Souvenirs de la Basse Cornouaille/Livraison 2/06


VI

Saccage de Penmarc’h

Un aventurier de la trempe de La Fontenelle pourrait-il prendre quelque repos ? Sa conduite passée est demeurée impunie. Il brave les troupes royales… il regarde autour de lui, cherchant des victimes. Tanquam leo rugiens, circuit quœrens quem devoret. Attaquer Quimper ! il ne l’oserait, car des secours pourraient survenir. Les campagnes de Plogastel, de Pouldreuzic, de Pont-Croix, d’Audierne, du Cap-Sizun sont réservées pour la maraude, et il ne s’en prive pas. Aussi songea-t-il à Penmarc’h, aujourd’hui bourgade, mais alors dans sa splendeur, et quelle splendeur !

À quoi attribuer la décadence de cette ville faisant un grand commerce, de grains, de bestiaux, de salaisons avec les ports d’Espagne ? Une affreuse tempête, un cyclone qui détruisit 500 barques, fut une des causes.

Autrefois elle comptait 8 000 habitants, pouvait mettre sur pieds 3 000 arquebusiers.

Les habitants n’étaient pas sans inquiétudes au sujet du partisan surtout après le massacre de Plogastel.

Suivant l’usage de l’époque, l’église de Tréoultré avait été fortifiée. Il en était de même de Kériti port voisin.

J’ai parlé dans Raz de Sein, de l’affaissement progressif du littoral, il est très remarquable ici. La cité s’étendait au loin, un raz de marée, me disait M. Lacroix, mort l’année dernière, fit voir un jour des constructions ignorées, même quelques mauvais canons sur des pans de murailles. Je les ai vus, me disait le regretté M. Lacroix.

Les habitants du pays vous diront, d’immenses prairies s’étendaient sous la mer, c’est ce que me répétait dernièrement un vieillard du pays, âgé de 78 ans.

La Fontenelle aventureux voulut prendre connaissance des lieux dont il désirait s’emparer : « Je dois connaître les endroits qui recèlent les richesses, la situation exacte du terrain ». Dans ces époques troublées, chacun dissimulait ; et nous savons combien ce chef cependant si courageux, était avare du sang de ses compagnons.

Pour cette visite, il fit choix du lendemain d’un pardon célèbre.

Accompagné de quelques hommes, une dizaine, il arrive.

En ce moment tout était en fête. De Plobannalec, de Treffiagat, de Plomeur, de Loctudy, des bourgs environnants en un mot, on était accouru.

Les costumes sont restés les mêmes que du temps de Henri IV. Le langage est aussi le même, sa vitalité se manifeste avec une énergie singulière. La masse du peuple n’emploie jamais d’autre parler… Écoutez les voix dans les foules, ou les propos échangés dans les champs, ou autour du foyer, vous ne saisirez que des sons, absolument inintelligibles aux oreilles françaises. Si au souffle du vent dans la lande, se mêle la mélancolie de quelque chanson monotone, soyez sûrs que les paroles sont en breton. Cette énergie inconsciente se maintiendra longtemps encore… Dans quelques endroits du Finistère le costume a subi certainement avec l’idiome, l’inéluctable destinée qui met fin à toutes choses. Les signes précurseurs d’une disparition prochaine se manifestent en beaucoup d’endroits. Dans beaucoup de cantons les larges cols, les hautes coiffures, les formes amples, tout ce qui avait grand air, s’est rétréci, rapetissé, atrophié, comme des organes qui vont devenir inutiles.

Dans certains points, les anciens costumes si singulièrement variés sont même remplacés par des habits sans caractère, qui ont un double mérite, ils coûtent moins cher et peuvent passer partout, sans attirer l’attention.

Mais pour le pays dont nous parlons, les modes antiques se défendent vaillamment… Dans les pays de Plomeur, de Pont-l’Abbé, de Penmarc’h, le costume des habitants n’a subi aucune modification importante, essentielle. L’ensemble est d’un beau caractère, et offre pour les deux sexes des particularités étranges

Dans le vêtement féminin, la partie bizarre consiste dans une pointe raide, grosse tout au plus comme le bec d’une plume, et qui forme le sommet d’un petit triangle de toile, s’élevant au-dessus du front… Cette pointe attire l’attention, et c’est par son nom que l’on désigne communément la région où le port en est de rigueur… pays des bigoudennesBrô ar bigoudennet. On prétend que cette extrémité capricieuse a été importée par des Hellènes… on dit même que ce nom dérive du grec ayant signification, pointe d’osier.

Pour les hommes la bizarrerie consiste dans la veste en raccourci, que la longueur excessive du gilet fait paraître encore plus courte… à peine la veste recouvre-t-elle les omoplates. Le gilet au contraire s’étend jusque sur la région infiniment plus basse.

Les tailleurs, parias de la Bretagne, ont-ils pris mesure sur un étrange coléoptère, que l’on rencontre fréquemment en été dans les sentiers des environs. De tous les insectes innombrables qui abritent leurs ailes diaphanes sous des élytres cornées, le staphylin est le seul, dont l’enveloppe protectrice ne dépasse pas la longueur du corselet, laissant ainsi sans défense les deux tiers du corps. À côté de ces parties extravagantes, existent des ornements gracieux qui ont conquis droit de cité définitif dans le domaine changeant de la mode, leurs nuances chatoyantes qui donnent l’illusion de quelque chose d’exotique sont bien connues sous le nom de costumes bretons… Les hommes et les femmes portent en effet sur la poitrine des broderies éclatantes dont les dessins rayonnent au-dessous des visages jeunes et vieux, soucieux et gais.

Leurs lignes capricieuses rappellent exactement les figures géométriques groupées avec art, et les imitations de dentelles que des artisans inconnus sculptaient il y a trois siècles sur les meubles des campagnes bretonnes… Ces meubles anciens ont été et sont encore en grande vogue… aussi en trouve-t-on rarement dans les campagnes.

Autrefois, paraît-il, les anciens portaient ces vêtements avec de graves et pieuses sentences brodées sur l’étoffe.

Je m’étends là-dessus, car ce riche et pittoresque costume est un de ceux qui frappent le plus les touristes étrangers.

Voici ce que dit un grand artiste, écrivain et peintre à la fois : « Pour les Bigoudennes, les corsets écrasent la poitrine et ne serrent pas la taille, l’ensemble est chez elles très lourd, très grossier en dépit des ors, de la soie, de la finesse du drap, de la recherche des couleurs. » La coiffure est pour elles le grand sujet de coquetterie : le retour des cheveux lisses appliqués à plat sur le serre-tête est peu élégant, vue de dos une femme de Pont-l’Abbé est peu attrayante, mais de face, le serre-tête de tulle coquettement planté sur le haut de la tête, la coiffe de velours rehaussée de broderies d’or, la mentonnière avec son nœud sur le côté du visage donnent du piquant aux fraiches jeunes filles du pays… et ce nœud du côté est toujours de couleur voyante.

Les hommes ont fière tournure. Les petits hommes trapus qui par un phénomène ethnique observé en Angleterre comme en France, forment une partie importante de la population bretonne y sont rares.

Grands et forts, les jeunes hommes ont la taille cambrée, et leur vêtement qui s’y adapte exactement fait ressortir les avantages de leurs formes.

Tout ce monde puissamment bâti, vit cependant de peu… ils sont fiers et indépendants… ce caractère indomptable s’observe dans quelques communes, particulièrement Plovan et Plozévet, en un mot dans tout ce que nous nommons la baie.

J’aime à m’étendre sur tous ces détails, parce que c’est dans cette masse de population que La Fontenelle se présenta à Penmarc’h. Dans les environs de ce pays la population est toujours la même. Seulement de nos jours, il s’est formé à une distance de quelques kilomètres de Penmarc’h, du bourg, une agglomération de plus de 2,000 habitants, et qui est en pleine voie de développement. Cette ville en formation, se nomme Guilvinec. Le noyau provient de Douarnenez, et les femmes en portent le costume. L’industrie de Douarnenez, s’y est introduite.

Cette digression, on la pardonnera à un breton, elle était en quelque sorte de mon sujet…

La Fontenelle arrivait donc un jour de fête, et celle-ci allait son train… Il faut y avoir été, pour pouvoir parler de l’exubérance de gaieté qui préside aux réunions de ce beau pays de Pont-l’Abbé.

De tous côtés retentissaient, clameurs bruyantes, mendiants circulant dans la foule… Les cabarets en plein vent, regorgent de monde, on riait, on causait, et de quoi, se serait-on inquiété ?

Jeux installés partout, danses attirant la foule… Quelques emplacements étaient encombrés, car diverses joutes de lutteurs, alors plus populaires qu’aujourd’hui faisaient former cercle… Le partisan et les quinze aventuriers font leur entrée, s’introduisent dans la foule… Guy Eder pour ce jour là avait revêtu des vêtements luxueux, et c’est d’une manière souriante qu’il se présente… visière levée, contre son habitude, pour que chacun puisse voir sa bonne mine… il n’avait que 21 ans.

Les habitants sont fiers de voir un seigneur étranger prendre part à la fête… Guy Eder sait se montrer gracieux et aimable. Quelques-uns cependant ont soupçonné sa présence, en quelques instants la nouvelle s’en répand : crescit eundo.

Lui, s’aperçoit aussitôt de l’effroi qu’il inspire, lui qui n’ignore pas que son nom est maudit dans toute la Cornouaille… Il prend un air bon enfant, grâcieux, prévenant et dit : « Mes amis. je suis venu m’amuser comme vous, prendre part à votre fête. »

Ses compagnons le quittent un à un, sans faire mine de rien, observent la situation de l’église qui renferme les richesses, ils donnent un coup d’œil de connaisseurs aux fortifications, Tanguy, le lieutenant note tout dans sa mémoire… Malgré tout femmes et jeunes filles étrangères au bourg se hâtent de déguerpir… cependant qui oserait accuser les bigoudennes de pruderie ?… Tant s’en faut, surtout maintenant.

La Fontenelle, généreux près des joueurs, lançait des pièces de monnaie aux curieux qui semblaient s’apprivoiser, devenaient même importuns… La population acceptait de trinquer avec les soudards familiers vis à vis de tous, car les roublards ayant remarqué la terreur inspirée par le nom redouté, ne se lassaient pas d’exalter sa franchise, sa bonté, sa générosité… et lui toujours souriant, toujours aimable, avait tous les talents que l’être humain sait déployer pour plaire.

Quand le bruit strident de la corne vint sonner le boute-selle, les indigènes captivés regrettaient son départ… Kenavo, kenavo, disaient-ils…

Pauvres habitants, vous aviez tort de lui répéter, au revoir, kenavo. Vous n’en avez pas fini avec le bandit. Dans quelques jours, il reviendra, mais hélas ! ce ne sera plus en ami, ce ne sera plus l’homme souriant à vos jeux, galant à l’égard de vos filles.

C’est le fauve, c’est le loup qui viendra dans la bergerie sans défense. Combien trouve-t-on comme cela des niais confiants ouvrant leurs bras aux fauves masqués qui viennent pour les dévorer ? Pauvres gens de bonne foi, desquels on ne saurait trop se moquer, et qu’on ne saurait trop plaindre.

Pauvres habitants de Penmarc’h, précipitez-vous dans vos forts, montez à votre tour élevée et fortifiée, partout où vous pourrez trouver un abri : pour lui et les siens, il n’y aura pas de cachette trop obscure, il connaît par avance tous les replis du terrain.

Alors la ville avait de beaux édifices, une commanderie de templiers, de moines rouges comme on les appelait alors, elle avait sept églises le tout donnant sur la mer. Le commerce malgré les temps mauvais était florissant, une véritable flotte se pressait dans son port, que des fortins il est vrai défendait mal, et par la suite des temps malheureux, les hommes d’armes étaient absents.

Alors Penmarc’h avait plus d’habitants que Quimper, Brest, Nantes presque.

Quelques jours après la visite du partisan, sa bande accrue de nombreux espagnols qui alors guerroyaient en Bretagne pour le Duc de Mercœur, arrive subitement.

Le plan d’attaque était donné d’avance, et les routiers rapaces riaient d’avance sous la visière de leurs casques

Non loin de l’église, une halte fut ordonnée, près de Tréoultré, le plus grand des deux forts et le mieux fortifié, puisque le système de défense partait du bas, c’est-à-dire, depuis le cimetière jusqu’au sommet de l’édifice, le haut du clocher.

Seul et toujours en ami, La Fontenelle s’avance : Eh quoi, vous avez peur ? Comment vous vous défiez de votre ami ? Mais je viens simplement rendre visite à vos belles côtes si renommées… Si j’y arrive entouré de nombreux soldats, c’est que les populations se défient de moi ? On est toujours prêt à me chercher querelle, à moi, cependant qui ai tant à redouter d’ennemis jaloux. Mais, que Diable, vous êtes tous bons catholiques, qu’auriez-vous donc à craindre de la Ste-Union ? Mais vous, gens de Penmarc’h, vous pouvez défier tous les hérétiques de La Rochelle et d’ailleurs. Et comme toujours se croisant les bras, il attend une réponse.

Ainsi il devait procéder deux ans après à Pont-Croix, et c’était une réminiscence de Tite Live, des conciones.

Les naïfs villageois, ne connaissent ni les fables d’Ésope, ni les fables de Phèdre, encore moins celles de La Fontaine qui n’était pas encore né, se laissent prendre à ces paroles mielleuses, confiants ils abandonnent la tour et les fortifications… Des soldats masqués escaladent aussitôt les murailles du cimetière, c’était le plan d’attaque tracé d’avance, et les bandits bardés de fer tombent subitement sur une population confiante, sans défense.

Quelques-uns se rendent pour n’être pas massacrés : sans cela il était général le massacre de la population.

À gorge déployée les soldats riaient en enlevant le butin renfermé dans l’église, et ce ne fut pas après un long temps… On se pressa pour se ruer sur le fort Kérity, et quand deux mille maisons se trouvèrent en feu.

4 à 5,000 habitants furent massacrés, quelques-uns furent torturés. Les femmes qui survécurent, ou ne réussirent pas à s’échapper, subirent des outrages. De Kérity, trois cents barques apportèrent à Douarnenez les objets de valeur, et pour combler la mesure et l’opprobre, des gens valides furent contraints au travail et au transport.

Il faut remarquer ici que beaucoup de commerçants riches étaient restés à Penmarc’h, n’imitant pas en cela ceux d’Audierne et du Cap Sizun qui s’étaient réfugiés à l’abri des canons du château de Brest.

Grand fut le nombre des prisonniers, et l’on en faisait quand on en pouvait espérer rançon, les autres ne recevaient pas quartier. Les prisonniers à demi nus, durent s’envelopper de couvertures, quand on les força à marcher, à prendre la route, c’était pitié à voir par les chemins et les sentiers, par les landes stériles, ces files d’hommes, de femmes, de jeunes filles de toutes conditions. Une soldatesque ivre les escorte, entre deux rangées de lances, piques droites et levées, et mousquets encore chauds et sanglants. À la lueur des flammes ils se mirent en route, leurs derniers regards dans leurs sanglots, furent pour leurs demeures anéanties, s’écroulant l’une après l’autre avec un bruit sinistre.

L’église de Tréoultré fut le théâtre du plus grand massacre.

Une église et quelques maisons, voilà dit un voyageur, sur les lieux même : « Voilà tout ce qu’il reste d’une ville jadis florissante, et l’on se demande quelle fatalité ou quelle malédiction a pu peser sur cette terre, quelles qu’aient été les horreurs de la guerre et celles des brigands tels que La Fontenelle, pour que jamais plus la vie n’ait pu germer, comme étouffée sous l’amoncellement des cendres. »

Le chroniqueur Cornouaillais, le chanoine Moreau se charge à sa façon de nous en donner une explication.

Sentencieusement, il dit : « Certains crimes se commettaient dans l’église, et la cause se trouvait dans le trop grand rapprochement des lits entourant la nef sacrée. Dieu veuille, ajoute le chroniqueur, en expiation de leurs offenses que cela leur serve pour leur salut. » Il ajoute : « De ce ravage de Penmarc’h demeura telle ruine qu’il ne sera de cinquante ans possible de se relever.

Ne prophétisait-il pas vrai ?… Il y a 300 ans, trois siècles de cela, qu’on y aille maintenant…

Le partisan ne se contenta pas de la ruine de la cité commerçante. Comprenant toutes les ressources de la situation, il envoyait quelques jours après, un fort corps de troupes avec munitions, prendre possession des forts de la ville ruinée.

Ils vécurent d’abord de maraudes, Plomeur, Plobannalec, Plonéour, étaient des terrains d’exactions journalières, comme les environs de Douarnenez, Poullan, le Cap Sizun, durant les années d’occupation de l’île Tristan… ils repeuplèrent à leur manière, car dès l’année suivante, il y eut une recrudescence d’augmentation de la population… Le partisan donnait-il donc des ordres à ses soldats pour réparer le mal commis par les massacres ? Je ne crois pas que cela fût nécessaire.

Plus tard, nous le verrons dans un autre tableau, Sourdéac, gouverneur de Brest, vint les déloger, avant de se rendre à Douarnenez, pour le siège de l’île Tristan.

Sourdéac fit suspendre les cadavres des soldats qu’on y fit prisonniers, aux tours de Tréoultré.

La Fontenelle en apprenant ce récit, devint furieux, promit de ne plus faire quartier aux soldats royaux qui tomberaient entre ses mains… Avouons cependant qu’il faisait de la sorte œuvre de bonne stratégie : il espérait qu’en conservant des troupes dans ces forts, il n’aurait plus à craindre de ce côté en cas d’attaque du fort Tristan.

Nous verrons que sa ruse fut déjouée par les royaux.