et Audierne, mais on lui donnait le nom de chemin de Quimper, longeant la voie romaine au lieu dit, Lochrist, où se trouvait une chapelle dont nous avons vu les ruines.

À Lochrist, la troupe se scinda, une partie descendit vers les rives du Goyen, deux autres bandes sous les ordres de La Fontenelle lui-même prirent par le nord, passant par les hauteurs de Kérudullic, après avoir suivi la voie romaine qui se trouve dans le vallon. Rien d’étonnant dans cette bifurcation à ce petit hameau, situé à 3 kilomètres de Pont-Croix, village très ancien, où avait lieu une réunion renommée, près de la chapelle qui n’existe plus… c’était là que se faisait autrefois la vente des chevaux gras de Cap Sizun. Jusqu’en 1835 elle s’y maintint, je ne saurai dire comment, ni par quel arrangement, elle fut transférée à Quimper, où elle devint la foire renommée du 15 avril… Sur cette place de foire, encore en ces derniers temps, une place est réservée aux chevaux gras du cap Sizun, qui avaient là une place réservée, avec une affiche spéciale… Chevaux, race du Cap… était-ce par suite d’un arrangement, d’une entente avec les producteurs, alors renommés dans le pays, auxquels on enlevait la foire de Lochrist, je n’ai pu le savoir, je constate le fait, tout en déplorant comme les autres la perte de cette excellente race.

La troupe qui descendait vers le Goyen, et qu’un lieutenant commandait, avait plus de chemin à parcourir. La route que nous avons vu tracer n’existait pas encore… ils prirent par le vallon, dédaignèrent Lanviscar, alors peuplé de tailleurs pauvres. La troupe se concentra aux moulins des seigneurs de Pont-Croix, qui existaient alors au bas des prés, que le Goyen inonde tous les hivers… La route actuelle qui y confine se nomme encore Pont-ar-veil-Goz… pont du vieux moulin, c’était alors l’aval du canal où plus tard on construisit un nouveau moulin. Ce canal forme une ceinture aux pieds de la ville qu’elle baigne dans toute la longueur du canal, jusqu’à l’endroit qui prend le nom de tête du canal… Pen-ar-c’han, tête du canal.

La troupe gravit les coteaux boisés de Poul-ar-c’hantic, débouchèrent à l’endroit nommé Toul-Ker. À ce point les bandits trouvèrent les premières barricades, mais que pouvaient les pauvres habitants ? Ce fut un massacre de tous ceux qui faisaient mine de se défendre. Les fuyards de la vaste place allaient se jeter dans la gueule du loup, car la Fontenelle arrivait par le nord, et ne faisait pas quartier.

La place actuelle si bien aplanie en 1825, était alors couverte d’énormes amas de rochers, dans les interstices desquels plusieurs voulurent se cacher… mais on leur fit une chasse sans merci ; il en fut de même dans l’endroit que l’on nommait la Butte que plusieurs ont vu détruire, là était l’emplacement du château fort dont on a retrouvé les douves en 1893, C’était un amas de broussailles et de ronces… La plus grande mêlée se trouva à l’endroit que l’on appelle depuis, rue Chair. Là le sang coulait, et ceux qui connaissent la pente du terrain peuvent s’en rendre compte… C’était alors une côte abrupte et le pavage n’existait pas ? puisqu’il ne date que de 1825… Les cadavres furent roulés jusqu’au bout du canal, à Penn-ar-c’hant tête du canal la marée enleva les morts et les mourants. Il en fut de même à l’endroit de la petite rue Chair, qui a conservé le nom.

La Fontenelle nous l’avons dit, avait pris par le côté nord, longeant les poullou, qui ont donné le nom au boulevard du Poullou… c’était des marécages. Par cet endroit on arrivait à l’endroit fortifié, N.-D. de Roscudon.

Les terrains avoisinants l’église étaient alors découverts, quelques jardinets, quelques champs, formaient alors l’emplacement de ce magnifique enclos que nous connaissons, on y voyait quelques maisons, devant donner logement aux chanoines de la Chapellenie. Pont-Croix jusqu’à la révolution ne fut qu’une trêve de Beuzec.

C’est en 1610 que l’on construisit le couvent des Ursulines que l’on désaffecta en 1793, après en avoir expulsé les religieuses qu’on laissa vivre à Pont-Croix… c’est dans ces bâtiments, que l’on installa en 1816, le petit séminaire actuel, magnifique établissement qui s’agrandit tous les jours et que nous nommons le collège.

La rue adjacente conduisant à l’église a conservé le nom de rue du Couvent, et l’entrée de l’avenue de la gare a conservé le nom de coin de l’enclos.

Il n’y a rien d’étonnant dans cette digression pour un enfant du pays, et elle donne exactement la situation des lieux par lesquels le partisan dut passer.

La Villerouaut et les invités du mariage seigneurial allaient se mettre à table, quand les premiers fuyards vinrent donner l’alarme… Les gens de la noce n’ont que le temps de se réfugier dans la tour fortifiée… nombreux miliciens les suivent et se barricadèrent à la hâte.

Parmi les notabilités, se trouvait Messire Jean Cosquer, natif de Pont-Croix, mais curé de Pouldreuzic… probablement il était l’officiant du mariage de la veille.

Le chanoine Moreau, curé de Beuzec dont la chapellenie de Pont-Croix, n’était qu’une trêve, nous dit dans sa chronique. « Messire Jean Cosquer était homme capable et de bonnes études… » c’est tout ce qu’il en dit.

La tour était facile à défendre, un simple escalier en spirale y conduit et se voit encore… il ne peut donner place sage qu’à une personne Jean Cosquer soutenait le courage de tous, et il était impossible de se rendre compte des premières tueries exercées à Toul-Ker et à la rue Chair.

Arrêtez, soldats, avait dit le partisan… ne montez pas à cette maudite tour… assez de morts comme cela, il faut que Pont-Croix boive le sang de ses enfants, et le rusé partisan s’approcha employant à distance le même système qu’à Tréoultré en Penmarc’h… il avait vraiment étudié Tite Live. Qu’est-ce dit-il ? On me résiste à Pont-Croix, mes soldats y sont tués, mon nom y est maudit ? et si pour subvenir aux frais énormes de la guerre en faveur de la Sainte-Union, le pauvre Guyon vous parle d’une modique contribution, vous chassez mes employés, pire que cela vous les pendez ! Aveugles et insensés qui en voulez à ma bannière, qui ameutez contre mol les paroisses environnantes, vous agissez mal vraiment… Guy Éder de Beaumanoir est votre allié naturel… Tanguy de Rosmadec, de vos illustres marquis, n’a-t-il pas en 1561, épousé une Marguerite de Beaumanoir quelque peu ma cousine… allons montrez donc vos visages.

Personne ne se montrait aux galeries. Quelques instants de silence se firent, et ils essayèrent une fois le tour de l’édifice, firent en sorte d’ouvrir les portes barricadées à l’intérieur, quelques habitants renfermés dans la chapelle de la Madeleine y furent renfermés, cette chapelle située au nord d’ouest du cimetière, dans l’angle, n’existe plus… Les archives de la mairie disent qu’elle fut abattue en 1793, pour cause de vétusté et menaçant ruine… Les soudards essayèrent ensuite d’enfoncer la porte près de l’enfeu, non loin des orgues et donnant sur le cimetière… on l’appelait la porte des lépreux… Celle-ci était éloignée des meurtrières, néanmoins quelques arquebuses pouvaient atteindre… allons continua Éder, je vous donnerai un passe pour venir librement ramasser des coquillages sur les rochers de la côte.

Le silence continuait toujours… puisque cela ne sert de rien, dit La Fontenelle, je viendrai bien à bout de vous, à deux reprises on fit le tour du clocher… quelques coups d’arquebuse ayant blessé des soldats, ce fut une explosion de colère… à la fin une porte fut enfoncée, et il donna ordre de faire avancer les charrettes à pillages, pleins de fagots, de genets verts, landes sèches et vertes, car tout avait été prévu.

Le tout fut engouffré dans l’église, dans le sanctuaire. Le maître autel fut profané… l’incendie fut allumé, une fumée épaisse s’élança par toutes les issues, on avait hermétiquement fermé les portes.

La fumée salissait le ciel, empoisonnait l’air. Le long des colonnes la flamme s’élevait, une dizaine de chariots avaient été chargés de combustibles, un peu partout, le long du chemin, dans la ville, quelques habitants furent asphyxiés dans les escaliers de la tour. À trois reprises différentes, La Fontenelle cria « Lavillerouaut, viens traiter avec moi de la vie des braves qui sont sous tes ordres.

Un homme descend enfin porteur d’un message… après quelques pourparlers bien brefs, il fut convenu « que le gouverneur, sa femme, messire Cosquer, etc, etc, sortiraient avec vie sauve, et seraient conduits hors de tout danger… ce fut solennellement que La Fontenelle confirma.

Le premier, le gouverneur descendit, suivi de tous les autres. Lavillerouaut s’inclina fièrement devant Guy Éder… mais celui-ci violait déjà le traité en ordonnant le pillage.

Ne me remercie pas encore dit ironiquement. La Fontenelle, tu peux te préparer à mourir… mes hommes, tu les as fait pendre sommairement, le sang veut du sang, c’est l’évangile du baron de l’ile Tristan… et puis n’êtes vous pas tous pour le Béarnais, huguenot quand-même.

Messire Jean Cosquer atterré, prononce le mot… parjure. Quand à vous prêtre, ne vous moquez pas, et commencez si vous le voulez bien, à leur tirer le diable du corps par la confession, à la potence vous irez, vous avec les autres, et des premiers, vous avez excité vos hommes contre moi, tous, oui tous je le vois, n’entendez-vous pas les morts qui crient vengeance… Oh ! cela ne tardera pas, croyez le bien… allons, allons vite, dites vos litanies et soyez brefs… Lavillerouaut voulut s’élancer, mais désarmé, on le lia à un arbre, tandis que la jeune femme jetait des cris suppliants, ces cris désespérés n’émurent pas les soudards, qui avaient autre chose à faire.

Jean Cosquer curé de Pouldreuzic, fut incontinent hissé à une échelle et pendu haut et court. Sommairement on procéda près des miliciens… et le lieutenant La Boule l’âme damnée, riait aux éclats, criant au pied du gibet : « Le prêtre ne fait pas trop de grimaces pour un corbeau, » et les soudards sans cœur, à son exemple insultaient, couac, couac, couac… mais la victime n’entendait plus… il était là, la langue dehors, ballottant dans l’espace.

Allons, sire gouverneur, dit l’infâme lieutenant vous aurez fait pendre mes compagnons de dimanche dernier, la veille de vos noces, vraiment… allons, votre tour va venir, et sang Dieu, votre gavotte ne sera pas gaie, pas aussi gaie que celle de vos noces, et les soudards pendaient sans relâche… évidemment la place actuelle avait quelques arbres, comme cela se rencontre encore, à l’entour des sanctuaires vénérés, là où se rassemblent les pardons, peut-être, et c’est l’avis de quelques-uns, la scène se passait-elle dans le cimetière adjacent.

Toujours la visière baissée, Guy Éder assistait impassible, sa haute taille dominant la foule.

On a dit qu’une vengeance personnelle l’animait contre Lavillerouaut et cela depuis le collège de Boncourt, où ils se seraient connus, mais le gouverneur de Pont-Croix, était plus âgé de quelques années, il faut que ce soit du roman, et je tiens à raconter les faits, tels que l’histoire les a conservés, à la suite du procès de 1602, à Paris, où la dame du seigneur fut le principal témoin, et a donné le détail de cet horrible drame.

Reportons-nous à ce moment terrible… une fumée épaisse enveloppe la place, le sommet de l’église profanée est sous un nuage… Des pillards descendent de la tour chargés de butin, et tout s’empile dans les chariots dégarnis de la paille, des landes, des genêts empilés dans l’église… le bruit est effroyable, sinistre, une soldatesque ivre, hurle, insulte les pendus, dont les cadavres ballottent dans le vide, au-dessus des têtes… Des brocs de vin, d’hydromel circulent à la ronde et proviennent des maisons pillées… à tous moments, le cri, vive le Baron de La Fontenelle se fait entendre… celui-ci inflexible et morne, reste les bras croisés… on sait que c’était sa pose favorite.

De sa voix forte il crie… Tous ici vous êtes traitres à votre partie… vous avez forfait à l’honneur… aucune loi ne saurait vous protéger, ne saurait protéger des traitres à leur cause et à Dieu, repentez-vous… si un serment a été surpris à ma clémence, je m’en suis allègrement dégagé, j’en avais le droit. Sus, sus, soldats de l’union à sac, à mort, et que Dieu nous protège.

Un hurlement de bêtes fauves échappées répond à ses cris et blasphèmes.

Toujours maintenu vivant, le pauvre Lavillerouaut, voit ces horreurs, comprend tout, et ne quitte pas des yeux sa pauvre Yvonne… La pauvre demoiselle de Kerbullic, jeune femme de la veille, ne peut plus qu’éclater en sanglots, entrecoupés de cris déchirants, on la maintenait contre la muraille, elle ne s’aperçut pas que des mains impudiques arrachaient son collier d’or et de perles… elle était insensible. Mais hélas ! ce n’était pas la fin de ses douleurs et de ses hontes.

Il est rapporté que La Fontenelle, éprouva un moment de pitié, à la vue de tant d’infortunes… exista-t-il ? alors ce ne fut que l’éclair d’un moment… L’infâme La Boule, par quelques mots à voix basse fit taire cette impression d’un moment. Guy Éder s’écartant de cette scène d’horreur, va activer le pillage, et donner un coup d’œil au butin.

Pendant ce temps, l’ignoble lieutenant, salissait de ses étreintes, la pauvre femme garrottée à demi-morte, incapable de se défendre, et cette infamie se commettait sous les yeux de l’amant de la veille… Lavillerouaut, eut aussi avant de mourir, la douleur de voir la soldatesque effrénée et ivre, s’assouvir de luxure sur la pauvre victime. Tous ils se livrèrent aux derniers outrages. Tout ceci a été confirmé en 1602.

Devant la haute cour, on ne put accuser La Fontenelle, de viol jusqu’au dernier moment il s’en défendit énergiquement. Qu’on le lise au chapitre dernier de ce livre… La Boule avait le sourire aux lèvres, en invitant les soudards à se succéder.

Se promenant à grands pas devant ce bel édifice, dont la fumée sortait encore, Guy Éder donne à ses bandits rassasiés, l’ordre de mettre fin à ces horreurs… Le butin fut immense, on le compta après le saccage des maisons et de la tour… Ce ne fut qu’au dernier moment qu’on donna le coup de grâce au gouverneur.

Ensuite le chemin fut repris par Poullan, on y allait plus lentement car l’on était fatigué, plusieurs misérables trébuchaient dans les ornières… si l’on allait plus lentement ce n’était certes pas pour ménager les forces des infortunés enchaînés trainés à la suite… Les pauvres bourgeois et notables mouraient de faim et la soif les dévorait.

Le chanoine Moreau, vous dira dans le vieux style du temps, l’histoire des tourments endurés par nos pauvres ancêtres… Ceux qui purent payer une forte rançon furent relâchés, les autres périrent dans les cachots infects, dans des sentines immondes, quelques-uns expirèrent dans des tourments, de tonneaux remplis d’eau froide, d’autres furent assis sur des trépieds rougis au feu.

Quand on reconstruisit le presbytère actuel, quelque distance du clocher, d’immenses amas de cendres et de bois carbonisé furent trouvés et découverts… on ne pouvait leur donner d’autre origine que l’incendie de 1597. On ne trouva aucun ossement, et nous avons déjà dit que morts et mourants furent roulés à la mer qui les emporta.

Trop ivres pour suivre leurs compagnons quelques soldats restèrent après le gros de la troupe, ils purent jouir du spectacle de cette désolation.

Triste spectacle assurément dont il est facile de se rendre compte : flaques de sang dans les rues, lambeaux de vêtements, portes brisées ou entr’ouvertes… Quelques femmes, quelques enfants avant pu se cacher dans les souterrains, ou ayant été épargnés, non par clémence, mais par lassitude… Tableau sinistre assurément… On devait y voir quelques animaux errants dans les rues désertes, des chiens hurlant aux portes des maisons vides et appelant leurs maîtres disparus.

Je me trompe cependant : pendant deux jours consécutifs, et tandis que les derniers soldats se gorgeaient encore, une femme pâle, échevelée, se trainait plutôt qu’elle ne marchait sur la place de l’église, sanglotant et pleurant, elle appelait au secours sous le gibet de Lavillerouaut, là, les mains croisées en signe de désespoir, elle donnait à son mari les noms les plus doux… La pauvre Yvonne de Kerbullic était folle, des chants étranges sortaient de sa bouche… Elle suivit les soldats jusqu’à la plage de Tréboul, les suppliant de lui rendre son cher mari. Un jeune pêcheur de Tréboul la recueillit, elle était près de mourir.

Elle n’en mourut pas cependant, on la verra un jour principal témoin au procès de 1602… N’y voyez-vous pas comme moi, la main de Dieu… Qu’ils dussent être tristes ses souvenirs, toute sa pauvre existence.

Quant à La Fontenelle, il n’en mourut pas non plus. Eh quoi, disait-il en riant… eh quoi, Mercœur me garderait rancune pour tout cela… Eh bien vraiment ! Que lui se souvienne de Locpéran… Là-bas, on se souvient bien de l’humanité du beau Duc, sur les bords de la Loire.

Le 15 juin 1596, quarante jeunes filles, poursuivies par lui et les siens, se jetèrent à l’eau, pour mériter les protections de la Vierge, qu’elles implorèrent en vain… Oui, elles échappèrent à la mort, mais aucune au déshonneur. Vraiment, chers compatriotes qui me lisez, avouons que les gens de la Sainte Union, les prétendus défenseurs de nos droits et principes religieux de cette époque n’y allaient pas de main morte…

J’ai consulté les archives de Pont-Croix pour l’année 1597… Elles donnent seulement une interruption de quelques semaines dans les registres de baptêmes. C’était alors, en mauvais latin, qu’on a mille peines à déchiffrer que se tenaient les registres de l’état civil… Des signatures accompagnées de monstrueux paraphes, défigurent la page, maintenant c’est encore la mode de signatures illisibles par fantaisie.

Il est étonnant qu’on n’ait pas conservé la mémoire dans le pays… Aucun souvenir n’est resté, aucune légende ne s’est faite parmi les générations qui nous ont précédées… seul le nom de La Fontenelle est resté, symbole de cruauté, de parjure et de perfidie.

La seule histoire qui se raconte, et que nous avons nous-même entendu narrer souvent, est que les mécréants arrivèrent un jour d’assemblé, que les cloches de N.-D. de Roscudon se mirent à tinter d’elles-mêmes, sans qu’une main d’homme eut besoin de tirer la corde… Oui, mais cette histoire se raconte aussi à Penmarc’h, et nous avons dit dans le chapitre qui a trait à cette épisode, que quelques jours avant le massacre de Tréoultré, l’aventurier de l’ile Tristan avait fait une apparition de quelques heures, c’était un jour de fête, où paysans et bigoudènes de la contrée se livraient aux danses et aux jeux.

Quelques jours après, il jouait un tour de sa façon, et ne dansèrent pas une gavotte aussi gaie… c’est la musique de La Fontenelle.

NOTA AU SACCAGE DE PONT-CROIX

Un vieux prêtre de ce pays me racontait ceci : Le curé de Pouldreuzic, que l’on fit pendre un des premiers, avait entonné l’hymne Audi benigne conditor… il est probable qu’il ne put l’achever, et qu’il ne put amener… amen… Cela était-il resté dans la mémoire de quelques-uns des otages qui reviennent de l’Ile Tristan, après paiement d’une forte rançon ? Les otages furent pris parmi les chanoines de la chapellenie car Messire Jean Cosquer fut le seul prêtre sacrifié… J’ai consulté les archives, et les prêtres étaient nombreux alors desservant l’église. Voici les noms que je trouve en 1598, après le passage du partisan…

Cosquer il signa quelquefois Cosker, Helgouarc’h, Alanus, Gargadennec, Tanguy, Fily, Philippe, Cornou, Kergroix Capellanus… ensuite Vigourous.

Parmi les noms des habitants les plus communs, je relève… nobilis vir, noble homme Roupiou, Le Bars, Godek, Lagadek, Plouzenneck, Deuflik, Killivik… etc… Coadou, Gargadennek, Hascoët. Souvent le nom de Bougeant se présente à cette époque dans les archives, ce qui me donne à penser, que le célèbre Père Bougeant, jésuite, dont les écrits sont si remarquables et dont quelques-uns ont été censurés, devait provenir de cette famille de Pont-Croix.

Les notices, les dictionnaires biographiques le donnent cependant comme natif de Quimper, ainsi que le célèbre père Hardouin… Mais celui-ci a longtemps conservé de la famille à Quimper.

Plusieurs de ces noms de 1597 sont encore portés par des familles de la ville, mais l’orthographe bretonne a été francisée.

Ainsi on trouve, Gargadennec, Lagadec, Deuflic, Godec… le c a pris la place du k, que la langue latine ne possède pas. Killivik se trouve francisé de la manière suivante : Quillivic, nom très commun à Pont-Croix et aux environs.

En faisant ces recherches, en recherchant ces noms dans les archives, je les ai déchiffrés au moyen de la loupe, car l’écriture de l’époque était à la transition de l’écriture gothique à l’écriture actuelle.

Je crois faire plaisir à mes compatriotes, en indiquant encore les noms relevés à cette époque, parmi les notables :

Costry, Goraguer, Puzelat, Salaün, Guosguen, Cazariel, Ogant, Dagorn, Joannès, Conan, Gallou, Coatguiriou, Louarn, Cosquer…

Il y en eût parmi les otages probablement.