Souvenirs de la Basse Cornouaille/Livraison 2/09


IX

La Fontenelle fait prisonnier à Kerguélénen

Je m’étendrai un peu plus longuement sur l’épisode qui suit, car il a donné lieu à de nombreux commentaires. On blâma beaucoup le délégué du roi à Quimper, dans les circonstances suivantes.

S’emparer de Guy Eder, n’était pas chose facile, combien cependant les royaux eussent désiré le faire prisonnier !

Les populations étaient terrorisées, beaucoup de malheureux avaient été réduits à chercher refuge dans les bois, dans les creux de rochers… mais que pouvait-on ?

Mercœur avait bien fait une trêve, on sait que cela importait peu à La Fontenelle qui n’allait qu’à sa guise.

Les troupes royales restant sur la défensive, le baron de l’île Tristan ne sortait pas de son repaire imprenable.

Il ne sera pas facile de me déloger de mon nid, qu’ils viennent, je les attends, voilà ce qu’il ne cédait à personne. Je défie les troupes de Quimper et des autres villes.

L’ennui de ne pouvoir batailler le poursuivait, il eut désiré prendre l’offensive, et se disait…, Comme je n’ai rien à redouter dans mon royaume, il me serait bon d’entretenir de nouvelles intelligences avec la place de Quimper.

À Kerguélénen, poste fortifié, poste d’avant-garde, pour la garnison de Quimper il y avait un commandant de troupe qui n’était pas breton, et ce château de Kerguélénen est situé entre Douarnenez et Quimper… Une attaque de cette position était inutile, c’était donner l’alarme aux royaux nombreux qui seraient arrivés de Quimper, car là aussi on était prêt.

Le commandant de ce poste avancé s’appelait Du Clou il était à la tête d’un régiment poitevin, de l’armée du roy en Bretagne… Ce commandant à tort ou à raison, ne passait pas pour avoir la confiance de d’Espinay de St-Luc envoyé extraordinaire du roi, qui l’y maintenait cependant, et il faut le dire, à ces époques troublées, il était difficile de savoir à qui donner la confiance, dès lors que la place de Quimper elle-même était mal affermie.

Du Clou, le poitevin, avait eu au temps jadis différentes relations, assez suivies même avec le lieutenant Kervel, qui nous le savons guerroyait pour La Fontenelle et avec lui, car il commandait l’avant-garde.

L’idée vint au baron de l’ile Tristan, de profiter de ces anciennes relations, pour savoir de Du Clou, dans une entrevue nocturne, quelle était la situation exacte de la place de Quimper… il en connaissait bien l’esprit, mais ignorait le nombre de troupes renfermées dans la ville à ce moment.

Rheunn, de Poullan, ami dévoué du partisan, et son confident, lui avait dit souvent et souvent :

Kervel est traître, n’ayez en lui aucune confiance.

La Fontenelle s’en défiait bien, mais il l’avait mis à la tête de son avant-garde, tout en le surveillant : il l’avait entouré de vieux ligueurs éprouvés, et s’il gardait le lieutenant c’est que Kervel, homme farouche, était un épouvantail pour les populations, et son intérêt le maintenait du parti de la ligue.

Kervel me craint, disait Guy Eder, il n’ignore pas que mon poignard saurait l’atteindre en cas de trahison, n’importe où… bah le destin est là, j’irai quand même… ses idées de prédestination ne le quittèrent jamais, on le verra jusqu’aux derniers jours de sa vie.

Kervel est prévenu de se rendre au fort, pour recevoir des instructions. Ménagez-moi, lui dit le chef, une entrevue avec votre ancienne connaissance Du Clou, faites adroitement, j’ai besoin de lui… usez de promesses d’argent, il ne résistera pas à ce nerf de la guerre.

Ce fut une affaire entendue, et Kervel s’introduisit à la nuit à Kerguélénen… Comment remplit-il sa mission, ce fut un secret : et les actes de vénalité étaient si communs à cette époque que rien ne doit étonner, l’intérêt étant le seul guide, quand il y a plusieurs partis en présence.

Le lendemain Kervel revenait au fort avec une lettre ainsi conçue :

Monseigneur et ami, Baron de
La Fontenelle,

« C’est avec plaisir que je vous donne des nouvelles de nos conventions avec les compagnies de Quimper ; j’en ai grâce à Dieu de bonnes à vous donner. Tous nos amis de la baie ont fini par décider un coup de main, je n’ai plus qu’à m’entendre avec vous sur quelques détails nécessaires pour les fins desquels je vous donne pour demain rendez-vous demandé, une entrevue, à mi-voie du fort et du manoir de Kerguélénen. Du matin et seul… Dieu vous garde. »

Du Clou,
Commandant du régiment poitevin
de l’armée du roy en Bretagne.
Kerguélénen, 15 Juin 1596.

La Fontenelle comprit bien ce que cela voulait dire, car il dit à son lieutenant… je me mets en route vers minuit.

Du Clou prévoyait-il la fin prochaine de la ligue, puisqu’il y avait trêve, croyait-il faire meilleure affaire en se rattachant au parti royal, en se mettant en plein dans les bonnes grâces de d’Espinay de Saint-Luc, envoyé royal.

Quoi qu’il en soit, il allait trahir le partisan, car dès le soir, il avait soin d’apposer une trentaine d’arquebusiers, cachés le long des haies.

À la pointe du jour Du Clou se rend à l’endroit désigné. Guy Eder, suivant les conventions, n’avait que son lieutenant La Boule… Les deux chefs s’avancent à cheval, se saluent, s’embrassent et descendent pour s’entretenir… par quelques paroles, Du Clou distrait Guy Eder, c’était sur la situation de Quimper et cela le préoccupait… soudain de la haie les quinze soldats se lèvent, le partisan, étonné, surpris, ne peut saisir son épée, malgré sa force prodigieuse, il est tenu en respect, désarmé, garrotté, tout était préparé d’avance.

La Boule épouvanté n’a que le temps de s’enfuir, on ne songeait pas à lui, on en voulait au chef, le lieutenant rentra au fort Tristan.

La Fontenelle garrotté est conduit à Quimper. Sur le parcours on n’entend que des cris de mort, de triomphe, on pourrait au moins reposer.

Fier et hautain dans ses entraves, Guy Eder ne perd pas courage il avait la visière baissée, et l’on pouvait juger des sentiments qui l’animaient… chacun aussi peut se rendre compte du jeune âge du bandit qui est la terreur de toute la contrée.

Ce traître de Kervel devait me porter malheur songeait-il… ah si je tenais Du Clou, traître et félon.

La foule se rassemble, et d’Espinay de Saint-Luc, est aussitôt prévenu de la capture… c’est en cet envoyé du roi, que le chef des ligueurs qui sont en trêve ailleurs, met son espérance.

Ordre est donné aussitôt par le délégué du roi, de soustraire le captif à la fureur du peuple, qui menace, d’autant plus fort qu’il n’a rien à craindre.

Faites bonne garde près de lui, dit le gouverneur, vous savez à qui vous avez affaire… recommandation inutile… La garde est triplée, le loup ne pourra pas sortir de la cage, dont il voudrait bien briser les barreaux ; mais hélas impossible ; il ne pourrait en sortir, sa ruse ne servirait de rien aujourd’hui, peut-il invoquer la trêve lui qui ne l’observait jamais ?

La nouvelle de la capture apportée à de Saint-Luc, lui occasionna une grande joie, mais quand il connut la manière dont on s’était servi pour s’en emparer, il ne sut cacher son mécontentement… c’était un guet-apens, et cela n’allait pas à sa nature loyale de vrai soldat.

De Saint-Luc, était un type parfait de cette antique aristocratie de noblesse et de manières… de très haute mine, il avait excité l’envie dans le palais du Louvre… on était fier, quand on le voyait à la tête de ses hommes d’armes, rehausser son panache blanc. Ancien favori de Henri III, courtisan habile, il avait une très grande valeur, mais il était plus habitué de la cour que des camps… Navarre l’avait distingué à la bataille de Courtras, l’avait fait chevalier de ses ordres, lui avait promis de le nommer grand-maître de l’artillerie, aussitôt que cette place deviendrait vacante… Le Béarnais l’avait envoyé en Cornouaille, avec tous pouvoirs ; il savait que le maréchal d’Aumont l’avait laissée peu affermie dans l’obéissance, et l’on voulait savoir à quoi s’en tenir.

Avant de se rendre à Quimper, il passa quelques jours à Rennes, comme tous les autres grands seigneurs de l’époque, il était joueur. Dans cette ville il avait contracté une forte dette de jeu. Chacun le savait, et lui aussi était désireux d’éteindre ce que l’on appelle une dette d’honneur. Comme la ligue était à sa fin, il répugnait à de Saint-Luc, de livrer à la justice, un homme comme La Fontenelle déplorerait les cruelles expéditions de sa jeunesse, et mettre le roi de l’ile Tristan, entre les mains de la justice du parlement, c’était l’envoyer à une mort certaine : bien que dans tous les partis, il y eut à se reprocher bien des écarts, mais pas d’aussi grands. Un motif existait bien, mais personnel de jalousie : La Fontenelle était le cousin de Lavardin, et celui-ci, malgré les promesses du roi, avait pris la place promise de grand-maître de l’artillerie… Cette vengeance personnelle était indigne d’une âme noble et loyale comme celle de Saint-Luc… en vain l’aurait-on fait valoir.

Songeant cependant aux souffrances de la Cornouaille, les sentiments généreux qu’il éprouvait, venaient lutter contre des sentiments de rigoureuse justice… Son premier mouvement avait été de remettre le jeune partisan en liberté… N’avait-il pas lui aussi rendu la liberté à Du Granec.

La trahison seule a mis entre nos mains, se disait-il, un homme brave, mais qui n’est qu’égaré, un chef qui pourrait revenir à des sentiments meilleurs, devenir un capitaine loyal, dévoué. Les ordres de clémence du roi sont formels : « Soyez surtout cléments, n’oubliez pas que les ennemis qui restent encore sont des français, et je suis le père de tout le peuple.

Il raisonnait juste le comte de Saint-Luc, mais les ligueurs avaient-ils prouvé qu’ils étaient bons francais quand ils proposaient la couronne au roi d’Espagne.

Cette proposition fut soumise au parlement, et cette grave assemblée s’indigna, et déclara formellement que la couronne de France ne pouvait appartenir à un souverain étranger. N’en est-il pas cependant de nos Jours qui ne raisonnent pas avec plus de patriotisme… rien de nouveau sous le soleil.

D’autres raisons militaient encore dans l’esprit de l’envoyé du roi… Dès la première entrevue avec le partisan, Saint-Luc, songea à rendre la liberté : il était soldat, il aimait les gens de guerre… Que dirait-on dans l’armée, s’il livrait au parlement un homme que la trahison seule avait pu livrer ?… Il est ennemi, mais il n’est pas le seul, il s’est montré cruel, très cruel, les royaux sont-ils exempts de reproche… et puis en somme, La Fontenelle est bon, il est jeune, il est de bonne noblesse, et quand sa soumission sera obligatoire, ce qui arrivera à bref délai, ne sera-t-il pas un excellent serviteur ?

Depuis quelques jours, Guy Éder restait éloigné de son ile, quand le délégué royal se fit introduire dans la prison.

Saint-Luc fit retirer les soldats, puis prenant la parole : « Eh bien, Monsieur le baron de La Fontenelle, êtes-vous décidé à mourir ? Soyez-en sûr, c’est le sort qui vous attend. »

Guy Éder répond froidement : « Oui, mais bravement et en gentilhomme, quand l’heure aura sonnée, mais non pas à la suite d’une trahison, et j’ai l’espoir de sortir libre d’ici. Le comte de Saint-Luc saurait-il sanctionner une perfidie ? Je ne m’attends pas à cela de son honneur de soldat.

En prononçant ces paroles, il frémissait de rage, lui, La Fontenelle, être à la merci de ce fier gentilhomme, et encore il lui devrait la vie… L’envoyé du roy, se mit à lui narrer ses méfaits. Guy Éder impassible, sans l’interrompre le laissa épuiser son indignation. Tout à coup, hypocritement.

Le plus noble gentilhomme de France, laisserait-il un Beaumanoir finir sa vie sur un gibet ? — Ce serait justice cependant, et ce serait mon devoir. — Le jeune homme relève la tête : « Alors il eût fallu me prendre loyalement… sang noble ne peut mentir, et celui qui coule dans vos veines se refuserait à commander froidement mon supplice… Saint-Luc alors se mit à regarder fixement le partisan et resta plongé dans ses réflexions.

Guv Éder aussi réfléchit, et ses réflexions se portèrent vers le faible connu du général… Tout homme est à vendre, il suffit de savoir de quelle monnaie le paver.

Tout le monde savait que Saint-Luc aimait le faste, qu’il était large, dépensier, il aimait donc le vil métal qui est le nerf de toutes ces qualités.

J’ai rendu la liberté à Du Granec, moi je suis fier d’être votre prisonnier, et j’espère ma liberté de vous.

Chaque jour, dit le général, il m’arrive des députations demandant votre tête… Tous les habitants du pays voisin la réclament, ils souhaitent la voir rouler à la tour du Chastel (place St-Corentin)… mais, sang Dieu, ils ne sont pas soldats ces gens-là… que comprennent-ils à la guerre ? Et, d’un air dédaigneux et hautain : « Je ne veux pas me laisser influencer par personne, qu’ils le comprennent bien ! Ces cris de bourgeois ne me vont guère… Je suis le maître ici, je le serai, et j’entends l’être… Que votre famille tremble pour vous, je l’admettrai, mais parce qu’elle a l’espoir de vous voir sortir de l’ornière où vous êtes… Heureusement, je veux vous considérer comme prisonnier de guerre. »

Je ne le suis que par trahison, dit fièrement le jeune homme, ce n’est pas par un acte de bravoure que mon adversaire s’est emparé de ma personne… Et comme au dehors les clameurs de la populace continuaient, Saint-Luc frappa du pied, impatienté. Je ne me laisserais influencer par personne, qu’ils le sachent une fois pour toutes… Je vous remercie, et vous serais reconnaissant… Du Granec m’avait combattu loyalement, je lui ai rendu la liberté sans rançon, et moi je m’engage ici, à vous faire apporter 14,000 écus d’or… Oh ! non pas pour ma rançon, mais ce sera comme souvenir de moi. Le rusé partisan avait d’abord parlé de loyauté, de noblesse, et maintenant d’un seul coup il entrait dans la place. Qui n’a pas ses faiblesses ? Grands et petits nous sommes ses sujets… ni les temps ni les hommes ne changeront.

À ce moment, le chef de la garde entra dans la prison… Monseigneur dit le sergent, une députation des magistrats de la ville, des échevins, des notables, désirent vous voir à l’instant… Je les ai introduits dans la salle, ils veulent, disent-ils, vous parler de La Fontenelle. — À ces paroles, de Saint-Luc fronce le sourcil, c’en était trop pour sa patience… D’abord Goujat, tu auras désormais soin de parler comme le doivent les gens de ton espèce, d’un noble gentilhomme, fût-il à Montfaucon, entends-le bien… Annonce que je me rends à la salle à l’instant. Et il sortit, mais le partisan vit bien qu’il avait touché corde sensible… une corde qui vibrait réellement… l’or, et aussi loyauté et noblesse.

L’assemblée des notables était nombreuse, mais pour un soldat tel que Saint-Luc, l’ensemble était déplaisant…

Dès son entrée, le général demande : à quel heureux hasard, dois-je l’honneur de votre visite ? Un personnage peu sympathique prend la parole. Nous venons vous témoigner nos respects et nos félicitations, vous dire, la reconnaissance que la bonne ville de Quimper vous gardera, pour la punition exemplaire d’un brigand, le baron de La Fontenelle qui a causé tant de ruines à ce pays du roi… Saint-Luc resta silencieux et froid… L’orateur, plus humblement, ajouta : ce sera certes grand plaisir pour sa majesté et pour son bon peuple, que la condamnation à mort, du bandit… et la diligence qu’on y aura mise, sera appréciée de tous.

L’orateur, ouvrait de grands yeux, en examinant sur les traits de l’envoyé du roi, l’effet produit par ses paroles, et cependant il dit plus humblement encore : Monseigneur, nous allons nous-mêmes apprendre aux bourgeois, au peuple de votre bonne ville qui attend, toute la reconnaissance, qu’ils devront au gouverneur délégué de sa majesté.

Saint-Luc, mécontent dit d’une voix rogue et ferme : ce sont là des choses, auxquelles, vous et vos pareils n’êtes pas initiés, et entendez-le bien, qui ne sauraient exister qu’entre sa majesté et moi.

Et il dit hautement, s’adressant à tous ceux qui étaient présents et ne semblaient pas à leur aise : Messieurs les magistrats, voilà, sang Dieu, une étrange chose que les bourgeois se mêlent de gouverner, et de s’en donner le ton… et sévèrement : Je ne tiens mon commandement que de Dieu et du roy, je le leur rendrai, mais en attendant je ne dois compte qu’à eux. Le blason de ma noblesse est mon code à moi, à moi, comte de Saint-Luc, Messieurs de Quimper, ajouta-t-il, en laissant percer la raillerie, et moi aussi… une fois pour toutes, n’oubliez pas que c’est dans mon honneur que je trouve mon devoir, que désormais ce soit chose convenue entre nous. Et prenant un parchemin scellé : Allez je suis occupé, je vous reverrai dans la salle du conseil… et les députés faisant piteuse retraite se retirèrent.

Le général se tournant vers quelques officiers présents : Vraiment, ces faquins de justiniens et bourgeois, voudraient faire de moi, un de leurs échevins, presque leur valet ? Et comme du dehors on entendait quelques cris encore… Faudra-t-il par hasard, dit-il, en écartant les gardes, et rentrant dans la prison de Guy Éder, qu’après la réception des maris bourgeois, je reçoive aussi les doléances de leurs épouses, jeunes et vieilles… Sang Dieu, ils n’y reviendront pas je l’espère… Il était de mauvaise humeur, et se calma en se rapprochant du prisonnier qu’il attira dans l’embrasure d’une croisée… il traça quelques lignes sur un parchemin… voilà ce qu’il me faut dit-il, en montrant quelques chiffres alignés.

C’est raisonnable, dit le partisan en pliant le parchemin. Veuillez, dit le baron, faire porter au fort Tristan, jusqu’au retour je suis vôtre… Oh croyez bien, dit Saint-Luc, c’est comme don que j’accepte, ce sera un don du sire de La Fontenelle, lequel sang Dieu, tient dit-on, bons bahuts ferrés et dorés, en son île Tristan… un vrai trésor de Salomon, chacun le sait, c’est en considération de l’illustre maison des Beaumanoir, que je vous fais grâce, aussi en souvenir de la liberté rendue à Du Granec. Demain vous pourrez retourner à votre île, mais rappelez-vous les paroles d’un soldat : Aussitôt votre retour, licenciez vos troupes, j’ai pitié de votre jeunesse… faites amende honorable, expatriez-vous pour quelques temps, faites solliciter votre pardon par votre cousin Lavardin, puissant à la cour… moi-même je vous promets d’obtenir du roi, l’oubli de vos actes passés… c’est cette espérance seule qui me guide en vous laissant aller… car si j’avais la pensée que vous puissiez agir autrement, je serai le premier à vous faire conduire à Rennes et à vous y accompagner.

Si vous êtes sourd à ma voix, vous serez cruellement puni, et cela sans tarder ; car partout nous sommes vainqueurs… ne criez plus, vive Mercœur, il fera sa soumission vous le saurez avant peu et personne désormais ne saurait vous soustraire à l’ignominie du gibet.

Toutes ces recommandations ont été conservées par un auteur, auquel je les emprunte en les abrégeant, le jeune homme ne répondit rien à ces paroles sermonneuses, et il se contenta de dire : Si jamais, le baron de La Fontenelle, rend son épée, ce sera entre les mains du noble comte qui me donne ses conseils.

Le lendemain la rançon demandée fut expédiée par les soins de De Romar, et Guy Éder sortait de grand matin, pour n’être pas reconnu des habitants : il avait une escorte de cavaliers royaux, qui dirent quelques paroles aux miliciens gardiens de la porte Médard… on ouvrit les portes au chef de l’escorte. Le partisan semblait étudier les murailles, puis il s’arrêta soudain… archers, avez-vous ordre de me conduire jusqu’à ma porte… il fait assez jour maintenant, et pour me protéger aujourd’hui, j’ai une bonne garde, avec laquelle je ne crains personne au monde… Monseigneur doit savoir que nous sommes chargés de l’escorter dit le chef pendant que Guy Éder souriait à sa vaillante lame… à ce moment quatre soldats de l’île, parmi lesquels se trouvait l’ami Rheunn, le dévoué soldat parurent, mandés munis d’un sauf-conduit signé du gouverneur… Soldats, dit le baron aux royaux… assez de peine que je vous donne, buvez à ma santé et à notre prochaine entrevue… en même temps il leur jetait une bourse bien garnie… vivement il partit au galop de la monture, qui lui avait été donnée de l’écurie du gouverneur…

Arrivé sur une hauteur, montrant à ses compagnons la cathédrale : Dans peu je reviendrai là, mais ce ne sera pas les mains liées… Quimpérois vous me rendrez au centuple, l’argent que j’ai payé à Saint-Luc… Du Clou saura ce qui l’attend, et il partit au galop de son cheval.

Ne vous l’avais-je pas dit capitaine, dit Rheunn, quand ils se trouvèrent dans les sentiers tortueux, entourés de hautes landes qui abrégeaient le chemin, Kervel est un traître, à la nouvelle de votre retour, il a décampé pour ne pas vous voir, pressons le pas, il se rend à ce moment près de Du Clou à Kerguélénen, nous pourrions le rencontrer encore… Il mourra de ma main, dit le partisan d’un air féroce, nous allons lui barrer le passage… Ils prirent donc le chemin que devait suivre le traitre Kervel, et entre temps ils le virent déboucher dans la plaine… il était seul, et ne s’attendait pas à la rencontre.

Le premier mouvement de Kervel fut de prendre la fuite, Guy Éder s’élance avec la rapide violence du tigre, et Kervel est renversé de sa monture tant le coup était violent. Le cheval du jeune chef se cabrant, celui-ci le maitrise, et descend de sa monture… Kervel est plus âgé que la Fontenelle, il est aussi d’une vigueur supérieure à celle du jeune homme qui s’était élancé sur lui. Le lieutenant veut se dégager et cherche à enlacer dans ses bras nerveux… Je veux être seul contre lui, dit Éder à Rheunn qui allait à l’aide du capitaine, qui allait tomber, mais il porte dans la cuisse de son adversaire un coup de poignard qui coupe la courroie du cuissard et pénètre jusqu’à l’os. Kervel tombe à son tour… ils sont à genoux l’un vers l’autre, la position allait être difficile pour Guy Éder qui rugissait comme une bête féroce… Kervel a confiance dans le poids de son corps, dans la Vigueur de son bras, il se laisse en quelque sorte rouler et était parvenu à renverser son adversaire, il allait lever le bras pour frapper quand Guv Éder plus agile déplace par un soubresaut Kervel qu’il renverse de côté, et lui plongeant son poignard jusqu’au manche entre le nez et l’œil gauche en disant : Adieu, Kervel, Dieu t’assiste et il se relève brusquement, laissant à terre le cadavre du traitre… Éder se relève, Rheunn, dit-il, attache-le par les jambes à la queue de ton cheval, et ne lui épargne pas les cailloux du chemin.

Le cadavre fut trainé jusqu’au fort, et là hissé au sommet du seul sapin de l’ile. Un instant après, le corps ballotait dans l’espace, au-dessus des têtes de quelques soudards et de Rheunn qui disait : ainsi périssent les traitres… vive le baron de La Fontenelle.

Les compagnons répétèrent ce cri car Kervel était détesté, et ceux qui donnèrent la main à traîner le cadavre mutilé, le firent avec joie, Kervel était détesté.