Souvenirs de la Basse Cornouaille/Livraison 2/05


V

Rapt audacieux de Marie de Mésarnou

Le chanoine Moreau est mon guide, et c’est à cette époque qu’il place le rapt de Mademoiselle de Mézarnou. 1595.

La Fontenelle voulait ceindre deux couronnes, il fut Tibère, Néron, il voulut être Lovelace, Don Juan.

Le bon chanoine se contente de dire : Guy Eder porta l’audace jusqu’à aller enlever une fille, riche héritière de Bretagne, et en faire sa femme, Marie de Mézarnou n’avait que neuf ans… le bon chanoine ajoute naïvement : il n’en eut pas d’enfant.

Eh bien, mon cher compatriote, puisque vous étiez de Beuzec et quelque peu curé de Pont-Croix, je vous prends ici en flagrant délit d’erreur, car l’opinion la plus reçue est qu’elle avait douze ans, à part cela tout le reste est vrai.

Mézarnou, une des plus belles habitations fortifiées, du pays de Léon à Plounéventer, appartenait au sieur de Parcevaux, seigneur de Mézarnou, un peu parent de Guy Eder, qui lors des massacres de Landerneau, lui avait fait visite.

Comme tous les seigneurs bretons de l’époque, Vincent de Parcevaux penchait pour la Sainte Union, comme actuellement tout noble ou qui prétend l’être sera royaliste… Les temps changent, les opinions ou du moins leurs modes sont et seront les mêmes… pour beaucoup c’est une affaire de bon genre.

Mézarnou existe encore aujourd’hui, bien conservé, ressemblant à la plupart des maisons nobles du XVIe siècle… on voit encore les murs du parc, cernant environ 25 hectares.

Vincent de Parcevaux avait une cinquantaine d’années, fort doux de caractère, brave et d’une grande franchise.

Son hospitalité était reconnue de tous, et dans ses réceptions il déployait un grand faste.

Renée de Coëtlogon son épouse, était veuve de Pierre Le Chevoir de la commune de Prat, dans le pays de Tréguier et de Lannion.

De ce premier mariage était issue une charmante fille, que l’on appelait Pennèrez, parce qu’elle était le plus riche parti de la noblesse bretonne.

Le chanoine Moreau dit : elle avait dix mille livres de revenu, c’était énorme à cette époque… maintenant c’est la fortune de bien des filles d’épiciers, qui ont vendu de la cannelle au cornet. La mère lors de la première visite du partisan, se trouvait absente. À cette nouvelle visite que fit le jeune homme de 20 ans, roi de l’île Tristan, titre qu’il se donnait, l’aventureux ne voulut pas effrayer par une suite nombreuse… il avait seulement une escorte de six hommes.

Mézarnou ne s’effraya pas, seulement cette visite le flattait peu… quand on est riche, bien qu’il n’eût aucun soupçon des intentions de Beaumanoir, mal renommé, on a quelques sujets d’inquiétudes que l’on n’ose pas exprimer… au contraire.

La Fontenelle avait conservé bonne mémoire de la riche vaisselle, des belles coupes, des belles aiguières d’argent, et aussi de la jeune héritière… La Fontenelle avait tous les talents, il sut donc déployer ceux de la galanterie, se montrant désolé de l’absence de Madame de Parcevaux retenue près d’une parente malade, au manoir de Mesgouez, près de Morlaix.

« Je n’ai que peu d’instants à vous donner, dit Eder ; je le regrette beaucoup, il sut parler avec adresse en faisant l’éloge des troupes qui lui obéissaient sans murmurer, de leur bravoure et de toutes leurs qualités… etc… malgré tout il me serait agréable que ma présence au château qui se trouve sur mon passage, ne soit pas ébruitée : à part lui, le rusé compère se disait : Le destin prépare tout pour le mieux, il rendait presque grâce à Dieu. La dame est absente, et mon bien aimé cousin, peut-être, pour m’engager à ne pas rester trop longtemps, se dit forcé de l’aller rejoindre dans deux jours, tout est pour le mieux.

Mon cousin orgueilleux vraiment de sa vaisselle, ne trouvera pas étonnant que je l’emporte pour aussi en faire étalage à mon trésor de l’île Guyon, où je saurai la bien conserver pour ma petite cousine qui est si jolie.

Le souper se passe gaiement, Guy Eder n’avait dit mot de son escorte. La cousine Marie, à laquelle nous donnerions 12 ans, malgré Moreau, se montra charmante, affectueuse, tendre pour le beau cavalier. La troupe était restée campée dans une haute lande.

On doit croire aussi que l’impression faite par le beau cousin, fut avantageuse… Dam ! il n’avait que vingt ans… si jeune et si renommé… Les cousins un peu… comment dirai-je pour exprimer ma pensée sans froisser… oui les cousins un peu lurons, ne sont pas ceux qu’on aime le moins ; ils plaisent davantage, Guyon avait annoncé son départ pour le lendemain, l’innocente jeune fille avoua qu’elle le regrettait… tout cela allait au baron, qui d’abord n’en voulait qu’à la belle vaisselle, mais qui aussitôt forma le projet de l’enlever et d’en faire sa femme.

Dès l’aube le partisan est levé de bon matin, pénétrant dans la chambre de Mézarnou… Mon cousin, je viens vous faire mes adieux, je regrette de ne pas pouvoir faire mes adieux à Marie qu’il ne faut pas réveiller… voici pour elle un léger souvenir… c’était un diamant magnifique, étincelant. Puis il prend congé de Vincent de Parcevaux, qui à part lui, est enchanté du départ… La Fontenelle attendit aux alentours, dans la plus grande discrétion… aussitôt qu’il est assuré du départ du châtelain de Mézarnou, il va rejoindre ses hommes qui étaient reposés et dispos… j’ai bien parlé de six compagnons, mais quelques autres étaient survenus pendant la nuit, guidés par Rheunn qui avait des ordres. Le mot d’ordre pour la troupe fut celui-ci… escalader les murs, pénétrer dans le château, faire rafle de la fameuse vaisselle d’argent dont mon cousin est trop fier… mais pas de mal aux domestiques, bâillonnez-les, et étranglez les chiens s’il le faut.

À la nuit les domestiques dormaient, on les bâillonna puis on les lia étroitement sur les lits… Guy Eder indiqua l’endroit où la vaisselle se trouvait rangée en montre par ostentation, leur dit-il, donne des ordres pour leur agencement, et aventureux se dirige vers la chambre de la demoiselle Marie qui dormait… on dort si bien à 12 ans, quand on rêve au brillant cavalier dont l’image hante les rêves dorés d’une jeune fille.

Mais avant d’arriver à la chambre de Marie, il faut faire ouvrir la chambre de la gouvernante, une duègne d’un certain âge, un peu revêche… celle-ci réveillée en sursaut est sur le point de s’évanouir… elle pousse en vain de hauts cris qui ne peuvent attirer la domesticité prisonnière. La porte est fermée et résiste aux efforts du jeune homme… ouvrez aussitôt, et obéissez promptement… le manoir est au pouvoir de brigands, et je viens veiller sur ma cousine et la défendre… La gouvernante ne veut rien croire.

Guy Eder exaspéré crie… vite ouvrez, ou craignez ma vengeance, je veux sauver ma cousine… ouvrez, ou j’enfonce la porte par mes hommes à coups de hache. Marie est réveillée par les cris, elle se met sur son séant, et la gouvernante va la rejoindre dans la chambrette.

Le cousin dit toujours : ouvrez vite, vite, cela presse.

La duègne raconte à la jeune maîtresse que le château est aux prises d’une bande de brigands, elle est hors d’elle-même, votre cousin de Beaumanoir est à la porte, il prétend être accouru pour vous sauver des mains des voleurs.

Sang Dieu, criait toujours Guy Eder exaspéré de toutes ces lenteurs, sinon la porte s’ouvrira à coups de hache, et il frappait du pied… et sa botte était solide, croyez-le bien.

Marie effrayée cherchait à s’expliquer le retour du cousin, souvent elle avait entendu médire de lui, de ses ruses suivies de prouesses, elle n’y croyait pas… lui si beau, si élégant, si prévenant elle n’y croyait pas… peut-on croire au mal, quand on a le cœur pur d’une jeune fille… ouvre vite je t’en prie, ma vieille Marianne, ayons confiance en Dieu et dans la bonne Vierge… Tu vois, mon cousin veut me sauver, il ne veut pas que les brigands m’enlèvent. Guy Eder se précipite dans la chambre ouverte enfin… sortez d’ici à l’instant, dit-il à la gouvernante, je veux rester seul avec ma cousine qui va s’habiller de suite… ses yeux étaient si effrayants que la vieille Marianne crut avoir affaire à l’ange des ténèbres, elle se signait à plusieurs reprises, un soudard qui avait suivi le chef à quelques pas, la poussa par les épaules et lui fit descendre les larges marches jusqu’au rez-de-chaussée : jamais elle n’avait dégringolé si vite.

Que se passe-t-il, mon cousin, dit la jeune fille à peine vêtue ? — Des brigands se sont introduits dans le château, je viens vous retirer de leurs mains, et vous protéger. — Quoi vous suivre dit la jeune fille tremblante. — Il le faut, cousine, c’est votre salut, je veillerai sur vous. — Ah ! vous n’êtes pas méchant comme on le dit. — Habillez-vous vite, dit Eder, je vais surveiller la bande… Comme il est heureux que votre père et votre mère soient absents, c’est à eux que l’on voulait, et l’on abandonnait vos appartements pendant le pillage… peut-être si l’on vous soupçonnait ici, vous prendrait-on comme otage. Moi je savais que vous étiez ici, on n’y viendra que plus tard, dépêchez-vous.

Voulant rassurer davantage la pauvre enfant confiante :

« À Landerneau, j’ai appris le vol projeté pour la nuit : ces voleurs ont voulu embaucher pour le coup à faire, des gens qui me sont dévoués ; on voulait les racoler pour le pillage… oh ces pilleurs ne sont pas de la ligue, sans cela j’aurais essayé de les détourner… je ne suis arrivé qu’à temps… l’enfant confiante croyait tous ces mensonges… un bruit se fit dans les communs du château… ils vont maintenant à la chapelle, vite préparez-vous, je vais tout préparer pour le départ.

Il sort, et va donner des ordres à ses compagnons, qui dans d’immenses pièces de toile rassemblent les objets précieux.

S’adressant à un soldat… Je vais prendre les devants… Sellez à la hâte mon cheval, préparez-en un autre que je vous ai indiqué, un seul homme à cheval m’accompagnera.

Vous me retrouverez à l’endroit que j’ai indiqué à Rheunn, allons et preste !…

La Fontenelle remonte, trouve la jeune fille en pleurs, mais confiante… pauvre mère, pauvre mère disait-elle…

Venez, cousine, ne vous inquiétez pas de votre gouvernante, cette vieille folle court les maisons voisines, on n’osera pas, on ne pourra même pas venir à son secours ayez confiance en moi.

Les chevaux attendaient à la porte de la cour, comme toutes les nobles demoiselles, la Pennerèz savait monter à cheval, elle était même excellente écuyère… ils partirent au galop…

Après une longue course, ils s’arrêtèrent dans un logis préparé d’avance, on les attendait… Ne craignez plus cousine, dit Guyon plein de déférence, quand luira le jour nous partirons en toute sécurité, mes soldats viendront et nous feront escorte.

Ceux-ci ne tardèrent pas, amenant un riche butin… En route dit le chef, pas de temps à perdre.

L’héritière est couverte de couvertures de laine, et part confiante, suivant au galop… des relais étaient commandés, le partisan avait en effet des complices et des espions dans nombreux châteaux et manoirs… Sans encombre, ils arrivèrent à Douarnenez, après s’être reposés un instant dans un manoir voisin de la route… comment n’aurait-elle pas eu confiance dans les renseignements plausibles d’un parent si dévoué… Dans quelques jours lui dit le jeune homme je vous ramènerai, alors votre bon père sera là pour vous défendre et de mon côté je veillerai sur vous.

Pareilles histoires, à semblables époques, ne sauraient étonner !

Guy Eder ne savait trop se louer du destin.

Le chanoine Moreau dit qu’il en fit sa femme, et qu’il n’en eût pas d’enfant. Il est le seul historien de ce rapt audacieux, mais d’autres sources sont venues qui ne contredisent pas le rapt mais qui donnent une issue plus probable à l’affaire.

Arrivé à l’île Tristan, quelques jours après, il partait avec l’héritière et la confiait à la sœur de son lieutenant de Romar, seigneur de Murion.

Celle-ci était supérieure des Ursulines à Saint-Malo.

Ceci est plus probable, car nous retrouvons La Fontenelle avec Marie qu’il entourait de soins et d’affection, après son départ de l’île Tristan, à Coadélan, à Trébriant qui étaient du domaine des biens de l’héritière.

Que l’on juge cependant de la douleur de la famille de Parcevaux… Un rapt de 40,000 écus et une fille adorée… Dans leur colère, ils songèrent à dénoncer le ligueur à Henri IV… Hélas ! que pouvait l’autorité royale elle-même ? La crainte des fureurs du partisan les fit taire. De son côté, Guy Eder envoyait un messager à Mézarnou. « Ma cousine est conduite dans une maison religieuse, j’ai juré de l’épouser quand elle aura 15 ans. L’abbesse de la communauté est une amie de la famille. Ne faites pas de recherches pour revoir votre fille, ma vengeance saurait vous atteindre : elle m’aime, et elle est heureuse. »

On se le tint pour dit : contre la force, y a-t-il une résistance ? On ronge son frein quand les lois sont impuissantes à vous protéger… alors, et même maintenant.

Ce fut dans un des manoirs de Marie de Mézarnou, qu’on fit le baron de la Fontenelle prisonnier, et il était heureux après tant de traverses soutenues avec résignation… On est allé jusqu’à dire que son dernier mot, son dernier regret dans le supplice atroce de la place de grève sept ans après, fut pour Marie de Mézarnou… Les fauves se laissent donc dompter quelquefois… J’ai connu cependant des fauves que jamais un bon mouvement, une largesse n’ont pu dompter… Souvent la race humaine est pire que les fauves… Ceux-ci ne raisonnent pas, les autres raisonnent.